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Introduction

Il est curieux de constater que dans des conditions économiques et sociales à peu près similaires, certaines PME réussissent à atteindre leurs objectifs alors que d’autres n’y parviennent pas (Braidot et Soto, 2000). Pourquoi ? Bien que cette question n’ait pas de réponse simple, il a été démontré que les bons résultats d’une PME sont généralement liés aux aptitudes et habiletés de son équipe dirigeante (Brunninge, Nordqvist et Wiklund, 2007 ; Escribá-Esteve, Sánchez-Peinado et Sánchez-Peinado, 2009). La plupart des PME étant des entreprises familiales (Ducheneaut, 1996 ; Anzola, 1997 ; Braidot et Soto, 2000), on constate souvent qu’elles atteignent leurs objectifs tant que le dirigeant peut « gérer à proximité » (Torrès, 1998), c’est-à-dire être en liaison directe avec toutes les fonctions de l’entreprise, ce qui constitue un avantage en termes de flexibilité. Cependant, lorsque la PME familiale est en phase de croissance, il arrive que les résultats ne soient pas au rendez-vous. L’une des explications avancées pour comprendre ce phénomène a trait à l’incapacité des dirigeants à se doter de systèmes formalisés pour gérer la croissance de leur entreprise. Le développement des PME serait ainsi entravé par l’absence d’intérêt (voire l’ignorance) de leurs dirigeants pour des techniques et outils de gestion contemporains (Ducheneaut, 1996). De plus, les systèmes de gestion formalisés disponibles sur le marché sont souvent faits par et pour les grandes entreprises, les rendant coûteux et peu adaptés aux PME.

Dans ce contexte, il convient de savoir comment mettre en place des instruments de gestion capables d’aider les PME à gérer leur croissance. Parmi les solutions souvent préconisées, on trouve un meilleur alignement de la stratégie de l’entreprise sur les objectifs de ses membres (Craig et Moores ; 2005), en particulier les membres de l’équipe de direction (ED), et la mise en place de systèmes de contrôle – ou de pilotage (Gumbus et Lussier, 2006). Dans une PME, il est en effet plus que jamais primordial de mettre à profit l’expérience des membres de l’ED et de rendre plus productif l’ensemble de leurs actions. Assurer l’atteinte des objectifs organisationnels a toujours été une préoccupation partagée par des théoriciens et des praticiens du management. Malgré l’existence d’une littérature foisonnante et d’une multiplicité de méthodes, garantir la réalisation des objectifs stratégiques demeure une tâche ardue. Il s’agit de mettre en oeuvre la stratégie dans l’organisation et d’en faire le suivi, ce que Pettigrew et Whipp (1991) nomment la « cohérence organisationnelle », pour que chaque action corresponde aux objectifs stratégiques.

La cohérence représente donc le résultat de la coordination d’activités spécifiques pour l’accomplissement des objectifs de l’organisation (Fiol, Jordan et Sulla, 2005). Cependant, d’autres auteurs (Cairns, Burt et Beech, 2001 ; Schein, 1985) pensent que la cohérence suppose l’existence d’une unité d’action au sein de l’organisation : le dirigeant doit entraîner les membres de l’organisation à agir dans le sens des objectifs stratégiques. Pour ces derniers, ce processus dépend du partage de croyances et d’attitudes des membres de l’ED. La cohérence tiendrait aussi à la qualité des relations qui existent entre les membres de l’organisation.

Bien que les études mettant en perspective l’existence de systèmes formels de gestion et la cohérence soient encore rares, certaines publications récentes (Gumbus, et Lussier, 2006 ; Rao, 2007 ; Jazayeri et Scapens, 2008) montrent que la mise en place d’un système formel de gestion (SFG) peut avoir un impact positif sur la cohérence des ED. En effet, un outil comme le Balanced Scorecard (BSC) peut aider à aligner les objectifs des différentes fonctions de l’entreprise sur les objectifs organisationnels (Kaplan et Norton, 1996a, 1996b). La recherche de Jazayeri et Scapens (2008), réalisée dans une grande entreprise du secteur aérospatial, conclut que le BSC améliore de manière significative la cohérence et les résultats économiques de l’entreprise. Cependant, Jazayeri et Scapens (2008) affirment que pour que le BSC soit efficace, il faut que les membres de l’ED partagent les valeurs de l’entreprise. Gumbus et Lussier (2006) ont mené des études de cas dans les ED de trois PME et démontrent que le BSC améliore la cohérence et les résultats de ces PME. Cependant, selon ces auteurs, l’ED doit avoir « une culture de travail en équipe », car la mise en place efficace du BSC est un processus d’équipe. Craig et Moores (2005) ajoutent que pour mettre en place un BSC dans une PME familiale, il est nécessaire d’encourager tous les membres de la famille à s’impliquer dans le fonctionnement de l’entreprise et dans la prise de décisions. Une analyse de ces trois recherches fait ressortir que la cohérence peut être renforcée par la mise en place d’un système formel de gestion ; néanmoins, certains éléments liés aux valeurs partagées (ou cohésion) semblent être nécessaires pour cela.

L’objectif de la présente recherche est donc d’identifier, s’il existe, le lien entre la mise en place d’un SFG et le niveau de cohésion et de cohérence d’une ED de PME. Pour ce faire, nous avons suivi pendant 18 mois la mise en place d’un SFG dans trois PME mexicaines. Nous avons analysé l’évolution de la cohérence et de la cohésion au sein des ED ainsi que des résultats économiques et commerciaux.

En premier lieu, nous réviserons les thèmes de la cohérence et de la cohésion afin de définir ces concepts. Par la suite, nous spécifierons la méthodologie et les outils de collecte des données utilisées. Ensuite, nous présenterons les résultats obtenus dans les trois PME ; puis nous discuterons les informations recueillies.

1. Le cadre théorique

Dans la littérature en gestion, le concept de cohérence n’a été que très peu étudié et ses interprétations sont différentes. En conséquence, il est difficile de trouver des études ou des recherches empiriques sur le sujet. Au contraire, la cohésion a été une notion amplement abordée. Cependant, cette notion demeure polysémique, car il y a presque autant de définitions de la cohésion que d’auteurs. Pour éviter toute confusion dans l’interprétation des concepts de cohérence et de cohésion, il convient de proposer des définitions de ces concepts dans un contexte organisationnel.

