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Introduction

Ces dernières décennies ont été marquées par des changements radicaux dans l’environnement des entreprises. La diminution des barrières commerciales, l’accélération des opportunités d’affaires et l’intensification de la concurrence (Nummela, 2004) caractéristiques de la mondialisation ont amené les entreprises et les pays à s’adapter à ce nouveau contexte. Les changements de structure et de direction des échanges internationaux constituent l’une des conséquences les plus visibles de la pression exercée par l’environnement sur l’activité économique. Des accords commerciaux signés entre les pays pour éliminer les barrières à l’entrée sur les marchés et favoriser les échanges ont contribué à accentuer le processus d’intégration et de mondialisation (Raynard et Forstater, 2002 ; Kaplinsky et Readman, 2001). Désormais, un nombre croissant d’entreprises est à la recherche de marchés plus vastes pour réaliser des économies d’échelle, développer de nouveaux produits, réduire les coûts de production, conquérir de nouveaux marchés, etc. Même si cette ouverture peut quelquefois mettre en péril leur existence dans la mesure où elle s’accompagne souvent de nouvelles menaces et de risques supplémentaires, elle est jugée par les économistes, les entrepreneurs eux-mêmes et les institutions publiques comme une condition sine qua non de leur compétitivité, bien sûr, mais aussi de leur survie.

Les PME n’échappent pas à cette logique. L’attention qui est portée à leur internationalisation (OCDE, 2004) est proportionnelle à leur contribution à l’activité et à la création de croissance économique. Les PME sont en effet unanimement considérées comme l’une des forces principales du développement économique en raison de leur contribution à la création de richesse et d’emplois aussi bien dans les pays de l’OCDE que dans les pays en développement. Leur rôle dans le premier groupe d’États est bien documenté comme l’atteste le nombre important d’études empiriques menées au Canada (Perrault et St-Pierre, 2008 ; Julien, Lachance et Morin, 2004 ; Baldwin et Gu, 2003), en Angleterre (Kafouros et al., 2008 ; Crick et Spence, 2005), en Australie (Fletcher, 2007), en Nouvelle-Zélande (Dana et Dana, 2004), en Italie (Petruzzellis et Gurrieri, 2008 ; Maccarini, Scalimi et Zucchella, 2004), en Norvège (Moen, 2000), en Autriche (Holzmuller et Kasper, 1991), en Finlande (Saarenketo etal., 2008), en Allemagne (Fryges, 2004), en Suède (Osarenkhoe, 2008) ou, encore, au Danemark (Knudsen et Servais, 2007), etc.

La connaissance approfondie que cette documentation procure sur l’internationalisation des PME dans les pays membres de l’OCDE contraste avec la rareté des travaux empiriques portant sur l’ouverture internationale des entreprises implantées dans les pays en développement. Pourtant, leur contribution est souvent soulignée (Das, 1994). En outre, s’il est devenu courant de lire que l’internationalisation est un facteur d’apaisement du climat international et de prospérité, ces conclusions sont fondées sur un petit nombre de travaux extrêmement parcellaires (Torrès, 2007). Ces lacunes bibliographiques sont particulièrement flagrantes dans les pays du Moyen-Orient et plus particulièrement au Liban, l’ensemble de la région et le pays cité étant pourtant réputés pour leur contribution historique aux échanges internationaux (Braudel, 1977, 1978).

Cet article cherche à combler ce vide bibliographique tout en s’inscrivant dans une actualité économique qui justifie aussi que l’on s’intéresse à cette question. Selon les enquêtes des chambres de commerce et des associations de producteurs locaux, un nombre considérable de PME libanaises se sont lancées à l’international et, en dépit de leur petite taille et de leur manque de ressources, parviennent à conquérir des marchés étrangers. Or, le rôle des facteurs institutionnels, économiques, mais aussi culturels dans la dynamisation de l’internationalisation a rarement fait l’objet d’une étude approfondie. La question de la spécificité éventuelle de l’internationalisation de ces entreprises mérite donc d’être posée. C’est pourquoi, à travers cet article, nous ambitionnons de poser les premiers jalons d’une étude sur les formes de l’internationalisation des PME en l’expérimentant sur le cas du Liban.

La méthode utilisée est classique et construite sur un schéma hypothéticodéductif. Les hypothèses de recherche et un cadre de référence théorique qui décrivent l’internationalisation ont été élaborés à partir d’une revue de la littérature. Ce système hypothéticodéductif est ensuite confronté à des situations empiriques supposées représentatives. Le reste de l’article est donc organisé en trois sections. Dans la première section, nous passons en revue les principaux travaux théoriques et études empiriques qui ont été réalisés en la matière. Dans une deuxième section, nous proposons un cadre conceptuel fondé sur la littérature existante qui correspond à notre lecture personnelle de la problématique évoquée dans le contexte libanais. Enfin, la troisième section teste la robustesse des hypothèses relatives à l’internationalisation des PME dans le cas libanais.

1. L’internationalisation des PME : une revue de la littérature

Le processus d’internationalisation est depuis longtemps au coeur des recherches dans le domaine des affaires internationales (Meyer et Gelbude, 2006). L’internationalisation des PME n’est pas facilement explicable par une seule théorie, car il s’agit d’un phénomène trop vaste et dynamique (Phiri, Jones et Wheeler, 2004 ; Axinn et Matthyssens, 2002) qui, pour des raisons de commodité, a souvent été réduit à la seule question de l’exportation. Or, en accord avec des travaux récents sur la question (Perrault et St-Pierre, 2008 ; Julien, 2008), le centrage exclusif de l’internationalisation sur la pratique de l’exportation est erroné théoriquement et en plus de porter en germe les risques d’une mauvaise orientation des politiques publiques destinées à promouvoir l’ouverture des PME. Suivant en cela Etemad et Wright (1999) et Mtigwe (2006), nous considérons ici que la question de l’internationalisation des PME renvoie à une approche holistique résultant de la prise en compte conjointe de trois écoles de pensée : la pensée incrémentale développée par l’approche béhaviorale, la pensée des alliances avec les théories des réseaux et, enfin, la pensée économique avec les théories des investissements directs étrangers (IDE). La figure ci-dessous décrit comment ces trois écoles se combinent pour contribuer à l’émergence d’une théorie unifiée de l’internationalisation des PME.

Figure 1

Caractéristiques des trois écoles de pensée dans la théorie de l’internationalisation

Caractéristiques des trois écoles de pensée dans la théorie de l’internationalisation

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Les principaux enseignements de ces trois écoles sont exposés dans cette première partie de l’article. Elle vise à relever les principales composantes du processus d’internationalisation, préalable nécessaire à la mise en lumière d’un modèle conceptuel de l’internationalisation des PME libanaises.

