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Introduction

Perçu selon l’approche classique comme étant une contrainte économique et sociétale, l’environnement naturel devient de plus en plus aujourd’hui un moyen d’améliorer la compétitivité des entreprises (Boiral, 2005). Quelle que soit la vision adoptée envers l’environnement naturel, plusieurs entreprises ont commencé à s’intéresser à la protection de l’environnement mues par diverses motivations (Lozano et Vallés, 2007). Si la littérature présente ces motivations en bloc, elle n’identifie, a priori, aucune relation entre elles (Boiral et Jolly, 1992 ; Gonzalez-Benito et Gonzalez-Benito, 2005). En plus, certains travaux supposent que ces motivations sont indépendantes et n’excluent pas l’existence simultanée de plusieurs motivations écologiques au sein des entreprises, sans accorder une importance particulière au processus de leur émergence (Gavronski, Ferrer et Paiva, 2008).

Ainsi, cette recherche vise trois objectifs. Le premier est d’identifier les motivations qui poussent les entreprises tunisiennes à s’intéresser à la protection de l’environnement. Le deuxième est de procéder à une comparaison des motivations écologiques entre les petites et moyennes entreprises (PME), et les grandes entreprises (GE). Le troisième est de proposer, à partir de l’enquête, un processus évolutif des motivations écologiques selon la taille des entreprises.

Ce travail de recherche est composé de trois parties. La première explicite théoriquement les principales motivations écologiques, la deuxième décrit la méthodologie adoptée pour cette recherche et la troisième partie est consacrée à la présentation et à l’analyse des résultats.

1. Cadre théorique

Les travaux traitant des motivations écologiques ne manquent pas (Lansiluoto et Jarvenpaa, 2008 ; Cordano, Marschall et Silverman, 2010). Néanmoins, ces travaux supposent l’existence de trois principales motivations : les motivations relationnelles, économiques et éthiques.

1.1. Les motivations relationnelles

Les motivations relationnelles constituent la principale motivation des actions écologiques (Bansal et Roth, 2000 ; Lozano et Vallés, 2007). Dans ce cas, les entreprises cherchent à se conformer aux attentes des parties prenantes, essentiellement les pouvoirs publics. Qu’elle soit de grande ou de petite taille, l’entreprise ne peut ignorer la menace potentielle de ces parties prenantes et cherche la conformité réglementaire (Quairel et Auberger, 2005).

Différentes définitions ont été proposées pour le concept de partie prenante. Cependant, il existe deux conceptions majeures (Capron et Quairel, 2002). La première est partenariale et s’intéresse aux parties ayant des relations contractuelles avec l’entreprise. La seconde est sociétale ; plus large que la première, elle suppose que la partie prenante est toute partie qui peut affecter ou être affectée par les décisions de l’entreprise.

L’apport de cette théorie pour les entreprises peut être analysé sur trois plans : descriptif, instrumental et normatif (Donaldson et Preston, 1995). Sur le plan descriptif, la théorie des parties prenantes est utilisée afin d’expliquer la réponse apportée par les entreprises à leurs parties prenantes. Sur le plan instrumental, la théorie des parties prenantes est adoptée afin de démontrer les liens entre les pratiques de gestion des parties prenantes et les objectifs essentiellement économiques des entreprises. Sur le plan normatif, la théorie des parties prenantes est utilisée pour démontrer que les entreprises ne sont plus guidées uniquement par leurs actionnaires. D’autres parties essayent de les orienter vers leurs intérêts. Ainsi, la théorie des parties prenantes remet en cause « la gestion pour les actionnaires » qui suppose que l’entreprise n’est créée que pour réaliser les objectifs économiques des actionnaires.

Or, les intérêts des actionnaires ne se confondent pas nécessairement avec ceux des autres parties prenantes. Selon la théorie des parties prenantes, une négligence des intérêts de ces parties peut menacer l’existence même des entreprises, puisqu’elles peuvent exercer différentes formes de pression pour inciter les entreprises à tenir compte de leurs attentes (Capron et Quairel, 2002). C’est l’une des raisons qui poussent les entreprises à se préoccuper de la protection de l’environnement.

Parmi les actions écologiques reposant sur des motivations relationnelles, la certification environnementale constitue aujourd’hui une solution stratégique qui permet d’anticiper les pressions sociétales, s’inscrivant ainsi dans une approche proactive (Boiral, 2001).