1.1. Le concept de cohérence

La racine latine du terme de cohérence est cohoerentia. Le nouveau Petit Robert, (2010) la définit de la façon suivante : « liaison, rapport étroit d’idées qui s’accordent entre elles » ou « …relation étroite des éléments qui maintient une concordance entre eux ». On dit que quelque chose est cohérent quand cette chose est composée de parties liées, maintenant une concordance, c’est-à-dire logiques et ordonnées ; son antonyme est la confusion.

Appliquée à l’organisation, cette définition est celle qui confère à l’objet d’étude la capacité de valoriser la correspondance des idées et la contribution de chacun des éléments conjoints. La cohérence peut être considérée comme la conjugaison des différentes opérations d’une organisation en un ensemble unifié (Forrester et Drexler, 1999), comme un processus qui intègre les objectifs des différentes fonctions (Galbraith, 1977) ou encore comme l’alignement de la vision, des valeurs, de la stratégie, des tâches, des ressources et des compétences organisationnelles (Khadem, 2002).

Classiquement, l’action d’organiser ou de « donner cohérence » est associée à la rationalisation des actions collectives qui met en exergue la nature de la relation entre les composants d’une organisation. L’un des premiers auteurs ayant souligné l’importance de la cohérence dans l’organisation fut Fayol (1918). Il suppose qu’organiser une entreprise implique de disposer correctement de tout ce qui est utile à son fonctionnement : matériel, instruments, capitaux et personnel. La perspective de Fayol sur la cohérence est celle d’une combinaison pertinente des éléments nécessaires à l’organisation. Gulick et Urwick (1937) associent l’idée de cohérence à l’harmonisation des différentes fonctions et activités de l’organisation, dérivées de la spécialisation. Ils reconnaissent que là où « beaucoup d’hommes travaillent ensemble, les meilleurs résultats ne sont assurés que s’il existe, entre ces hommes, une division du travail » (p. 3). Ils affirment que la division du travail est « la raison de l’organisation » (p. 3). Dans cette perspective, la productivité d’une entreprise a tout à voir avec la structure de coordination imposée par la spécialisation fonctionnelle au sein de l’entreprise. Autrement dit, la cohérence représente la capacité à conjuguer les différentes opérations spécialisées d’une organisation en un ensemble unifié (Forrester et Drexler, 1999).

Barnard (1958) adopte une perspective différente ; le problème de la productivité se traduit par un glissement important dans la nature de la cohérence. D’abord, la cohérence n’est plus une conception statique liée à la nature de la relation entre les fonctions de l’organisation, mais dynamique car située au coeur de la relation entre les buts poursuivis par l’organisation et les moyens alloués pour leur réalisation. Il affirme : « ce qui constitue l’essence des organisations formelles est l’adaptation délibérée des moyens aux fins » (p. 186). De même, Galbraith (1977) considère que la structure organisationnelle doit être conçue comme « un processus de décision qui [fait] émerger une cohérence entre les objectifs supérieurs ou propos pour lesquels l’organisation existe, les caractéristiques de la division du travail et la coordination des unités et des gens qui réaliseront le travail » (p. 5). Ainsi, dans cette perspective, le mode d’organisation relève d’abord des décisions prises sur la forme de décomposer le travail global en petites tâches qui seront exécutées par des individus ou des groupes d’individus. Galbraith (1977, p. 6) ajoute que « la deuxième décision doit porter sur les moyens de réintégrer les sous-tâches dans l’accomplissement du travail global ». Lawrence et Lorsch (1967) représentent bien cette perspective avec les notions classiques de différenciation et intégration. Ces réflexions préliminaires donneront naissance à la direction par objectifs (DPO), qui constitue, d’une certaine manière, une caractéristique très marquée des pratiques de gestion actuelles.

Une perspective assez récente associe la cohérence à l’alignement des objectifs de l’organisation (Klunk, 1997 ; Khadem, 2002). Klunk (1997) affirme que sans cohérence, les efforts individuels et les buts organisationnels peuvent entrer en conflit. Khadem (2002) propose un « alignement total » ; c’est-à-dire de la vision, des valeurs et de la stratégie : aligner la stratégie sur les tâches individuelles ; aligner les tâches individuelles sur les ressources et les compétences des responsables. Enfin, selon Khadem (2002), cet alignement total doit être relié à un leadership ad hoc, à un apprentissage organisationnel continu, à une mentalité de changement et un outil de gestion qui permette d’effectuer cet alignement.

Dans la perspective comportementaliste, la cohérence est le résultat de la coordination adaptative d’une équipe (Cyert et March, 1963 ; Hedberg, 1981 ; Lounamaa et March, 1987 ;Winter, 1987 ; Farjoun, 2002). Différentes dimensions de la cohérence se retrouvent dans la coordination engendrée par la division du travail, la coordination des moyens par rapport aux fins de l’organisation, la coordination entre l’action individuelle et collective et la coordination entre les intentions et les actions. On peut observer que même si les membres de l’organisation ont des activités différentes, il existe entre eux une relation concordante permettant au groupe une activité plus complète qui constitue son fonctionnement total. La cohérence vise donc à améliorer l’efficacité organisationnelle. Lorsque tous ses membres remplissent leurs tâches individuelles, l’organisation peut atteindre ses objectifs supérieurs (Papandreou, 1952).

La notion de cohérence est reliée à l’accomplissement des objectifs organisationnels, à la division du travail (passant par des objectifs individuels) et à l’interaction entre toutes les tâches individuelles. À l’intérieur de ces concepts émergent les fonctions d’alignement, d’organisation et de coordination des objectifs des différentes fonctions et unités de l’entreprise, qui débouchent sur l’action collective pour atteindre les objectifs organisationnels.

1.2. Le concept de cohésion

Contrairement au concept de cohérence, la notion de cohésion a été largement traitée en sciences sociales. Elle a été empruntée par plusieurs disciplines dont la psychosociologie, la psychologie, la sociologie et la gestion. La multitude de sens qui lui ont été donnés en font un terme polysémique. Dans cette partie, nous ne prétendons pas présenter une revue exhaustive de ce concept mais faire ressortir des éléments qui nous aident à mieux le cerner.

Étymologiquement, le terme de cohésion vient du latin cohesio qui signifie « proximité ». Le nouveau Petit Robert (2010) en donne la définition suivante : « Ensemble de forces qui maintiennent associés les éléments d’un même corps » ou « union, solidarité entre les membres d’un groupe » ; son antonyme est la dispersion.

