Corps de l’article

Introduction

Même si aujourd’hui peu de nouveaux développements sont envisagés pour appréhender le processus d’internationalisation des entreprises et sa dynamique, de nombreux modèles traitant de ce processus ont été proposés à partir du milieu des années 1970, et en particulier le modèle fondateur de l’école nordique d’Uppsala et les modèles Innovation. Ces derniers visent à conceptualiser le processus par lequel les entreprises s’engagent hors de leurs frontières nationales. Ces travaux sont régulièrement mobilisés et constituent un apport fondamental à la compréhension du processus d’internationalisation. Toutefois, force est de constater l’existence de nombreuses recherches en soulignant les limites et insistant sur la nécessité de les enrichir. Nous inscrivant dans cette perspective, nous proposons, dans le présent article, de mobiliser l’approche fondée sur les ressources et les compétences, et, plus précisément, le courant des ressources dynamiques (Durand, 1997) regroupant la théorie des compétences fondamentales (Hamel et Prahalad, 1990) et la théorie des capacités dynamiques (Teece, Pisano et Shuen, 1997).

Selon cette approche trouvant ses origines dans les travaux de Penrose (1959), le processus d’expansion de la firme ne dépend pas seulement de son positionnement externe et du jeu des forces auquel elle est soumise, mais une bonne part de sa réussite tient également aux ressources dont elle dispose et qu’elle combine de façon originale. Une des originalités de cette approche réside donc dans la place et le rôle accordés au comportement des entreprises et des entrepreneurs dans le processus d’expansion.

Ces entrepreneurs représentent en effet une figure importante dans le processus d’expansion des firmes, et tout particulièrement dans le processus d’internationalisation des PME pour lequel il est considéré comme une variable clé (Miesenböck, 1988). Toutefois, une stratégie de pénétration des marchés étrangers ne peut être mise en oeuvre par le seul dirigeant, compte tenu de la multiplicité des problèmes à résoudre (commerciaux, financiers, juridiques, etc.) et de la complexité qui en découle. Dès lors, il convient de considérer l’internationalisation comme un processus collectif porté par une équipe (Leconte et Forgues, 2000).

Cette équipe dirigeante, entendue comme le groupe d’individus exploitant les informations internes et externes à l’entreprise pour prendre des décisions qui engagent la stratégie et la pérennité de l’entreprise (Bantel et Finkelstein, 1995), permet la construction de ce processus stratégique. En effet, les aptitudes et compétences de l’équipe de direction sont en général considérées comme un facteur déterminant, influençant la survie et le développement des PME hors de leurs frontières nationales (Westhead, Wright et Ucbasaran, 2001) et mérite, à ce titre, une attention toute particulière (Loane, Bell et McNaughton, 2007).

Au-delà de la simple reconnaissance du rôle central et déterminant de l’équipe dirigeante, nous nous attachons à comprendre le rôle des compétences managériales dans la conduite du processus d’expansion géographique des PME. Afin de répondre aux objectifs assignés à cet article, nous présentons tout d’abord les apports ainsi que les limites des modèles Uppsala et Innovation, et montrons comment le courant des ressources dynamiques permet de les enrichir en répondant aux critiques formulées à leur encontre. Puis, nous rendons compte de la stratégie d’accès au réel et de la méthodologie retenues afin de mener notre étude. Enfin, nous exposons nos principaux résultats et les discutons avant de conclure sur la réflexion menée.

1. Quelles perspectives d’enrichissement pour les modèles Uppsala et Innovation ?

Parmi l’ensemble des travaux traitant du processus d’internationalisation, deux voies d’analyse peuvent être identifiées (Andersen, 1993) : les modèles initialement développés par Johanson et Wiedersheim-Paul (1975) et Johanson et Vahlne (1977) connus sous le nom de modèle Uppsala ; et les travaux initiés notamment par Bilkey et Tesar (1977) et regroupés sous le nom de modèles Innovation.

Ces différents modèles, appréhendant l’internationalisation dans une perspective incrémentale et cumulative, ont contribué fondamentalement à la compréhension des processus d’expansion géographique des entreprises et de leur dynamique. Cette synthèse, que nous proposons ci-après, n’a pas pour objectif d’en minimiser les apports mais de souligner les incomplétudes des travaux antérieurs et les prolongements possibles. Nous montrons ensuite dans quelle mesure l’approche fondée sur les ressources et les compétences, et en particulier le courant des ressources dynamiques, constitue un champ théorique pertinent pour enrichir l’analyse et la compréhension du processus d’internationalisation des entreprises.

1.1. Modèles Uppsala et Innovation : une contribution à la compréhension du processus d’internationalisation à enrichir

S’appuyant sur la théorie béhavioriste de la firme, les modèles Uppsala et Innovation analysent l’internationalisation comme un processus d’apprentissage comportant des étapes par lesquelles passe l’entreprise. Dans chacun des modèles, le caractère graduel de ce processus peut principalement être attribué au manque de connaissances de la firme, d’une part, et à l’incertitude associée à la décision d’internationalisation, d’autre part (Andersen, 1993). L’un des apports majeurs de ces travaux est donc la mise en évidence d’un processus comportant des étapes ou stades que l’entreprise franchit successivement. Même si des différences existent entre ces modèles quant au nombre, à la nature et au contenu de ces étapes, tous se rejoignent sur l’idée d’un processus d’internationalisation pouvant être divisé en trois phases (Leonidou et Katsikeas, 1996) : le préengagement (phase où les entreprises inscrivent leur développement essentiellement dans un cadre domestique) ; la phase initiale (phase où les entreprises réalisent des exportations sporadiques sous différentes formes, en recourant à un agent par exemple) ; la phase avancée (à ce stade, les entreprises sont devenues des exportatrices régulières et envisagent de s’orienter vers des modalités plus engagées d’internationalisation telles que l’implantation de filiales à l’étranger). Chacune de ces étapes signifie pour les entreprises un engagement croissant sur les marchés étrangers, tant sur le plan des ressources mobilisées que des pays visés.