1.1. La théorie incrémentale

La théorie incrémentale a fait l’objet de nombreux travaux (Bilkey et Tesar, 1977 ; Cavusgil, 1980, 1984 ; Czinkota, 1982) dont le plus connu est à l’origine du modèle d’Uppsala, basé sur les travaux de Johanson et Wiedersheim-Paul (1975) et formulé par Johanson et Vahlne (1977, 1990, 2003). En se fondant sur les conclusions d’une étude concernant les opérations internationales de quatre entreprises suédoises, Johanson et Wiedersheim-Paul (1975) conceptualisent le processus d’internationalisation comme un processus progressif qui comporte quatre étapes.

Une PME accroît sa présence sur les marchés étrangers progressivement, en évoluant vers des stratégies de plus en plus sophistiquées au gré de l’acquisition de connaissances et d’expérience sur la scène internationale. L’entreprise va commencer par l’exportation puis va procéder à la création de filiales et, enfin, à l’établissement d’unités de production à l’étranger (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975). Cette étude est élaborée sur la base des hypothèses suivantes :

  • L’entreprise est développée sur le marché local.

  • L’internationalisation est la conséquence d’une série de décisions incrémentales.

  • Le terme international fait référence à une attitude de la société envers l’activité à l’étranger ou à la réalisation effective des activités à l’étranger.

Les chercheurs de l’école suédoise ont révélé que la connaissance et l’engagement ont été des concepts centraux pour expliquer la décision de l’entreprise à l’étranger et c’est autour de ces deux concepts que leur processus a été construit (Garzon, 2005). Les entreprises sont dans une situation d’incertitude et cherchent à minimiser leur risque (Cabrol et Nlemvo, 2007) et cette tendance à la prudence va modeler leur engagement sur les marchés extérieurs. L’accumulation de connaissances sur les marchés étrangers permet ainsi à l’entreprise d’augmenter ses capacités d’apprentissage, de réduire l’incertitude et le risque souvent associés aux affaires internationales tout en améliorant sa position à l’égard de ses concurrents et en lui permettant de déceler des opportunités pour d’autres activités d’affaires (Autio, Sapienza et Almeida, 2000 ; Zahra, Ireland et Hitt, 2000).

Cette théorie montre que la plupart des entreprises cherchent à lever la barrière de l’absence de connaissances en pénétrant des marchés étrangers dont les caractéristiques sont proches de celles de leur marché domestique. Cette proximité des marchés, qualifiée de distance psychique[1] ou distance psychologique par Johanson et Vahlne (1977), se définit en termes de différences de langage, de culture, de système politique, de niveaux d’instruction. Comme elle perturbe et empêche l’échange d’information avec les marchés étrangers, l’entreprise va dès lors être amenée à faire ses premiers pas à l’export dans des pays proches psychologiquement, pour ensuite s’engager, avec l’expérience, vers des pays plus lointains.

Cette approche a dominé les théories de l’internationalisation et sa validité empirique a été largement confirmée (Eriksson, Majkgard et Sharma, 2000 ; Hutchinson, Alexander et Quinn, 2005). Toutefois, avec le développement des marchés internationaux et les activités liées à l’internationalisation des entreprises, les limites de cette théorie à expliquer certains comportements des PME à l’international ont ouvert la voie à d’autres approches (Gemser, Brfaud et Sarge, 2004 ; Hutchinson, Alexander et Quinn, 2005 ; Li, Li et Dalgic, 2004, cité par Laghzaoui, 2006). Les critiques sont multiples ; il ne s’agit pas ici de les présenter en détail, mais de montrer sur quels points elles se sont concentrées et comment les théories alternatives ont cherché à les éviter. Elles portent sur :

  • son incapacité à prendre en compte la dimension entrepreneuriale dans le processus d’internationalisation (Etrillard, 2004) ;

  • son déterminisme (Johanson et Vahlne, 1992) ;

  • son impuissance à traiter du cas des entreprises « nées globales » qui s’internationalisent dès leur naissance (Torrès, 2004) ;

  • son attention quasi exclusive sur l’exportation vue comme une activité indépendante du portefeuille d’activités de l’entreprise (Ageron et Huault, 2002) ;

  • son manque de considération pour le scénario de dés-internationalisation (Axinn et Matthyssens, 2002 ; Bigler et Nyffeler, 2006) ;

  • son échec à définir les conditions du passage d’un stade du processus à l’autre, ce qui empêche de penser correctement l’échec puisque l’internationalisation devient de fait présentée comme un engagement quasi automatique vers une étape ultime : la Firme multinationale (Ageron et Huault, 2002 ; Bigler et Nyffeler, 2006 ; Pantin, 2006) ;

  • etc.

Malgré ses limites, l’approche de l’école suédoise est encore considérée comme la première à avoir proposé une explication du processus d’internationalisation en tant que tel. Cette approche s’inscrit davantage dans le cas des entreprises « classiques » dont le succès à l’étranger dépend de l’accumulation de connaissances pour diminuer le risque. Avec le temps, on s’est aperçu qu’elle ne correspondait guère à la situation rencontrée par la plupart des PME. C’est dans le but de mieux coller à la réalité des entreprises de dimension petite et moyenne que s’est développée la théorie des réseaux.

1.2. La théorie des réseaux

Selon Johanson et Vahlne (1990), l’approche des réseaux doit être considérée comme une perspective prolongée du modèle Uppsala. Elle voit l’internationalisation comme un processus de connaissance du marché et le développement d’une entreprise focale avec d’autres acteurs des marchés étrangers (Johanson et Vahlne, 1990, 2003, 2006). Ils considèrent le processus de façon intraorganisationnelle et interorganisationnelle (Khayat, 2004). Les réseaux sont ainsi divisés dans un système de rapports d’échange entre les acteurs industriels et le système de production où les ressources sont employées et développées dans la production. La perspective de réseau introduit un élément multilatéral plutôt qu’unilatéral dans le processus d’internationalisation.

Cette approche explique la formation d’accords internationaux par l’appartenance des dirigeants et des entreprises à des réseaux. En effet, les liens formels et informels des dirigeants avec d’autres individus jouent un rôle important dans l’internationalisation des entreprises, notamment par les informations qu’ils procurent (Casper, 2007 ; Stuart, Ozdemir et Ding, 2007 ; Harris et Wheeler, 2005). Dans ce cas, le processus de l’internationalisation est le résultat des comportements et des choix d’entrepreneurs influencés par les relations formelles et informelles qu’ils nouent avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise (Gemser et al. 2004, cité par Laghzaoui, 2006). Selon le degré d’implication de l’entrepreneur dans un système réticulaire, deux formes possibles de stratégies peuvent être revevées : l’une dite en « cavalier seul », l’autre qualifiée de coopérative (Laghzaoui, 2006).