En gestion, Fayol (1918) reconnaît la nécessité de relier, unir, harmoniser tous les actes et tous les efforts du personnel. Il affirme que : « L’union fait la force. Ce proverbe s’impose à la médiation des chefs d’entreprise. L’harmonie, l’union du personnel d’une entreprise est une des grandes forces de cette entreprise. Il faut donc s’efforcer de l’établir » (p. 44). Autrement dit, la cohésion est l’union et l’harmonie des efforts des membres d’une entreprise.

Dans une perspective sociologique, Festinger (1950) décrit la cohésion groupale comme « la force résultant de toutes les forces qui agissent sur les membres pour qu’ils demeurent dans ce groupe » (p. 274) pour accomplir leurs tâches. De même, Janis (1982) réalisa de nombreuses recherches sur des groupes de cadres supérieurs. Elle conceptualisa la cohésion du groupe comme la valeur que les membres accordent à leur adhésion au groupe, tout en désirant que cette affiliation perdure face aux défis. La cohésion renvoie donc à la force qui fait que les membres d’un groupe s’unissent de manière volontaire, où les émotions et les sentiments gratifiants entre les membres du groupe jouent un rôle important, et ainsi font face comme un tout aux défis qu’ils rencontrent (Carron, 1982).

Stogdill (1972) établit des liens entre la cohésion et la productivité. Il suggère que la cohésion peut être renforcée par la participation des membres du groupe à des projets communs. Ce courant de recherche en gestion a étudié l’identité et la culture d’entreprise comme source de lien social au sein des organisations. Schein (1985) a implicitement étudié la cohésion comme le partage d’idéaux et de valeurs collectivement acceptées. Ainsi, la communion d’idéaux, les projets partagés, les valeurs communes et l’aide mutuelle renforcent la cohésion des membres d’une organisation.

La cohésion est donc liée à différentes notions : l’union ou l’adhésion volontaire de ses membres à un groupe, l’harmonie des efforts des membres, l’entraide mutuelle, le partage de valeurs et d’idéaux.

1.3. Cohésion et cohérence : des phénomènes collectifs différents

Une analyse de ces perspectives théoriques situe la cohérence comme étant davantage centrée sur l’organisation et la coordination. La cohérence part de la nécessité d’articuler le travail des membres de l’organisation et utilise la logique du travail organique pour définir les fonctions respectives de ses membres. Elle cherche à aligner la stratégie, les objectifs organisationnels et les tâches individuelles. Au contraire, la cohésion se concentre sur l’adhésion volontaire de ses membres à un groupe, l’entraide mutuelle, l’harmonie des efforts, car les individus qui forment le groupe partagent tous un projet, des valeurs communes, des émotions et des sentiments gratifiants. La cohérence se rattache clairement au résultat à atteindre par chaque membre du groupe. La cohésion s’occupe des aspects que l’action collective provoque chez les individus qui travaillent conjointement. L’une est centrée sur les faits résultant de l’action organisationnelle, l’autre s’occupe des émotions engendrées par les idées qui existent et circulent entre les membres de l’équipe.

Aux fins de notre recherche, nous définirons la cohérence comme le degré d’articulation entre les différentes fonctions des membres d’un groupe qui permet, à travers la réalisation d’objectifs individuels spécifiques, d’atteindre les objectifs collectifs. Nous définirons la cohésion comme le degré d’adhésion volontaire des membres du groupe à un idéal, une aspiration ou un projet commun, qui leur permet, à travers le partage de valeurs et de sentiments gratifiants, de se renforcer émotionnellement les uns les autres et ainsi de faire face comme un tout aux défis qu’ils doivent relever.

2. La méthodologie

L’objectif de cette recherche est d’analyser l’effet de l’implantation d’un SFG sur la cohésion et la cohérence d’une ED, ainsi que sur certains résultats de l’entreprise. Pour ce faire, nous avons opté pour une recherche-action à caractère exploratoire. Une étude longitudinale a été menée pendant 18 mois, mobilisant différentes méthodes de collecte de données. Trois PME familiales ont participé à cette recherche, dans lesquelles les dirigeants acceptaient de mettre en place un SFG. Pour assurer l’homogénéité dans la mise en place du SFG, les mêmes chercheurs ont mené l’enquête dans les trois entreprises. Un des chercheurs a formé et accompagné les ED des trois entreprises à la mise en place du SFG. Trois autres chercheurs ont joué le rôle d’observateurs participants. En outre, pour assurer la comparabilité des résultats, nous avons choisi d’une manière itérative (Évrard, Pras et Roux 2000), des entreprises appartenant à un même secteur d’activité : des hôtels de milieu de gamme situés dans le Yucatán au Mexique (trois étoiles, pas plus de 120 chambres et moins de 50 employés, voir tableau 1). Cela nous a permis d’obtenir une population homogène aux éléments comparables. La recherche a été réalisée dans la ville de Mérida.

Tableau 1

Caractéristiques des hôtels étudiés

Caractéristiques des hôtels étudiés

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Nous avons choisi de nous concentrer sur la cohérence et la cohésion dans les ED car plusieurs auteurs (De Geuser et Fiol, 2005 ; Michalisin, Karau et Tangpong, 2004) affirment que celles-ci reflètent les relations organisationnelles, en général, et ont le plus d’impacts sur les résultats de l’entreprise. En plus, il est préférable qu’une recherche-action soit menée auprès de petites unités sociales, ou microsystèmes, plutôt que sur l’ensemble du système (Léger, 1988). Enfin, l’ED correspond au groupe directement impliqué dans la mise en oeuvre du changement stratégique organisationnel (Peters et Robinson, 1984). Ainsi, la recherche-action a été menée dans un système réel et n’a été rendue possible que grâce à l’engagement de membres du microsystème (Léger, 1988).

2.1. Pourquoi une recherche-action ?

Implanter un SFG visait à créer des changements dans l’ED et la performance de l’entreprise ; or cela s’inscrit directement dans les problématiques relatives à la recherche-action. En effet, la recherche-action étudie des phénomènes sociaux liés à des changements à partir de mises en action dans des situations sociales concrètes, avec les chercheurs concernés, d’où émerge un processus d’enrichissement, de réorientation des actions et des connaissances (Gélinas et Brière, 1985). Cette approche est associée à une stratégie d’intervention et évolue dans un contexte dynamique (Peters et Robinson, 1984 ; Pasmore, 2006). Dans la recherche-action, les chercheurs et les acteurs sociaux se trouvent réciproquement impliqués dans la mise en place d’un changement (Gélinas et Brière, 1985). Lorsque la recherche-action vise le changement, elle se propose d’optimiser l’action dans une perspective de transformation (Pourtois, 1981). Enfin, plusieurs auteurs (Peters et Robinson, 1984 ; Hugon et Seibel, 1986 ; Pasmore, 2006) affirment que la recherche-action permet de produire des connaissances du terrain dont certaines auraient été inaccessibles avec d’autres méthodes.

