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André Lux a enseigné la démographie à l’Université Laval pendant vingt-neuf ans. Né le 4 juin 1927 à Berne, il est décédé le 8 juillet 2012 à Québec à l’âge de 85 ans. Entré au Département de sociologie en 1965 peu de temps après avoir immigré au Canada, il avait pris sa retraite le 10 septembre 1994 après y avoir aussi enseigné, outre la démographie, la sociologie économique et la sociologie du développement.

André Lux avait fait ses études primaires et ses humanités classiques à Cologne en Allemagne et ensuite à Waremme en Belgique. Il a obtenu une licence en philosophie de l’Université Grégorienne (Rome) en 1948, suivi d’un baccalauréat en théologie dispensé par la même université en 1950. Il a entrepris par la suite des études en sciences économiques à l’Université de Louvain en 1953, puis des études doctorales au Nuffield Collège d’Oxford en Angleterre. Il a obtenu un doctorat en sciences économiques de l’Université de Louvain en 1961.

D’abord chargé de recherches à l’Institut pour la recherche scientifique en Afrique centrale (Zaïre) de 1956 à 1960, André Lux a été professeur à l’Université de Kinshasa de 1961 à 1964. Il s’est par la suite établi au Québec au moment de la Révolution tranquille, alors que les universités recrutaient des professeurs étrangers pour enseigner aux étudiants issus du baby boom d’après-guerre arrivés à l’âge d’entreprendre des études universitaires. Il a été directeur du Département de sociologie de juin 1971 à décembre 1973. André Lux a aussi enseigné à l’Université d’Ottawa (1969), à l’Université de Toronto (1970) et au Département de démographie de l’Université de Montréal en 1974.

Polyglotte, André Lux parlait le français, l’anglais, l’allemand, le néerlandais, l’italien. A l’exemple de plusieurs Départements de sociologie nord américains, celui de l’Université Laval dispense des enseignements en démographie suivis par les étudiants de diverses disciplines dont les sciences économiques, la science politique et l’actuariat. Les cours Démographie sociale et Analyse démographique ont initié des centaines d’étudiants à la rigueur scientifique caractérisant cette discipline qu’André Lux maîtrisait bien.

Ses étudiants conservent de lui le souvenir d’un professeur dévoué et rigoureux, d’un homme cultivé qui faisaient souvent référence à son expérience internationale à l’époque où le Québec s’ouvrait au monde extérieur. J’ai eu la chance de suivre ses cours dès mon entrée au Département de sociologie (1967) comme étudiant. À l’époque, nos professeurs insistaient sur l’idée que les sociétés sont interprétées (Fernand Dumont, notamment) mais aussi sur l’importance d’étudier la morphologie sociale et l’écologie humaine (Jean-Charles Falardeau et Gérald Fortin entre autres). André Lux apportait une dimension nouvelle et originale avec ses cours de démographie et de sociologie économique. Ses références à Malthus, Marx, Schumpeter, Karl Polanyi, Werner Sombart, Max Weber (en insistant sur les travaux de ce dernier en économie) ou Lionel Robins entre autres nous ouvraient à des perspectives nouvelles et nous faisaient découvrir des auteurs classiques sous des angles neufs.

André Lux est intervenu publiquement à maintes reprises dans les débats publics au Québec sur la dénatalité et sur le vieillissement, et ses interventions ont contribué à sensibiliser le public – et les gouvernements – à l’importance des enjeux démographiques. Il était préoccupé par les implications de la dénatalité et il s’inquiétait du vieillissement de la population. En 1983, il a publié dans cette revue un long article sur le vieillissement qui a eu un certain retentissement parce que la question n’était pas vraiment à l’ordre du jour (sauf dans le cercle des démographes qui s’en inquiétaient) (voir « Un Québec qui vieillit. Perspectives pour le XXIe siècle », Recherches sociographiques, 24, 3 1983 : 325-377). Il avait d’ailleurs abordé le même thème dans le Traité des problèmes sociaux (1994) dont j’ai eu le privilège de diriger la rédaction avec Fernand Dumont et Yves Martin.

André Lux s’est aussi intéressé à l’histoire de la pensée. Spécialiste reconnu de Malthus, il a prononcé de nombreuses conférences sur le néo-malthusianisme dans des colloques et congrès internationaux et il a publié des travaux sur sa pensée. Il avait en chantier la rédaction d’un ouvrage sur Malthus et les courants démographiques qu’il avait inspirés, dont il m’avait fait lire des extraits en préparation. Ses papiers personnels renferment sans doute des textes qui mériteraient d’être accessibles un jour. Dans les dernières années de sa carrière, il s’est penché sur l’étude « des nouvelles droites » au Canada et dans le monde, une question qui le préoccupait.

Sur un plan plus personnel, André Lux était un homme de coeur, généreux de sa personne mais aussi de ses deniers. Catholique pratiquant, il a aidé plusieurs étudiants (et notamment des étudiants étrangers) en leur donnant de l’argent afin de boucler une année difficile ou pour compléter leurs études, à l’époque où les bourses institutionnelles et celles des fondations et autres organismes subventionnaires étaient moins nombreuses qu’aujourd’hui. Je me souviens qu’il avait tenu à donner aux étudiants de doctorat dans le besoin les honoraires reçus pour une recherche sur une question démographique commanditée par un organisme public au Laboratoire de recherches sociologiques.

Le Département de sociologie de l’Université Laval a perdu un professeur et un collègue estimé et la communauté des chercheurs québécois, un excellent spécialiste des questions de population.