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D’une observation participante de neuf mois effectuée dans un centre d’accueil et de crise (CAC), structure psychiatrique permettant d’accueillir sans rendez-vous, d’orienter et d’hospitaliser des personnes du quartier en demande de soins[1], il apparaît que le thème de la souffrance au travail revient souvent lors des entretiens cliniques des patients avec l’équipe soignante. Les patients incriminent les agissements hostiles d’un harceleur, les effets d’une restructuration, ou alors dénoncent des situations intenables au travail. Comme l’ensemble de la société, le champ psychiatrique est aujourd’hui aux prises avec une recrudescence des plaintes liées à la souffrance au travail.

Il existe cependant un décalage entre la manière dont la plainte est mise en mots par le patient et la façon dont il en est rendu compte par l’équipe médicale constituée de psychiatres et d’infirmiers. Lors des réunions cliniques et des réunions de synthèse censées faire le point sur les patients et décider des modalités de leur prise en charge, la souffrance au travail est mise en quelque sorte en invisibilité, si bien que le champ de la psychiatrie semble exclure de fait, et de manière pas aussi paradoxale que cela en a l’air de prime abord, la question de la santé au travail. Autrement dit, celle-ci tend à être dissoute dans la « pathologie mentale », à savoir la maladie mentale au sens classique (hystérie, schizophrénie…), ou, de plus en plus, dans le « trouble mental », c’est-à-dire des symptômes qu’il est difficile de rattacher à une maladie mentale bien répertoriée. Cela est en lien avec l’intégration croissante de la psychiatrie à la santé mentale, comme l’intitulé du rapport de mission ministériel Piel-Roeland, publié en juillet 2001, l’indique : « De la psychiatrie vers la santé mentale ».

Le phénomène que nous avons constaté dans ce CAC nous confronte à un premier paradoxe : comment expliquer cette invisibilisation[2] de la souffrance au travail, alors que cette dernière a gagné en visibilité au tournant des années 2000 avec la médiatisation des notions de souffrance, de violence ou encore de harcèlement moral au travail ? Si l’on interprète cette invisibilisation en termes de « psychiatrisation » du social, on se trouve aux prises avec un deuxième problème : comment expliquer que l’invisibilisation de la souffrance au travail soit considérée comme une forme de psychiatrisation du social, alors même que le gain en visibilité de cette thématique ces dernières années a été interprété comme une forme de « psychologisation » du social, dans le sens d’occultation des origines organisationnelles et socioéconomiques du mal-être au travail ? Comment une forme de « dé-psychiatrisation » peut-elle être interprétée comme une « psychologisation » du social ?

Notre objectif, en adoptant une posture interactionniste qui s’attache à décrire les pratiques professionnelles telles qu’elles sont accomplies quotidiennement et à expliquer les problèmes concrets auxquels les professionnels doivent répondre, vise à comprendre par quels processus cette plainte de la souffrance au travail se trouve ainsi mise en invisibilité, et comment on peut expliquer de tels paradoxes.

Durant notre immersion à mi-temps dans ce CAC à orientation psychanalytique, nous avons participé à la vie de l’institution et à ses activités quotidiennes, à savoir l’accueil des patients, la conduite des entretiens, et les différentes réunions cliniques et réunions de synthèse. Nous avons comptabilisé cinquante-deux patients qui se sont plaints de leur travail lors de l’entretien avec l’équipe médicale constituée généralement du binôme psychiatre/infirmier, et avons identifié deux processus majeurs d’invisibilisation de la souffrance au travail, qui seront l’objet des deux premières parties : invisibilisation par la maladie mentale, et, dans un deuxième temps, invisibilisation de plus en plus fréquente par le syndrome anxio-dépressif, qui est un ensemble de symptômes à la fois anxieux et dépressifs que l’on ne peut rattacher à une maladie mentale au sens classique du terme. Dans un troisième temps, nous verrons que si l’invisibilisation peut être interprétée en termes de « psychiatrisation » du social, cette notion, parfois confondue avec celle de « psychologisation », reste assez vague et générale car ne prenant pas en compte les segments professionnels concurrents et conflictuels internes à la psychiatrie.

L’invisibilisation « classique » par la maladie mentale

Le plus fréquemment (soit dans près de 80 % des cas), la souffrance au travail évoquée par le patient est rendue invisible par le diagnostic de maladie mentale émis par l’équipe médicale. Il apparaît alors que la simple déclaration du nom de la maladie rend inutile le fait d’entrer dans les détails de la plainte du patient.