L’objectif de la recherche-action est de délibérément transformer la réalité. La recherche proposée reprend l’idée d’Usunier, Easterby-Smith et Thorpe (1993, p. 15), lorsque ceux-ci signalent qu’une recherche-action est une étude où : « la recherche doit conduire au changement et que, par conséquent, le changement doit être intégré au processus même de la recherche ». Ainsi, dans une recherche-action, le chercheur se positionne en tant qu’expert-conseil pour aider à la résolution de problèmes organisationnels (Moisdon, 1984) ; de ce fait, il lui est plus aisé d’accéder à des informations pertinentes et privilégiées pour poursuivre ses objectifs. En outre, l’interaction du chercheur avec les participants contribue à réduire la méfiance de ces derniers à son égard (Avenier, 1989), ce qui représente un autre avantage de la recherche-action. Le chercheur dispose donc d’un point d’observation privilégié pour rendre compte et analyser les phénomènes sociaux étudiés (Wacheux, 1996).

2.2. Le plan de recherche

Notre intention étant de former les membres des ED à l’utilisation d’un SFG pour les accompagner dans sa mise en place, nous avons mesuré la cohésion et la cohérence avant et après la mise en place du SFG. Le SFG a été développé à partir de la démarche OVAR.

La démarche OVAR au sein d’une équipe de direction

La démarche OVAR (Objectif, Variables d’action et Responsables) est une méthode heuristique de gestion conçue par les professeurs du Groupe HEC Paris. Elle amène les membres d’une ED à déterminer des objectifs (annuels ou pluriannuels, individuels et collectifs), à les harmoniser conjointement et à les réaliser. Le déploiement d’OVAR conduit également à déterminer des périmètres de responsabilité et facilite la délégation de responsabilités ainsi que la collaboration entre les individus. La démarche OVAR inscrit l’ED dans un processus qui vise à coordonner des objectifs. Elle repose sur l’idée que l’un des principaux problèmes dans les organisations résulte du manque de convergence des objectifs (Fiol, 1991), tout particulièrement le manque de coordination et de dialogue entre les membres d’une ED. Selon Fiol, Jordan et Sulla (2005), la démarche OVAR est une formule adaptée dans les PME pour déterminer la stratégie et garantir son instrumentation. Son déploiement n’est pas déterminé à l’avance et ne répond pas à des prescriptions inflexibles (Fiol, Jordan et Sulla 2005). La démarche OVAR repose sur l’élaboration de grilles individuelles et sur un projet commun, qui contiennent des objectifs et des variables d’action.

La grille OVAR

La démarche OVAR repose sur la formulation d’une grille qui peut se mobiliser selon deux modalités : une grille individuelle, élaborée par chaque collaborateur personnellement, et un projet commun (grille commune), élaboré conjointement par l’ensemble de l’ED (voir annexe 1, p. 204). Les grilles OVAR, qu’elles soient individuelles ou collectives, opèrent une distinction entre les objectifs et les variables d’action. L’objectif formalise la contribution du participant ; il est formulé en termes de résultat à atteindre. Il est mesurable ou observable et non récurrent. Il constitue un défi réaliste, associé à la réalisation de deux variables d’action au minimum. Une variable d’action représente le moyen choisi par le dirigeant pour réaliser l’objectif auquel elle est attachée. Du point de vue de Fiol (1991), un objectif prend du sens au regard des variables d’action qui lui sont associées par des liens de causalité. Le dirigeant peut assumer lui-même la responsabilité de la réalisation d’une variable d’action ou la déléguer à ses collaborateurs. La grille OVAR permet enfin de formaliser la collaboration de plusieurs acteurs internes et externes, dans la réalisation d’une variable d’action.

Une fois les grilles élaborées, l’ED établit des plans d’activités annuels collectifs et individuels, ainsi que des tableaux de bord individuels. Ces instruments permettent à chaque individu de savoir ce qu’il doit faire, quand il doit le faire, pourquoi ses objectifs individuels sont liés aux objectifs organisationnels et comment il va être évalué.

2.3. La collecte d’informations

Différentes techniques ont été mobilisées durant la recherche. La variété des instruments utilisés se justifie par leur complémentarité. Scandura et Williams (2000) affirment que l’utilisation de plusieurs stratégies et instruments de recherche permet la triangulation des points de vue, ce qui aide les chercheurs à tirer des conclusions de leurs recherches. Ainsi, nous avons utilisé des entretiens approfondis non dirigés, des entretiens dirigés et de l’observation participante. Nous avons aussi eu recours au « Guide-Analyse Diagnostique des PME » (Santi, 2004).

Les entretiens approfondis non dirigés et l’application du « Guide-Analyse Diagnostique des PME » nous ont permis de prendre connaissance de l’état des systèmes de planification et de contrôle dans les PME participantes. Les entretiens approfondis non dirigés (voir annexe 2) nous ont aussi permis d’identifier les problématiques spécifiques de chaque hôtel en termes de cohésion et de cohérence des membres des ED. De plus, ces entretiens ont abouti à l’élaboration du guide d’entretien dirigé et à la grille d’observation. Comme notre population était volontairement réduite aux ED et que la recherche-action a un caractère essentiellement empirique en lien dynamique avec le vécu (Pasmore, 2006), les items du guide de l’entretien dirigé et ceux de la grille d’observation ont été tirés de la littérature sur la cohésion et la cohérence et adaptés à notre enquête à partir de l’information obtenue dans les entretiens approfondis non dirigés (Hernández Sampieri, Fernández Collado et Baptista Lucio, 1998). Les items pour mesurer la cohésion portaient sur les relations de travail harmonieuses et l’adhésion au groupe (Darley, Gross et Martin, 1951 ; Gross et Martin, 1952), les valeurs partagées et le renforcement du groupe de travail (Seashore, 1954 ; Furnham, 1997), le niveau de participation (Stogdill, 1972 ; Karau et Williams, 1997) et le partage de la responsabilité pour l’accomplissement des tâches (Carron, 1982 ; Klein et Mulvey, 1995). Les items mesurant la cohérence faisaient référence à l’alignement entre les objectifs organisationnels et individuels (Khadem, 2002 ; Entrialgo, 2002), l’organisation, la distribution et la délégation des tâches (Forrester et Drexler, 1999). Finalement, après l’analyse des entretiens approfondis non dirigés, nous avons retenu sept items pour mesurer la cohésion et huit pour la cohérence (voir annexe 2, p. 205).

