Corps de l’article

Se pencher sur la réception d’une oeuvre, c’est rencontrer sur son chemin un ensemble de textes qu’il est à la fois tentant et risqué d’ordonner en une manière de récit. Tentant, parce que dans leur succession les interventions critiques ne se rapportent pas au seul texte commenté, qui étoilerait ainsi en une constellation de gloses indépendantes, mais se relancent, se contestent ou se commentent fréquemment les unes les autres. À cela s’ajoute l’impact de l’histoire littéraire ou générale sur les directions que prend la critique : entre la publication de Prochain épisode en 1965, pour prendre l’exemple qui nous occupera ici, et aujourd’hui, il s’est passé bien des choses, dont on peut supposer que les textes critiques portent diversement la trace. L’ordonnancement de la réception en un récit n’en est pas moins risqué, car il est tributaire, selon une proportion toujours difficile à évaluer, des options interprétatives du compilateur : sans être une fiction, le compte rendu que propose ce dernier n’est jamais qu’un parcours parmi d’autres possibles, et le surplomb que se donne le « méta-commentateur » ne lui confère aucune position privilégiée : il n’est, après tout, qu’un (autre) lecteur.

C’est conscient de ces pièges — mais pas pour autant assuré de les avoir toujours évités — que je tenterai de débroussailler l’écheveau abondant et complexe des lectures de Prochain épisode, sans nul doute le plus commenté des romans d’Hubert Aquin. Il ne saurait évidemment être question de proposer en quelques pages autre chose qu’un aperçu partiel. J’y privilégierai donc, puisqu’il faut choisir, une question qui me paraît importante, celle de la place que les commentateurs sont prêts à reconnaître aux considérations formelles ; mon pari est qu’il y a, de ce côté, de quoi éclairer non seulement Prochain épisode mais aussi (et peut-être plus encore) l’histoire, si c’en est bien une, de ses lectures.

On sait le retentissement que le premier roman publié d’Hubert Aquin a eu auprès de la critique de l’époque. Le seul nombre — une vingtaine — d’articles publiés en novembre et décembre 1965 en témoigne, mais aussi, bien sûr, l’amas de superlatifs qui ont salué cet ouvrage et son auteur, de la célèbre exclamation de Jean-Éthier Blais (« Heureusement Aquin, lui, enfin, s’affirme. Nous n’avons plus à le chercher. Nous le tenons, notre grand écrivain. Mon Dieu, merci [1]. ») aux éloges de Gilles Marcotte qui décrivait à sa sortie Prochain épisode comme « l’une des oeuvres littéraires les plus singulières, les plus richement écrites, qui aient vu le jour au Canada français [2] ». Ce qu’on semble avoir surtout vu dans Prochain épisode, une fois passé le choc initial [3], hormis les traces de la vie d’Aquin dans son roman — moins d’ailleurs sur le plan de l’intrigue que sur celui du contexte de sa narration —, c’est le déconcertant cocktail d’un propos politiquement très marqué et d’un travail formel ostensible, proche à certains égards du nouveau roman, alors pôle de référence obligé de l’avant-garde romanesque.

Commençons par là, par cette question apparemment secondaire qui ne l’est peut-être pas tout à fait, et qui nous introduira à quelques enjeux de la critique récente de ce roman. En 1972, Jocelyne Lefebvre voyait dans Prochain épisode un anti-roman [4]. Une dizaine d’années plus tard, René Lapierre mobilisait Jean Ricardou et Maurice Blanchot pour analyser le rapport d’Aquin à l’écriture [5]. La comparaison avec le nouveau roman apparaît explicitement dans une recension d’Alain Bosquet [6] ; Gilles Marcotte l’a réfutée (« Nous ne sommes pas dans le roman traditionnel, et nous ne sommes pas non plus chez Robbe-Grillet ou Claude Simon [7]. »), comme le feront plusieurs années plus tard Anthony Wall [8] et Martine-Emmanuelle Lapointe [9]. Mais ces dénégations reviennent à reconnaître que ce rapprochement, quelle que soit la position qu’on adopte à cet égard, forme l’un des enjeux de l’espace critique tissé autour de Prochain épisode. Il a été explicitement (et prudemment) envisagé en 2005 par Madeleine Frédéric (« la démarche d’Aquin rejoint partiellement celle du nouveau roman [10] ») ; rien n’interdit certes de penser que cette comparaison permettait à Frédéric de situer le roman d’Aquin, peu ou pas connu des lecteurs européens, même si les observations détaillées qui suivent montrent qu’à ses yeux ce parallèle ne remplit pas qu’une fonction didactique [11]. Derrière les désaccords à propos de Prochain épisode, ce sont en fait des conceptions divergentes du nouveau roman qui se profilent aussi. Martine-Emmanuelle Lapointe, par exemple, dont le jugement insiste curieusement sur les dimensions thématique et stylistique, décrit le nouveau roman à partir des prises de position de Sarraute et de Robbe-Grillet, respectivement dans L’ère du soupçon [12] et Pour un nouveau roman [13] : « les deux auteurs s’en prennent au roman psychologique, à l’héroïsme réaliste et affirment décrire le réel tel qu’il se donne à voir, brut et dénué de sens, enfermant l’écriture dans l’écriture, dans une réalité scripturale qui ne renvoie plus à un référent social et politique [14] ». Si ce dernier aspect explique vraisemblablement les nuances de Madeleine Frédéric, qui voit bien sûr que Prochain épisode est loin de se couper du politique, les autres critères retenus par Lapointe se rattachent plutôt au « premier nouveau roman » (celui des années 1950, pour fixer les choses rapidement) dont le lyrisme affiché par Prochain épisode, à mille lieues de l’écriture « blanche » ou « objectale », se démarque manifestement. Madeleine Frédéric, elle, retient du nouveau roman sa phase plus radicale, axée sur la déstabilisation méthodique de la représentation et amorcée au milieu des années 1960 [15]. Bref, et en acceptant de laisser (provisoirement) de côté le « référent social et politique », ce n’est pas tout à fait le même « nouveau roman » qu’on rapproche ou qu’on distingue de Prochain épisode.