C’est le cas de Mme A.[3], 33 ans, vendeuse en assurance d’origine asiatique. Lors de l’entretien, son discours est confus et va dans tous les sens. L’on comprend néanmoins qu’elle a une difficulté certaine à être entre deux cultures, ne sachant pas quelle langue utiliser au cours de l’entretien, par exemple. Par ailleurs, ce n’est pas facile pour elle de convaincre les clients de s’assurer, car il faut « vendre la peur ». Voyant sa fille en grande peine de s’exprimer, la mère, présente à l’entretien, vient à la rescousse et résume en une phrase ce qui lui paraît être le malaise actuel : « le boulot n’est pas facile. »

Lors des différentes réunions cliniques, il ne fait aucun doute pour les professionnels que Mme A. est psychotique. Sont mentionnées ses « crises d’angoisse qui débordent beaucoup ». La patiente « a peur de rester à la maison. Elle est délirante, très interprétative ». Après quelques jours d’hospitalisation, son état ne s’améliore guère : « elle reste très maniaque. Elle est plus que délirante », et l’évocation de l’antécédent d’une bouffée délirante qu’a eue la patiente il y a quelques années ne fait que conforter le diagnostic.

Cela est le procédé le plus évident de l’invisibilisation : l’équipe médicale fait abstraction des problèmes professionnels pour ne plus se focaliser que sur les symptômes de la maladie, de sorte que la souffrance au travail se trouve noyée dans la pathologie mentale. Il est même fréquent que la plainte devienne en tant que telle un symptôme alimentant le diagnostic : la plainte concernant le travail est retraduite par l’équipe comme un « vécu persécutif » ; or ce sentiment de persécution fait partie du tableau clinique de la psychose. Ainsi, la plainte de harcèlement moral au travail peut alimenter l’hypothèse d’un « délire de persécution », et donc le diagnostic éventuel de « paranoïa ».

Y compris dans les cas où les problèmes au travail du patient sont évoqués par l’équipe, il faut noter qu’ils le sont de manière succincte, et qu’ils sont rendus invisibles par les hypothèses avancées en termes de pathologie mentale. Il en est ainsi de Mlle B., 28 ans, commerciale, adressée par son médecin traitant.

Après une nuit mouvementée émaillée par des incidents qu’elle provoque en raison de son insomnie, la patiente est conduite le lendemain matin au bureau du psychiatre pour un entretien au cours duquel elle pleure et n’arrive quasiment à rien dire. L’entretien se fait donc avec son fiancé, qui parle des problèmes de travail de sa compagne. « Elle a des problèmes avec sa hiérarchie à cause de bêtises », dit-il. Il décrit l’entreprise où elle travaille comme un « monde peuplé de requins » avec des codes que sa fiancée ne maîtrise pas. D’origine modeste, sa compagne a essayé de tout rendre au centuple à ses parents qui se sont endettés et sacrifiés pour sa formation. Pour elle, rentrer dans cette entreprise prestigieuse était une consécration, c’était justement leur rendre un peu de ce qu’ils lui ont donné, mais finalement l’idéal s’effondre.

Si, lors de la réunion clinique, les professionnels s’accordent sur le fait que cette patiente, qui a multiplié jusqu’à présent les arrêts de travail et est par ailleurs suivie depuis un an au CMP[4] où on lui a prescrit des antidépresseurs, est atteinte d’une pathologie mentale, il reste un doute sur l’origine, neurologique ou psychiatrique, du syndrome : s’agit-il d’un syndrome frontal ou d’une psychose ?

Bien que la plainte concernant le travail soit centrale dans le discours du compagnon, elle est commentée très laconiquement par la formule : « dans un contexte de pression professionnelle ». De plus, l’évocation du travail comme facteur causal est reléguée au second plan par la discussion du diagnostic. En clair, la causalité ici mise en avant est une causalité par les attributs dispositionnels et non situationnels.

Ce type d’explication est bien entendu à rattacher au modèle explicatif psychodynamique utilisé en psychiatrie, selon lequel le psychisme de l’individu est façonné par son histoire infantile. Le présent est lu comme l’actualisation de conflits non résolus du passé, les causes de la souffrance sont à trouver dans l’histoire du sujet. Une causalité rattachée uniquement au travail ne cadre pas avec ce paradigme. Même lorsque le patient invoque explicitement sa situation professionnelle comme facteur causal de son état de santé, ou centre sa plainte sur le travail, la causalité qui domine dans le CAC est de nature intrapsychique. Le diagnostic émis en termes de maladie mentale et de structure psychique explique la plainte et la disqualifie tout à la fois.

De manière générale, les problèmes au travail sont relatés succinctement, par le terme « difficultés professionnelles », avant de s’attacher à formuler des hypothèses sur le diagnostic. L’état de santé du patient n’est pas lié – du moins directement – à des facteurs exogènes, mais ramené au plan intrapsychique.

Contrairement à Mmes A. et B., certains malades le sont depuis longtemps, et sont ainsi bien connus du Centre. Lors des réunions cliniques et des synthèses, ce type de patients, appelés dans le jargon du CAC les « criseurs chroniques », est le plus souvent présenté par la formule : Monsieur ou Madame…, « connu(e) du CAC », ou par l’évocation de la maladie chronique. La chronicité renforce encore l’invisibilisation par la maladie, dans le sens où l’équipe soignante se sent autorisée à moins s’appesantir sur ces cas, puisque ceux-ci sont connus par tous.