Les grilles d’observation et les guides d’entretien dirigés ont été bâtis avec les mêmes items et la même échelle de réponses. Nous avons employé une échelle de Likert en six points (de « Très mauvaise » à « Très bonne », ajoutant le choix « Ne s’applique pas ») ; tant le guide d’entretien que la grille d’observation comportaient un espace pour ajouter les commentaires des chercheurs. Les entretiens dirigés ont été menés auprès de tous les membres des ED (voir tableau 1). De même, les quatre chercheurs ont rempli des grilles d’observation sur chaque hôtel.

Ces outils nous ont permis de mesurer la cohésion et la cohérence dans chacune des ED, les évolutions de ces phénomènes sociaux au sein des ED, de même que la compréhension des comportements ou réactions des participants dans le processus d’implantation d’OVAR. Enfin, nous avons demandé aux dirigeants de nous fournir les chiffres d’affaires, les résultats nets et les taux d’occupation des hôtels pour évaluer leurs résultats économiques et commerciaux.

2.4. La chronologie

Le projet s’est étalé sur 18 mois, décomposé en trois étapes (voir tableau 2). La première étape a débuté en août de l’année N-1. Dans cette étape, nous avons construit notre protocole de recherche et vérifié avec les membres des ED des hôtels participants leur compréhension des items du guide d’entretien structuré et de la grille d’observation sur la cohérence et la cohésion.

Nous avons aussi effectué une analyse des systèmes de contrôle de gestion et de planification des hôtels. Avant de démarrer la deuxième étape (début septembre de l’année N-1), nous avons mesuré le niveau initial de cohérence et de cohésion des ED.

Dans la deuxième étape (septembre à décembre de l’année N-1), nous avons donné un cours-atelier ad hoc aux membres de chaque ED sur les fondements, la mise en place et la pratique courante de la démarche OVAR. La durée de l’atelier a été déterminée en fonction de l’apprentissage et de la maîtrise des outils d’OVAR de la part des membres des ED.

Au début de la dernière étape (janvier de l’année N), nous avons collecté les résultats économiques et commerciaux (chiffre d’affaires, résultat net et taux d’occupation) des trois hôtels. Cette dernière étape a duré un an pour pouvoir comparer les résultats des années comptables d’un exercice à l’autre. Tout au long de cette étape (janvier de l’année N à janvier de l’année N + 1), les ED ont implanté leurs plans annuels d’activités et tableaux de bord. Nous les avons accompagnées durant la mise en oeuvre d’OVAR avec des réunions mensuelles dans lesquelles nous avons observé la cohérence et la cohésion à l’aide des outils de recherche qualitative. À la fin de chaque mois, nous avons révisé l’état d’avancement des objectifs et le bon déroulement de la démarche OVAR. En décembre de l’année N, nous avons remesuré la cohérence et la cohésion des ED. À la fin de cette dernière étape, nous avons obtenu les résultats économiques et commerciaux de chaque hôtel. La recherche s’est déroulée comme présenté dans le tableau 2.

Tableau 2

Déroulement de la recherche

Déroulement de la recherche

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L’hôtel C a suspendu sa participation à la recherche pendant la mise en place d’OVAR, et cela, en raison des confrontations que le dirigeant avait eues avec son ED pour fixer les objectifs organisationnels. Cependant, nous avions déjà effectué les mesures des niveaux de cohérence, de cohésion et des résultats économiques et commerciaux. Au milieu de l’année N, le dirigeant de l’hôtel C a été remercié et un membre de l’ED l’a remplacé. Le nouveau dirigeant a accepté de nous permettre de remesurer les niveaux de cohérence, de cohésion et les résultats économiques et commerciaux à la fin de l’année N. Nous avons donc pu avoir les mesures initiales et finales des niveaux de cohérence et de cohésion comme dans les autres hôtels, même si la démarche OVAR n’a pas été implantée dans l’hôtel C.

3. Résultats dans les trois hôtels

Le tableau 3 synthétise l’évolution des trois hôtels après 18 mois, en ce qui concerne les niveaux de cohérence et de cohésion à la suite de l’implantation du SFG (dans les cas des hôtels A et B) et les variations survenues dans la performance économique (chiffres d’affaires et résultats nets) et commerciale (taux d’occupation). Les niveaux de cohérence et de cohésion sont indiqués avant et après l’implantation du SFG. Pour évaluer ces résultats, nous avons privilégié les entretiens dirigés et l’observation participante car bien que les résultats économiques et commerciaux des hôtels A et B semblent excellents, la manière dont ces hôtels calculaient leurs résultats avant l’implantation d’OVAR peut se prêter à débat. Nous avons aussi mesuré le chiffre d’affaires, le résultat net et le taux d’occupation avant et après la mise en place d’OVAR. Ces résultats nous aident à évaluer l’influence que la mise en place d’OVAR peut avoir eue sur les niveaux de cohérence et de cohésion.

Hôtel A

À la fin de chaque période (avant et après la mise en place d’OVAR), les observateurs se sont réunis pour confronter leurs observations.

Faisons à présent une synthèse des entretiens dirigés et des observations de terrain des observateurs. À la fin de chaque période (avant, pendant et après la mise en place d’OVAR), les observateurs se sont réunis pour confronter leurs observations. Cette synthèse par hôtel nous permet d’interpréter et de donner un sens aux résultats du tableau 3.

Tableau 3

Synthèse des résultats obtenus dans les trois hôtels

Synthèse des résultats obtenus dans les trois hôtels

END : Résultat des entretiens dirigés. GO : Résultat des grilles d’observation. ND : Non disponible.