De manière générale, les mentions du nouveau roman dans la critique aquinienne tiennent du symptôme ou du révélateur. Il ne me paraît pas tout à fait indifférent, par exemple, que la plupart des critiques qui admettent la plausibilité d’un rapprochement proviennent de l’extérieur du Québec. En revanche, la critique québécoise, qui a souvent voulu se faire le relais du désir d’autonomie esthétique manifesté — de façon quelque peu douloureuse il est vrai — par le roman, a plutôt eu tendance à rejeter un parallèle qui à ses yeux aurait risqué non seulement de neutraliser la charge politique de Prochain épisode, mais aussi de le placer dans l’orbite d’un mouvement littéraire français [16]. Mais on peut aussi se demander si la réticence à rapprocher Prochain épisode du nouveau roman ne tiendrait pas aussi à un embarras persistant face à la perspective d’une pratique scripturale québécoise au formalisme assumé.

Car, quoi qu’il en soit des rapports de Prochain épisode au nouveau roman, l’examen de cette question situe clairement le débat sur un terrain formel, tandis que d’autres commentaires, et souvent les mêmes, insistent plutôt, ou par ailleurs, sur la teneur et les positions politiques du premier roman d’Aquin. Aussi le défi a-t-il longtemps consisté à trouver un point d’équilibre entre ces deux dimensions dont l’arrimage ne s’imposait pas d’emblée [17]. L’ambivalence du roman (ou, sur un autre plan, l’ingéniosité des critiques) explique la multiplicité des solutions — des solutions où les critiques trouvent l’occasion d’illustrer leur savoir-faire, mais celle aussi d’occuper, chacun à sa manière, l’échiquier mobile de la réception.

Entre la mise de l’avant (formelle, stylistique, autoréférentielle) de l’écriture et la trame révolutionnaire (dysphorique, faut-il le rappeler) de l’intrigue, les relations les plus diverses ont ainsi été postulées : suppléance, invocation, réconciliation, différance, parallélisme… Suppléance : « Il s’agit donc de faire la révolution en littérature faute de pouvoir la faire en réalité, s’instituer terroriste du style, procéder à un dynamitage de la forme [18] » : l’expérimentation formelle tiendrait donc de l’ersatz. Invocation : « L’intrigue suisse de Prochain épisode est une façon de mimer, et ainsi d’appeler l’aventure réelle de la vie qui ne peut débuter vraiment qu’avec la mort de Heutz [19] » : la fiction aurait des vertus performatives qui étendraient sa visée, si ce n’est ses effets, jusqu’au réel. Réconciliation : « C’est entre ces deux styles [élans lyriques du narrateur, réalité prosaïque d’une situation sans issue] que se situe la vérité du roman. Amené par la distanciation ironique vers ce lieu intermédiaire, le lecteur entrevoit une nouvelle possibilité de synthèse, dans une perspective dialectique de l’art et de l’action comme deux aspects complémentaires du processus historique [20] » : il reviendrait au lecteur de résoudre le débat entre esthétique et politique — proposition promise, on le verra, à un riche avenir. Différance : « Cet achèvement absolu [l’atteinte de la maturité littéraire, politique, amoureuse et historique], pourtant, n’a pas lieu ; il est évoqué, passionnément espéré, mais il ne s’inscrit pas réellement au sein de la diégèse. Reporté à un futur indéfini […], il dépasse de bien loin les limites, le champ d’action des énoncés de ce livre [21] » : autrement dit, la résolution lecturale des tensions ne saurait occulter le fait que le texte, lui, les maintient. Parallélisme : « Ce qui ressort de cette dialectique, c’est une illusion référentielle décomposée qui correspond à la dévastation intérieure et à l’incohérence ontologique du narrateur et du peuple dont il est le “symbole fracturé” […]. Cette identité de structure entre le texte éclaté et une ontologie désolée se manifeste surtout dans le “style” de Prochain épisode [22] » ; « l’échec de la mission révolutionnaire du héros est le signe de la faillite de l’écriture en tant qu’arme révolutionnaire : l’écriture de Prochain épisode ne provoque pas plus la révolution qu’elle ne prépare le narrateur et lecteur à un processus révolutionnaire ; elle n’est que l’expression d’un voeu et en conséquence ne peut être substituée à la prise des armes dans le cadre d’une entreprise de libération [23] ». On voit avec ces deux derniers exemples que la similarité d’une posture ne garantit pas l’identité des positions qui en découleront. Purdy souligne l’insistance de Prochain épisode sur l’écriture (« l’illusion littérale », écrit-il en reprenant une formule de Ricardou) mais refuse, à la différence de ce dernier, de la lier à un autotélisme littéraire. Mocquais, qui envisage l’écriture à partir de l’engagement politique, conclut plutôt à son impuissance : « Tout le tragique de Prochain épisode réside dans cette impossibilité de passer des mots à l’action [24]. »