Une fois les patients installés dans la chronicité, il est difficile pour eux de se détacher de la place qui leur est assignée. Mme C., la quarantaine, se plaint de problèmes croissants au travail. La problématique de la patiente est noyée dans la chronicité, comme en témoigne le compte rendu effectué par l’équipe lors de quatre réunions cliniques différentes :

RC (Réunion clinique) 1 : Consulte avec menace de passage à l’acte. Hospitalisation à … reprises, plusieurs tentatives de suicide, dont la dernière en… Majoration du conflit au travail. A crisé dans son travail et s’est fait recadrer, ce qu’elle n’a pas supporté. Idées suicidaires, très théâtrale. A balancé son sac et cassé une chaise au CMP.
RC 2 : Interprétative, persécutée dans son travail. On lui prend les projets au dernier moment, ne comprend pas ce qui se passe. Bonne dose de provocation. Traitement sédatif. Était tendue et angoissée. Très triste, pleure énormément, très désorganisée. Est ambivalente : dit que sa psychiatre est nulle, mais elle est en fusion avec elle. Dit qu’elle ne veut pas de traitements, mais en demande quand même.
RC 3 : Vient à nouveau pour cause de problèmes au travail. Le psychiatre, un brin ironique : « Elle est harcelée à la fois par son chef et son subordonné ! » Une infirmière : « On lui reproche de ne pas savoir rédiger une lettre. » Le psychiatre : « La psychiatrie est un terrier de marmottes pour Mme C. »
RC 4 : Reprend le travail la semaine prochaine, mais ça l’inquiète pas mal. Du coup, on programme une hospitalisation de nuit à partir de dimanche soir.

En évoquant le nombre d’hospitalisations et de tentatives de suicide, le cas de Mme C. est d’emblée situé : il s’agit d’une malade chronique. La « crise » au travail de la patiente est mise en correspondance avec sa crise au CMP où elle a « balancé son sac » et « cassé une chaise ». Goffman explique comment l’hospitalisation « roule » le malade, en lui dérobant les moyens d’expression par lesquels les gens prennent habituellement leurs distances à l’égard d’une organisation : faire preuve d’insolence, garder le silence, émettre des remarques à mi-voix, refuser de coopérer, se livrer à des dégradations vengeresses sur le matériel, etc., toutes ces manifestations de refus de l’institution deviennent pour leur auteur autant de signes d’affiliation à l’institution. « Dans ces conditions, toutes les adaptations sont primaires » (1968 : 359). Le personnel de l’hôpital tend à interpréter l’attitude du patient comme relevant précisément de la symptomatologie pour les besoins de laquelle on l’a hospitalisé et y voit la meilleure justification de la situation actuelle du malade. Goffman parle d’ « emprise tyrannique de l’organisation » (1968 : 367), dans le sens où tout comportement apparaît comme symptomatique d’une pathologie lourde, et non comme celui d’une personne qui essaie d’imposer une attitude affranchie du modèle dominant. Ainsi, « les malades sont enfermés dans un véritable cercle vicieux » (Goffman, 1968 : 359).

En soulignant que Mme C. est « très théâtrale », qu’elle a une « bonne dose de provocation », on sous-entend que ses difficultés au travail sont probablement exagérées, ce que confirme le commentaire un brin ironique du psychiatre : « Elle est harcelée à la fois par son chef et son subordonné ! », décrédibilisant de fait le contenu de la plainte. En ajoutant que la psychiatrie est un « terrier de marmottes » pour la patiente, le psychiatre suspecte même cette dernière d’utiliser l’hôpital pour se soustraire à ses obligations professionnelles.

L’objectif de l’équipe médicale est alors de l’accompagner dans cette crise, de la soigner, mais aussi de l’inciter à la reprise d’une vie « normale », et donc à reprendre son travail. Cette perspective de reprise du travail est une source supplémentaire d’angoisse et d’inquiétude pour Mme C., ce qui conduit l’équipe psychiatrique à lui proposer un soutien : elle ira au travail pendant la journée et sera hospitalisée la nuit. Apparaît le rôle pour le moins ambivalent de la psychiatrie, qui est aussi bien un moyen pour le patient de se distancier d’un milieu du travail considéré comme insupportable qu’un soutien pour recommencer à travailler.