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Avant l’implantation d’OVAR, l’hôtel A semble à première vue être une entreprise bien organisée et le style conciliant du directeur général (DG) facilite l’intégration de l’ED (voir figure 1, p. 197). Ses membres entretiennent de bonnes relations. L’ambiance de travail est agréable car l’entreprise produit des bons résultats économiques. D’après le propriétaire (président du conseil d’administration[2]), les bons résultats sont le fruit de la grande capacité de gestion, force et motivation des managers professionnels qu’il a engagés. Toutefois, l’arrivée de deux de ses enfants dans l’ED (sous-directrice générale et contrôleur général) annonce un changement de stratégie à moyen terme. En outre, les outils de gestion de l’hôtel se limitent à un budget du chiffre d’affaires. Il ne dispose pas d’un plan de développement.

Figure 1

Structure de l'équipe de direction de l'hôtel A

Structure de l'équipe de direction de l'hôtel A

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Durant la phase d’implantation d’OVAR, les premières réunions ont été chargées sur le plan émotionnel. Les membres de l’ED ont discuté avec force et clarté les défis que chacun devait affronter pour améliorer la performance de l’hôtel. La définition des objectifs stratégiques et des grilles OVAR semblent cependant satisfaire le DG et l’ensemble des membres de l’ED. Les enfants du propriétaire apparaissent favorables aux ateliers, en particulier la sous-directrice générale qui se plaignait de ne pas avoir beaucoup d’autonomie : « J’espère qu’OVAR va nous permettre d’avoir un espace pour prendre nos propres décisions et aussi d’avoir nos propres ressources. Ce qui me dérange le plus de la situation actuelle est le fait de toujours devoir demander l’autorisation pour quoi que ce soit. » Ce plan de développement prend une dimension politique car il facilite l’obtention de financement supplémentaire auprès du propriétaire de l’hôtel. Au sein de l’ED, ces réunions semblent améliorer la compréhension mutuelle (et donc la cohésion). Pour le directeur général, cela a un impact sur la synergie de l’ED : « Au début, j’étais un peu hésitant, je pensais que la bonne relation que nous avions allait être affectée par des conflits émergeant de ces réunions. Maintenant, je vois que le fait de s’exprimer sur les objectifs de l’entreprise, sur ses propres objectifs et sur ceux des collègues resserre les liens, crée des engagements et crée une synergie dans l’équipe… Cela m’a aussi permis d’écouter mes enfants sous un angle plus professionnel et moins émotif. » Le SFG favorise aussi l’intégration de l’ensemble des perspectives et intérêts au plan collectif (et donc la cohérence), comme le manifeste le contrôleur général : « Participer à ces réunions m’a vraiment aidé à comprendre ce que chacun doit faire, quels sont les objectifs de mes collègues, quelles sont leurs activités spécifiques. Le fait de connaître comment les objectifs et les tâches de chacun s’emboîtent pour atteindre les objectifs de l’entreprise a été très éclairant… ».

Dans la première visite de suivi après l’implantation du SFG, il semble que l’ED soit satisfaite de la situation vécue dans l’entreprise. Les visites ultérieures montrent une ED vouée à l’accomplissement de ses variables d’action : mise en oeuvre d’un nouveau logiciel de réservation, agrandissement de l’hôtel, etc. Les chercheurs observent aussi une amélioration de la cohérence. Lors de la réunion finale d’évaluation, les membres de l’ED apparaissent satisfaits et travaillent harmonieusement. Les résultats économiques, très supérieurs à ceux de l’année précédente, semblent renforcer cet état d’esprit chez les membres de l’ED. Pour le contrôleur général : « C’est clair que voir les indicateurs de performance et le résultat monter en flèche nous a motivés…, on passe du temps à apporter de nouvelles idées et on s’épaule beaucoup plus qu’avant. »

Hôtel B

Considéré comme le meilleur de la ville il y a 40 ans, cet hôtel a souffert de la dégradation constante de ses installations et de sa réputation commerciale. À la suite d’une succession compliquée à cause de la mort subite du propriétaire, l’ED (voir figure 2, p. 199) se trouve dans une situation problématique avant la mise en place d’OVAR. La famille essaie de contrôler directement l’entreprise (la mère, les deux filles et le fils) ; le partage des rôles et des responsabilités est très ambigu, ce qui rend les arbitrages difficiles et l’organisation problématique. La direction de l’hôtel est assurée par un directeur général, non membre de la famille. La fille aînée de l’ancien propriétaire est sous-directrice générale. Sa cadette occupe depuis peu le poste de directrice des relations publiques et des promotions. La mère et le fils aîné participent aussi à la prise de décision, bien qu’ils ne fassent pas officiellement partie de l’ED. Il n’y a pas de description de postes formelle au sein de l’ED, ce qui entraîne de nombreux chevauchements. Cette situation s’aggrave avec les mauvaises performances économiques, chaque membre de la famille ayant son propre diagnostic de la situation.

Malgré tout, la famille et les employés sont prêts à « travailler dur pour s’en sortir » (le directeur général). Selon la sous-directrice générale : « Nous sommes conscients qu’après le décès de mon père, les choses n’ont pas été faciles. L’hôtel manque de gestion formelle. Nous passons beaucoup de temps à traiter des urgences et tout le monde se mêle de tout. Cependant, nous n’avons pas ou peu de conflits. Tout le monde a été d’accord pour participer à cette expérience et nous attendons beaucoup de l’implémentation d’OVAR. »

Pendant l’implantation du SFG, les réunions d’élaboration des grilles OVAR sont tendues. Le manque de clarté dans les rôles et les responsabilités de chaque membre de l’ED ne facilite pas la réflexion. Les membres de la famille se méfient des employés et ont du mal à accepter de leur déléguer des responsabilités. Lors des trois premières réunions de suivi, on peut remarquer des tensions au sein de l’ED, particulièrement entre les propriétaires et les non-propriétaires. Selon le directeur général : « OVAR doit nous aider à changer la manière de contrôler et de nous contrôler ; si on a des objectifs ambitieux, on doit avoir les ressources et l’autorité pour les atteindre… mais surtout, on doit être évalués selon nos résultats et non au jour le jour. » Cependant, l’ensemble des membres de l’ED partagent l’intention d’améliorer la gestion de l’hôtel pour augmenter sa rentabilité, ce qui facilite finalement la mise en place d’OVAR. La sortie de cette impasse implique un nouveau mode de contrôle basé sur un pilotage de la performance à l’aide d’indicateurs agrégés de résultats. De plus, la mise en place d’OVAR a permis de clarifier les rôles. La mère et le fils interviennent en tant que membres du conseil d’administration plutôt qu’au sein de l’ED.