Différents auteurs (Pacitto, 2006 ; Julien, 2005 ; Li, Li et Dalgic, 2004) ont montré les répercussions positives des réseaux sur le développement international des PME. Ils permettraient en particulier de compenser leur déficit de ressources. La figure suivante met en évidence les principales caractéristiques d’un système de réseaux industriels.

Figure 2

Caractéristiques d’un système de réseaux industriel

Caractéristiques d’un système de réseaux industriel
Source : Adaptée de Johanson et Mattsson (1992).

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Johanson et Vahlne (2006) ont concentré leur analyse sur l’engagement en réseau ou entre partenaires et étudient la manière dont cette implication dans un collectif contribue à réduire l’incertitude et à développer des occasions d’affaires, l’un et l’autre de ces éléments se révélant profitables pour l’entreprise. Deux propositions sont avancées par ces auteurs. La première est que le développement d’opportunités sur un marché est positivement lié aux engagements mutuels avec les entreprises qui y sont déjà implantées. La deuxième proposition est que le développement d’opportunités dans un pays est positivement rattaché au réseau d’entreprises qui sont intercalées entre l’entreprise et le marché ciblé. À ce propos, Knight et Cavusgil (2004) soulignent que le rôle croissant des réseaux au sein des PME facilite une internationalisation précoce, rapide et substantielle, notamment pour les PME avec une avancée technologique.

En résumé, la théorie des réseaux apporte une compréhension élargie des motifs qui poussent les PME à conclure des accords avec d’autres entreprises locales ou étrangères. Le réseau procure des avantages informationnels qui prédisposent les entreprises à développer leur présence internationale. De plus, la position de l’entreprise au sein de ce réseau influence sa capacité à collaborer et les partenaires qui lui sont accessibles. Ainsi, l’approche réseau nous renvoie à un concept important, à savoir le « capital social », qui initialement est apparue dans les études sociales des entreprises. Le concept de capital social, appliqué récemment à un large éventail d’études sur l’organisation, est souvent défini comme « la somme des ressources auxquelles une entreprise peut accéder ou mobiliser, en vertu de la possession d’un réseau de relations durables » (Yli-Renko, Autio et Tontti, 2002, p. 282 ; traduction libre). Reprenant cette définition, Arenius (2005) a ainsi montré que les entreprises qui s’internationalisent peuvent utiliser leur capital social pour accéder à des informations pertinentes et l’accès à ces informations se révèle moins coûteux et plus efficace que lorsqu’elles sont obtenues par la mobilisation de mécanismes formels.

En poussant cette idée, on peut inscrire la théorie des réseaux dans une logique qualifiée de « lobbyienne » qui traite plus particulièrement des entreprises qui s’internationalisent après être passées par une phase de forte concentration sur le marché local. Leur ouverture internationale s’explique alors par la combinaison d’un choc ou d’une opportunité exogène à laquelle elles répondent en mobilisant leurs ressources. Loin d’être séquentielle, l’internationalisation de l’entreprise s’effectue, « grâce à un événement déterminant, comme le développement d’un réseau de relations ou l’achat d’une autre entreprise ayant un réseau de relations déjà établi, qui lui apporte des ressources informationnelles et financières supplémentaires » (Bodolica et Spraggon, 2006, p. 5). La contextualisation de la stratégie d’internationalisation de la PME à travers la prise en compte des réseaux d’acteurs auxquels participe le dirigeant permet de mettre en évidence l’importance du milieu comme élément déterminant des choix individuels. Elle ne suffit cependant pas à expliquer les différences sectorielles ou géographiques que seule l’introduction de phénomènes macroéconomiques permet d’analyser. C’est à cette fin que les spécialistes de l’internationalisation des entreprises se sont tournés vers les théories des échanges internationaux.

1.3. L’approche économique (IDE)

L’école de pensée économique à laquelle les auteurs cherchant à éclairer le processus d’internationalisation des PME empruntent le plus souvent est la théorie du commerce international et, plus particulièrement, la partie qui concerne les investissements directs étrangers (IDE, par la suite).

Un investissement direct étranger désigne un investissement qui vise à acquérir un intérêt durable dans une entreprise exploitée dans un pays autre que celui de l’investisseur, le but de ce dernier étant d’influer effectivement sur la gestion de l’entreprise. Loin d’attendre d’avoir accumulé de l’expérience sur des marchés de proximité, l’entreprise va s’internationaliser créant ou acquérant un site de production dans un pays autre que son pays d’origine. Souvent, les entreprises de ce type créent leurs filiales à l’étranger sans faire appel à des partenaires locaux ni mobiliser les ressources d’un quelconque réseau (Bodolica et Spraggon, 2006). Les raisons de cette stratégie sans alliance s’expliquent par la recherche des bénéfices que peut procurer une distribution asymétrique de l’information. La divulgation aux membres d’un réseau de renseignements relatifs aux actifs ou aux produits de l’entreprise potentiellement internationalisée risque en effet d’entamer sérieusement l’avantage comparatif si chèrement acquis.

À partir de ce schéma global, les tenants d’une théorie de l’internationalisation empruntant à la théorie des IDE vont envisager l’entreprise comme une combinaison de ressources hétérogènes, imparfaites et mobiles (Alvarez et Lowell, 2001 ; Barney, Wright et Ketchen, 2001). Les différences de performance entre les firmes sont alors dues à l’hétérogénéité des combinaisons de ressources possibles (Dyer et Singh, 1998) et à la disponibilité ou l’accessibilité des ressources nécessaires à la mise en place du processus de production. Même si les organisations ne sont pas en mesure de générer à l’interne l’ensemble des ressources ou des fonctions essentielles pour prospérer et croître (Doz et Hamel, 2000 ; Dussauge, Garrette et Mitchell, 2000), elles parviennent à accumuler quelques ressources clés à l’intérieur de l’entreprise. Celles-ci sont alors perçues comme des avantages concurrentiels qu’il convient de protéger, notamment en refusant de les partager. C’est par l’accent qu’elle met sur cette notion d’avantage comparatif qu’il est possible de rapprocher cette démarche de la vaste catégorie de la théorie des IDE (Etemad et Wright, 1999, cité dans Bodolica et Spraggon, 2006).