Or, les actions écologiques issues des motivations relationnelles ne constituent pas des actions proactives (Bansal et Roth, 2000). Elles sont le résultat d’une réaction à des pressions dont le but est d’éviter les sanctions et de préserver, par conséquent, la légitimité des entreprises. Dans ce sens, Gonzalez-Benito et Gonzalez-Benito (2005) trouvent que les entreprises poussées par des motivations relationnelles procèdent à des transformations environnementales mineures et essayent de limiter leurs engagements environnementaux.

1.2. Les motivations économiques

Les entreprises, indépendamment de leur taille, ne sont pas toujours poussées par des facteurs externes lors de la mise en place des actions écologiques. Certaines d’entre elles optent pour la gestion environnementale après avoir découvert des opportunités économiques (Lansiluoto et Jarvenpaa, 2008). Certaines entreprises peuvent même s’engager dans un processus de certification environnementale afin de conquérir de nouveaux marchés (Boiral, 2001). Dans ce sens, Labelle et St-Pierre (2010) relèvent que le facteur économique constitue un facteur déterminant dans l’engagement environnemental des PME. Or, il est à noter que cet engagement de la part des PME pose certains problèmes. En effet, la PME dispose d’une proximité temporelle qui se manifeste, entre autres, par sa focalisation sur le court terme contrairement à la GE (Torrès, 2000). Ainsi, la PME perçoit difficilement l’intérêt économique d’un investissement écologique à moyen ou à long terme. Par conséquent, le propriétaire-dirigeant d’une PME sera réticent à tout engagement environnemental contrairement au dirigeant d’une GE. Ce comportement est davantage adopté par manque de compétences et de ressources.

Les entreprises qui réussissent à tirer profit de la dimension environnementale concrétisent la logique gagnant-gagnant où la réalisation d’une performance environnementale contribue à l’amélioration de la performance économique. Ces dirigeants font une analyse en termes de coûts et de bénéfices économiques, et non écologiques. Par conséquent, le niveau des engagements environnementaux varie en fonction de la rentabilité espérée. Cette vision dévalorise la nature, puisque les actions écologiques ne peuvent être adoptées que si elles sont économiquement rentables.

1.3. Les motivations éthiques

Aujourd’hui, et avec le développement de la notion de développement durable, un nouveau type de motivation écologique commence à prendre de l’importance, soit les motivations éthiques. Dans ce cas, les entreprises essayent d’assumer leur responsabilité sociétale en prenant en considération dans leur fonctionnement à la fois les aspects économiques, sociaux et éthiques (Wood, 1991). Les engagements environnementaux deviennent plus importants, et les solutions environnementales sont plutôt innovatrices qu’imitatrices (Bansal et Roth, 2000).

Dans ce cadre, le modèle de la gestion contestable peut contribuer à mieux expliquer le comportement des dirigeants disposant de motivations éthiques. Selon ce modèle, les entreprises qui veulent préserver leur légitimité sociétale essayent d’anticiper la formation de menaces de contestation afin de trouver les solutions de couverture (Godard, 2002). Cela requiert de leur part une prévision des contestations futures sur laquelle une stratégie anticipative proactive est construite.

Comme les motivations économiques, les motivations éthiques sont d’ordre interne. L’émergence de ce type de motivation dépend essentiellement de la conviction du dirigeant qui devient plus déterminante dans les PME que dans les GE (Paradas, 2006). En associant le facteur de proximité, le propriétaire-dirigeant d’une PME aura plus de facilité à faire passer l’aspect éthique à ses employés, à cause de l’importance relative de sa domination hiérarchique, qu’un dirigeant d’une GE (Torrès, 2000).

D’une façon générale, les initiatives environnementales qui sont poussées par des facteurs éthiques provoquent un changement dans le comportement du personnel à l’égard de l’environnement naturel par un changement dans la culture organisationnelle.

