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La santé mentale aujourd’hui : un univers social ordinaire et dramatique

Le champ des pratiques et des savoirs entourant le mental pathologique a, depuis les quatre dernières décennies, connu différentes recompositions d’un point de vue tant pratique qu’idéologique. Les figures jadis solidaires, autoréférentielles et désormais suspectes de l’asile et de la folie, qui assaillaient le destin tragique et radical de l’homme anormal, cèdent le pas dans la socialité contemporaine au champ polymorphe et « ouvert » de la santé mentale, qui va de la détresse psychologique à la souffrance sociale (dans sa variante négative), au bien-être et à l’accomplissement personnel (dans sa variante positive), et qui concernerait aujourd’hui la trajectoire ordinaire et « désenfermée » de l’homme normal, c’est-à-dire de « tout le monde, riches ou pauvres, hommes ou femmes, de n’importe quel âge, race ou croyance », comme le mentionne le Plan d’action en santé mentale 2005-2010 au Québec (MSSS, 2005 : 6). Le souci pour la santé mentale semble à ce point diffus aujourd’hui qu’il interpellerait autant le SDF aux prises avec de la détresse psychique, le PDG qui lutte contre des symptômes de burn-out ou les théoriciens critiques qui font de la souffrance sociale un levier renouvelé pour la transformation historique que les victimes de guerre ou les réfugiés qui revendiquent des droits nouveaux sur le terrain des traumatismes psychiques (Fassin et Rechtman, 2007). Or ce souci « démocratique » inédit envers toute forme d’atteintes à la subjectivité est loin de se réduire à une figure symptomatique d’une plus grande empathie morale envers la souffrance ou à un déclin du lien social et des valeurs, comme il est souvent coutume de l’envisager. Il signale avant tout que la santé mentale est devenue aujourd’hui l’une des dimensions constitutives du « nouvel esprit des institutions » des sociétés d’individualisme de masse, lequel trouve son ancrage dans de nouveaux idéaux normatifs et un ensemble de pratiques et de significations nouvelles qui les portent, les reconduisent et les mettent au point (Ehrenberg, 2011 ; Otero, 2012). En d’autres termes, ce souci largement transversal et bavard pour les troubles du mental se doit d’être saisi aujourd’hui comme l’un des paramètres de l’espace social de la subjectivité fortement institutionnalisé, que tout un chacun, de l’élite au quidam, peut investir désormais légitimement à des fins diverses et qui peut revêtir des pratiques et des significations plurielles (Otero et Namian, 2011). C’est pourquoi la sociologie doit s’y intéresser de près, sans pour autant la réduire à ses catégories d’analyse. Irréductible aux champs psychopathologique ou psychiatrique, cet univers social de la santé mentale constitue en ce sens aujourd’hui une « sorte de théâtre des subjectivités où il est légitime de mettre en scène des conflits sociaux, d’opérer des manipulations techniques d’image, d’ancrer des revendications collectives et individuelles de tout genre, de témoigner de certains inconforts et malaises, de dévoiler certaines dimensions identitaires, etc. » (Otero et Namian, 2011 : 227). Toutefois, à côté de cet univers social plutôt ouvert, informé et ordinaire, réside un univers social de significations et de pratiques plutôt fermé, obscur ou en marge, où les troubles du mental se nouent de manière historique et quasi ontologique avec des figures sociales limites de l’exclusion, de la déliaison, de la défavorisation sociales multiples, et qui nous montre, à l’inverse du premier, un espace social de la subjectivité souvent peu fréquenté et institutionnalisé, souvent aux limites même du social. Cet univers de la santé mentale, tout autant irréductible aux champs de la psychiatrie et de la psychopathologie, constitue quant à lui une sorte de théâtre dramatique des conflictualités, inégalités et dysfonctionnements sociaux divers, et qui met au jour, souvent de manière discrète mais fortement dérangeante, la pierre d’achoppement ou l’ingouvernable des institutions démocratiques en vigueur. Si ces deux univers sociaux parallèles du champ de la santé mentale – tantôt distinctif, étranger et dramatique, tantôt commun, familier et ordinaire – sont sur plusieurs plans fortement distincts, force est de constater que, loin de s’exclure mutuellement, ils s’entrecroisent, entrent en résonance et se nourrissent mutuellement en tant que revers, devenant tantôt un miroir inquiétant et étranger qui présage une rupture dramatique des trajectoires, tantôt un miroir réconfortant et ordinaire qui offre la perspective d’une ouverture possible des horizons.