Parmi les sources d’avantages concurrentiels dont dispose la firme, les actifs intangibles jouent un rôle particulier que différents auteurs ont cherché à préciser et à combiner avec la stratégie et la structure de l’organisation (Fligstein, 1987 ; Dunnig, 1983). La marque commerciale, les brevets, l’accès privilégié aux sources d’approvisionnement, la possibilité de réaliser des économies d’échelle constituent alors autant de facteurs qui justifient la présence d’une entreprise sur un marché étranger et qui sont fortement liés ; leur incorporation à l’analyse est à l’origine de l’identification de deux sortes d’avantages (Dunning, 1983) :

  • Les premiers, liés aux imperfections structurelles des marchés sont propres à l’entreprise et lui permettent de se distinguer des firmes concurrentes.

  • Les seconds, centrés sur les imperfections transactionnelles, sont relatifs et se traduisent par l’obtention de gains liés à la réalisation même des opérations d’échange.

D’après Joffre (1994), la préférence actuelle des entreprises occidentales, y compris des entreprises débutantes sur un plan international pour cette forme d’IDE, s’explique essentiellement par quatre raisons liées à la rapidité, au risque, à la sous-capitalisation des entreprises cibles et enfin à la nécessité de contourner d’importantes barrières à l’entrée.

Ces stratégies sont d’autant plus fréquemment rencontrées que la mobilité intrinsèque de la connaissance permet de bénéficier d’une plus précoce et plus rapide internationalisation pour des entreprises « nées globales » (Ramadan, 2008). Oviatt et McDougall (2004, 2005) ont défini les entreprises « nées globales » comme des organisations qui depuis leur création visent à tirer un avantage concurrentiel significatif de l’utilisation des ressources et de la vente dans plusieurs pays. L’apparition des entreprises « nées globales » soulève des questions quant à la validité et à l’efficacité des théories existantes, particulièrement la théorie par étapes. Ces entreprises ne semblent pas suivre une longue période de croissance des entreprises dans le marché intérieur avant l’entrée initiale dans des marchés internationaux, n’entrent pas toujours dans les marchés étrangers graduellement selon le concept de distance psychique et ne suivent pas nécessairement les étapes de développement en termes de mode d’entrée.

Les théories présentées précédemment nous donnent une idée de la diversité des formes et de la complexité du processus d’internationalisation des entreprises (Andersson, 2000). L’écartèlement théorique des travaux mentionnés explique d’ailleurs qu’à ce jour, il n’existe pas de théorie unifiée de l’internationalisation des PME. La difficulté à faire émerger un modèle unique est encore renforcée par les spécificités institutionnelles et locales qui contribuent fortement à la détermination des choix des entreprises. Les facteurs liés au développement international des PME sont différents d’un pays à l’autre. Seule l’analyse empirique nous semble à même d’apporter un éclairage in situ du processus d’internationalisation ; telle est donc la posture méthodologique que nous allons adopter dans la partie suivante.

2. Construction d’un cadre stylisé de l’internationalisation des PME libanaises

À travers cette partie, il s’agit de construire un cadre d’analyse permettant de déboucher sur une vérification empirique dans le cas libanais. L’approche de l’internationalisation ici présentée tient compte du contexte dans lequel la vérification empirique va s’effectuer. À cette fin, après avoir rappelé les principales caractéristiques de l’organisation économique, politique et sociale du pays (2.1) nous présenterons le cadre conceptuel de notre recherche (2.2).

2.1. Le Liban, une économie internationalisée

L’économie libanaise se présente comme un système ouvert et libéral. Avant le déclenchement de la guerre civile en 1975, elle était reconnue comme l’une des plus dynamiques et stables dans le Moyen-Orient. La guerre a eu un impact dévastateur sur le pays et son économie. Cet impact réside principalement dans les importants dommages causés aux personnes, à leurs biens et aux infrastructures. Le coût de ces dommages a été estimé à environ 20 milliards de dollars (Ministère de l’Économie et du Commerce, 2005), ce qui est source d’un important déficit budgétaire que le pays peine à combler. L’atteinte de l’équilibre est d’autant plus difficile à envisager que le pays souffre, depuis plus de 40 ans, d’un déficit commercial relativement important. Durant la période d’après-guerre, les déficits extérieurs ont accompagné la reconstruction et le développement de l’activité économique. À partir de 1998, le déficit commercial, après avoir atteint un niveau record de 41 % du PIB en 1997, a progressivement diminué pour atteindre 29 % du PIB à partir de 2003. En dépit de l’augmentation continue des exportations, le déficit commercial s’est creusé à nouveau à partir de 2004 sous le coup de la hausse du prix du pétrole notamment. Depuis lors, la situation de l’économie n’a pas connu d’amélioration significative malgré les efforts réalisés pour renforcer le secteur productif.

L’objectif du Liban est de promouvoir la dynamique et la croissance nationales grâce à un secteur privé compétitif, des investisseurs dynamiques mais également des créations d’emplois, des efforts significatifs en matière d’innovation, d’internationalisation et d’amélioration de la productivité. Ce secteur est considéré comme le moteur de la croissance pour l’économie libanaise et véhicule l’image de cette dernière sur le plan régional et international. Le Liban s’est engagé dans un processus de réforme de la politique économique, de modernisation industrielle et agricole, d’amélioration du climat d’investissement, d’ouverture du marché intérieur et d’intégration dans l’économie mondiale (Corm, 2005) ; les efforts ont payé. Durant la guerre contre Israël, le secteur privé a correctement résisté, déployant des stratégies remarquables pour continuer d’approvisionner toutes les catégories de la population et toutes les régions du pays dans les circonstances les plus difficiles. Afin de consolider le secteur privé grâce à une plus grande implication institutionnelle internationale, le pays a conclu un accord d’association avec l’UE en 2002, entré en vigueur le 1er mars 2006. L’objectif à terme pour le Liban est l’adhésion à l’OMC.

Pour autant, le chemin à parcourir risque d’être long. Comme la plupart des pays méditerranéens, le Liban souffre d’un retard de développement du secteur secondaire tandis que le secteur tertiaire (le tourisme en particulier) reste le secteur moteur de l’économie. Le dernier recensement effectué au Liban par l’administration centrale de la statistique (ACS) en 1996 a montré que la structure par taille et par secteur est très asymétrique. Le Liban est principalement composé de très petites unités. Sur les 199 450 entreprises dénombrées, seules 377, soit 0,2 % du total, ont plus de 100 employés, un peu moins de 6 000, soit 3 % du total, emploient entre 10 et 100 employés, 10 687, 5 % du parc, comptent entre 5 et 10 salariés, tandis que 175 786, soit 88 % du parc, font travailler moins de 5 salariés. L’équilibre n’est pas plus atteint du point de vue sectoriel. Sur le total des firmes dénombrées, 64 % sont actives dans les secteurs du commerce et des services, 12 % dans l’industrie, 10 % dans l’agriculture et 7 % dans le secteur touristique. Ces chiffres illustrent la prépondérance des très petites entreprises du tertiaire dans l’économie locale. D’autres permettent de mieux la cerner puisqu’ils mesurent leur contribution à la richesse nationale. Actuellement, les PME libanaises de moins de 20 employés représentent 75 % des emplois permanents et 60 % de la valeur ajoutée[2].