Ces trois motivations écologiques, relationnelles, économiques et éthiques, sont considérées comme les principales motivations qui poussent les dirigeants à s’intéresser à la protection de l’environnement (Bansal et Roth, 2000 ; Worthington, Ram, Boyal et Shah, 2008 ; Gadenne, Kennedy et McKeiver, 2009). Ces motivations sont, dans la plupart des cas, analysées séparément (Boiral et Jolly, 1992 ; Bansal et Roth, 2000). Par exemple, Gavronski et al. (2008) montrent que les motivations réactives (relationnelles) et proactives (éthiques), liées à la certification environnementale ISO 14001 par exemple, ne sont pas corrélées. Ils affirment que ces deux types de motivations peuvent exister au sein d’une même entreprise d’une manière indépendante. Ce résultat corrobore celui de Worthington et al. (2008) et de Morrow et Rondinelli (2002) selon lequel les motivations écologiques ne sont pas mutuellement exclusives : les actions écologiques d’une entreprise peuvent être basées sur plusieurs types de motivations écologiques à la fois.

Cependant, la présence de ces motivations écologiques est fonction du contexte organisationnel, écologique et de la sensibilité écologique du personnel (Bansal et Roth, 2000). Par contre, Gonzalez-Benito et Gonzalez-Benito (2005) relèvent que les motivations écologiques sont loin d’être indépendantes et des relations potentielles peuvent exister sans que l’on puisse les identifier.

Les études citées ci-dessus ne prennent pas en considération la dimension taille dans le développement des motivations écologiques. Ces études ne précisent pas si les motivations écologiques apparaissent au même moment ou si elles respectent un ordre d’apparition. C’est ce processus évolutif qui sera examiné dans le contexte tunisien.

2. Cadre méthodologique

2.1. Présentation du contexte

L’intérêt porté à la protection de l’environnement par le gouvernement tunisien date de la fin des années 1980. Cet intérêt s’est concrétisé par l’instauration d’un cadre législatif et institutionnel.

En effet, le gouvernement tunisien a instauré une réglementation environnementale afin d’inciter et de pousser les entreprises tunisiennes à se préoccuper de la dimension environnementale. La première loi, datant du 13 mars 1991, porte sur l’étude des impacts environnementaux (ÉIE). Selon cette loi, tout nouveau projet susceptible d’avoir des impacts environnementaux négatifs doit faire l’objet d’une ÉIE avant qu’une autorisation de réalisation ne soit délivrée. Cette ÉIE a pour objectif d’évaluer les dommages environnementaux causés par cet investissement. Progressivement, le cadre législatif s’est enrichi de nouvelles lois revêtant à la fois un caractère incitatif, comme la norme tunisienne NT 106.02 relative aux rejets d’effluents dans le milieu hydrique (milieu maritime, milieu hydrique national et canalisations publiques), et contraignant, comme l’octroi de certains avantages fiscaux sur les équipements environnementaux.

Sur le plan institutionnel, le gouvernement tunisien a créé différents organismes chargés de la protection de l’environnement. Parmi eux figure l’Agence nationale de la protection de l’environnement (ANPE). Créée en 1988, l’ANPE a pour objectifs essentiels de participer à l’élaboration de la politique générale du gouvernement en matière de lutte contre la pollution, de protection de l’environnement, et de lutter contre toute forme d’atteinte à l’environnement naturel et de contrôler les rejets polluants et les installations de traitement.

Voulant soutenir l’ANPE dans ses missions, le gouvernement a créé en 2005 l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED). L’ANGED participe et exécute des actions dans le domaine de la gestion des déchets.

La présentation du contexte tunisien permet de cerner le retard qu’accumule la Tunisie en matière de protection de l’environnement par rapport à certains pays développés. Ce retard pourrait se répercuter sur le comportement écologique des entreprises. En fait, la gestion environnementale est un processus long au sein duquel les entreprises acquièrent de l’expérience.

2.2. La méthodologie adoptée

Pour répondre aux objectifs de la recherche, deux approches sont utilisées. Afin d’atteindre les deux premiers objectifs, à savoir l’identification des principales motivations des actions écologiques et la comparaison entre les motivations écologiques des GE et des PME, l’approche déductive est utilisée. Cette approche tente, à travers des observations, de trouver des relations entre des variables.

Concernant le troisième objectif, à savoir la proposition d’un processus évolutif des motivations écologiques selon la taille des entreprises, l’approche inductive est mobilisée. Plus précisément, il s’agit d’adopter l’approche de la théorie enracinée (grounded theory). Développée initialement par Glaser et Strauss en 1967, la théorie enracinée permet au chercheur de développer de nouvelles connaissances en adoptant une logique de découverte (Garreau et Bandeira-de-Mello, 2010). En adoptant la théorie enracinée, le chercheur ne dispose pas de littérature préétablie afin de confirmer ou d’infirmer des hypothèses. Au contraire, c’est le terrain qui permet au chercheur de développer de nouvelles théories.