Malgré ses incitations, la psychiatrie peut se trouver incapable quant à la remise au travail du patient, car celui-ci est entré dans une « carrière psychiatrique », au sens de Goffman. Les multiples hospitalisations qui accompagnent les rechutes du patient entraînent de fréquents arrêts pour maladie mettant à mal les relations avec les pairs et la hiérarchie, et constituant donc une source supplémentaire d’angoisse qui aggrave l’état de santé du malade. Se met en place un cercle vicieux : ce qui peut amener le malade à aller mieux est, dans le même temps, un facteur d’aggravation de son état, surtout quand le patient ne sait plus quoi inventer pour justifier ses arrêts, dans un contexte où la révélation de tout contact avec le milieu psychiatrique est porteuse de stigmate (Goffman, 1968). La souffrance au travail entraîne un recours à la psychiatrie mais, du fait de ses arrêts pour maladie répétés, le patient augmente involontairement le risque de décupler ses difficultés professionnelles : le soin alimente les sources du mal.

L’équipe médicale doit alors jongler, d’une part, entre la demande de prise en charge du patient qui, plus la perspective de la reprise du travail paraît inéluctable, devient de plus en plus pressante, et, d’autre part, l’objectif d’encourager ce dernier à reprendre son travail. La souffrance au travail peut être telle que certains patients vont, durant les années qui leur restent avant la retraite, avoir tendance à s’emmurer de manière définitive dans la carrière psychiatrique qu’ils ont empruntée des années auparavant. Ainsi, la souffrance au travail et l’entrée dans une carrière psychiatrique s’alimentent mutuellement.

La chronicité des crises du patient permet à certains acteurs de développer leur expertise et de la mettre en avant lors des réunions cliniques : il s’agit des infirmiers, dont la compétence clinique est reconnue sur la base de leur savoir pratique, né de leur expérience et du contact quotidien avec les patients, ce que Velpry appelle l’expertise « expérientielle » (2008 : 118). L’ancienneté permet une connaissance des patients et de leur histoire sur le long terme, et les interventions des infirmiers, en particulier les plus anciens d’entre eux, ont une légitimité certaine. Ainsi, le simple commentaire d’une cadre infirmière qui connaît depuis longtemps une patiente se plaignant de difficultés relationnelles au travail : « Elle doit être insupportable en équipe ! » suffit à disqualifier la plainte de celle-ci.

Ce mode d’invisibilisation par la pathologie mentale est somme toute assez classique, dans le sens où il existe possiblement depuis la naissance de la psychiatrie comme discipline et comme pratique. En revanche, on constate une nouvelle forme d’invisibilisation, minoritaire dans ce CAC mais de plus en plus fréquente, à savoir l’invisibilisation par le syndrome anxio-dépressif, qui n’est pas sans lien avec l’élargissement du champ psychiatrique.

Invisibilisation par le syndrome anxio-dépressif et élargissement du champ de la psychiatrie

L’invisibilisation par le syndrome anxio-dépressif concerne les cas restants (près de 20 % des cas observés). Ce syndrome, qui appartient à la nosographie psychiatrique héritée du DSM, regroupe les états dépressifs ou anxieux, sans qu’un diagnostic de maladie mentale soit posé.

Bien que d’orientation psychodynamique, le CAC n’a pu se soustraire à l’influence grandissante du DSM, qui se veut athéorique et purement descriptif. En effet, ce sont les internes qui rédigent les comptes rendus et en font la synthèse lors des réunions cliniques. Or de par leur formation, ils sont plus au fait du DSM que des travaux psychanalytiques, et c’est ainsi que la classification de ce manuel s’est progressivement diffusée auprès de l’équipe soignante du Centre.

Les troubles anxieux et dépressifs sont souvent mentionnés, dans les comptes rendus, par l’expression : « recrudescence anxieuse dans un contexte de pression professionnelle », comme dans le cas de Mme D., la soixantaine, secrétaire.

L’histoire qu’elle raconte lors de l’entretien paraît très confuse. Son patron lui a demandé de revenir travailler quelques jours, alors qu’elle est en arrêt pour maladie, mais elle dit ne pas pouvoir remettre les pieds dans l’entreprise car sa supérieure hiérarchique la harcèle depuis quatre mois. L’équipe médicale lui conseillant d’aller voir l’inspection du travail pour savoir si elle est obligée d’obéir à son patron, elle se tait pendant un moment, avant d’expliquer qu’elle a en réalité négocié un départ à la retraite, mais qu’elle a accepté de se faire licencier car ça lui rapportait plus. Elle parle de trois mois de préavis, mais ses propos sont difficilement compréhensibles.

Toujours est-il qu’elle est incapable de retourner au travail, se disant traumatisée par les humiliations subies de la part de sa chef, et qu’elle présente le tableau du syndrome de stress post-traumatique : troubles du sommeil, idées obsessionnelles, boule au ventre, irritabilité, retrait de la vie sociale… On lui prescrit des antidépresseurs, mais elle se montre réticente car son frère, déprimé depuis de longues années, est devenu dépendant aux médicaments ; elle sollicite plutôt un arrêt de travail.