Deux scènes a priori atypiques, hétérogènes et limites pour sonder la santé mentale

Si le premier univers, davantage « ouvert » et diffus, de la santé mentale a fait l’objet d’une attention croissante ces dernières années chez les sociologues et autres chercheurs en sciences sociales, en attirant notamment l’attention sur l’expansion tous azimuts de ses frontières dans les sociétés occidentales contemporaines, c’est cet « autre » univers, davantage « fermé » et restreint, et qui fait l’objet d’une attention décroissante ou plus discrète aujourd’hui, que nous allons interpeller dans le présent article. Nous le ferons au moyen d’une analyse de résultats d’une enquête de terrain[1] récente menée sur deux scènes qu’on pourrait qualifier a priori d’atypiques, d’hétérogènes et de limites. Atypiques, d’une part, car rarement interrogées tant par la recherche que par les politiques sociales lorsqu’il est question d’aborder la problématique de la santé mentale aujourd’hui : une ressource d’intervention auprès de personnes en situation d’itinérance et une ressource d’intervention auprès de personnes malades et en fin de vie atteintes du VIH/sida. Or c’est bien ce caractère atypique qui offre l’occasion d’un regard renouvelé sur le champ de la santé mentale aujourd’hui, en jetant ainsi un éclairage particulier sur cet univers social davantage « dramatique » de la santé mentale. Hétérogènes, ensuite, car ces deux scènes sont rarement analysées en soi de manière comparée. L’analyse transversale de ces deux scènes attire l’attention, sans pour autant faire fi de leur singularité respective, sur leur résonance profonde et tend à mettre à l’épreuve certains découpages administratifs courants ou scissions anthropologiques classiques. Limites, finalement, car ce terrain d’enquête transversal permet de sonder la santé mentale aux limites du lien social et politique, là où elle se confronte à des conditions de vie sociales et physiques extrêmes, au croisement des inégalités sociales et de santé souvent profondes et durables.

Le premier des deux terrains où nous avons mené notre enquête est un programme d’accompagnement pour hommes en situation d’itinérance qui a été intégré, il y a quelques années, au sein d’un refuge (centre d’hébergement) de Montréal né à la fin du XIXe siècle. Ce refuge, qui compte parmi les trois refuges destinés aux hommes qui existent toujours sur le territoire montréalais et qui constitue l’un des plus grands et des plus anciens en Amérique du Nord, est apparu lorsqu’ont émergé, à l’aube de la société industrielle et avant l’instauration des États sociaux modernes, des institutions secondaires spécifiquement destinées à gérer l’errance dérangeante des personnes pauvres, indigentes et vagabondes, en dehors des asiles devenus des hôpitaux à guérir (les malades curables) et des prisons devenues des lieux de réforme (les criminels) (Fecteau, 2000 ; Grimard, 2011). C’est en effet dans cette première forme d’individualisation des « mauvais corps », entre pauvreté, folie, maladie et crime[2], que les refuges ont pris forme, le plus souvent de manière ad hoc ou dans l’urgence, sous l’impulsion de la bienfaisance des communautés religieuses ainsi que de préoccupations hygiénistes et morales d’acteurs locaux ou communautaires influents (Fecteau, 2000). Ces structures sont progressivement devenues, au fil du temps, des installations massives et autoréférentielles (et pour la plupart laïques), comme c’est le cas pour le refuge spécifique où nous avons mené notre enquête. En plus de cent ans d’histoire, ce refuge a jusqu’ici conservé la même approche de gestion et de traitement des hommes : celle de constituer une mesure palliative de dernier recours, par la fourniture de moyens de secours minimaux (lit, toit, douche et repas) afin de répondre à des besoins primaires de survie (faim, soif, fatigue, hygiène), et ce, à un très grand nombre d’hommes en même temps (souvent plus de 300 par nuit). Mesure de dernier recours, le refuge a été conçu en ce sens comme l’ultime soutien social destiné à « faire tenir » les individus ayant « décroché » (volontairement ou non) de la société, par suite d’une série de ruptures sociales ou de circonstances malheureuses, dans l’espoir de les « raccrocher » et ultimement de les « réintégrer ». Or depuis quelques années, on assiste à un changement en profondeur sur les plans tant de l’organisation physique des lieux que de sa mission. La ressource en question décide de mettre en branle un « plan quinquennal » conçu pour faire face à une réalité perçue désormais comme endémique : le refuge, ce style de réponse de dernier recours jusqu’ici privilégié pour répondre au problème social de l’itinérance, est devenu avec les années un lieu d’ancrage quasi permanent, voire une destination ultime et irrévocable pour de nombreux hommes, plutôt qu’un simple moyen de dépannage, un tampon, un moyen de transition vers la réintégration. Ce constat est d’ailleurs partagé aujourd’hui par la plupart des grands refuges canadiens. Il semble que si l’abolition de ces derniers ne soit pas une solution envisageable pour le moment, les différents acteurs impliqués dans la lutte contre l’itinérance se mettent d’accord aujourd’hui pour dire que ce style de réponse demeure non seulement insuffisant, mais contribue à maintenir ce que certains nomment informellement dans le milieu « le trou noir de l’itinérance » ou encore « le système[3] ». Si le refuge continue encore d’accueillir la majorité des hommes en leur offrant les services de base, il est désormais perçu comme relevant d’un ancien « esprit des institutions » qui ne parviendrait plus à être suffisamment en phase avec les nouveaux idéaux normatifs de la socialité contemporaine centrés sur l’autonomie et la responsabilisation (Namian, 2011 ; Grimard, 2011). C’est dans ce nouvel esprit que la figure du « conseiller en intervention » voit le jour à côté de l’ancienne figure « archaïque » du surveillant, que des « suivis psychosociaux » hebdomadaires sont désormais prévus pour tout participant inscrit au programme d’accompagnement, et que des rencontres dites « cliniques » entre les membres de l’équipe de conseillers sont désormais intégrées dans leur structure d’organisation du travail.

