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Ce livre au titre accrocheur s’inscrit dans le droit fil des nombreux ouvrages qui dénoncent les travers de l’école actuelle. L’auteure, une jeune enseignante de vingt-trois ans, nous fait part de sa détresse dans un milieu scolaire pour le moins hostile. Son témoignage se présente sous la forme de douze chapitres courts et incisifs qui ponctuent les diverses étapes d’une journée de sa vie professionnelle. Dès le début, nous voilà introduits dans un labyrinthe étouffant, à la limite du supportable. Cette jeune femme a pour dessein de révéler la face cachée du système scolaire français, et particulièrement, celle du collège (équivalent du premier cycle de l’école secondaire au Québec). Son scalpel n’épargne rien ni personne : tout y passe, de la haute administration aux surveillants des toilettes, sans oublier les collègues et les parents. Bref, son entrée dans le métier s’avère catastrophique.

La critique que fait Émilie Sapielak du système scolaire français devient de plus en plus insistante au fur et à mesure que se déroule son récit. Le manque de sensibilité des autorités, soutient-elle, explique pour une bonne part la violence des élèves et leur refus d’apprendre. Prisonniers du système, les enseignants, eux, se signalent par des comportements tout à fait inquiétants : déni, propension à l’alcoolisme et dépression. L’auteure insiste notamment sur la rupture qui existe entre le monde des enseignants et celui des élèves. Nous appartenons à des espaces sociaux différents, souligne-t-elle (p. 81).

Mais que diable va-t-elle faire dans cette galère ? Elle n’en fait pas un mystère : bonne élève, quelqu’un lui aurait soufflé à l’oreille qu’elle pourrait être une bonne enseignante. Nantie de ce viatique, elle a cru pouvoir changer le système. Sa déception est à la hauteur de ses aspirations. Sa fréquentation de l’Institut universitaire de formation des maîtres ne lui a pas appris à enseigner. Je n’ai trouvé, à l’IUFM, écrit-elle, que les limbes précédant l’enfer du collège (p. 45).

Ce constat sans appel, dérangeant, mérite-t-il d’être écarté de prime abord, comme le suggèrent certaines critiques ? Ce serait tout de même dommage ! D’entrée de jeu, reconnaissons à l’auteure des qualités d’écriture évidentes, doublées d’un sens critique peu commun. La description qu’elle fait, par exemple, de son trajet en train de banlieue pour se rendre à son collège est rédigée dans un style lapidaire et pittoresque à la fois.

Pour revenir au fond, il faut dire qu’en dépit d’un parti pris évident et de trop nombreux lieux communs, l’auteure lève le voile sur certains travers de l’École qu’on aurait tort de banaliser. Reconnaissons-lui également le mérite de mettre en évidence l’incommunicabilité qui se loge entre les différents paliers du système éducatif. C’est là que réside, pour l’essentiel, l’intérêt de son livre. Malheureusement, cette ancienne enseignante (son expérience n’a duré que trois ans) reprend à son compte des propos éculés  qui remontent à la première partie du 20e siècle. C’est ainsi qu’elle décrit l’école traditionnelle comme une école-prison où le maître, perché sur son estrade, baguette en mains, exerce une surveillance constante…  (p. 25). À la lire, la plupart des enseignants seraient des malades qui s’ignorent, et les élèves, de pauvres hères soumis à une mécanique déshumanisante. De tels excès risquent fort d’occulter la force de son message initial et de dérouter le lecteur.