Une étude financée par l’UE par le biais du programme MEDA et réalisée par le Conseil économique et social au Liban a conclu, après avoir analysé en détail les résultats du recensement de 1996, que l’un des principaux problèmes qui affectent la performance de l’économie libanaise réside dans les PME. Mal, voire pas du tout, intégrées dans l’économie mondiale, peu intégrées dans les chaînes de valeur faute d’avoir su relever le pari de la sous-traitance et, par voie de conséquence, peu liées aux grandes entreprises nationales et internationales, les PME libanaises resteraient à l’écart des grands mouvements économiques mondiaux. Le marché local, et même micro-local pour la plupart d’entre elles, semble être le seul sur lequel ces entreprises travaillent. On peut s’interroger sur la question de la pertinence de ce constat tant le Liban est réputé pour sa diaspora et l’aptitude de ses entreprises à commercer dans le monde entier. Afin de contribuer à trancher entre ces deux points de vue possibles, l’un provenant d’expertises récentes, l’autre devant davantage à l’histoire et à la notoriété, nous avons cherché à intégrer les différentes approches de l’internationalisation évoquées dans la première partie de ce travail dans une démarche qui sera par la suite soumise à l’épreuve des faits.

2.2. Le cadre conceptuel de la recherche

Afin d’apporter une réponse à la question des modalités de l’internationalisation des PME libanaises, nous avons construit un cadre conceptuel qui prend en compte les structures au sein desquelles les PME élaborent leurs stratégies et les modalités de déroulement de leur processus d’internationalisation. À partir d’une étude préalable sur le sujet (Ramadan, 2008), nous élaborons le schéma général de la PME libanaise internationalisée.

Le premier élément qui apparaît lorsqu’on examine la situation des PME libanaises concerne l’ambiguïté de leur situation dans leur marché. Très localement ancrées, car liées à des ressources tangibles et intangibles disponibles sur leur territoire d’implantation, les PME libanaises se révèlent aussi largement tournées vers les marchés extérieurs, et ce, de multiples manières bien que l’exportation demeure la voie royale pour participer au processus d’échange avec des partenaires implantés sur des marchés étrangers. Il semble donc tout à fait légitime de considérer que les PME libanaises relèvent du modèle « classique » dans lequel l’exportation, forme la plus aboutie et souvent la seule citée de l’internationalisation, intervient à l’issue d’un processus long et incrémental caractérisé par l’adoption d’une stratégie prudente dans laquelle la firme procède par étapes. Chacune de ces étapes signifie pour les entreprises un engagement croissant sur les marchés étrangers, tant sur le plan des ressources mobilisées (d’un engagement léger et flexible vers des modalités plus lourdes et irréversibles) que des pays visés (des pays géographiquement et psychologiquement proches vers des pays plus éloignés). Ce processus incrémental est régulé par deux facteurs principaux qui interagissent. Lorsqu’une ressource est engagée sur un marché international, cela déclenche un processus d’apprentissage par le truchement de la confrontation de l’entreprise aux conditions du marché étranger. Ainsi, ce processus d’apprentissage résulte de l’accumulation de connaissances sur l’organisation des marchés étrangers (Tortellier, 2005). Nous pouvons donc constater que le processus d’internationalisation des PME libanaises s’inscrit dans la tradition du modèle d’Uppsala.

Cependant, d’autres éléments nous conduisent à nuancer ce premier résultat. Les PME libanaises engagées à l’international bénéficient de la présence d’une importante diaspora libanaise à l’étranger. Deux stratégies sont alors mises en oeuvre eu égard à ce qui peut être considéré comme une ressource à l’origine d’un avantage comparatif particulier : soit que les entreprises implantent une filiale dans un pays où la présence de la communauté libanaise est forte, soit que le lobby libanais apporte aux PME locales des contacts pour qu’elles s’orientent vers de la sous-traitance pour des grandes entreprises multinationales. Vues ainsi, les PME libanaises tendent à se rapprocher du modèle « lobyyien » puisqu’elles demeurent un certain temps sur le marché local, mais qu’elles savent aussi saisir les occasions de développer leur présence à l’étranger grâce à la communauté libanaise qui y est implantée. La détention et la possibilité d’activation d’un « capital social » deviennent alors les éléments clés d’une création de valeur qui doit beaucoup à l’élaboration d’actions en commun avec les membres du réseau. C’est en cela qu’il nous est apparu indispensable de faire mention de la théorie des réseaux comme cadre conceptuel de référence pour notre approche.

Finalement, il ne semble pas exister de stratégie unique pour l’ensemble des PME internationalisées. Chacune présente une forme de développement à l’international qui lui est propre (Cheylan-Haccuria, 1996). Certes, un bon nombre de PME commencent à travailler avec des partenaires étrangers, mais néanmoins proches et s’éloignent progressivement de leur base productive. Nombre d’entreprises dérogent toutefois à cette règle. Certaines s’internationalisent vite et prennent position sur les marchés lointains au début de leur cycle de vie. En réglant la focale sur ces cas, nombreux, mais significatifs, il apparaît que les entreprises qui les alimentent sont en général orientées vers la technologie et possèdent une dimension innovante incontestable. Et surtout, « c’est peut être une des raisons de l’intérêt particulier accordé à ces entreprises, ce sont des entreprises à forte croissance ou, en tout cas, à très fort potentiel de croissance » (Rossi et Baldegger, 2006, p. 41) qui savent tirer parti de leur environnement économique et institutionnel qui pourraient agir comme des contraintes pour d’autres. Font partie de ces variables externes la taille réduite du marché, les politiques publiques mises en oeuvre dans le domaine technologique, les aides et subventions en provenance d’organisations internationales et de l’Union européenne plus particulièrement[3], les ressources financières injectées par les fonds d’investissement des pays du Golfe qui préfèrent investir au Liban pour des raisons de proximité culturelle et parce que la main-d’oeuvre y est plus qualifiée que dans les pays voisins. À la lumière de ces déterminants, l’existence d’un noyau de PME libanaises « nées globales » nous paraît des plus justifiées.