Voici le compte rendu qui est fait de cet entretien lors de la réunion clinique :

Se fait harceler depuis quatre mois dans un contexte de départ à la retraite. Devait partir à la retraite, mais elle a passé un contrat avec son patron selon lequel elle devait se faire licencier pour gagner plus. Son patron a changé d’avis, il lui demande de travailler … jours. S’est effondrée car elle ne se sent pas capable d’affronter la femme qui la martyrise. Son patron l’appelle chez elle. Très déprimée, irritable, ne peut plus s’occuper de ses petits-enfants, ne veut plus voir ses amis. Prescription d’antidépresseurs.

Du fait qu’aucun diagnostic de maladie n’est posé, l’on pourrait croire, au premier abord, que les difficultés professionnelles occupent une place centrale. Cependant, même si est évoquée la « pression professionnelle », ou le contexte de « départ à la retraite » dans des conditions difficiles, la causalité n’est pas claire : on ne sait si c’est le travail qui conduit à l’anxiété ou à la dépression, ou si c’est un autre facteur qu’il faudrait chercher plus en avant. La position athéorique du DSM permet, en définitive, de faire l’économie d’un tel questionnement, et d’en rester à la constatation et à la mesure de la gravité du symptôme. Le traitement proposé (prescription d’antidépresseurs, d’anxiolytiques…), y compris lorsque le patient est réticent, comme dans le cas de Mme D., est censé – du moins de manière temporaire – l’aider à faire face. Dans les nombreux cas où une psychothérapie est préconisée, le mal-être au travail est censé être traité et résorbé par un travail sur soi.

Dans certains cas, le patient peut consulter et ne pas revenir, car il estime qu’on ne l’a pas écouté et qu’on ne s’est pas intéressé réellement à ses problèmes. Ainsi, M. E., enseignant d’origine maghrébine d’une trentaine d’années, est adressé par le Centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (CPOA) car il est anxio-dépressif. Informaticien à la base, il a opéré une reconversion comme professeur de français dans un collège, d’abord comme remplaçant, avant d’occuper un poste permanent.

M. E. centre l’entretien sur les relations compliquées qu’il a avec les élèves, qui sont turbulents. Il est débordé par la classe et rumine une peur du passage à l’acte envers un élève. Il dit vouloir même se casser le bras pour ne pas aller au travail, tellement l’idée de refaire cours l’angoisse, envisage éventuellement une nouvelle reconversion professionnelle, et demande une hospitalisation qu’il voit comme un moment de rupture totale avec son environnement.

Face au patient, le premier acte clinique effectué par l’équipe médicale est le recueil de l’anamnèse, à savoir l’histoire de la maladie et la collecte des antécédents personnels et familiaux. Les questions allant dans ce sens ont l’air de gêner le patient. Celui-ci évoque quand même le suicide de son frère il y a quelques années, qui l’a conduit à mettre à distance son milieu familial. C’est d’ailleurs bientôt l’anniversaire de la mort de son frère. Il vit de manière assez isolée, et a de plus tendance à consommer de l’alcool durant le week-end.

Lors du compte rendu, les difficultés professionnelles sont évoquées, mais elles passent au second plan en raison de l’accent porté sur « la rigidité » du patient, qui est décrit comme ne parlant pas de lui et n’ayant « pas de réflexion sur ce qui lui arrive ». N’ayant pas trouvé une indication à l’hospitalisation de M. E., la psychiatre qui l’a reçu l’a laissé partir, tout en lui donnant rendez-vous le lendemain matin. Le patient n’est pas revenu.

Une incompréhension peut parfois naître entre le patient qui estime que son problème est d’abord et avant tout de nature professionnelle et le psychiatre qui fait son travail en essayant de « creuser » et d’amener ce dernier à se dévoiler, dans le cadre d’une forme de « contrat implicite de parole ». Or le patient ne vient pas forcément avec l’idée de raconter sa vie, et peut se sentir incompris quand on l’incite à parler des blessures de son enfance lorsque son problème quotidien est celui d’affronter une classe hostile.

Les professionnels paraissent parfois désemparés face à ce type de patients aux troubles diffus. Ce passage de la pathologie mentale à la notion de « trouble » est la conséquence des évolutions récentes qu’a connues la psychiatrie en France. Un rapport de la MiRe[5] (Golse, 2002) fait état de nombreux changements : augmentation forte et continue du nombre de consultations, complexification des trajectoires des patients, diversification et extension des missions en réponse à des demandes nouvelles, remise en cause de la bipartition claire du normal et du pathologique. Le noyau central de la psychiatrie, historiquement constitué par la maladie mentale, se déplace vers des demandes subjectives de mieux-être, de conseil et d’aide à la résolution de problèmes qui n’ont qu’un lien de plus en plus ténu avec la notion de maladie mentale ou de pathologie. La psychiatrie publique se trouve prise dans un élargissement épidémiologique sans précédent : à côté du noyau historique défini par la maladie mentale, le dispositif s’élargit vers une périphérie dont l’appartenance à la pathologie semble discutable. Le pathologique n’étant plus limité à la maladie mentale, on en est venu à parler de moins en moins de maladie mentale et de plus en plus de troubles mentaux. Les missions de la psychiatrie incluent désormais la prise en charge de troubles psychiques divers, mais aussi de situations de désespoir, de stress, de difficultés de vie qui ne correspondent pas aux tableaux classiques de la psychiatrie.

