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Cet ouvrage collectif dirigé par William D. Coleman, qui a réuni un groupe multidisciplinaire de contributeurs, s’intéresse principalement à la relation entre la globalisation et l’autonomie des individus et des communautés. On met ici l’accent sur le lien dialectique qui unit ces deux notions, puisque la globalisation représente à la fois des opportunités et des contraintes à l’autonomie. C’est sous l’angle précis des régimes de propriété, qui participent fortement à la définition des diverses autonomies, que sera analysée cette question. Dans cette optique, les principaux sujets traités sont les communautés autochtones, puisque celles-ci présentent généralement des conceptions de la propriété très différentes de celle qui est véhiculée par la globalisation capitaliste.

L’ouvrage débute par un chapitre de A. Claire Cutler qui expose la façon dont le droit international accompagne la globalisation capitaliste en établissant un cadre légal propice à la dépossession et à l’accumulation de propriétés et remet ainsi en cause l’autonomie des populations indigènes. Ce phénomène se réalise essentiellement en deux temps. Premièrement, la doctrine naissante du droit international, en établissant clairement l’État comme sujet établissant les lois, a permis l’imposition d’un système de loi européen sur les populations non civilisées qui n’étaient pas reconnues comme souveraines par faute de présence d’un État.

Dans un deuxième temps, la globalisation du droit international, qui suit sa partielle déterritorialisation, crée un environnement mondial propice à une nouvelle vague de dépossession et de privatisation. Comme le démontrent le chapitre de Daniel Gorman ainsi que celui de William D. Coleman et Austina J. Reed, le développement d’un régime de propriété intellectuel international représente en quelque sorte une nouvelle vague d’enclosures qui vise principalement les pays du Sud. Les populations indigènes sont particulièrement touchées par ce phénomène. Comme elles sont privées d’une souveraineté politique, leur autonomie se fonde essentiellement sur une souveraineté culturelle. Toutefois, comme le soulignent Coleman et Reed, les savoirs traditionnels des populations indigènes sont de plus en plus la proie du régime de propriété capitaliste.

Poursuivant sur la question du droit international, le chapitre de Sharlene Mollett nous montre comment les normes internationales de conservation environnementale peuvent être mobilisées pour marginaliser le contrôle des populations indigènes sur leurs territoires ancestraux. Comme l’expose le cas du Honduras, l’État peut utiliser ces normes afin d’approfondir son rôle de gestion des ressources naturelles, et ce, au profit des occupants indigènes.

L’ouvrage porte une attention particulière au discours appuyant la globalisation du régime de propriété capitaliste, et c’est dans cette optique que le chapitre de Scott Prudham est particulièrement intéressant. Dans le contexte de l’industrie forestière britanno-colombienne, ce dernier démontre comment le concept d’improvement, c’est-à-dire l’exploitation rationnelle et efficace des ressources, inspiré du philosophe anglais John Locke, a été central dans la justification de la propriété privée.

Cette notion d’improvement ne se limite pas à l’analyse de Prudham. Elle est centrale tout au long de l’ouvrage, puisqu’elle a servi historiquement de prétexte à la dépossession et à l’accumulation des terres et ressources autochtones par les défenseurs de la propriété privée. Le concept de terra nullius fut ainsi mobilisé pour invoquer le manque d’efficacité des pratiques autochtones et ainsi justifier leur dépossession. Mollett démontre même comment ce type de justification peut mener à une discrimination raciale en présentant les peuples autochtones comme sauvages, non civilisés, improductifs et fainéants.

Mais l’ouvrage ne se contente pas de traiter de la relation entre globalisation et autonomie à sens unique. Il établit plutôt un lien dialectique entre ces deux notions en démontrant les formes de résistance qui émergent face à la logique globalisante du régime de propriété capitaliste. Susan M. Preston décrit cette relation dialectique en montrant comment le peuple cri de la Baie-James a su à la fois combattre et utiliser les forces de la globalisation dans la défense de son autonomie. Malgré les ingérences du gouvernement colonial anglais et de celui de la province de Québec par la suite, les Cris ont été capables de maintenir et d’adapter leur conception du monde de façon à contester le régime de propriété privée qui leur était imposé.

Dans la même veine, Eva Mackey présente deux cas où des groupes autochtones nord-américains ont remporté des poursuites judiciaires destinées à obtenir une compensation financière en vue de l’acquisition de terres. Ces deux situations ont mené à des frictions entre autochtones et non-autochtones mettant en opposition différentes conceptions des notions de globalisation et d’autonomie. Toutefois, cette relation ne doit pas être uniquement vue comme une confrontation, puisque, comme le démontre l’exemple de la nation Onondaga, une relation coopérative peut se baser sur de nouveaux concepts de propriété.

La question du développement de la propriété intellectuelle comme nouvelle forme d’enclosures fait également l’objet d’une adaptation et d’une résistance. Comme l’expose Anna Greenspan, des pratiques répandues comme le piratage ou l’imitation favorisent l’émergence d’une économie informelle en marge de la globalisation capitaliste. Plus qu’une simple forme de résistance à la propriété privée, elle représente une forme d’adaptation des pays du Sud au phénomène de globalisation.

Cet ouvrage problématise efficacement la relation entre globalisation et autonomie en présentant cette dernière comme dialectique, représentant opportunités et contraintes. L’accent mis sur l’étude des populations autochtones expose également de façon très convaincante comment les régimes de propriété sont centraux dans la définition de l’autonomie des communautés. Ce point nous informe sur le potentiel de la définition des conceptions alternatives de propriété au sein de la contestation et de la reformulation du projet de globalisation.