Le deuxième lieu où nous avons mené notre enquête de terrain est une ressource d’hébergement temporaire et de soins palliatifs pour des personnes en fin de vie ou gravement malades, aux prises avec le VIH/sida. Si le refuge est né à la fin du XIXe siècle avec la première vague d’itinérance à Montréal, cette ressource de soins et d’accompagnement en fin de vie a quant à elle été mise sur pied un siècle plus tard presque jour pour jour à la suite de la première vague de « l’épidémie du sida » en Occident et sous l’impulsion des mouvements gays et communautaires au Québec. Elle est considérée comme l’un des modèles précurseurs du « mouvement des soins palliatifs » qui transforme actuellement de l’extérieur la figure classique de l’hôpital (soins curatifs). Au départ, cette maison de soins palliatifs a ouvert ses portes pour offrir aux personnes, à l’époque majoritairement masculines, atteintes du VIH/sida, un lieu pour « mourir dans la dignité », « parmi les leurs », dans un contexte d’urgence. D’une part, les personnes atteintes décédaient rapidement et massivement ; d’autre part, le traitement qui leur était réservé à l’hôpital se soldait soit par un refus, soit par des comportements discriminants (interdiction d’accès à l’hôpital, chambres isolées, refus de certains médecins de les traiter, etc.). Qui plus est, le réseau de la santé et des services sociaux semblait ne pas vouloir reconnaître l’ampleur du problème, laissant un vide dans le volet de la prise en charge. Le monde médical découvrait en effet la nouvelle maladie, en en sachant très peu de choses (Le Cler, 1997) et en faisant face concrètement, à l’intérieur même des murs de l’hôpital, au déferlement massif et dérangeant de « mauvais corps », c’est-à-dire de tous ces malades inguérissables pour qui la médecine curative ne pouvait rien (Benasayag, 2008). La création de cette maison de soins palliatifs et d’autres qui l’ont suivie s’inscrit ainsi dans le sillage de ce problème social mettant en cause l’idéal curatif de la médecine moderne et inscrivant à l’agenda de l’action publique la nécessité de créer un dispositif de traitement nouveau d’une telle population inguérissable et fortement stigmatisée. Mais, comme pour le refuge, l’esprit de sa mission s’est modifié au fil du temps. À son ouverture, l’accompagnement en fin de vie constituait l’unique modalité d’intervention déployée. Or, comme on meurt aujourd’hui de moins en moins du sida, et plus tardivement avec l’arrivée de la trithérapie introduite sur le marché par la médecine, cette ressource a choisi de modifier partiellement son approche : désormais, ce serait non seulement vers la mort qu’elle accompagne, mais aussi « vers la vie », « dans la communauté ». Ainsi, autrefois lieu unique de soins palliatifs, cette ressource se transforme aujourd’hui progressivement en un lieu d’accompagnement psychosocial des personnes vers et dans la « communauté ». Il s’agit de celles qui, tout en étant malades physiquement, ne sont pas encore à l’orée de la mort et nécessitent des formes de soutien autres, souvent plurielles et à plus long terme que les stricts soins de santé ou palliatifs. Il faut surtout tenir compte du fait que le profil autrefois plus homogène de ses usagers s’est considérablement complexifié depuis les années 1990, alors qu’une grande majorité d’entre eux, comme nous le verrons dans ce qui suit, est aux prises avec des problématiques multiples et ne dispose pas ou très peu d’un réseau familial et social soutenant.

Des dynamiques de faille transversales : espace, profil, trajectoire

Ces deux lieux d’intervention – refuge et maison de soins palliatifs – constituent des scènes atypiques, rarement sollicitées pour l’analyse de la problématique de la santé mentale aujourd’hui, notamment en raison des lieux et des problématiques (itinérance et VIH/sida) qui sont généralement appréhendés comme en marge ou en dehors du champ de savoirs et de pratiques. Or leur analyse croisée rend visibles certaines dynamiques de faille transversales dans les différents domaines de l’action publique en matière de régulation des problèmes sociaux et sanitaires, y compris celui de la santé mentale. Ce sont ces dynamiques de faille transversales qui, tout en étant irréductibles au domaine strict de la santé mentale, lui sont intimement associées, en ce sens qu’elles rendent visibles certains indicateurs empiriques propres à cet « autre » univers social plutôt obscur et peu balisé, où les problèmes de santé mentale se nouent de manière étroite et souvent indissociable avec d’autres figures de la conflictualité sociale.