Si le rapport décrit un champ psychiatrique voué au morcellement théorique et pratique, il note cependant l’émergence d’un nouveau paradigme : il s’agit de la souffrance psychique, la psychiatrie se situant dès lors dans la réponse à cette souffrance. Fassin est ainsi d’accord avec Ehrenberg sur le constat que « la souffrance psychique et la santé mentale symbolisent les bouleversements qu’a connus la psychiatrie depuis les années 1970 » (Fassin, 2006 : 155), et l’épidémiologie montre la stabilité de la maladie mentale, mais le fort développement de la souffrance psychique (troubles anxieux dépressifs et assimilés), qui aboutit à une hausse régulière des consultations (Aïach, 2006 ; Demailly, 2011). Ce nouvel objet redonne de la cohérence interne à la psychiatrie dans la mesure où il permet d’englober toutes les demandes et populations nouvelles. La nouvelle psychiatrie s’intègre désormais à une politique de santé publique qui vise la santé mentale, politique organisée selon deux axes : d’un côté, promotion de la santé, interventions sur les défauts du mieux-être, « amélioration des performances quotidiennes de chaque individu » (Ehrenberg et Lovell, 2001 : 9) ; de l’autre, prévention des risques.

Une psychiatrisation du social ?

Souffrance psychique et psychiatrisation

La souffrance au travail exprimée par les patients du CAC se trouve donc, de manière assez paradoxale, invisibilisée par une autre forme de souffrance, à savoir la souffrance psychique, à laquelle la psychiatrie répond par l’administration de psychotropes et la prescription de thérapies, d’où la thèse que l’on pourrait avancer d’une forme de « psychiatrisation » du social.

Ce terme mérite que l’on s’y attarde à plus d’un titre. Une première raison évidente tient au fait que c’est un néologisme, et que, partant de là, il n’a pas de définition standardisée authentifiée par un dictionnaire. Une précision du terme est d’autant plus nécessaire que ce mot est parfois utilisé sans qu’une définition ou une mise en contexte l’accompagnent, ou alors accolé à d’autres termes – des néologismes eux aussi – pour désigner le même type de phénomènes. On emploiera ainsi indistinctement « psychiatrisation », « sanitarisation », « médicalisation », « psychopathologisation » ou encore « psychologisation » du social, en référence à des réalités assez semblables (Aïach et Delanoë, 1998 ; Bresson, 2006 ; Demailly, 2011 ; Fassin, 1998).

Par psychiatrisation, nous entendons ce que Castel appelle la « psychocratie » (2011 : 47) pour désigner l’ « expansionnisme psychiatrique » ou la « psychiatrie d’extension » qui font du social un grand corps malade dont tous les dysfonctionnements relèveraient de solutions médicales fournies par des psychiatres aux pouvoirs démultipliés.

La sociologie des groupes professionnels a décrit ce phénomène par le concept de « juridiction ». Freidson évoque ainsi l’extension continue de la juridiction de la médecine, faisant entrer un nombre croissant de types de déviances sociales dans la catégorie de maladie, tout à fait indépendamment de l’exactitude démontrable de la conception étiologique et de l’efficacité des modes de traitement. « Au siècle où la maladie sert de définition passe-partout à toute déviance, la profession qui en est le garant est dans sa phase ascendante » (Freidson, 1984 : 248).

Le mode de réponse médical à la déviance est appliqué à des comportements de plus en plus nombreux ; la plupart d’entre eux recevaient des réponses toutes différentes par le passé. Ce qu’on nommait crime, folie, dégénérescence, péché et même pauvreté se définit aujourd’hui sur le mode de la maladie. La juridiction de la médecine est large et s’étend maintenant dans des domaines où régnaient autrefois la religion et le droit, la foi et la politique. La médecine a étendu sa juridiction bien au-delà de sa capacité à s’en occuper de manière efficace. L’ « ivrogne » s’est transformé en « alcoolique », la « nervosité » et les « problèmes » sont étiquetés « maladie mentale ». Un nombre croissant de problèmes ambigus qu’on se met à appeler « maladie » sont des problèmes « médicaux », relevant exclusivement de la juridiction médicale.