Finalement, la mise en place du SFG a contribué à établir une manière de travailler orientée vers l’atteinte d’objectifs individuels et organisationnels. Pour la directrice des relations publiques et des promotions, cela a beaucoup amélioré la cohérence : « Maintenant, dans les réunions chacun présente son tableau de bord et on discute en équipe des résultats et des actions correctives à prendre s’il y a des écarts. »

Les excellents résultats économiques et commerciaux provoquent un regain de confiance entre les membres de l’ED, traduisant une forte amélioration de sa cohésion. En effet, lors de la première réunion de suivi du deuxième semestre, les membres non propriétaires semblent plus à l’aise dans leurs responsabilités et les rapports entre les membres de l’ED se sont nettement améliorés. Les perspectives d’occupation et la productivité sont très supérieures à celles de l’année précédente. La réunion d’évaluation se déroule dans une ambiance agréable ; selon la sous-directrice générale : « ça nous encourage de voir qu’on travaille bien ensemble ». Apparemment, le fait de voir que les affaires marchent bien se traduit par de la satisfaction chez les membres de l’ED. La cohérence et la cohésion de l’ED se sont nettement améliorées (voir la figure 2).

Figure 2

Structure de l’équipe de direction de l’hôtel B

Structure de l’équipe de direction de l’hôtel B

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La situation de l’hôtel C est extrêmement difficile avant le début de l’expérience. À la suite d’une fraude qui a plongé l’entreprise dans de graves problèmes économiques et fiscaux, la méfiance s’installe entre les gestionnaires et le propriétaire (qui est aussi président-directeur général). Il décide alors de remplacer le directeur général par son fils ; ce dernier s’entoure très rapidement de quelques inconditionnels. Si l’hôtel a une structure qui semble très rationnelle, dans la pratique, les relations de pouvoir ébranlent l’organisation. Le directeur général se lance dans l’expérience de recherche-action du fait des pressions du propriétaire et du directeur des ventes. Selon le propriétaire : « c’est un bon moment pour professionnaliser l’hôtel, les fonctions ne sont pas bien définies et cela peut provoquer plusieurs chevauchements… il y a aussi des luttes de pouvoir entre les anciens membres de l’ED et mon fils ». Les membres de l’ED (voir la figure 3) souhaitent réaliser des réunions régulières d’évaluation, mais la méfiance régnante ne facilite pas la communication ni les bonnes relations entre eux. La cohésion est très mauvaise et la cohérence inexistante. Pour le directeur des ventes, cela est lié au manque d’engagement de l’ED : « On ne peut pas travailler comme ça… on est présents dans les réunions mais tout le monde semblecacher son jeu, il y a beaucoup de non-dits et personne ne veut rien céder. »

Figure 3

Structure de l’équipe de direction de l’hôtel C

Structure de l’équipe de direction de l’hôtel C

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Au cours de la phase d’implantation du SFG, les membres de l’ED participent avec enthousiasme aux ateliers de planification stratégique et d’élaboration des grilles OVAR, à l’exception du directeur général et de ses inconditionnels. Le directeur général abandonne la salle de travail régulièrement en disant « c’est le boss qui m’appelle pour traiter des affaires concernant l’hôtel… la priorité est la priorité » ; il est difficile de maintenir un échange constructif. À la demande du directeur général, les autres membres de l’ED élaborent ce qui devrait être sa grille OVAR, c’est-à-dire qu’ils fixent les objectifs, les variables d’action et les indicateurs du directeur général. Ce dernier confronté à sa grille avoue en privé qu’il n’a ni le pouvoir ni les moyens de réaliser ces objectifs. De même, il réalise qu’on lui a ôté plusieurs fonctions et sent qu’il perd du pouvoir : « la grille OVAR qu’ils m’ont faite est une preuve claire qu’ils veulent tout faire à ma place ; en plus, plusieurs choses suggérées ne sont pas réalisables car on n’a ni l’infrastructure ni de sous pour ça ». Il se sent démuni face aux défis et préfère maintenir le statu quo. Il commence à boycotter les réunions de direction. À la suite de la demande du directeur général, nous avons arrêté la mise en place d’OVAR. L’expérience n’a donc pas pu être menée à son terme.

Quatre mois avant la fin de l’année fiscale, le directeur des ventes est nommé au poste de directeur général. L’ancien directeur général devient contrôleur et l’ancien contrôleur est renvoyé. Ces changements dans l’ED aboutissent à une dégradation grave des relations. La participation de l’hôtel C à l’expérience de recherche-action est suspendue. Le nouveau directeur général continue néanmoins à informer les chercheurs des évolutions de la situation. La nouvelle direction suscite des espérances au sein des membres de l’ED. Le nouveau directeur général est moins impétueux et plus conciliant : « J’essaie de créer un vrai esprit d’équipe, que tout le monde ait envie de travailler ensemble. J’ai adopté un style participatif, je laisse de plus en plus les membres de l’ED prendre des initiatives… et je fais souvent des réunions informelles. » Il obtient facilement la confiance des membres de l’ED, mais sa capacité à produire des résultats reste à prouver. Il semble qu’il doive réorganiser le travail de son ED pour l’année à venir : « Je pense que le climat s’est beaucoup amélioré, mais qu’il y a encore des chevauchements dans les tâches et les fonctions. » La cohésion s’améliore considérablement mais la cohérence reste mauvaise.

Discussion et conclusions

Il existe des différences et des similitudes entre la cohérence et la cohésion. S'il est certain que ces deux phénomènes sociaux cherchent à unir les efforts d’un groupe d’individus vers la réalisation d’une action qui implique un effort collectif, la cohérence suppose la différenciation et l’intégration rationnelle des efforts individuels. Elle privilégie la rationalité au sein d’un groupe. Pour sa part, la cohésion vise à unir la pensée et / ou les sentiments du groupe d’individus. Elle existe dans la mesure où les individus relèguent leurs particularités pour se fondre émotionnellement dans la communauté.

Cette expérience de recherche-action a eu comme objet la mise en place d’un SFG dans trois entreprises. Elle nous a également permis d’étudier la relation entre la cohésion et la cohérence. Notre démarche scientifique a un caractère exploratoire car c’est la première fois que la cohésion et la cohérence sont mesurées de manière associée dans une recherche empirique en sciences de gestion. Bien que la littérature en gestion propose plusieurs outils et démarches pour améliorer la cohésion (management par la culture, management par les valeurs, team building) et la cohérence (Balanced Scorecard, OVAR, Hoshin Kanri), les concepts de cohérence et cohésion n’ont jamais été abordés clairement et conjointement d’une manière empirique dans le domaine de l’organisation. À notre connaissance, peu de recherches traitent explicitement de la relation entre la cohérence et la cohésion en tant que phénomènes différents et interdépendants.