On voit pourquoi je comparais plus haut la réception à un échiquier mobile : d’un commentaire à l’autre, les mêmes pièces (la révolution, le doute, le passé historique et l’avenir, l’écriture, etc.) réapparaissent, chaque fois dans de nouvelles combinaisons et, dirait-on, au milieu de parties dont les règles ne semblent pas être toujours les mêmes. Quant à Prochain épisode, d’abord terrain et enjeu de cet affrontement, il est peu à peu devenu, pour changer de métaphore, un témoin cité à comparaître avant d’être poliment tenu à distance des délibérations, où les critiques sont désormais entre eux, que cela leur plaise ou non, et pas uniquement en raison du décès de l’écrivain : c’est ce qui attend toute oeuvre un peu longuement commentée. Je n’y échapperai pas, même lorsque je plaiderai pour une plus grande attention au texte et à ses dispositifs.

Les aventures tardives de la forme

Qu’en est-il, quelques décennies plus tard ? On peut, s’essayant à lire « par-dessus l’épaule » des analystes plus récents, se demander ce qu’est devenue, aujourd’hui — ou depuis une vingtaine d’années, disons —, l’attention à son architecture formelle, à une époque où la désaffection à l’endroit de l’avant-garde et du formalisme en amène plusieurs à tenir ce genre de considérations pour datées. Le labyrinthe romanesque de Prochain épisode importe-t-il toujours aux yeux des commentateurs ? Son dessein, ses issues sont-ils ceux qu’on lui voyait ? Est-il considéré comme suffisamment arpenté pour qu’il ne vaille guère la peine de s’y pencher de nouveau ? Quel statut, quelle place lui reconnaît-on dans l’économie globale de l’oeuvre ? Telles sont quelques-unes des questions qu’on commencera à se poser ici, en gardant à l’esprit que les lectures tardives ne sont pas de nouveaux contacts virginaux avec un texte, mais le site d’une négociation, qui ne s’avoue pas toujours, avec l’histoire parfois erratique de ses lectures.

Première observation, aisée : il est assez largement question de forme et d’écriture dans les études consacrées à Prochain épisode. Un exemple : le chapitre que lui consacre Roseline Tremblay dans son Écrivain imaginaire [25], où abondent les notations pointant en direction du travail formel : « roman de l’écriture » (180), « mis[e] en abyme du héros du roman » (182), « structure narrative binaire [où] il est parfois difficile de distinguer qui parle » (185), « work in progress [qui] […] permet de voir les fils de la création » (187), « structure formelle […] où chapitres et masses narratives dessinent des entrelacs » (188), « structure contrapuntique créée par l’alternance des voix narratives et le retour cyclique de la narration sur elle-même » (191), « Aquin [est] […] fasciné par toute forme d’expérimentation » (191-192). Mais — deuxième observation — cette profusion ne doit pas faire illusion, puisqu’en ces rapides formules se résume un examen qui, dans les faits, ne va pas plus avant. Le signal, à la fois discret et insistant, est que tout cela est déjà bien connu, balisé par les travaux antérieurs (même si aucun n’est cité ici), et que le mode de l’allusion suffit dorénavant. Dite bien davantage que scrutée, l’écriture se trouve ainsi, à travers ces étiquettes chargées de couvrir les précises opérations auxquelles elles renvoient, paradoxalement congédiée.