Le médecin joue le rôle de ce que Becker appelle un « entrepreneur moral ». Dans les affaires médicales, il cherche et trouve la maladie là où le profane voit quelque chose d’autre, ou des variations individuelles à l’intérieur des frontières larges de la norme. Là où il verra un problème grave, le profane ne verra qu’un problème mineur. « Il a un parti pris en faveur de la maladie, qui le pousse à créer une déviance secondaire – des rôles de malade – là où il n’y avait auparavant que déviance primaire » (Freidson, 1984 : 257).

Traitant plus spécifiquement de la psychiatrie, Abbott a bien montré comment celle-ci a défini avec succès les problèmes de la vie quotidienne comme relevant de sa juridiction, problèmes auxquels elle a argumenté qu’elle pouvait apporter des solutions thérapeutiques (Abbott, 1988). La fin du XIXe siècle voit l’augmentation inattendue du niveau et de l’importance des problèmes personnels, ce qui devient l’objet de revendications professionnelles. Deux professions luttent alors pour conquérir la juridiction des problèmes personnels : le clergé et les neurologues, bataille gagnée par la profession médicale. Les psychologues ont eux aussi tenté de concurrencer les médecins, ainsi que les travailleurs sociaux, mais la profession médicale a résisté, en redéfinissant les problèmes dont elle s’occupe. Une nouvelle concurrence des psychologues et des travailleurs sociaux à la suite de l’explosion de la demande dans les années 1960 a conduit la profession médicale à rebiologiser les problèmes personnels à la fin des années 1970.

En sociologie de la santé, c’est le concept de « médicalisation » (Aïach, 2006 ; Aïach et Delanoë, 1998 ; Conrad et Scheiner, 1992 ; Fassin, 1998a, 1998b ; Gabe, Bury et Elston, 2004 ; Pinell, 2010) qui traduit le mieux ce processus d’extension de la juridiction de la médecine. La médicalisation « consiste à conférer une nature médicale à des représentations et pratiques qui n’étaient jusqu’alors pas socialement appréhendées dans ces termes. Elle est avant tout la redéfinition d’un problème existant dans un langage médical » (Fassin, 1998a : 5). Cette « traduction du social dans le langage sanitaire » (Fassin, 1998b) n’est pas à appréhender simplement comme une conquête professionnelle, elle est une transformation culturelle liée à la rationalisation des conduites (Weber) et à la civilisation des moeurs (Elias) (Fassin, 1998a).

Aïach note le développement d’un processus de médicalisation sociale, par l’extension de la compétence médicale à des problèmes et difficultés d’ordre social et d’ordre psychologique, extension à l’origine du phénomène de psychopathologisation, avec la progression de la déclaration de troubles anxieux et dépressifs. À cette extension, l’auteur impute des causes multiples : revendication par les généralistes d’une compétence dans le domaine « psy », utilisation de plus en plus importante des psychotropes, dynamisme des firmes pharmaceutiques dans leur stratégie de conquête des marchés, diffusion de la vulgate « psy » au sein de la population…, diffusion encouragée par les pouvoirs publics car elle contribue à réguler et à rendre socialement acceptables des tensions à forte charge explosive, que ce soit au plan individuel ou au plan collectif (Aïach, 1998, 2006).

Même si, dans le cas qui nous intéresse, leurs acceptions sont similaires, puisque la « médicalisation » a été utilisée, dans un premier temps, pour désigner l’influence croissante de la psychiatrie dans les années 1960 (Gabe, Bury et Elston, 2004 : 59), le terme psychiatrisation sera préféré à celui de médicalisation, et ce, pour deux raisons principales. Tout d’abord, la place de la psychiatrie au sein de la médecine a toujours été une question problématique, et assimiler les deux contribuerait à reléguer au second plan la spécificité de la psychiatrie (Castel, 2011). Par ailleurs, le mot médicalisation induit une certaine confusion dans le sens où il ne prend pas en compte les conflits internes à la psychiatrie opposant la psychiatrie psychanalytique à une psychiatrie positiviste sujette au retour à l’objectivisme médical (Lézé, 2010), nous situant aujourd’hui dans une position inverse à celle décrite par Strauss dans les années 1960 (Strauss, 1992). Psychiatrisation du social nous semble être le terme le plus adéquat pour désigner les processus par lesquels la souffrance au travail des patients du CAC se trouve mise en invisibilité.

Souffrance au travail, dépsychiatrisation et psychologisation du social

Cette invisibilisation est d’autant plus remarquable qu’elle se produit alors même que le thème de la souffrance au travail gagne en visibilité, grâce notamment aux retombées du succès éditorial et médiatique de deux livres publiés en 1998 : Souffrance en France, de Dejours, et Le harcèlement moral, de Hirigoyen. Le caractère pathogène du milieu professionnel est au coeur du système explicatif de ces deux psychiatres, par la psychodynamique du travail pour le premier, et la notion de harcèlement moral au travail pour la deuxième. La souffrance au travail n’est pas noyée dans la souffrance psychique, elle a droit de cité. En cela, on peut parler d’une forme de « dépsychiatrisation » du social.