D’une part, ces deux ressources d’intervention partagent d’ores et déjà la caractéristique commune, malgré leur trame historique respective (un siècle de différence), d’être nées dans un contexte d’urgence et de faille, voire de vide, dans le réseau de la prise en charge publique des problèmes sociaux et sanitaires, afin de pouvoir gérer techniquement et de manière ad hoc ces vies à découvert, refoulées aux bords du politique, ces « mauvais corps » (indigents et vagabonds sans famille et sans travail ; malades sexués et inguérissables) qui échappaient aux prises possibles des modalités de régulation sociale en vigueur. Dans les deux cas, ces dispositifs ont été créés et aménagés comme des mesures palliatives ou de dernier recours, où on entre soit pour mourir, soit par suite d’une série de ruptures souvent irrévocables de dimensions sociales significatives qui permettent d’être tenu dans la socialité ordinaire (dimensions en lien avec le travail et les loisirs, la famille et la vie amoureuse, la santé, etc.). Aujourd’hui, si ces deux ressources ont transformé leur mission manifeste respective, elles s’inscrivent encore malgré tout dans cet espace social palliatif ou de dernier recours, et cela est notamment attribuable au fait qu’elles traitent aujourd’hui de personnes aux prises avec des problématiques multiples et persistantes, où les problèmes de santé mentale font partie d’un ensemble flou mais résistant de fragilités diverses pour lequel on ne trouve pas ou à tout le moins difficilement de « solutions », sinon ponctuelles.

En effet, des deux côtés de notre terrain, les personnes qui se retrouvent dans ces lieux sociaux terminaux ou de dernier recours sont pour une grande part, et à des degrés divers, aux prises avec des problématiques multiples, allant de la maladie physique et de la pauvreté aux problèmes d’abus de substances, à l’instabilité résidentielle, à un accès difficile aux services de soins et d’hébergement existants et à des problèmes de santé mentale – des troubles psychiques légers (crises, angoisses, dépressions, troubles de comportement, détresses, etc.) jusqu’à des diagnostics graves et persistants (schizophrénie, personnalités multiples, délires psychotiques, etc.). Une fois sur le terrain, nous nous sommes d’ailleurs rendu compte que ces deux scènes constituent des vases communicants concrets, puisque 56 % des résidents de la ressource en fin de vie étaient sans abri au moment d’y entrer (soit pour mourir soit pour un séjour de répit) et que certains d’entre eux avaient été auparavant des usagers du refuge où nous avons mené notre enquête. À cet égard, du côté de la maison de soins, les intervenants nous ont fait part d’un changement dans le profil des résidents depuis l’ouverture dans les années 1990, considéré désormais comme plus complexe :

La clientèle est de plus en plus… je dirais pas difficile parce que je n’aime pas ce terme… mais on voit une population avec des problèmes de santé mentale, de toxicomanie, d’itinérance alors qu’avant c’était vraiment la population gay […] maintenant, c’est vraiment des gens qui vivent plein d’autres problématiques.

De plus, cette ressource fait face, depuis récemment, à une nouvelle problématique qui serait contemporaine du changement de statut de la maladie du VIH/sida, celle qu’on désigne comme la « démence liée au VIH/sida », et qui est considérée généralement comme un problème de dégénérescence neurologique associé parfois aux effets secondaires à long terme de la trithérapie, avec des symptômes similaires à ceux de la démence la plus connue, l’Alzheimer, tels que la perte graduelle de la mémoire à court terme, l’irritabilité, l’agressivité, l’anxiété, la dépression, la confusion, l’agitation accrue, le manque d’initiative, la désintégration progressive de la personnalité, l’apathie sociale. Concrètement, plusieurs des intervenants de cette ressource nous ont fait part de leur difficulté à « gérer » cette problématique, allant parfois jusqu’à soupçonner que la catégorie « démence », relativement nouvelle, soit surtout évoquée dans le milieu pour parler, de manière sans doute moins stigmatisante, des cas difficiles, ingérables, sans solutions, ceux face auxquels on se sent impuissant ou pour lesquels on ne peut pratiquement rien faire :

Je pense que souvent on parle vite de démence liée au VIH pour les résidents. Je ne sais même pas s’il y a moyen de le diagnostiquer. Je ne sais pas si c’est réellement un diagnostic qui existe ou si c’est juste un paquet de symptômes… mais des fois, si on parle d’un problème d’un résident, dans la façon dont il s’est comporté, j’ai l’impression que l’étiquette de la démence tombe vite… pour dire que « oui mais, nous, en tant qu’intervenant, on peut rien faire… » En fait personne ne dit ça, c’est juste que j’ai cru ressentir ça et entendre ça dans les non-dits.