Afin d’approfondir l’analyse et pour tenir compte de la complexité de la gestion environnementale, la méthode des cas est adoptée au sein de cette recherche. La gestion environnementale est un processus complexe faisant intervenir plusieurs variables. Un questionnaire peut ne pas cerner le problème étudié dans sa totalité et, par conséquent, ne pas être en mesure de proposer des résultats convaincants. De plus, la gestion environnementale constitue un sujet d’actualité qu’il est préférable d’aborder avec la méthode des cas (Yin, 1989). Cette méthode est définie comme « une étude empirique qui essaye d’examiner un phénomène contemporain dans son contexte réel quand les frontières entre ce phénomène et le contexte ne sont pas claires et que plusieurs sources de données sont utilisées » (Yin, 1989, p. 23).

Puisque la méthode des cas autorise la collecte des données auprès de plusieurs sources, deux catégories d’informations sont utilisées, à savoir les entretiens semi-directifs et les documents.

Les cas sont choisis en fonction de deux critères :

  • L’appartenance à des secteurs polluants : en traitant un sujet environnemental, cette recherche se tourne en premier lieu vers les entreprises polluantes qui se sont intéressées à la protection de l’environnement par la réduction de leurs externalités environnementales négatives. Les questions environnementales prennent de l’importance surtout dans les secteurs polluants où la préoccupation environnementale est relativement élevée.

  • L’acceptation par les dirigeants : la méthode des cas exige des entretiens avec certains responsables. En outre, cette méthode nécessite la consultation des documents internes de l’entreprise enquêtée dont certains contiennent des informations classées confidentielles. Cela n’est pas toujours accepté par les dirigeants, d’autant plus que le sujet de la recherche constitue un sujet sensible sur le plan social.

Deux principes sont utilisés pour déterminer la taille de l’échantillon : la réplication et la saturation. Alors que le premier correspond au degré de certitude souhaité et à l’ampleur des différences trouvées, le second suppose que l’intérêt d’ajouter des cas sera limité lorsque le chercheur n’est plus capable d’obtenir des informations supplémentaires permettant d’enrichir la théorie (Royer et Zarlowski, 2003).

Ainsi, et dans un souci de variété et de richesse informationnelle, huit cas, dont six PME, appartenant à des secteurs d’activité différents, constituent notre échantillon (voir le tableau 1).

Tableau 1

Les caractéristiques de l’échantillon

Les caractéristiques de l’échantillon

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Au total, 35 entretiens semi-directifs, dont la durée varie de une à deux heures, sont réalisés directement avec les responsables chargés des questions environnementales ainsi que les cadres.

Ces entretiens sont retranscrits intégralement afin de conserver leur richesse. Cette étape constitue la première de l’analyse de contenu. La deuxième étape consiste à identifier des unités d’analyse appropriées qui constituent la base sur laquelle repose l’opération de codification. Au sein de cette recherche, nous avons opté pour des parties de phrase ou groupes de mots comme unité d’analyse, puisque généralement c’est l’objet de la recherche qui détermine la nature de l’unité d’analyse (Hlady-Rispal, 2002). La troisième étape consiste dans la codification des données. Notons que les entretiens sont codifiés en fonction de l’objet de la recherche. Compte tenu de la masse de données recueillies, l’opération de codage informatisée a été effectuée à l’aide du logiciel NVivo (version 7).

Au cours de cette opération, deux types de codage ont été adoptés, à savoir le codage fermé et le codage ouvert. Le codage fermé est réalisé à partir des catégories qui sont fonction des objectifs de la recherche et relatives aux motivations écologiques.

De son côté, le codage ouvert suppose que les catégories émergent au fur et à mesure que le chercheur recueille les données, celui-ci n’ayant aucune idée précise du nombre de catégories ni de la nature de ces données.