Les plaintes liées à la souffrance et au harcèlement au travail occuperont d’ailleurs une telle place dans les médias que les écrits de ces deux psychiatres seront présentés comme alimentant le processus de « psychologisation du social », dans le sens d’une occultation des facteurs organisationnels et socioéconomiques à l’origine de la souffrance au travail (Le Goff, 2003). L’apparition de ces nouvelles thématiques a été interprétée comme dénotant une vision particulière des dysfonctionnements du monde du travail. Le développement croissant d’une culture de l’individu masque les facteurs qui offrent un terreau favorable à la recrudescence des plaintes liées au mal-être au travail. En mettant l’accent sur les dimensions individuelles et interindividuelles des conflits au travail, les notions de souffrance et de harcèlement moral occultent les facteurs sociaux qui sont à la source d’un vécu professionnel difficile, à savoir l’intensification et la dégradation des conditions de travail. L’émergence de ces notions serait ainsi à la fois le reflet et la conséquence d’une forme de « psychologisation » du social.

En clair, la mise en avant de ces thématiques, liée au développement d’une approche centrée sur l’individu dans nos sociétés, dédouane l’entreprise, et plus largement la société, d’un questionnement sur ses pratiques. Ainsi, une forme de visibilisation de la souffrance au travail, c’est-à-dire de « dé-psychiatrisation » est présentée comme une forme de « psychologisation » du social, c’est-à-dire d’invisibilisation des facteurs qui rendent cette souffrance possible. Ce qui est rendu visible d’un côté est dénoncé comme rendant invisible un autre pan de la réalité, et l’on voit que deux termes, considérés comme synonymes la plupart du temps (psychologisation et psychiatrisation), renvoient, dans ce cas précis, à des réalités diamétralement opposées.

Cela est sans doute lié au fait que la notion de psychiatrisation, comme d’ailleurs celle de psychologisation, sont assez vagues et générales, ayant du mal à prendre en compte tout à la fois l’hétérogénéité propre à chaque groupe professionnel, mais aussi les congruences et les rapprochements entre des groupes différents. En d’autres termes, la coexistence de segments intraprofessionnels et interprofessionnels, en concurrence et parfois en conflit (Strauss, 1992), mériterait que ces notions soient à la fois clairement explicitées et mises en contexte pour qu’elles ne perdent pas en puissance explicative.

Conclusion

Nous avons identifié deux processus majeurs conduisant à occulter la souffrance au travail des patients, y compris lorsqu’elle est clairement revendiquée par eux comme étant à l’origine de leur état de santé. Cette souffrance est « résorbée » par le diagnostic de maladie mentale et, de plus en plus, par un syndrome qui a tendance à tout englober : le syndrome anxio-dépressif. La psychiatrie a, avec succès, subsumé les problèmes personnels quotidiens de tout un chacun sous le paradigme de la « souffrance psychique », problèmes qu’elle revendique comme relevant de sa juridiction et pouvant être résolus par elle. De ce fait, la souffrance au travail exprimée par les patients se trouve noyée dans la souffrance psychique, et la réponse qui leur est donnée est le traitement médicamenteux et le travail sur soi. C’est en cela qu’on peut conclure à la thèse, parfois avancée, d’une forme de « psychiatrisation du social ».

Face à l’explosion de la demande en matière de souffrance, et en particulier de souffrance au travail, différents acteurs, tels que les fondateurs/inventeurs de la psychodynamique du travail, ou de la notion de « harcèlement moral au travail », qui sont des psychiatres mettant le vécu professionnel au coeur de leur analyse, se sont disputé la juridiction de ce problème. Mais la demande n’explique probablement pas tout : en rendant la souffrance au travail invisible, la psychiatrie publique a, de fait, ignoré une clientèle potentielle, à qui de nouveaux groupes, y compris dans le champ plus vaste de la profession « psy », ont offert leurs services. En rendant visible la souffrance au travail, ces derniers opèrent une forme de « dé-psychiatrisation » qui, paradoxalement, est considérée par certains comme une forme de « psychologisation », dans le sens d’un masquage des origines sociales de cette souffrance.

On a tendance à utiliser indistinctement des termes comme psychologisation, psychiatrisation, médicalisation… pour désigner en réalité des phénomènes sensiblement différents, voire contradictoires. Ces termes méritent d’être précisés et contextualisés. Il existe plusieurs psychiatries comme plusieurs psychologies, et ces mots ont sans doute du mal à prendre en compte les variations internes à chaque profession. Raisonner en termes de segments professionnels permet de mieux comprendre comment le « marché » de la souffrance est aujourd’hui l’objet de la concurrence de segments plus ou moins délimités et aux formes évolutives plutôt que de groupes professionnels en tant que tels.