Du côté du refuge, sans nécessairement parler de changement majeur dans le profil des usagers, les intervenants constatent néanmoins de la même façon une diversité des problématiques vécues par les hommes aujourd’hui, sans toutefois être très au fait de la juste proportion des problématiques respectives :

Je ne connais pas les chiffres, mais je dirais qu’ici il y a disons 20 % de santé mentale, 40 % de toxicomanes, 20 % de problèmes de jeu et des gens malades… ouais, c’est souvent des problèmes de consommation, de gambling, et des problèmes de santé mentale. Souvent il y en a qui ont tout ensemble.

Plutôt qu’à deux groupes d’individus distincts, c’est-à-dire deux populations spécifiques, ces deux ressources d’intervention semblent ainsi faire face, de manière homologue, à un même sujet dit « multiproblématique », pour reprendre une expression qui circule amplement dans le milieu. Lorsque vient le temps de définir le profil de leurs usagers respectifs, les intervenants des deux ressources mentionnent souvent d’ailleurs la difficulté à désigner, pour plusieurs personnes, une problématique plus prépondérante, plus importante ou plus urgente à traiter qu’une autre, ce qui tend du même coup à mettre à l’épreuve ou à brouiller les frontières délimitées par les découpages administratifs usuels qui mettent l’accent sur une problématique spécifique ou une population spécifique (itinérance, santé mentale, VIH/sida, toxicomanie, etc.). De plus, au brouillage de ces frontières s’ajoute celui des scissions classiques entre problèmes ou traitements de santé (physique et mentale) et problèmes ou traitements sociaux, tout comme celui du partage des dimensions anthropologiques classiques entre le corps, le mental et le social. Dans ce type de figures limites, il semble en effet souvent difficile de délimiter les frontières entre ces trois dimensions tant, chez un même individu, le social semble affecté par le corps, le corps par le mental, le mental par le social, etc., dans une sorte de spirale ou d’indistinction où autant la maladie physique que le trouble mental, par exemple, ont des effets sur la possibilité de travailler, l’invalidité sur les liens familiaux, l’absence de logement sur la stabilité, ou le développement de symptômes physiques et psychiques, l’isolement relationnel, la perte d’estime de soi ou la détresse sur les addictions diverses, etc. Derrière cette spirale d’influences se profile l’idée que l’on fait face à une sorte de « fond causal permanent », comme disait Foucault (1999) à propos de la notion d’« état » élaborée dans la nouvelle psychiatrie[4], c’est-à-dire une sorte de réceptacle ouvert à un ensemble pluriel et enchevêtré de dimensions problématiques, irréductibles à un modèle représentatif ou à un système explicatif global.

Cependant, ce réceptacle « ouvert » de dimensions problématiques tend à se concrétiser de manière tangible sur notre terrain d’enquête dans des trajectoires d’aide aux horizons souvent restreints et fermés, ou à tout le moins souvent qualifiées comme des « lourds parcours d’aide ». Rares, voire extrêmement rares, sont ceux et celles qui « tombent » dans cet espace palliatif ou de dernier recours du jour au lendemain. Ils le font souvent à la suite d’une série de « chutes horizontales », après avoir cheminé au préalable dans un parcours d’assistance, d’aide et d’accompagnement de toutes sortes. Loin d’être de « nouveaux entrants » (Goffman, 1968), ils sont souvent connus de l’univers de l’intervention, ayant pour la plupart une trajectoire de prise en charge faite d’entrées et de sorties des différentes ressources et des divers programmes ou organismes d’aide du milieu carcéral, médical, psychiatrique et psychosocial. Dans ces trajectoires d’aide en dents de scie, ils ont tendance à se faire transférer, rediriger, ballotter d’une ressource d’intervention à une autre, en repoussant un peu plus loin l’horizon idéal de l’intégration ou de la guérison, ou en traînant toujours un peu plus longtemps avec soi la charge d’un ensemble de contraintes qui, au fil du temps, semble s’accroître et s’alourdir, au point parfois d’être considérées comme insurmontables ou indépassables tant par les personnes concernées que par les dispositifs qui les gèrent.