L’utilisation d’un logiciel permet de présenter des extraits en fonction de certains critères appelés attributs, comme l’entreprise, la fonction occupée, etc. Il permet aussi d’établir le nombre d’extraits pour chaque code. Néanmoins, il est à noter que le logiciel ne réalise que des arrangements des données, alors que l’étape de l’analyse est effectuée par le chercheur. Au total, 16 codes relatifs aux thèmes fixés d’avance et émergents sont relevés. Ces codes se rapportent aux motivations écologiques (relationnelles, économiques et éthiques) et aux caractéristiques de la gestion environnementale des cas étudiés. Afin de nous assurer de l’objectivité de l’opération de codage, un autre chercheur a accepté de coder les entretiens et les résultats étaient semblables. Le tableau 2 présente les thèmes et les codes relevés.

Tableau 2

Les thèmes et les codes relevés

Les thèmes et les codes relevés

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3. Les résultats de la recherche

3.1. Les résultats descriptifs

Les résultats montrent que les motivations des actions écologiques des entreprises enquêtées sont diverses. Le tableau suivant récapitule ces motivations par cas.

Tableau 3

La nature des motivations écologiques par cas

La nature des motivations écologiques par cas

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Ce tableau révèle que toutes les entreprises enquêtées poursuivent des objectifs relationnels. Indépendamment de leur taille, petite ou grande, ces entreprises cherchent, à travers l’adoption d’un comportement plus responsable envers l’environnement naturel, à améliorer leurs relations avec les parties prenantes, essentiellement les pouvoirs publics. Ce résultat appuie les propos de Capron et Quairel (2002) qui affirment que la conformité réglementaire est un objectif poursuivi à la fois par les GE et les PME. Dans le contexte tunisien, Hamdoun (2008) est aussi d’avis que la décision de mettre en oeuvre une gestion environnementale est souvent prise en réaction aux pressions exercées par les pouvoirs publics. Par exemple, l’entreprise Cas 8 a été dans l’obligation d’installer une station d’épuration des eaux usées, même si ses dirigeants n’étaient pas convaincus de l’utilité d’une telle initiative.

La mise en oeuvre des actions environnementales constitue une réponse aux pressions gouvernementales. L’ANPE, via la législation environnementale, nous a obligés à réduire les niveaux de pollution.

Verbatim du directeur du service Sécurité et qualité de Cas 3.

C’est vrai que nous avons plusieurs problèmes environnementaux, mais cela n’exige pas la mise en place d’une gestion environnementale. En effet, les rejets solides sont déversés dans une décharge publique alors que les rejets liquides peuvent être déversés directement dans les canalisations publiques.

Verbatim du directeur de production de Cas 8.

Malgré ces pressions, essentiellement réglementaires, certaines entreprises essayent de faire un arbitrage entre les coûts occasionnés par les actions écologiques et le montant des pénalités. Par exemple, les dirigeants des Cas 4 et 6 minimisent leurs actions écologiques et acceptent de payer des pénalités plutôt que d’investir dans la protection de l’environnement.

Les sources de pollution sont multiples. Nous n’avons pas suffisamment de moyens pour les gérer. Par conséquent, on se contente de traiter une partie de ces sources tout en acceptant de payer les pénalités puisque leur montant est inférieur aux coûts des actions écologiques supplémentaires.

Verbatim du directeur de production de Cas 6.

À côté des motivations relationnelles, certaines entreprises cherchent à travers les actions écologiques à améliorer leur rentabilité. En fait, les deux GE, les Cas 1 et 2, ont réussi à tirer profit de la dimension environnementale. La recherche documentaire a permis d’apprendre que Cas 2 a adopté un programme de prévention de la pollution visant à réduire la pollution de 40 % sur cinq ans. Ce programme permet d’utiliser d’une manière plus efficiente l’eau et l’énergie en remplaçant certains équipements.

Les nouveaux équipements installés ont permis à l’entreprise de réduire à la fois les quantités des rejets hydriques et d’eau et d’énergie consommées. Bien que ce programme soit coûteux, ses bénéfices à moyen terme et à long terme sont importants.

Verbatim du cadre chargé des questions environnementales de Cas 2.

Cet exemple montre que le cycle de décision stratégique de Cas 2 est à moyen et long terme contrairement à une PME, comme Cas 4, ce qui confirme les propos de Torrès (2000).