Elle ne l’est assurément pas toujours, ou avec les mêmes conséquences. Soit le cas de la métalepse — terme qu’étrangement on ne croise que rarement dans les lectures de Prochain épisode [26]. De tous les dispositifs qui y fragilisent l’effet de représentation, la métalepse est sans contredit le plus vif, davantage en tout cas que la mise en scène de l’écriture devenue depuis longtemps le tremplin d’interprétations volontiers autobiographisantes [27]. La métalepse ne fait généralement l’objet que de remarques cursives, tendanciellement atténuantes [28], quand elle n’est pas tout simplement escamotée [29], mais deux analyses de la dernière décennie l’ont examinée de près. Toutes deux, et cela ne me paraît pas un hasard, accordent une attention prépondérante à la lecture et aux défis que Prochain épisode lui pose. L’étude d’Anne Martine Parent observe d’abord que le lecteur est écartelé entre deux résumés incompatibles du roman :

  1. Le lecteur peut croire que l’intrigue en Suisse est « une histoire vraie » à l’intérieur de la fiction. Ainsi, le narrateur fait le récit des événements qui ont conduit à son arrestation et à son internement.

  2. En raison de certains indices qui font de l’intrigue en Suisse une fiction dans la fiction, le lecteur prend ce récit comme « faux », et, par conséquent, ne sait rien des raisons qui ont provoqué l’arrestation et l’internement du narrateur-scripteur [30].

Chacune de ces hypothèses étant appuyée dans Prochain épisode [31], on aboutit à une « boucle narrative », à l’instauration de « deux mondes possibles entre lesquels le lecteur ne peut pas choisir [32] ». La solution adoptée par Parent consiste non pas à tenter de résoudre ce paradoxe tenace, et encore moins à le dissiper comme le faisait Pierre-Yves Mocquais [33], mais à voir le roman comme un dédale sans autre fil d’Ariane que cette figure du labyrinthe qu’il assume pleinement : « la métaphore du labyrinthe érige en structure artistique ce qui apparaît autrement comme confus et désordonné [34] ».

La démarche suivie par Marilyn Randall s’apparente à celle d’Anne-Martine Parent en recourant là encore à l’opération apparemment anodine du résumé pour montrer que le lecteur aboutit, face à Prochain épisode, à ce que Douglas Hofstadter appelle des « hiérarchies enchevêtrées [35] » et Jean Ricardou une « libération [36] », dispositif développé à la même époque par le nouveau roman [37] — ce qui montre que les points de contact entre ce dernier et Prochain épisode sont loin de se réduire aux aspects thématiques et stylistiques, puisque c’est l’économie même de la fiction, et sa relation au dogme de la représentation, qui s’y voient mis en cause. À la différence de Parent qui renvoie dos-à-dos les deux versions de la structure d’ensemble du roman, Randall distingue en effet les orientations de lecture qui les sous-tendent : alors que l’une ramène le roman d’Aquin dans l’orbite du « régime de la représentation », niant du coup sa portée transgressive, l’autre insiste au contraire sur son « niveau de complexité qui touche à la nature même de la fiction et à notre rapport avec elle » :

Selon [un] premier [régime de lecture], « représentatif », l’histoire « fictive » racontée par le révolutionnaire serait « en réalité » le récit des aventures « réelles » menant à son emprisonnement. La deuxième fiction [le roman d’espionnage rédigé par le captif] n’aurait donc rien de fictif, mais occuperait la même place ontologique que la première. […] Cette lecture, qui a l’avantage indéniable de la simplicité, voire du « bon sens », est insatisfaisante sur de nombreux plans, dont celui de la complexité des rapports entre le narrateur et son personnage fictif ou, plutôt, entre deux personnages dont la présentation initiale veut maintenir la distinction sur le plan ontologique des mondes fictifs. […] [Le « roman fictif » qu’est Prochain épisode] présente en conséquence une fiction à deux niveaux ontologiques d’où surgira […] une « impossibilisation » ontologique par laquelle les niveaux apparemment distincts se rejoignent, faisant évoluer un même personnage simultanément sur deux « registres de fiction » […] [38].

Le fantôme de la lecture

La polarité tracée par Randall n’est donc pas que structurelle, mais aussi idéologique, si l’on reconnaît que l’idéologie, s’agissant de fiction, ne concerne pas que les contenus véhiculés mais touche aussi les processus de lecture, leurs enjeux et les conceptions qui les sous-tendent [39]. Consacrée aussi à d’autres « romans fictifs » d’Aquin et d’autres auteurs [40], l’étude de Randall se refuse à associer l’émergence de cette catégorie en littérature québécoise à « une vogue formelle insignifiante » et postule qu’elle « devrait par contre entretenir des liens importants avec le contexte dans lequel [elle] émerge [41] » — contexte dont elle esquisse quelques traits en fin d’article :

Si, selon Belleau, l’émergence du « romancier fictif » signalait la naissance de la littérature québécoise, la disparition de celui-ci [au profit du « roman de la lecture » et du « roman fictif »] en témoignerait-elle la fin ? Hypothèse trop facile, et pourtant nous avons constaté la retraite plus ou moins généralisée de la problématique identitaire « nationale », « québécoise », en faveur de problématiques identitaires autres, en l’occurrence féminine, sexuelle, auctoriale et, ne l’oublions pas, lectorale [42].