La figure 3 ci-contre résume le cadre général de notre démarche. Inspirée des travaux de Bodolica et Spraggon (2006), elle met en évidence les relations existant entre les différentes composantes du modèle : les entreprises selon leur type, leurs processus et stratégies d’internationalisation, les références théoriques qui permettent d’éclairer leurs choix et enfin les hypothèses de recherche proposées.

Figure 3

Modèle conceptuel de l’internationalisation des PME libanaises

Modèle conceptuel de l’internationalisation des PME libanaises

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Des trois approches théoriques du processus d’internationalisation des PME est tiré un ensemble de six hypothèses liées aux origines de l’internationalisation, à ses modalités de réalisation et au contexte qui entoure sa démarche. Elles sont regroupées selon le niveau auquel émergent les facteurs qui structurent l’orientation internationale de l’entreprise :

  • Le niveau « Opérationnel » concerne les facteurs liés, d’une part, à l’expansion internationale vers les marchés qui ont une proximité psychologique et culturelle avec le marché local de l’entreprise et, d’autre part, à l’expérience internationale de l’entreprise (hypothèses 1 et 2).

  • Le niveau « Organisationnel » a trait aux facteurs liés à la participation de l’entreprise aux réseaux et au type d’activité que mène l’entreprise qui s’internationalise (hypothèses 3 et 4).

  • Le niveau « Contextuel » fait référence aux facteurs liés à l’environnement de l’entreprise dont l’internationalisation peut résulter de la volonté de s’affranchir de la petitesse du marché national ou des incitations proposées par les organismes consulaires (hypothèses 5 et 6).

Ces hypothèses font l’objet d’une validation empirique dont la méthode et les résultats sont exposés dans la partie suivante.

3. Analyse factuelle

Cette partie teste la validité des six hypothèses précédentes dans le contexte libanais. En se familiarisant avec le terrain de recherche, on peut en effet conforter certaines propositions théoriques, clarifier la problématique de recherche et préciser les questions et les items qui doivent faire partie du questionnaire principal, instrument essentiel de la stratégie de collecte de données. Le plan d’action empirique a été dicté par les besoins de la recherche. L’approche quantitative par enquête afin d’observer le terrain a ainsi été privilégiée puisque la vision et les objectifs du dirigeant déterminent en grande partie l’ouverture de la PME à l’international. Un questionnaire semi-directif a été adressé aux dirigeants de 635 entreprises : 105 ont accepté d’y répondre. Les réponses ont été recueillies dans le cadre d’entretiens sur site réalisés au cours des mois d’avril 2006 et janvier 2007. Après validation et codage, elles ont été exploitées à l’aide d’une analyse factorielle, méthode statistique désormais largement répandue dans les sciences sociales (Saporta, 2006). Elle permet de mettre en évidence des similitudes entre des individus étudiés selon un ensemble de caractéristiques pertinentes pour l’analyse et la définition d’une zone de similitudes acceptables (ibid.). Les résultats obtenus peuvent alors être interprétés à la lumière des travaux antérieurs et des observations réalisées.

La structure de l’échantillon par taille et par secteur est présentée dans le tableau 1 ci-dessous. La taille de l’entreprise correspond au nombre de personnes employées en 2006.

Tableau 1

Répartition des entreprises par taille et par secteur

Répartition des entreprises par taille et par secteur

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L’échantillon est essentiellement composé d’entreprises employant de 10 à 49 personnes (63 entreprises), tandis que les entreprises moyennes de 50 à 249 employés comptent pour à peu près un tiers. Il ne compte en revanche que 12 microentreprises qui se caractérisent par un nombre d’employés inférieur à 10 personnes.

Le questionnaire contient cinq sections qui concernent :

  • les caractéristiques de l’activité de société,

  • les réactions de l’entreprise face au ralentissement économique,

  • la coopération entre les PME,

  • la dynamique de l’activité internationale des entreprises

  • et le partenariat entre les pays méditerranéens et l’Union européenne.

Les réponses collectées ont été codifiées et statistiquement analysées. Nous avons pour ce faire utilisé le logiciel SPAD qui est le mieux adapté à la nature des données et qui est dédié à l’analyse factorielle. Ce logiciel contient les routines nécessaires à la réalisation de l’ensemble des analyses et tests statistiques utilisés dans ce travail. Les résultats sont présentés en regroupant les hypothèses qui concernent le même niveau d’analyse.

3.1. Niveau opérationnel

Il s’agit d’abord de savoir si l’idée d’une internationalisation séquentielle selon laquelle la PME commence ses activités internationales sur les marchés qui sont plus proches psychologiquement et culturellement est validée. Le graphique 1 montre que le modèle d’Uppsala présente un certain degré de pertinence et qu’il permet de différencier les entreprises selon leur engagement à l’exportation.

Ce graphique illustre les caractéristiques du marché cible des PME libanaises. Deux groupes d’entreprises peuvent être clairement identifiés. Le premier sous-ensemble (groupe A) regroupe les entreprises plutôt moyennes (20 à 249 salariés) et âgées (entre 20 et 49 ans), internationalisées par un processus progressif dominé par la proximité géographique (PRO GEO) et culturelle (PRO CUL) comme clés d’entrée sur les marchés étrangers. Le deuxième sous-ensemble (groupe B) inclut les petites entreprises (0 à 9 salariés) non exportatrices qui préfèrent pour le moment, d’une part, ne pas prendre le risque des marchés étrangers même dans le cas de proximité géographique ou culturelle et, d’autre part, développer leurs activités sur le marché local. La proximité géographique apparaît donc importante pour comprendre certains processus d’internationalisation, en particulier pour les entreprises situées dans des pays frontaliers (Savoye, 1994). Comme beaucoup de PME, les entreprises libanaises amorcent leur processus d’internationalisation en attaquant des marchés proches psychologiquement et culturellement. À partir de ce résultat, nous constatons que les PME libanaises de type « classique » s’inscrivent dans cette direction, elles sont ancrées dans le marché local et cherchent à pénétrer le marché étranger en prenant en considération les facteurs psychologiques et culturels qui résultent de la position géographique du Liban. Petit pays stratégique à l’entrée du Moyen-Orient avec une côte de 200 km sur la Méditerranée, le Liban est également une porte pour le commerce international notamment avec les pays du Golfe et les autres pays arabes, proches géographiquement et culturellement.

Graphique 1

Le marché cible des PME libanaises

Le marché cible des PME libanaises

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Il s’agit ensuite de voir comment l’expérience de l’entreprise peut être valorisée à travers son engagement international. Si tel est le cas, on doit trouver une forme de corrélation entre l’expérience des entreprises et leur degré d’internationalisation. C’est ce que montre le graphique 2.