Toutefois, les six PME interprètent différemment la dimension environnementale. L’entreprise Cas 3 a réussi à réutiliser ses rejets hydriques en les incorporant dans le processus de production. Comme l’affirme le responsable Environnement de Cas 3, cette solution n’est pas coûteuse pour l’entreprise. On a établi que le délai de récupération de cet investissement est de trois ans.

En fait, la recherche d’une valorisation de nos rejets hydriques n’était pas une opération facile. Une coopération avec la faculté des sciences s’est avérée nécessaire pour mener des études.

Verbatim du directeur Qualité de Cas 3.

Ainsi, l’entreprise Cas 3 s’est engagée dans une dynamique relationnelle avec une partie prenante. Traditionnellement, cette dynamique relationnelle était limitée aux investisseurs, aujourd’hui, de nouveaux acteurs entrent en jeu, donnant lieu à de nouveaux comportements (Capron et Quairel, 2002). Contrairement à Cas 3, l’entreprise Cas 5 se contente de rejeter ses eaux usées après traitement dans les canalisations publiques. Cela est dû essentiellement à la volonté des dirigeants de gérer efficacement leurs problèmes environnementaux. Dans certains cas, les solutions pour ces problèmes existent, mais les dirigeants refusent de s’engager fortement dans la protection de l’environnement, puisqu’ils supposent que la dimension environnementale est une contrainte économique. Il revient alors aux dirigeants d’identifier les actions écologiques rentables qui conviennent le mieux aux particularités de leurs problèmes environnementaux et de leurs entreprises.

Je ne pense pas que les actions écologiques puissent un jour améliorer notre performance économique. Au contraire, elles ne font qu’augmenter les charges.

Verbatim du responsable Environnement de Cas 5.

En outre, la certification à la norme ISO 14001 semble s’inscrire dans le cadre des motivations économiques. Pour les Cas 3 et 7, la certification environnementale facilitera la conquête des nouveaux marchés. Cela confirme les propos de Gavronski et al. (2008) qui relèvent que l’accès aux nouveaux marchés explique plus de 50 % des recours à la certification environnementale. Ce constat confirme aussi les affirmations de Boiral (2001) pour qui la certification ISO 14001 constitue plus un argument environnemental à des fins économiques qu’un argument éthique.

Le tableau 3 montre en effet que les entreprises enquêtées accordent peu d’importance aux facteurs éthiques. Ce constat va dans le sens des propos de Roy et Vézina (2001) qui supposent que les motivations éthiques fondent rarement les actions écologiques. Les dirigeants s’intéressent peu souvent aux aspects éthiques dans leur gestion environnementale. Seules les deux GE accordent une importance particulière à la dimension éthique. Par exemple, Cas 1 a installé une station de contrôle de la qualité de l’air bien que cette action ne soit pas une obligation. Ainsi, les GE s’orientent plus vers l’anticipation que la réaction (Torrès, 2000).

Ces résultats confirment ceux obtenus par Perrini, Russo et Tencati (2007) selon lesquels les GE s’intéressent davantage au facteur éthique que les PME en l’intégrant dans leur stratégie. Le manque de ressources ainsi que la focalisation sur le court terme constituent des facteurs qui expliquent ce comportement de la part des PME (Udyasankar, 2008). Dans le contexte tunisien, Hamdoun (2008) observe aussi que le facteur éthique n’est pas pris en compte par les dirigeants qui continuent à considérer la dimension environnementale comme étant une contrainte.

Je pense que l’intérêt porté à la protection de l’environnement, comme la certification à la norme ISO 14001, n’émane pas uniquement de facteurs économiques ou relationnels. Notre entreprise est connue à travers le monde et nous n’avons aucun problème commercial. Je pense que les dirigeants du groupe supposent qu’ils ont une responsabilité envers leur environnement et leur société. Le groupe dispose d’une charte où elle affirme que la responsabilité sociétale doit être assumée. Rien ne nous oblige à se certifier à la norme ISO 14001 sauf l’objectif d’améliorer la qualité de la vie.

Verbatim du responsable Environnement de Cas 1.

Bien que les dirigeants de Cas 1 et de Cas 2 évoquent le facteur éthique comme une explication possible de ce comportement écologique responsable, il serait difficile de vérifier empiriquement cette affirmation, puisque l’argument éthique peut être utilisé à des fins relationnelles et économiques. Au cours de l’enquête, les entreprises Cas 1 et Cas 2 tentent d’afficher plus les motivations éthiques que les motivations relationnelles et économiques. Même leur relation avec les parties prenantes se fonde essentiellement sur l’aspect éthique. Elles cherchent à rassurer la société quant à leurs activités, afin qu’elles soient moins menaçantes.