C’est, on le voit, emprunter une avenue sociohistorique tout en repensant la manière d’aborder cette question, en cooptant les lecteurs — groupe dont la critique aquinienne s’est en général peu préoccupée — dans une nouvelle alliance hétéroclite définie surtout par sa différence avec l’axe majeur (nationaliste, pour dire les choses grossièrement) de la critique antérieure de Prochain épisode. À moins qu’il ne s’agisse (aussi) pour Randall de contrer à l’avance l’accusation de « formalisme », en ces temps peu favorables à ce type de démarche. C’est qu’hormis Randall et Parent, rares sont les commentateurs qui s’aventurent sur le terrain de la lecture de Prochain épisode — si on entend par là non certes la description de ses résultats possibles (les diverses significations qu’on peut attribuer au premier roman d’Aquin), mais les processus sur lesquels tout sens repose en dernière analyse : les « aventures du lecteur », en somme. La profusion des allusions de toutes sortes à l’« écriture » aquinienne ne doit donc pas faire illusion; on ne confondra pas la simple évocation de cette écriture avec l’effort de penser cette écriture en s’attachant aux conditions déconcertantes dans lesquelles nous entraîne Prochain épisode [43]. Ce qu’on rencontre souvent, on l’a vu, ce sont plutôt des commentaires qui, jugeant superflu d’examiner des dispositifs précis, n’évoquent plus qu’une « écriture » dont sont gommés les pièges, les aspérités, les glissements continuels — une écriture réduite à une pure abstraction et dont nul lecteur n’aurait à suivre, perplexe, le fil enchevêtré.

Prenons un exemple simple, qui ne l’est peut-être pas tout à fait : « la femme blonde qui gravitait autour de H. de Heutz » (PE, 163). Ce personnage énigmatique, les commentateurs ont eu tôt fait de l’identifier à K, l’amante et partenaire du héros révolutionnaire, ouvrant ainsi la porte à une interprétation politique pour peu qu’on note, d’une part, la trahison que cela impliquerait (agent double, K travaillerait alors en fait pour l’ennemi) et que l’on associe, d’autre part, l’initiale du personnage au « Kébec [44] », avec pour résultat l’idée d’une trahison du héros par son propre pays. Plus récemment, ce motif de la trahison a fait l’objet d’une relecture féministe qui y voit un indice de misogynie [45]. Ces hypothèses reposent cependant sur une identification qui, aussi tentante soit-elle, demeure précisément une inférence. Relisons : le narrateur ne voit d’abord dans l’inconnue qu’une indécise « femme » (« En dépit de la distance que je maintenais entre l’Opel et moi, je me suis aperçu que c’était une femme qui était avec [H. de Heutz]. » [PE, 50]). Revenant plus tard sur cet épisode, il multiplie soudain et les détails et les doutes :

Il m’a semblé un moment (me suis-je trompé ?) que l’autre était une femme : sans doute, celle qui marchait au bras de H. de Heutz dans les rues de Genève et qui a disparu soudain comme par enchantement. Comment en être certain ? Je n’ai fait qu’apercevoir l’auto : je l’ai devinée plus encore que je ne l’ai vue. […] Je me suis retourné, j’ai vu l’auto glisser derrière les feuilles, et l’autre au volant : une femme. J’ai d’abord vu des cheveux blonds. Mais comment se fier à une vision si fugace, taxée d’avance par tant de circonstances hallucinogènes ? Les cheveux blonds étaient sans doute un effet secondaire de l’éclat du soleil et de mon éblouissement, à telle enseigne que je ne saurais affirmer que l’autre est une femme et que cette femme, improbable, a une chevelure blonde.

PE, 101

Puis il bascule dans une inexplicable certitude (« L’autre, cette femme blonde […] » [PE, 102]). Le lien avec K, blonde elle aussi, n’est jamais envisagé dans le récit et ne peut donc être le fait que du lecteur [46]. La question n’est pas de contester la plausibilité de ce lien — le texte est précisément disposé pour amener à le supposer —, mais de reconnaître l’inextricable implication de la lecture dans ce qui est une résultante diégétique toujours fragilisable — et non une donnée brute de la fiction —, entraînant dans son sillage les interprétations qu’on serait tenté d’établir à partir d’elle.