Graphique 2

Les niveaux d’expériences internationales des PME libanaises

Les niveaux d’expériences internationales des PME libanaises

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Il apparaît ici que l’internationalisation constitue l’une des composantes de la stratégie d’expansion de l’entreprise. Néanmoins, l’incertitude liée aux marchés étrangers la pousse à choisir une exportation indirecte qui lui permet de bénéficier de l’expérience de ses intermédiaires pour réduire cette incertitude. Si l’entreprise capitalise des expériences internationales, elle aura recours à une autre modalité que l’exportation dès ses premiers pas sur des marchés étrangers (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975 ; Reid, 1981).

Le graphique ci-dessus fait apparaître trois niveaux d’expériences internationales pour les PME libanaises. Le premier niveau (groupe A) rassemble les entreprises qui diffusent leurs produits à l’étranger depuis un à trois ans et importent entre 0 % et 10 % de composants pour leurs produits à travers un fournisseur étranger. Ces entreprises disposent pour la plupart d’un service particulier pour s’occuper de l’activité à l’international liée aux partenaires à l’étranger. Le deuxième groupe (groupe B) inclut des entreprises plus expérimentées et plus engagées à l’international qui diffusent leurs produits depuis plus de 10 ans, s’internationalise de trois façons (l’exportation, une filiale à l’étranger et l’intégration majoritaire de composants étrangers dans la fabrication de leurs produits). Ces entreprises, qui ont accumulé de l’expérience sur le marché local et étranger tendent à accentuer leur expansion internationale par la création de filiales à l’étranger. Enfin, le troisième groupe (groupe C) rassemble les entreprises non expérimentées qui estiment pour l’instant que le marché local est suffisant (N MLS). Ces entreprises ont quelques contacts avec des clients étrangers qui peuvent augurer une première expérience internationale.

Il apparaît donc que les entreprises libanaises sont engagées dans plusieurs formes d’internationalisation et que leur expérience internationale (exportation, importation, filiale, service particulier, etc.) joue un rôle important dans la détermination de leur niveau d’engagement international comme le laisse supposer le modèle de l’entreprise « classique » et de l’entreprise « lobbyienne ».

3.2. Niveau organisationnel

Il s’agit ici de voir quel est le cadre le plus propice à l’internationalisation des entreprises. Prennent-elles davantage pied à l’étranger dans un cadre informel de type réticulaire qui s’apparente ou dans un cadre formel, c’est-à- dire défini par des opérations d’institutions publiques et parapubliques ?

Le graphique 3 nous montre l’interrelation entre l’appartenance à des réseaux à travers des relations formelles et informelles des entreprises et le développement de leur présence à l’étranger que ce soit par l’importation, l’exportation ou la création d’une filiale. Le mode « lobbyien » semble donc être bien validé dans le cas des PME libanaises qui profitent de leur présence dans un réseau ou lobby pour accéder à des informations qui diminuent l’incertitude du marché étranger. Le groupe (A) montre les entreprises membres d’un réseau qui entretiennent des relations formelles (Oui, formelles) et informelles (Oui, informelles) avec des entreprises locales et étrangères. Ces entreprises sont plus développées sur le plan international par le biais de l’exportation (Oui, exportation), de l’importation (Oui, importation) et d’une filiale (Oui, elles ont une filiale). Le deuxième groupe (B) contient les entreprises qui ne font pas partie d’un réseau et considèrent que le marché local est suffisant pour leurs activités (N MLS). L’adéquation du modèle de l’entreprise « lobbyienne » dans le cas libanais fait écho à la présence d’une grande diaspora libanaise à l’étranger. Ce groupe, assimilable à un lobby, fournit un accès privilégié aux marchés internationaux.

Le volet commercial est loin d’être le seul à être évoqué comme élément de l’organisation propice à l’internationalisation. Savoir-faire et technologie interviennent également comme des composantes de l’internationalisation avec laquelle ils entretiennent une relation positive. C’est le rôle de la technologie comme déterminant de l’internationalisation qui est abordé ici.

Graphique 3

L’appartenance des PME libanaises à des réseaux

L’appartenance des PME libanaises à des réseaux

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Le graphique 4 permet de relever trois principaux types d’entreprises internationalisées. Un premier sous-ensemble (groupe A) regroupe plutôt des PME qui sont marquées par une forte implication à l’étranger avec un taux élevé d’exportation ou une filiale. Ces entreprises ont une avancée technologique puisqu’elles sont situées dans des secteurs à forte recherche et développement (pharmaceutique [PHAR], électricité/frigo/câble/générateur [EL/FR/C/G], aluminium [ALU], verre [VER]). Le deuxième sous-ensemble (groupe B) regroupe les PME non exportatrices qui considèrent le marché local comme suffisant pour leur activité. Le troisième sous-ensemble (groupe C) est composé d’entreprises qui ont un taux d’exportation qui ne dépasse pas 20 %, mais elles participent à des salons à l’étranger (N PAS) ou se déplacent à l’étranger (N NDE). Ces entreprises sont plutôt du secteur traditionnel : agroalimentaire (AGRO), engrais (ENG) et plastique (PLAS). Ces résultats confirment l’idée selon laquelle les PME spécialisées ou qui maîtrisent une technologie de pointe sont plus orientées vers l’international que les autres (Joffre, 1986).

Graphique 4

Les types d’entreprises libanaises internationalisées

Les types d’entreprises libanaises internationalisées

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3.3. Niveau contextuel

L’internationalisation est fréquemment considérée comme le moyen de contourner les contraintes imposées par un marché local étroit qui bride le niveau de production et entraîne des surcoûts liés aux achats de ressources. Les recherches sur la relation entre le niveau d’internationalisation et l’ouverture d’un pays confirment cette relation. Nous avons cherché à tester sa robustesse dans le cas libanais.

Le graphique 5 fait apparaître une forte proximité entre le marché libanais et l’internationalisation des PME. En fait, le premier sous-ensemble (groupe A) regroupe les entreprises plutôt moyennes (20 à 249 salariés) expérimentées sur le marché local qui ont recours à l’internationalisation, car la saturation du marché intérieur exerce un effet négatif sur le chiffre d’affaires. Ces entreprises de taille moyenne cherchent plutôt la croissance sur de nouveaux marchés (RNM) après une période de maturité sur le marché local. Elles se comportent ainsi conformément à l’approche de Vernon (1966) selon laquelle l’internationalisation est le résultat de la saturation du marché d’origine (De Leersnyder, 1986) et se présente comme une opportunité de croissance pour l’entreprise (Al Abdulsalam et Paturel, 2008). Ces firmes relèvent de la catégorie des entreprises « lobbyiennes » expérimentées sur le marché local et cherchant une croissance internationale. Par opposition, le deuxième sous-ensemble (groupe B) réunit essentiellement les petites entreprises (10-19 salariés), jeunes (0-9) et non internationalisées pour lesquelles le marché local est encore suffisant (N MLS) puisqu’elles y trouvent des opportunités pour la croissance de leur chiffre d’affaires sans avoir à prendre le risque à l’international.