4. Discussion des résultats

Les résultats de l’enquête montrent que toutes les entreprises essayent d’améliorer leurs relations avec les parties prenantes, notamment les pouvoirs publics, en adoptant un comportement positif envers l’environnement naturel. Par crainte de pénalités, les GE et les PME cherchent à maintenir des relations plus ou moins satisfaisantes avec les organismes gouvernementaux. Toutefois, les motivations économiques ne sont pas présentes chez toutes les entreprises. Si les GE ont réussi à tirer profit de la dimension économique, la plupart des PME (quatre PME sur six) adoptent la logique perdant-gagnant où la prise en compte de la dimension environnementale ne fait que réduire la performance économique. En revanche, aucune PME n’affiche de motivations éthiques, et seules les GE ont pris en compte le facteur éthique dans certaines de leurs actions écologiques.

À la lumière des résultats de l’enquête, nous supposons que les motivations écologiques évoluent selon un processus en trois étapes qui est fonction de la taille de l’entreprise. Dans la première, les dirigeants des PME commencent à s’intéresser à la protection de l’environnement essentiellement en réaction aux pressions sociétales, notamment gouvernementales. Selon Bansal et Roth (2000), la conformité à la législation environnementale s’accompagne dans la majorité des cas d’une recherche de légitimité. Selon la théorie de la légitimité, les entreprises cherchent à inscrire leurs activités dans le cadre des normes acceptées par la société tout en sachant que ces normes évoluent (Chen, Patten et Roberts, 2008). Par conséquent, le minimum requis par les entreprises est que leurs activités soient inscrites dans le cadre légal.

La théorie de la légitimité suppose aussi que la performance économique ne constitue plus une condition suffisante pour la survie des entreprises, d’autres objectifs étant à prendre en considération. Par conséquent, un déséquilibre peut naître entre les objectifs des entreprises, qui sont le plus souvent d’ordre économique, et les attentes sociétales. Si les entreprises se contentent de réaliser leurs objectifs, deux mesures d’ajustement doivent être envisagées (Chen et al., 2008). La première consiste à défendre les objectifs organisationnels en se fondant sur la communication et la seconde, à adapter les objectifs organisationnels aux attentes de la société.

Les entreprises enquêtées adoptent la deuxième mesure afin de combler le déficit de la légitimité observé. Ces entreprises essayent donc de se conformer aux attentes de la société. Leurs dirigeants sont le plus souvent sceptiques quant à l’utilité des actions sociétales et essayent par conséquent de les minimiser. Adoptant une vision à court terme, les dirigeants des PME cherchent plutôt la réactivité que l’anticipation (Torrès, 2000). Ces dirigeants estiment que la dimension environnementale est une contrainte économique et sociétale, puisque ce ne sont pas toutes les actions environnementales qui sont rentables économiquement ; cela dépend de plusieurs facteurs. Comme l’affirme Boiral (2005), les bénéfices économiques issus des actions écologiques dépendent du secteur d’activité ainsi que de la nature des contaminants.

Une fois que la taille des entreprises commence à s’accroître, les dirigeants des PME disposent progressivement des ressources qui leur permettront de chercher des solutions environnementales économiquement rentables. Ce comportement de la part des dirigeants peut s’expliquer de deux manières. Premièrement, ils sont toujours obligés de s’investir dans la protection de l’environnement en raison des pressions sociétales. Deuxièmement, comme ces dirigeants essayent de rentabiliser leurs actions écologiques puisque l’aspect économique domine toujours, ils ne peuvent plus considérer les investissements environnementaux comme étant des charges. C’est ce que l’on observe avec les entreprises Cas 7 et Cas 3 qui ont débuté avec des motivations relationnelles, puis, avec l’expérience acquise, ont commencé à développer leurs actions environnementales, en alliant l’économie à l’environnement. Cela rejoint les idées avancées par Reverdy (2005), selon lesquelles la mise en place d’une gestion environnementale est une opportunité d’apprentissage. En effet, le personnel impliqué dans la gestion environnementale accumule de l’expérience dans la gestion quotidienne des questions environnementales. De nouveaux mécanismes et de nouvelles solutions environnementales émergent et la gestion environnementale gagne à être améliorée sur les plans managérial et technique.