Petite généalogie des cas « chroniques » : de la dégénérescence au dumping 

Ces indicateurs renvoient à des espaces, à des profils et à des trajectoires transversaux qui tendent à être regroupés dans notre terrain, mais souvent de manière informelle, sous l’étiquette de « cas chroniques », c’est-à-dire de ceux qui, historiquement et encore aujourd’hui, tendent non seulement à mettre radicalement à l’épreuve les frontières discernables entre les troubles du mental, du social et du biologique, mais montrent aussi de manière souvent « trop » visible le point d’achoppement ou l’ingouvernable des politiques sociales de rattrapage. L’étiquette de « cas chroniques » circule en effet souvent dans notre terrain d’enquête pour parler, faute de mieux, des individus pour qui on ne trouve jamais réellement de place ou de solutions, partielles ou définitives. Or bien qu’elle soit souvent utilisée dans l’informel, dans les coulisses ou dans les conversations closes entre les intervenants, avec cette étiquette se profile néanmoins l’aveu fortement significatif que l’on fait face à des problématiques non seulement multiples, mais récurrentes, durables, voire permanentes, qui ne peuvent pas ou très difficilement être surmontées, corrigées, réparées par les différents appareillages médico-psycho-sociaux en vigueur. Avec elle surgit un problème répétitif dans l’histoire et qui demeure transversal aux différents domaines empiriques de l’action publique, y compris celui de la santé mentale aujourd’hui : « que faire avec » les individus qui ne s’adaptent pas ou ne répondent pas aux modes de traitement et de prise en charge possibles, et où les « placer » ?

Si l’on remonte au XIXe siècle, l’idée de chronicité tombait principalement dans le registre de ce qui était classé comme biologiquement déterminé. Lorsqu’un cas était classé comme tel, cela signifiait qu’il devait rester, peut-être pas à jamais, mais certainement pendant longtemps, au-delà des pouvoirs humains de correction (Bauman, 2010 : 145). L’expression « déterminés biologiquement » renvoyait aux cas jugés comme ne pouvant être ni guéris par la médecine ni réformés par les programmes sociaux humanistes comme l’éducation et la justice. Dans le champ des pratiques et du savoir entourant le mental pathologique, c’est sans doute la doctrine de la « dégénérescence » qui représente de manière idéale-typique la figure de la chronicité à la fin XIXe siècle. Cette doctrine, apparue pour la première fois dans la psychiatrie française de Morel (Coffin, 2007) et qui deviendra, jusqu’aux années 1930 environ, une nouvelle classification quasi uniforme pour les institutions asilaires et les premiers psychiatres reconnus du Québec, permettait de rapprocher plus fortement qu’auparavant de la médecine la « folie », en expliquant cette dernière, réputée incurable, par des intoxications de l’organisme, des lésions au niveau du système nerveux et l’hérédité (Grenier, 1994). Or en réalité, la dégénérescence était difficilement réductible à une théorie médicale ou à une théorie tout court. Son « succès psychiatrique » résidait surtout dans le fait qu’elle permettait, en troublant les frontières de l’identité discernable entre le biologique, le mental et le social, de fournir un système d’explications souple et unique à une diversité de problèmes sociaux hétérogènes autres que la folie, allant de l’alcoolisme à la syphilis ou à la classe ouvrière, comme en témoigne notamment le diagnostic de la « dégénérescence urbaine » (Coffin, 2007). De plus, à côté du discours, les pronostics de chronicité portés à partir de la doctrine de la dégénérescence sur la plupart des troubles mentaux à cette époque provoquèrent au Québec, comme partout ailleurs en Occident, une transformation des pratiques, dans laquelle émergea :

une distinction entre deux types d’établissements […]. Tandis que les grands asiles prenaient le nom d’hôpital et étaient considérés comme des centres de traitement actif, on assista, parallèlement, à la mise en place d’un réseau d’institutions secondaires dénuées de vocation thérapeutique qui avaient pour unique fonction de dégarnir les grands hôpitaux psychiatriques de leurs déficients et de leurs incurables.

Grenier, 1994 [en ligne]

Si l’évocation d’un paradigme biologique et génétique a perdu une grande part de sa légitimité scientifique pour expliquer la folie et les autres problèmes sociaux aujourd’hui (bien qu’il revienne aujourd’hui discrètement mais certainement pour expliquer certains problèmes sociaux contemporains allant de « l’épidémie » de la dépression à la « violence » innée des adolescents inadaptés), et que la doctrine de la dégénérescence a disparu du paysage nosologique, l’idée de la chronicité comme pierre d’achoppement des politiques publiques, quant à elle, est réapparue de manière renouvelée en tant que résidu, voire comme symptôme visible de l’échec du programme de « désinstitutionnalisation » au Québec. Ce programme visait à ramener le statut de maladie mentale à celui de « maladie comme les autres » et, par le fait même, à en faire l’objet d’un « traitement comme les autres », c’est-à-dire par une cure sociale (par l’hébergement) dans la « communauté » plutôt que par une cure médicale (par l’enfermement) dans l’hôpital. Or une vingtaine d’années après l’amorce de ce programme, la figure du « patient psychiatrique chronique dans la communauté » (Mercier, 1988) commence à apparaître dans certains discours et rapports critiques qui dénonçaient les difficultés de ce programme politique avec son syndrome de la « porte tournante ». Les patients désignés chroniques sont ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne pouvaient ultimement répondre ou s’adapter aux objectifs prévus par ce programme, ne pouvant pas être guéris comme les « malades ordinaires » dans la communauté, et provoquant un engorgement des lits de courte durée dans les hôpitaux. Ces patients chroniques tombaient dans une sorte de zone grise, voire un vide, entre le traitement social et le traitement médical (Lecomte, 1991). Les observateurs de l’époque, notamment ceux provenant des groupes communautaires ou de bienfaisance qui ont servi involontairement ou parfois volontairement de dispositifs de dernier recours ou de ressources tampon pour pallier cette faille dans la prise en charge, ont été nombreux à considérer que, dans cette zone grise, les problèmes de santé mentale s’allient de manière presque indissociable à une diversité de problématiques sociales autres, notamment l’itinérance, la pauvreté, la toxicomanie et la criminalité (Dorvil et Guttman, 1997). Il suffit à cet égard de se rappeler l’exemple concret et controversé, vers la fin des années 1980, du défunt dispositif Dernier recours Montréal, au départ spécifiquement conçu pour répondre, par « un plan thérapeutique non appuyé sur une théorie reconnue », au problème de l’itinérance, et qui suscita rapidement de vives réactions, comme celles d’être traité tantôt « d’entrepôt pour malades mentaux, drogués et sidéens » ou de « musée des causes désespérées » (LeBlanc, 1988), tantôt de « soupape de sécurité du réseau des services publics, en étant le déversoir de ses clients difficiles, de ceux qui lui résistent ou qui ne cadrent pas dans son fonctionnement […] comme le lieu de convergence des exclus » (Lecomte, 1989 : 25).

