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Le présent numéro des Cahiers découle de la Conférence de la Fédération canadienne de démographie qui s’est tenue à l’Université Concordia les 1er et 2 juin 2010 dans le cadre du Congrès annuel de la Fédération canadienne de sciences humaines et sociales. La conférence s’intitulait « L’étude des populations du passé : nouveaux développements et regards interdisciplinaires ». Les textes inclus dans la partie thématique de ce Cahier ont tous été présentés lors de la conférence ; d’autres communications, dont plusieurs portaient sur le thème de la mortalité, feront l’objet d’un numéro spécial de la revue Canadian Studies in Population.

L’étude des populations du passé a connu de nombreux développements depuis une vingtaine d’années. Tous les aspects de notre quête pour comprendre les modes de reproduction de ces populations s’en sont trouvés transformés, qu’il s’agisse des sources utilisées (fichiers de microdonnées tirées des recensements, journaux, registres de mariages, archives notariales et institutionnelles, etc.), des thèmes abordés (la mortalité, l’immigration, les transferts intergénérationnels, la situation des femmes, la démogénétique, etc.) ou encore des méthodes mises en oeuvre pour atteindre cet objectif (analyse biographique des transitions, jumelage de sources variées, analyse de contenu, etc.). La Conférence visait à favoriser la diffusion des résultats de recherche en cours s’inspirant de ces nouveaux développements, particulièrement en ce qui concerne le recours à des sources inédites et la mise en oeuvre de méthodes originales pour les analyser. L’appel à communications accordait également une place centrale à la question des échanges entre l’histoire et la démographie, encourageant des liens plus étroits entre les disciplines afin de maximiser notre compréhension des modalités de reproduction des populations du passé.

Chacun à leur façon, les textes de ce numéro répondent à l’un ou l’autre de ces objectifs. Spécialistes de la démographie, de l’histoire ou de la géographie, les auteurs situent tous leur contribution sur une solide toile de fond historique, qui s’avère essentielle pour comprendre leur propos. S’intéressant aux migrations internes, un sujet particulièrement difficile à saisir pour les populations du passé, Fabrice Boudjaaba utilise pour le canton rural de Plélan-le-Grand en Bretagne les informations contenues dans le registre de mutation par décès, dont le but premier est d’établir la valeur ainsi que la composition des patrimoines des personnes décédées. Le registre contient également le nom et le lieu de résidence de tous les héritiers du défunt, ce qui en fait une source originale pour étudier la mobilité géographique sur deux générations, en fonction de critères tels que la taille des fratries, le sexe de l’héritier et le niveau de fortune de la famille. Toujours en France, Guy Brunet utilise la méthode plus classique des reconstitutions familiales pour mettre au jour une situation à la fois rare et tragique, celle de la Dombes, une région au nord de la ville de Lyon où la croissance naturelle est en situation de déficit en raison des hauts taux de mortalité. Ceux-ci sont principalement le fait d’un environnement sanitaire défavorable lié à la présence malsaine d’étangs dans la région ; cette situation se résorbe d’ailleurs avec l’assèchement des étangs au milieu du xixe siècle.

Les trois textes suivants concernent le Québec. Alors qu’aujourd’hui la question de l’accès aux soins de santé et la privatisation d’une partie de ceux-ci est amplement discutée, François Guérard jette un regard minutieux sur un pan de l’histoire du système hospitalier en étudiant les populations hospitalisées à l’aide des registres d’entrées et de sorties de l’Hôtel-Dieu de Québec et l’Hôtel-Dieu Saint-Vallier de Chicoutimi entre 1881 et 1942. Les hôpitaux desservaient traditionnellement les populations pauvres, mais on assiste durant cette période à la « commercialisation et la médicalisation des services offerts », qui s’accompagnent de changements importants dans la composition des populations hospitalisées et dans leurs modalités d’accès à l’hôpital. L’auteur est également en mesure de suivre les contours des régions desservies par chacun de ces hôpitaux. Dans les deux derniers textes, Hélène Vézina (et ses co-auteurs) et Cédric Ghislain examinent chacun à leur façon la question de la diversité au sein de la population du Québec. Les premiers ont recours à des données génétiques combinées à des informations généalogiques pour réexaminer une question importante de notre historiographie, celle de la contribution des ancêtres amérindiens à la constitution de la population québécoise. Misant sur la complémentarité des deux sources, les auteurs tendent à démontrer qu’une large proportion de la population québécoise d’origine française a des ancêtres d’origine amérindienne ; globalement toutefois, la contribution génétique de ceux-ci au pool génique ne serait pas très élevée. Enfin, Cédric Ghislain met à profit la disponibilité de l’entièreté des microdonnées du recensement de 1881 (accessible grâce au dépouillement des mormons) pour tracer le portrait de l’immigration belge au Canada, un groupe qui n’apparaît qu’en 1901 dans les publications officielles du recensement. Exercice méthodologique et recherche des origines d’un groupe souvent resté dans l’ombre, le travail de Ghislain attire l’attention sur les nombreuses possibilités que recèle l’accès à des microdonnées détaillées pour un ou plusieurs recensements.

Un heureux hasard a voulu que plus d’un ouvrage s’intéressant à l’un ou l’autre aspect de l’histoire des populations soit publié durant la période où ce numéro était en préparation. Nous avons donc saisi cette opportunité pour présenter une section « recension d’ouvrages » qui se situe en lien direct avec le thème du numéro. Lisa Dillon signe la recension d’un important ouvrage de Sherry Olson et Patricia Thornton sur l’histoire de Montréal, fruit de plus de vingt ans de travaux par les deux chercheures. Marie-Eve Harton relate le contenu du plus récent ouvrage de Bettina Bradbury sur la vie des femmes mariées devenues veuves, également en contexte montréalais au xixe siècle. Enfin, Danielle Gauvreau fait la recension d’un ouvrage sur la reproduction émanant de l’imposant projet international Eurasia visant, comme son nom le suggère, à faire la comparaison de sociétés européennes et asiatiques en matière de démographie. Ces trois ouvrages illustrent à merveille la thématique de la Conférence sur les nouveaux développements et regards interdisciplinaires en matière d’histoire des populations. Les auteurs y font preuve d’une inventivité remarquable, qu’il s’agisse de jongler avec des sources variées ou d’utiliser des méthodes novatrices, tout en ne perdant jamais de vue leur objectif premier : comprendre un objet historique dans toute sa richesse et sa complexité.