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Les accords commerciaux sont une importante composante de la politique internationale. Ils ont proliféré dans les dernières décennies au point où presque tous les pays ont négocié au moins un accord. Certains pays en ont signé plusieurs. Ce livre soutient que la décision de s’engager dans la négociation d’un accord préférentiel est en grande partie explicable par des facteurs sociétaux. Les auteurs ne nient pas l’importance des variables systémiques, mais ils cherchent à mettre en lumière des facteurs qu’ils jugent trop souvent ignorés par les études de politique commerciale. Selon eux, les liens existant entre les facteurs sociétaux et les institutions internationales sont mal compris. Ils partent de la prémisse que les politiciens sont très attentifs au contexte politique interne et qu’ils prennent peu de décisions qui ne sont pas motivées par leur souci de demeurer en poste. Mansfield et Milner postulent que c’est en juxtaposant les motifs domestiques et le comportement de politique étrangère économique que nous pouvons mieux comprendre les motifs des décisions des politiciens de s’engager ou non dans la négociation d’un accord commercial. Cet ouvrage s’attache à expliquer pourquoi et en quelles circonstances les gouvernements décident de s’engager dans la négociation d’ententes commerciales. Précisons que les auteurs s’intéressent aux différents types d’ententes préférentielles, allant des accords de libre-échange jusqu’aux unions économiques, en passant par les unions douanières. De là, ils visent à contribuer à une meilleure compréhension de l’économie politique de la formation d’ententes commerciales préférentielles.

L’étude focalise d’abord son attention sur les groupes de pression, le type de régime politique et les contraintes institutionnelles qui s’exercent sur l’exécutif. Les groupes de pression seraient de deux types : ceux qui favorisent la libéralisation du commerce et ceux qui cherchent à obtenir plus de protection de la compétition étrangère. L’activité des groupes s’explique évidemment par le fait que le commerce international constitue une part importante de l’activité économique de plusieurs pays. Les ententes commerciales ont également des incidences politiques. Les auteurs expliquent comment les régimes démocratiques tirent un plus grand avantage à favoriser des ententes commerciales que c’est le cas pour les régimes totalitaires.

La méthode qu’emploient Mansfield et Milner est rigoureuse et s’appuie sur un cadre opératoire élaboré. Les auteurs évaluent sept hypothèses ; nous soulignerons les principales. Premièrement, les gouvernements démocratiques qui concluent des ententes commerciales internationales demeurent au pouvoir plus longtemps que ceux qui ne signent pas d’accords. Deuxièmement, les gouvernements de gauche sont plus enclins à signer et ratifier des ententes commerciales que les gouvernements centristes et de droite. Troisièmement, les démocraties les plus engagées dans le commerce international sont plus susceptibles de signer des ententes commerciales que les pays moins intégrés dans les échanges internationaux. Enfin, plus un État est démocratique, plus il est probable qu’il s’engage dans des ententes commerciales comportant un système de règlements des différends. Ces hypothèses sont évaluées à l’aide de données nombreuses sur les ententes de libre-échange. Des calculs de régression sont effectués pour cerner le rôle des variables multiples.

Il va sans dire qu’il s’agit d’un travail bien différent de la majorité des travaux de politique commerciale qui s’attachent à expliquer le degré de protectionnisme et de libéralisme au sein du système commercial international. Les auteurs ne se penchent pas non plus sur l’étude de l’érosion du multilatéralisme commercial et, la croissance du bilatéralisme et du régionalisme. Ils ne cherchent pas à savoir si les ententes préférentielles sont des marchepieds vers le multilatéralisme ou un frein aux négociations multilatérales de l’Organisation mondiale du commerce (omc). Les auteurs soutiennent que la littérature s’attache trop peu à éclairer les facteurs donnant naissance aux ententes préférentielles. Afin d’expliquer pourquoi les gouvernements s’engagent dans des ententes commerciales, ils cherchent à préciser les bénéfices qu’en retirent les élus. Les auteurs postulent que les politiciens tireront un bénéfice en termes d’appuis sociétaux en s’engageant dans la négociation d’ententes commerciales. Cette démarche rassurerait l’électorat quant au fait qu’ils ne sont pas enclins à acquiescer aux demandes protectionnistes. Mansfield et Milner postulent que les groupes d’intérêt sont nombreux à souhaiter des mesures de protection. Or, les gouvernements éprouvent des difficultés à offrir la protection souhaitée, car le protectionnisme freine la croissance et les échanges commerciaux. Les gouvernements auraient recours aux ententes de libéralisation commerciale afin de restreindre les demandes de protection futures des groupes sociétaux. Le cadre réglementaire des ententes libérerait dès lors les élus du fardeau des demandes protectionnistes. Ainsi, les ententes commerciales donneraient une plus grande crédibilité aux élus aux yeux de la population. Les ententes commerciales sont donc un moyen visible de restreindre le protectionnisme. Elles offrent une garantie institutionnelle au public et aux groupes d’intérêt qui privilégient un cadre favorisant la libéralisation des échanges.

Les auteurs auraient eu avantage à intégrer les diverses sources explicatives comme des compléments ou des solutions alternatives à l’approche sociétale. Nous pouvons également reprocher à cet ouvrage de traiter de façon trop abstraite des facteurs économiques propres à la politique extérieure économique. Il demeure toutefois que l’étude s’inscrit directement dans le prolongement des travaux importants de Mansfield et Milner sur des sujets connexes. Milner a contribué avec succès à la réflexion théorique au sujet des sources d’explication sociétale en politique commerciale. Le présent livre aura certainement un impact équivalent. En somme, il s’agit d’un ouvrage utile qui alimentera la réflexion des politologues s’intéressant aux questions d’économie politique internationale.