En dépit de son caractère exploratoire, notre recherche est porteuse de résultats fort intéressants pour les praticiens et les chercheurs en gestion. Tout d’abord, cette recherche-action laisse penser qu’il faut un minimum de cohésion au sein d’une équipe pour pouvoir améliorer sa cohérence. Comme observé dans l’hôtel A (« bon » niveau de cohésion) et dans l’hôtel B (niveau de cohésion « moyen »), la cohésion déjà existante dans l’équipe dirigeante permet une bonne communication entre les membres pour mettre en place des instruments de gestion qui améliorent la cohérence du travail collectif. Quand l’équipe est unie, la solidité des rapports professionnels permet de trouver une issue favorable aux conflits et l’arrivée d’un SFG conduit à améliorer la cohérence des activités. Dans l’hôtel A, le niveau de cohérence passe de « bon » à « très bon » et dans l’hôtel B de « moyen » à « très bon ».

L’amélioration de la cohérence dans les hôtels A et B a également un impact positif sur les performances économiques de ces hôtels. De plus, les réalisations et l’atteinte des objectifs engendrent de la satisfaction chez les membres des ED des hôtels A et B qui resserrent leurs liens et améliorent ainsi le niveau de cohésion. En effet, l’ED motivé par sa bonne performance partage des émotions et sentiments gratifiants qui vont améliorer à leur tour la cohésion de l’équipe. Le renforcement de la cohérence entraîne donc un progrès des résultats économiques de l’entreprise qui, à leur tour, améliorent le niveau de cohésion. La mise en place du SFG a contribué au renforcement de la cohérence des équipes et à l’amélioration des performances économiques, ce qui tend à renforcer la cohésion des ED.

En conclusion, nos résultats laissent penser qu’il existe une relation vertueuse entre la cohésion et la cohérence et qu’une gestion efficace doit assurer l’équilibre entre ces deux phénomènes sociaux dans les ED. Avec un minimum de cohésion et la mise en place d’un SFG, le renforcement de la cohérence semble influencer positivement les résultats économiques. La perception de succès améliore alors la cohésion au sein de l’équipe. L’ED entre donc dans un cercle vertueux dans lequel la cohérence et la cohésion se renforcent mutuellement. Les cas des hôtels A et B illustrent cette relation.

Le cas de l’hôtel C permet de conclure qu’il est difficile d’implanter un SFG sans un minimum de cohésion au départ et qu’il est peu probable, dans ces conditions, de renforcer la cohérence de l’ED. Dans le cas de l’hôtel C, le faible niveau de cohésion semble empêcher l’implantation d’un SFG. Ce processus se heurte à d’importantes réticences telles que la méfiance et les conflits.

Finalement, l’amélioration du degré de cohésion dans une ED n’est pas une condition suffisante pour assurer le développement adéquat de la cohérence et des résultats économiques. Au début de l’enquête, l’hôtel C avait un niveau de cohésion qualifié de « très mauvais » lié aux conflits entre le dirigeant et son ED. Le dirigeant a été renvoyé quelques mois plus tard. Le nouveau DG, choisi par plusieurs membres de l’ED, est plus consensuel et a un leadership plus participatif que son prédécesseur. Le nouveau dirigeant arrive à rallier ses collaborateurs et à créer un environnement agréable. Néanmoins, l’amélioration du niveau de cohésion (passant de « très mauvais » à « bon ») n’est pas un facteur suffisant pour améliorer ni la cohérence de l’ED ni les résultats économiques de l’entreprise. Cela nous autorise à penser que les bonnes relations et l’intention de travailler en équipe n’assurent pas automatiquement une bonne performance économique. Il est nécessaire, pour l’ED, de compter avec un outil de gestion, tel un SFG, qui génère de la cohérence pour améliorer la convergence des buts en son sein.

La recherche-action ne prétend pas la généralisation mais la production de connaissances du terrain dont certaines auraient été inaccessibles avec d’autres méthodes (Hugon et Seibel, 1986). La recherche-action intervient dans de petites unités sociales ; ses résultats peuvent être transférables à des unités semblables sans toutefois être généralisables à toute population (Pasmore, 2006). Les apports de cette recherche-action ne peuvent donc pas être généralisés et doivent être considérés avec prudence. En outre, notre expérience se limite exclusivement à l’implantation d’un SFG conçu à l’aide de la démarche OVAR. Cela étant, il est possible que d’autres outils de gestion, dans des situations similaires, confirment ou non nos résultats. Cela pourrait faire l’objet de futures recherches. Nous avons privilégié dans cette étude l’observation des niveaux supérieurs de l’entreprise, sans prendre en compte la relation entre l’ED et ses subordonnés. Malgré les limites de notre recherche, ses apports n’en sont pas moins intéressants, d’autant plus que les études longitudinales d’intervention se font rares aujourd’hui. En outre, nos résultats sont particulièrement riches car ils proviennent de trois études de cas approfondies, pour lesquelles nous avons mobilisé différentes méthodes de recherches pendant 18 mois.

Pour les gestionnaires, les implications principales de notre recherche sont, d’une part, de souligner l’importance de la cohésion dans le processus d’implantation d’un SFG et, d’autre part, de rappeler que la cohérence n’est pas une conséquence naturelle de la cohésion mais que celle-ci procède de la mise en place d’instruments de gestion. En effet, nous croyons qu’avant d’investir du temps et de l’argent dans la mise en place de systèmes formels de gestion, les dirigeants de PME devraient s’assurer d’avoir un niveau minimal de cohésion dans leur ED, faute de quoi, l’implantation du SFG risque d’être fortement compromise. Il semble donc illusoire de croire qu’un SFG puisse à lui seul résoudre des conflits ou corriger des chevauchements de rôles au sein d’entreprises familiales. En outre, le fait d’avoir une ED cohésive ne garantit pas, per se, l’obtention de meilleurs résultats économiques. De fait, il est nécessaire d’outiller les équipes, par exemple à l’aide de SFG, pour améliorer le niveau de cohérence et, finalement, en observer les bénéfices sur la performance économique.