Plusieurs commentaires, certes, reconnaissent le caractère incertain de l’identification : « il [le narrateur] laisse clairement entendre, après son arrestation, que cette femme blonde, l’associée de H. de Heutz, ne serait autre que K [47] » ; « une femme blonde qui rappelle K [48] » ; « La belle femme blonde du roman, maîtresse inspiratrice, coconspiratrice, est peut-être la traîtresse, amoureuse également de H. de Heutz [49] » ; « Cet ennemi a rendez-vous avec une femme qui ressemble étrangement à K [50] ». Le pas suivant consiste à intégrer cette incertitude dans une interprétation qui, loin de la négliger, la prenne en charge : « dans Prochain épisode, […] l’image romantique de l’armée de frères québécois et celle de la femme-pays sont questionnées par l’identité ambiguë de K [51] ». On voit cependant que, suivant un tenace réflexe textualiste, ces descriptions visent une ambivalence qui serait inscrite dans le récit alors que celui-ci ne dispose que les éléments d’un rapprochement qu’il ne formule jamais, ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse ; le commentaire de Doyon attribue même au narrateur une intentionnalité (« il laisse clairement entendre ») dont le récit ne porte en fait aucune trace — le contrecoup de l’identification postulée par le lecteur étant, au contraire, de faire apparaître l’étrange naïveté du narrateur, nouveau point de départ d’inférences possibles [52].

On estimera peut-être que ce ne sont là que des détails en regard de questions autrement significatives, comme la confiance du narrateur, si ce n’est d’Aquin, dans la réussite de la révolution, ou leur possible misogynie. Mais ce serait là reconduire une hiérarchie tacite qui place le sens en position de commande, au point d’indifférencier les dispositifs précis sur lesquels ce sens s’édifie, comme si celui-ci n’était pas affecté par ses conditions d’élaboration et parfois même déstabilisé par elles. On peut opposer une interprétation (par exemple féministe) à une autre (par exemple politique, au sens restreint du terme), tout comme on pourrait, en un revirement à la Pierre Bayard [53], tenir K pour innocente des soupçons que la critique fait peser sur elle depuis des décennies. Mais on ne fera, chaque fois, que déplacer les pièces d’un jeu textuel et lectural dont les règles, provisoirement stabilisées, sembleraient aller de soi.

L’idée de l’écriture

Second exemple, qui confirme cette prédilection de la critique pour le sens : « Je suis le symbole fracturé de la révolution du Québec, mais aussi son reflet désordonné et son incarnation suicidaire. » (PE, 21) Avec quelques autres passages privilégiés [54], cette phrase est devenue au fil des ans un carrefour de la critique, l’un de ces lieux où se jouent de patientes parties entre commentateurs, dont Martine-Emmanuelle Lapointe a bien résumé les principaux coups [55]. Sa synthèse fait voir un déplacement à la faveur duquel la « fracture » — la négativité — en vient à qualifier la révolution (différée, manquée) ou la nation (incertaine, empêtrée dans ses contradictions). Ce qu’on fait alors dire à cette phrase, et par extension à Prochain épisode, c’est son désenchantement ou son désespoir [56]. On ne semble pas avoir accordé la même attention au fait que c’est le symbole qui est fracturé — comme, après tout, le commande l’étymologie de ce terme — ; que la faille qui se dit dans cette phrase n’est pas tant signifiée que signifiante ; qu’avant d’affecter le projet politique, c’est le texte où s’énonce ce projet qu’elle déchire. Cela confère au passage (et encore une fois par extension, si on lui reconnaît une valeur métatextuelle, au roman tout entier) une autre couleur, mais laquelle au juste ? Ce ne sont assurément pas les scissions qui manquent dans Prochain épisode : Québec/Suisse, esthétique/politique, souvenirs/roman d’espionnage, narrateur/personnage, amour/révolution, euphorie/affaissement… La critique ne les a pas négligées, bien au contraire. Mais elle ne s’est pas toujours défiée de la tentation de penser ces tensions comme l’objet d’un discours qu’Aquin tiendrait sous couvert d’oeuvre romanesque. En témoignent les polémiques durables autour des relations exactes qu’Aquin établirait entre esthétique et révolution, qu’encore une fois Martine-Emmanuelle Lapointe résume bien :

L’action ou l’écriture ? Quelle est la véritable fin de Prochain épisode ? Quelle conclusion le critique doit-il en tirer ? Le conflit entre les défenseurs de l’action et les partisans de l’écriture ne dissimulerait-il pas un affrontement de nature heuristique entre […] le sociologisme (l’oeuvre est issue d’un contexte biographique et historique qui mérite d’être étudié) et le formalisme (l’oeuvre est un univers en soi) […] [?] S’il s’avère difficile de trancher, c’est sans doute parce que l’oeuvre se maintient constamment dans l’entre-deux, déconstruisant théories et réflexions sur l’art comme sur l’action [57].