Au-delà des caractéristiques intrinsèques de l’entreprise, il faut aussi s’interroger sur les effets de la mise en place de cellules de soutien à l’internationalisation. Dans le cas du Liban, ces soutiens dépendent prioritairement d’organismes consulaires, qui, grâce à l’accès privilégié à l’information qu’ils procurent, contribuent au développement international de l’entreprise. Ces réseaux institutionnels sont-ils plus ou moins efficaces que les relations tissées par l’entreprise de manière spontanée ?

Le graphique 6 permet d’identifier deux manières d’accéder à l’information pour les entreprises libanaises. Le premier sous-ensemble (groupe A) regroupe plutôt des PME de petite taille (0-19 salariés) qui considèrent le manque d’information comme un obstacle pour s’internationaliser, mais ces entreprises ont recours soit à leurs propres études pour pénétrer un marché étranger et accéder à des informations, soit à des déplacements à l’étranger pour recenser les ressources et les débouchés qu’il offre. En revanche, le deuxième sous-ensemble (groupe B) contient les PME (50-249 salariés) qui sont dans une phase avancée de l’internationalisation (elles ont une filiale à l’étranger) et qui obtiennent des informations à travers les organisations professionnelles (Org Pro).

Graphique 5

Le marché local et l’internationalisation des PME libanaises

Le marché local et l’internationalisation des PME libanaises

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Graphique 6

Manières d’accéder à l’information pour les entreprises libanaises

Manières d’accéder à l’information pour les entreprises libanaises

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Nous constatons avec surprise l’absence de référence au rôle de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) et à la mission économique de chaque pays (Mis eco) comme organismes diffusant de l’information sur les marchés internationaux. Les organismes consulaires qui prétendent pourtant être des institutions clés dans ce domaine ne sont pas liés à ce second groupe. Sans doute ont-ils davantage un rôle transversal qui porte sur l’amélioration générale du climat des affaires à l’international plutôt qu’une mission de soutien individualisé aux entreprises. Le clivage ici observé fait écho aux cas des entreprises de type « classique » et « lobbyienne » puisqu’ils montrent que l’entreprise qui souhaite exporter vers certains pays étrangers doit acquérir des connaissances à propos de ces marchés (cf. l’école d’Uppsala ; Johanson et Vahlne, 1977). Cette acquisition d’information et de connaissances lui permet de réduire l’incertitude qui y règne, ce qui la conduit à décider de les pénétrer et d’y accroître son degré d’engagement en y consacrant un niveau plus élevé de ressources.

Conclusion

L’enjeu de ce travail consistait à mettre en évidence les modalités de l’internationalisation des PME dans un pays en développement, dont le fonctionnement des entreprises est souvent mal connu. Pour ce faire, nous avons d’abord passé en revue les principales théories explicatives de l’internationalisation des PME, ce qui nous a permis de construire une grille d’hypothèses testées sur une population d’entreprises libanaises. Les résultats obtenus permettent de valider plusieurs hypothèses au niveau opérationnel. Nous avons ainsi mis en évidence que les PME libanaises s’internationalisent suivant un processus progressif dominé par la proximité géographique et culturelle. Les années d’expérience a un effet positif sur l’engagement international comme le montre la relation positive entre internationalisation et entreprises expérimentées. Au niveau organisationnel, nous avons validé l’hypothèse que l’appartenance à des réseaux à travers des relations formelles et informelles permet le développement de la présence des entreprises à l’étranger. Ainsi, nous avons trouvé une relation positive entre des composantes comme le savoir-faire, la technologie et l’internationalisation des PME au Liban. Au niveau contextuel, les PME libanaises surmontent les contraintes imposées par un marché local étroit grâce à l’internationalisation, nous avons trouvé une relation de robustesse entre l’ouverture internationale et le marché local restreint. Enfin, nous avons validé l’hypothèse d’une relation entre les modalités d’accès à l’information et l’engagement international, et le défaut d’une action publique favorisant le contournement des contraintes liées à l’internationalisation.

Notre travail confirme l’idée que le processus d’internationalisation est complexe et multidimensionnel. Pour être appréhendé dans la totalité de ses acceptions, il est donc besoin de faire appel à de multiples références théoriques. Cette multiplicité se retrouve dans les formes revêtues par le processus d’internationalisation des PME. Caractéristiques propres de l’entreprise et contexte socio-institutionnel se combinent en effet pour déterminer un ensemble de trajectoires possibles d’internationalisation.

Deux limites principales à ce travail doivent être mentionnées. La première est d’ordre théorique. L’étude des modalités de l’internationalisation des PME libanaises que nous avons effectuée s’appuie sur des analyses de l’internationalisation des entreprises qui concernent soit des firmes implantées dans les pays occidentaux, soit de grandes entreprises, souvent des multinationales d’ailleurs, originaires de pays en développement, le plus souvent asiatiques. On peut se demander si le cadre institutionnel qui préside à leur élaboration est pertinent pour des entreprises d’un pays du Moyen-Orient et s’il n’existerait pas des spécificités idiosyncrasiques à intégrer à la grille d’analyse pour la rendre plus cohérente avec l’objet d’étude. La seconde est d’ordre empirique. La base de données sur laquelle nous nous sommes appuyés pour dégager nos résultats résulte d’entretiens. Les données recueillies de cette façon nous conduisent à analyser les représentations qu’ont les répondants d’une situation donnée davantage que la situation elle-même. C’est une limite évidente, mais difficilement évitable en raison de l’objet d’étude.

Ces limites pourront être surmontées dans de futurs travaux sur le sujet, car cet article est l’un des premiers à explorer le processus d’internationalisation des PME libanaises et il vise à ouvrir de nouvelles pistes de recherche sur les entreprises localisées dans les pays du Moyen-Orient qui ont peu suscité l’attention des chercheurs. Sur la base de ces premiers résultats, il nous semble à l’avenir possible de prolonger cette recherche en élargissant le cadre d’analyse ainsi défini à des pays limitrophes ou à des petites économies ouvertes émergentes. En résulterait ainsi une typologie affinée et plus générale qui permettrait de donner naissance à des travaux sur des économies dont le fonctionnement reste encore mal connu.