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L’auteur a raison d’insister tout au long de son livre : le nucléaire est une technologie duale, civile et militaire. Elle pose plus que des questions, elle confronte la communauté internationale à de rudes dilemmes en termes de gouvernance mondiale. Dilemmes que l’on peut résumer ainsi : comment permettre l’accès à l’électricité nucléaire à tous les pays au nom de leurs intérêts énergétiques, de leur développement économique et de leur souveraineté, sans ouvrir la boîte de Pandore de la prolifération du nucléaire militaire ? En bref, comment concilier l’inconciliable ?

Par le droit international, répond Quentin Michel, professeur d’études européennes à la Faculté de droit et science politique de l’Université de Liège. Reste à savoir si ce corpus juridique, forcément international, est homogène et cohérent. Or, il existe des disparités entre les textes internationaux et les autres régimes, par exemple celui de l’Union européenne.

Avant d’en venir à l’analyse des instruments européens de contrôle, l’auteur introduit longuement le contexte historique, politique et juridique de la question nucléaire autour des premiers travaux de recherche durant la Seconde Guerre mondiale devant conduire à la bombe atomique américaine qui explosera à deux reprises, à Hiroshima et à Nagasaki (Japon), en août 1945.

Cette genèse permet de rappeler combien pour les Américains la question du contrôle de la technologie nucléaire même civile s’est posée immédiatement après la guerre. Washington a d’abord souhaité garder le monopole absolu sur cette technologie militaire (loi Mac Mahon de 1946), n’acceptant pas dans un premier temps de la partager avec ses plus proches alliés, dont les Anglais qui avaient pourtant participé à l’édification de la bombe.

La course à l’arme nucléaire avec l’Union soviétique, les prétentions de la France et les revendications de ses alliés obligent Washington à changer de stratégie. Le discours du président Eisenhower « Atoms for Peace », à l’onu en 1953, amorce la collaboration internationale du nucléaire civile et débouche sur la création quatre ans plus tard de l’Agence internationale de l’énergie atomique (aiea), chargée de promouvoir le nucléaire pacifique et de limiter les applications militaires.

Le nucléaire pacifique est dès lors ouvert aux transferts des technologies et à la collaboration internationale. Toutefois, ces échanges ne doivent pas profiter aux pays tiers qui ne respectent pas son usage exclusivement civil. Cette préoccupation apparaît dès 1950. Des groupes de travail occidentaux dressent des listes de matériaux sensibles qui peuvent être utilisés à des fins militaires. Ces listes visent essentiellement les pays du pacte de Varsovie. Le Cocom (Coordination pour le contrôle multilatéral des exportations) est créé en partie dans ce but.

La coopération entre les deux camps opposés est toutefois possible. États-Unis et urss sentent la nécessité de s’entendre sur un traité international de non-prolifération. Ils s’accordent pour que le cercle des edan (États dotés d’armes nucléaires) reste limité à l’époque aux États-Unis, à l’urss, à la France, au Royaume-Uni et à la Chine. D’où l’entente poussive entre les principales puissances pour aboutir en 1968 au Traité de non-prolifération (tnp) nucléaire. « Il apparaît, note Quentin Michel, malgré ses faiblesses, comme l’instrument qui a empêché et empêche encore le développement des armes nucléaires dans de nombreux pays, sans doute plus par sa simple existence que par les obligations qu’il contient. »

Pointe alors la nécessité de créer les instruments pour encadrer, vérifier et contrôler les échanges de matériaux et de technologies pouvant servir à la fois au civil et au militaire. D’où la fondation du comité Zangger en 1971, focalisé sur les pays qui n’ont pas adhéré au tnp, et celle du Groupe des fournisseurs nucléaires (nsg en anglais) fondé en 1974 et qui s’applique à tous les pays, adhérents ou pas au tnp. Les États non dotés d’armes nucléaires (endan) ne cesseront de critiquer les travaux opaques des ces comités soupçonnés de vouloir bloquer leur développement du nucléaire civil.

L’auteur consacre les trois chapitres suivants au régime européen. Il retrace sa genèse et indique les différentes évolutions au cours des années de la construction de l’unité européenne. Il montre que l’Europe défend son autonomie, voire son indépendance, en matière de contrôle (vis-à-vis du tnp rattaché à l’onu) par la constitution de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). Quentin Michel souligne alors les doublons qui existent entre l’Euratom, d’une part, et l’aiea et le tnp, d’autre part, ainsi que la dispersion des éléments de contrôle des transferts engendrée par l’accumulation ou le télescopage des textes fondateurs de la Communauté, puis de l’Union européenne.

Cet ouvrage précis et fouillé, rédigé d’une plume rigoureuse, n’est pas accessible au public non averti. Il nécessite, pour être appréhendé dans sa grande richesse, que le lecteur soit familier des principaux aspects et termes juridiques liés au contrôle des technologies nucléaire. On regrettera d’ailleurs que l’éditeur n’ait pas ajouté un glossaire pour rappeler la définition des nombreux instruments juridiques, groupes et institutions cités.