Ce déchirement, les phases récentes de la critique aquinienne ont tendance à l’intérioriser ; il ne s’agit plus simplement de prendre parti pour un pôle ou un autre, en affirmant le primat de la politique sur l’esthétique (ou vice-versa), mais plutôt de jouer leur face-à-face tendu sur une scène interprétative dès lors complexe et, pour tout dire, dialectique. Le récit fait alors retour ; non pas celui, constamment problématisé par sa base discursive, de Prochain épisode, mais cette « narrativité d’idées » qui intéressait André Belleau dans l’essai :

[…] l’essayiste est une espèce d’artiste de la narrativité des idées […]. Cette narrativité des idées se présente un peu et même beaucoup comme une histoire, au sens qu’on donne à ce mot quand on parle de l’histoire d’un roman ou de l’histoire d’une nouvelle. […] [C]es événements culturels, pour qu’ils puissent entrer dans l’espace d’une écriture, il faut qu’ils soient comme entraînés dans un mouvement de développement, de rencontres, d’obstacles, de divisions, de bifurcations. […] [L]es idées qui y sont se conduisent un peu comme les personnages de la fable. Elles entretiennent entre elles des rapports d’opposition, de haine, d’aide. Il y a une sorte de dramatisation du monde culturel, si bien qu’à la fin des idées sont perdantes et d’autres gagnantes [58].

Deux lecteurs subtils, Jean-François Hamel et Martin Jalbert, se sont récemment engagés sur cette voie. Le premier s’interroge sur la conception de l’histoire qui sous-tend Prochain épisode. Deux moments clés, l’attente dans le château d’Échandens et le passage chez l’antiquaire Mendellsohn, peu avant l’arrestation du protagoniste, appuient à première vue une conception de l’« histoire comme foire bariolée et vertigineuse, vaste musée aux murs surchargés par les restes des siècles passés », « revenant sans voix [qui] fait retour […] sans pour autant ramener avec elle le sens de son événementialité [59] ». Or, loin de souscrire à cette vue, Prochain épisode en constituerait une critique qui emploierait — comme H. de Heutz face au protagoniste — les armes de l’adversaire pour mieux décontenancer ce dernier : plutôt que d’ignorer l’histoire comme répétition et évacuation du présent, le roman d’Aquin la reprendrait « sous une forme compulsivement parodique, assénée à coups de répétitions, de son obscur refoulé [60] ». La révolution, surgissement de l’événement dans ce qu’il a d’imprévisible, est bien entendu le moyen de rompre avec le « cercle » d’une histoire qui évacue le présent ; elle pose donc à l’écrivain un problème proprement narratif puisqu’il « concerne la possibilité d’inscrire la révolution dans l’histoire, de faire le récit de la révolution alors que celle-ci se veut précisément la fracture d’un récit antérieur [61] ». N’est-ce pas cependant rebrousser vers le mimétisme, le modèle de la représentation ? Pas tout à fait, mais tout de même en partie, car Jean-François Hamel avance plus loin qu’« [il] est […] possible qu’une des seules possibilités de représenter la révolution dans un récit soit non de la dire, mais de la montrer, c’est-à-dire de l’inscrire dans les structures mêmes du langage plutôt que dans son contenu [62] ». Le « fort coefficient de répétition » du récit aquinien y pourvoirait en mobilisant des facteurs proprement formels, et donc en montrant plutôt qu’en disant [63]. Mais cette valorisation de l’écriture demeure ambiguë, puisqu’elle tient au bout du compte à son emploi au sein d’une entreprise dont l’enjeu la dépasse manifestement.

Ambiguïté aussi chez Martin Jalbert, dont l’objectif avoué est de surmonter l’opposition entre esthétique et politique, non certes au nom d’une « stylisation de la révolution [64] » — qui à ses yeux « contribue[rait] à une véritable dépolitisation de l’idée de révolution, coupée de toute représentation d’un espace de lutte [65] » —, mais plutôt dans le cadre d’une « guerre entre des formes d’écritures, dans laquelle interviendra la révolution [66] ». Crucial, dans cette optique, devient le sens qu’on attribuera aux dernières pages du roman, celles où l’écriture projette, au-delà d’elle-même, « la super-écriture de l’acte révolutionnaire [67] ». Or ce sens, selon Jalbert, serait celui d’un appel à une « grande réconciliation entre les âmes et les corps, entre les individualités et le tout communautaire, entre l’écriture et l’action, entre le livre et son dehors, entre l’art et la vie, entre les mots et les choses [68] ». L’écriture ne parviendrait ainsi à penser la révolution qu’en anticipant sa propre mort, qu’en imaginant l’abolition de ce qui la définit, à savoir « la distance, l’après-coup, le déjà-plus qui est le fait de la lettre [69] ». Prochain épisode aboutirait ainsi à un paradoxe selon lequel l’écriture, en projetant un « présent absolu », évacuerait non seulement « l’incapacité des mots à donner de la présence, mais aussi le bonheur de l’écrivain pouvant, dans l’attente de l’événement, mettre du jeu dans les relations entre les mots et les réalités, comme il le fait ici avec le mot fin qui dit et ne dit pas à la fois la fin du présent roman [70] ».