Au cours de cette deuxième étape, les dirigeants sont plus motivés écologiquement et s’engagent davantage dans la protection de l’environnement. Néanmoins, comme dans le cas de la première étape, la nature se trouve dévalorisée, puisqu’elle ne peut faire l’objet ni d’un chantage relationnel (dans le cas des motivations relationnelles), ni d’un raisonnement économique (dans le cas des motivations économiques).

En devenant des GE, les entreprises se focalisent davantage sur le long terme (Torrès, 2000) et leurs stratégies se fondent sur l’anticipation des revendications sociétales. La taille de leur entreprise permettra aux dirigeants de trouver les ressources nécessaires pour satisfaire les attentes sociétales. Ce faisant, leurs actions écologiques auront, en plus des motivations relationnelles et économiques, des motivations éthiques.

Au cours de cette troisième étape, les dirigeants reconnaissent qu’ils ont une responsabilité envers leur société et en tant que membre de celle-ci, ils essayent de faire en sorte que leurs actions soient conformes à ses attentes. Pour y parvenir, ils s’efforcent d’exceller en matière de protection de l’environnement en innovant plutôt qu’en imitant.

Ainsi, le processus d’évolution des motivations écologiques peut se schématiser comme suit :

Figure 1

Processus d’évolution des motivations écologiques

Processus d’évolution des motivations écologiques

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À partir de ce modèle, plusieurs contributions managériales peuvent être développées :

  • Les motivations écologiques ne sont pas statiques, mais évoluent en fonction de la taille de l’entreprise ;

  • La gestion environnementale est un processus au sein duquel les entreprises accumulent de l’expérience au fur et à mesure ;

  • L’environnement peut être au service de l’économie, et les dirigeants sont tenus de trouver le plus rapidement possible un moyen de concilier les dimensions économique et environnementale à cause des pressions sociétales ;

  • La prise en compte des aspects éthiques dans la gestion environnementale n’est pas bénéfique uniquement pour la société, les entreprises peuvent l’utiliser à des fins relationnelles et économiques.

Conclusion

La revue de la littérature montre que les actions écologiques des entreprises sont déclenchées essentiellement par des facteurs d’ordre relationnel, économique et éthique. Or, l’analyse des résultats issus des huit cas, dont six PME, révèle que les motivations relationnelles priment les autres. L’enquête révèle aussi que certaines entreprises ont réussi à tirer parti de la composante environnementale et renforcé leurs engagements environnementaux. En revanche, d’autres essayent de limiter leurs engagements environnementaux, puisqu’elles considèrent la dimension environnementale comme étant une contrainte. Quant aux motivations éthiques, elles sont peu évoquées. Seules les GE poursuivent des objectifs éthiques qui peuvent renfermer d’autres objectifs d’ordre relationnel et économique.

Cette recherche propose un processus d’évolution des motivations écologiques en trois étapes selon la taille de l’entreprise allant des motivations relationnelles aux motivations éthiques, en passant par les motivations économiques.

Ainsi, le modèle proposé précédemment contribue à expliquer davantage le processus d’évolution des motivations écologiques en avançant l’hypothèse qu’elles ne sont ni statiques, ni indépendantes. En plus, ce modèle met l’accent sur le rôle des dirigeants dans la gestion environnementale. La dimension environnementale n’est pas toujours une contrainte économique ; les dirigeants sont tenus de trouver des moyens pour concilier les préoccupations pour l’environnement et leur rentabilité.

Comme toute recherche, celle-ci comporte certaines limites. D’abord, la taille réduite de l’échantillon ne permet pas de généraliser les résultats trouvés et la méthode des cas dispose d’une validité externe limitée. Un échantillon plus large aurait permis d’avoir une idée plus précise des motivations écologiques des entreprises tunisiennes et de leur évolution. Ensuite, le secteur d’activité peut constituer un facteur qui influe sur l’évolution du processus proposé. Enfin, se baser sur les discours et les documents peut constituer une opération risquée. Il serait intéressant dans le futur d’opter pour l’observation afin de mieux cerner les motivations écologiques.