Des dispositifs de décharge, hier et aujourd’hui

Plus de trente-cinq ans après les premières réformes de ce programme politique voué au traitement ouvert du mental pathologique, ce récit de l’échec de la désinstitutionalisation et de sa figure solidaire et suspecte de la chronicité semble encore présent chez les mêmes observateurs empiriques, mais parfois dans des termes au mieux renouvelés. Du côté spécifique du refuge où nous avons mené notre enquête, par exemple, ce récit s’exprime encore souvent dans l’idée d’une décharge des hôpitaux de leurs patients difficiles, ceux qui ne peuvent plus rester dans leur enceinte et qui ne trouvent pas de place ailleurs dans la communauté. Les intervenants utilisent dans l’informel l’expression parlante du dumping pour nommer ce type de décharge sociale. Ils se plaignent notamment du fait que, jusqu’à récemment, il n’était pas rare de voir des hommes arriver des hôpitaux « complètement désorientés », sans savoir où ils étaient, comment ils y étaient arrivés, même parfois sans savoir qui ils étaient. Dans ce récit type de la critique de la désinstitutionalisation, on raconte souvent que les intervenants ont dû accueillir plus d’une fois certains hommes débarquant au refuge en provenance directe de l’hôpital, parfois avec pour seul vêtement une jaquette d’hôpital ou, pour seule pièce d’identité, une petite cocarde accrochée au cou :

Il y en a plusieurs qui arrivent complètement désorientés de l’hôpital… j’en ai vu un, il sortait de l’hôpital, il était vraiment magané, il était encore gelé, c’est effrayant. Ils l’ont envoyé en taxi… il a fallu le traîner jusqu’à la cafétéria pour qu’il mange. Le lendemain matin, il ne savait même pas qu’il était arrivé ici. Il a dit : « Ah, mon Dieu, ils m’ont sorti de l’hôpital. » Il n’était même pas au courant. Ce monsieur-là, ils l’ont dumpé ici, il était encore en jaquette, avec son nom accroché dans le cou… le pauvre monsieur, il était complètement perdu.

Depuis récemment, des ententes plus formelles ont été créées avec quelques partenaires issus du milieu hospitalier psychiatrique, afin que le refuge en question réserve un certain nombre de lits aux patients devant quitter l’hôpital, mais ne trouvant pas de place plus adéquate ailleurs dans la communauté (hébergements communautaires en santé mentale, par exemple). On leur transfère ainsi des hommes que l’on juge désormais aptes à vivre sans cure fermée, en attente d’une place plus adaptée. Un projet d’implantation d’une clinique commune aux trois grands refuges à Montréal est à l’ordre du jour, laquelle offrirait des services de santé physique et de soins psychiatriques et serait installée dans un grand local tout juste à côté de l’immeuble du refuge où nous avons mené notre enquête. Ce projet irait d’ailleurs dans le sens de celui proposé par un grand centre hospitalier à Montréal qui souhaiterait regrouper aujourd’hui tous les services de psychiatrie pour les itinérants dans le centre-ville de Montréal. Ce centre, qui s’établirait à l’intérieur d’un hôpital, possèderait des lits pour les itinérants ayant des troubles mentaux, et une équipe offrirait aussi des soins à l’intérieur des refuges[5]. Mais, malgré ces nouvelles ententes et ces projets hypothétiques, les intervenants ont souvent l’impression, pour l’instant, de faire le « sale boulot » des autres partenaires du réseau de la santé et des services sociaux, alors qu’ils se sentent eux-mêmes insuffisamment équipés en matière de compétences, d’obligations (droits conférés à un statut professionnel pour pratiquer tel ou tel acte, comme le dosage de médicaments) et d’effectifs matériels pour accueillir ces personnes et les accompagner à long ou même à moyen terme : « Les hôpitaux nous envoient des cas de santé mentale, ils nous bombardent avec des gens, mais on n’est pas équipés » ; « ils vident tous les hôpitaux, et parce qu’ils savent plus où aller, alors ils viennent ici ».