C’est là, je dirais, prendre au sérieux l’explicit de Prochain épisode, le lire avec attention bien sûr, mais aussi accepter d’y voir une prise de position d’Aquin sur les rapports entre écriture et action, comme le confirment les assez nombreux parallèles qu’établit Martin Jalbert entre ces lignes « sensationnelles » et d’autres écrits d’Aquin, de la fin des années 1940 au milieu des années 1970. Mais c’est aussi risquer de déhistoriciser des énoncés s’étalant sur plus d’un quart de siècle ; c’est surtout, du point de vue qui est le mien ici, mettre un roman sur le même pied que des essais, comme si l’on pouvait passer indifféremment de l’un aux autres. Or, s’il y a une « politique des mots », il y en a aussi une des textes et de la manière dont ceux qui les commentent les découpent, les identifient et les mettent en rapport ; on le sait bien depuis Foucault. Circuler entre les textes comme si ce mouvement ne traversait aucune frontière, c’est dissoudre ces textes dans une unité qui les dépasse : celle de la pensée de l’auteur. D’un point de vue politique, cela ouvre la porte à l’idée d’une permanence faisant fi des décalages, des transformations, des mutations. D’un point de vue littéraire, cela nous ramène à la valorisation préstructuraliste de l’auteur en tant qu’entité surplombant les textes et s’y exprimant.

Cette « essayisation » de Prochain épisode, d’un roman dont Jalbert voudrait qu’il se détache plus résolument du régime de la vérité [71], a donc pour effet paradoxal de le soustraire à la fiction, d’en faire un support d’opinions que des pages de journal, des articles ou des entrevues pourraient tout aussi bien formuler. L’écriture n’y serait plus un processus, mais un concept dont il s’agirait de suivre les aventures purement idéelles. S’il y a ambiguïté, c’est dans la démarche de la critique et non dans ses positions, une démarche qui privilégie l’écriture mais la tient à distance (et ne pipe mot de la lecture) ; qui la dit mais s’abstient de la scruter ; qui la loge tout entière du côté du sens et non du côté de ce qui en dispose.

+

La prudence s’impose au moment de tirer des conclusions de ce parcours de toute façon cursif et, je ne m’en cache guère, orienté : je n’ai pas voulu prétendre à une neutralité en fait illusoire. Je ne crois pas davantage en la téléologie, et ne ferai donc, des étapes récentes de ce qu’on a écrit sur Prochain épisode, ni des étapes ultimes, ni même seulement un point de passage obligé de la critique aquinienne. J’y observe malgré tout une propension à « essayiser » Prochain épisode, à le lire comme un essai (peut-être dans l’objectif de réactiver par son entremise une scène intellectuelle dont il arrive qu’on la dise en sommeil) et, corrélativement, un parti pris manifeste pour une lecture qui se veut interprétative, c’est-à-dire tournée vers l’établissement du (ou des : la multiplicité n’y change rien) sens. Car ce qui frappe, au-delà des désaccords parfois sensibles, c’est le privilège accordé à la recherche d’un sens même si celui-ci, bien entendu, se dérobe ; la critique elle-même y veille, qui sait que c’est là la condition indispensable de la poursuite du jeu — de ce jeu. Ce que ce jeu relègue aux marges de l’horizon critique, ce sont des formes moins prestigieuses de désarroi, et avec elles d’autres enjeux apparemment moins importants, ou supposés déjà réglés, et sur lesquels on n’aurait plus guère à revenir, comme l’examen des méandres du texte ou des errements de sa lecture.

L’explication en est peut-être finalement fort simple. Prochain épisode est (devenu, à travers ce que nous en avons fait) un classique, et un classique n’est presque plus un texte, si on entend par là un espace qu’il nous resterait à parcourir d’une lecture découvreuse et perplexe, un mécanisme dont on pourrait être tenté de se demander comment il fonctionne. Un classique ne « fonctionne » pas ; un classique est, d’une existence indiscutable n’appelant plus que la glose, bientôt la simple mention, et non un démontage qu’on jugerait sans doute futile, et malvenu.

Près d’un demi-siècle après sa publication, Prochain épisode réside, pour quelques années encore sans doute, dans ce curieux entre-deux qui attend bien des oeuvres : « trop » consacré pour qu’une analyse textuelle n’encoure le risque de sembler datée ou naïve, mais pas encore assez, ou depuis assez longtemps, pour que ce roman aux arêtes encore tranchantes soit rangé dans un arrière-plan culturel indifférent auquel on se contenterait de renvoyer de loin en loin. On sait la fragilité de l’idée même de « classique québécois [72] ». Les plus sûrs candidats à ce titre problématique sont sans doute des oeuvres profondément ambiguës — à pays incertain, classiques polysémiques —, mais que la critique réussirait à saisir, justement, en privilégiant le biais du sens. Nous en serions arrivés, ainsi, aux derniers épisodes : non pas sans doute à l’épuisement des commentaires de Prochain épisode, mais à cette phase où nul n’aurait plus à se préoccuper du soubassement textuel des significations qu’on y lit. Aux lecteurs d’accélérer ce processus — ou de faire de Prochain épisode, pour quelque temps encore, autre chose qu’une musique lointaine.