Ce refuge, et encore plus fréquemment depuis qu’il a mis sur pied à l’intérieur de sa structure un programme d’accompagnement (avec des suivis psychosociaux hebdomadaires, une nouvelle équipe de conseillers en intervention et leur rencontre dite clinique), se retrouve le plus souvent à devoir gérer des cas considérés comme très « lourds » et avec lesquels les intervenants se sentent « pognés », pour reprendre les termes utilisés, allant jusqu’à soupçonner parfois que les médecins des hôpitaux allègent le portrait de leurs patients afin de pouvoir s’en décharger plus facilement. Toutefois, dans l’analyse transversale de notre terrain, ce discours tend aussi d’une certaine façon à se « désinstitutionaliser » lui-même, où ce ne sont plus uniquement les figures spécifiques de la fermeture des hôpitaux ou de « l’ex-psychiatrisé » qui sont au coeur des critiques des intervenants, mais la tendance commune aux diverses instances sanitaires et sociales à se décharger ultimement de leur responsabilité de prise en charge de ces personnes vivant avec une multiproblématique, en leur refilant leurs restes, leurs indésirables, leurs cas considérés comme trop lourds, trop compliqués, bref leurs cas chroniques, ceux qu’on ne peut pas ou ne peut plus garder, faute de place, de moyens ou de temps, car jugés comme ayant « trop de problèmes », « trop de besoins », comme étant toujours « en trop » ou en « surplus ». Surplus qui se manifeste non pas tant en nombre, mais par une charge qui met à l’épreuve leur fonction ou leur utilité : on ne sait rarement quoi faire avec eux, où les placer, on se sent « pris avec eux » ou alors on ne peut que les reléguer et les transférer ailleurs, jetant ainsi un « trouble » transversal dans le réseau des différents domaines sociosanitaires de l’action publique, y compris celui de la santé mentale.

Un univers social historiquement transversal à revisiter

Pour conclure, on peut dire que lorsqu’on se situe dans cet « autre » univers social davantage « fermé » de la santé mentale aujourd’hui, où celle-ci s’allie de manière souvent indissociable et quasi ontologique à d’autres problèmes sociaux divers, le véritable coeur du problème est alors irréductible à un problème technique de réforme politique. Le problème se situe en effet toujours ailleurs. Les dispositifs de décharge qui permettent hier comme aujourd’hui de gérer ces dynamiques de faille profondes et transversales dans l’action publique, comme les deux ressources que nous avons étudiées, travaillent souvent discrètement, au coup par coup, et souvent dans l’ombre des grandes politiques de rattrapage, comme celles de la désinstitutionalisation, qui ont été relancées par tous les gouvernements successifs en France et au Québec depuis les années 1970. Car qui dit multiproblématique ou cas chroniques, peu importe le terme utilisé, dit qu’on est face à des problèmes jugés souvent trop complexes et persistants pour être captés et repris par le filet de ces politiques, malgré leurs tentatives de réformes techniques successives. Or le présent article ne visait pas à reformuler une énième critique des politiques de la désinstitutionalisation car, comme le dit Castel : « Il serait tout à fait mal venu de critiquer d’une manière unilatérale ces politiques. Elles ont à coup sûr évité bien des explosions et bien des drames, même si cette action n’est pas facilement “évaluable”. Ces politiques ont aussi fonctionné comme des laboratoires où s’est expérimenté un redéploiement de l’action publique » (1995 : 690). Si divers travaux ont contribué à une meilleure compréhension des mécanismes de transformation du champ du mental pathologique, que ce soit en France ou au Québec, en montrant comment nous sommes passés de la psychiatrie à la santé mentale, peu encore se sont intéressés, d’un point de vue empirique et généalogique, à l’existence de ces dispositifs a priori hétérogènes, atypiques et limites, comme ceux de notre terrain, mais qui, tout ayant en commun de traiter d’individus qui ne sont ni des populations distinctives ni aux prises avec des problématiques uniques et spécifiques, permettent également, hier comme aujourd’hui, l’exonération souvent temporaire, mais nécessaire, des effets les plus délétères des inégalités sociales et de santé des sociétés démocratiques. L’analyse empirique de ces dispositifs de décharge mineurs, aux limites du lien social et politique, permet d’attirer notre attention sur cet « autre » univers de la santé mentale, moins publique et moins ordinaire, mais qui constitue bel et bien un laboratoire social de redéploiement de l’action publique qui mérite d’être aujourd’hui (re)visité.