Si les apports de ces modèles sont évidents, ceux-ci ne sont pas exempts de limites. Ainsi, parmi les critiques formulées, citons, en premier lieu, celle relative à l’unité d’analyse la plus souvent retenue. Ces travaux se focalisent pour l’essentiel sur le comportement des grandes firmes et négligent la population des PME, malgré le rôle de plus en plus important et actif que jouent ces entreprises sur les marchés étrangers (Knight et Daekwan, 2009). Par ailleurs, ces modèles ne considèrent dans leur analyse que la seule activité exportatrice et omettent de voir ces exportations comme un élément du portefeuille total d’activités de l’entreprise (Leonidou et Katsikeas, 1996). Cette critique trouve d’autant plus d’écho dans les PME qui sont confrontées au choix stratégique du partage de leurs ressources entre leur marché domestique et leur(s) marché(s) étranger(s). En outre, ces recherches sont considérées comme trop déterministes, tant dans le choix des pays d’exportation (des pays psychologiquement proches vers les pays psychologiquement plus éloignés) que des modalités de pénétration des marchés étrangers (d’un engagement léger et flexible vers un engagement de plus en plus lourd et irréversible). Une autre critique majeure portée à ces travaux tient également à l’absence de prise en compte de la dimension temporelle dans les analyses (s’appuyant sur des méthodologies d’analyse synchroniques), alors même que ce phénomène est jugé profondément dynamique et doté d’une forte temporalité. Enfin, ces modèles n’explicitent pas les facteurs (en particulier les déterminants internes) pouvant influencer ce processus d’internationalisation. Ces travaux correspondent donc plus à une analyse descriptive et configurationnelle du processus d’engagement incrémental et séquentiel de l’entreprise hors de ses frontières nationales qu’à une analyse compréhensive de la nature intrinsèque de ce processus et de ses déterminants (Etrillard, 2002).

1.2. Le courant des ressources dynamiques : un cadre d’analyse pertinent pour l’étude du processus d’internationalisation

Parmi les développements récents traitant de la stratégie d’internationalisation, force est de constater un nombre croissant de travaux mobilisant l’approche basée sur les ressources et les compétences, comme l’a illustré Peng (2001). Ce dernier considère cette approche comme une innovation théorique pour l’étude des stratégies d’expansion géographique. Celle-ci offre en effet des perspectives nouvelles pour répondre à une des cinq questions les plus fondamentales en stratégie : « What determines the international success and failure of firms ? » (Rumelt, Schendel et Teece, 1994, p. 564). Au-delà de cette simple tendance, il est possible de dégager nombre d’éléments permettant de justifier notre intérêt pour l’utilisation de cette perspective, et en particulier du courant des ressources dynamiques[2], pour traiter du processus d’internationalisation des entreprises.

Tout d’abord, privilégiant l’étude des ressources intangibles (sans pour autant exclure celle des ressources tangibles), ce courant adopte une perspective dynamique, l’histoire façonnant indéniablement le devenir des ressources et des compétences[3] de l’entreprise, et donc de la firme elle-même. Or, la prise en compte de cette dimension temporelle dans l’analyse est, comme nous l’avons précédemment rappelé, indispensable à l’étude des processus d’internationalisation.

De plus, selon le courant des ressources dynamiques, une défaillance en ressources ne conduit pas systématiquement l’entreprise à l’échec et, réciproquement, des moyens illimités ne constituent pas une garantie de sa réussite. Selon ce courant, l’enjeu pour l’entreprise (et sa direction) se situe donc dans la mobilisation et la coordination des ressources, permettant de dégager un avantage concurrentiel, et non dans sa seule dotation en ressources uniques. Cette idée nous semble d’autant plus intéressante que nous inscrivons notre réflexion dans le cadre des PME pour lesquelles il est souvent fait mention de leur « handicap » ou de leur dépendance en termes de taille et de ressources. Le courant des ressources dynamiques offre ainsi la possibilité de dépasser cette idée, idée par ailleurs déjà réfutée eu égard au fait international (Wolff et Pett, 2000 ; Perks et Hughes, 2008). En effet, la pertinence des ressources dépend de la capacité de l’entreprise, et en particulier de celle de son équipe dirigeante, à les mobiliser. Ainsi, ce qui confère un caractère particulier à l’entreprise ne se situe pas tant dans les ressources dont elle est dotée que dans sa capacité à les arranger et dans le potentiel qu’elles recèlent. La principale source des avantages concurrentiels et de la croissance de la firme est donc l’ensemble des compétences individuelles et organisationnelles, par la mobilisation des services potentiels rendus par les ressources (Barney, 1991 ; Grant, 1991 ; Peteraf, 1993).

Par ailleurs, au travers de ce courant des ressources dynamiques, il y a une place privilégiée accordée aux processus d’apprentissage puisque ceux-ci sont envisagés comme le coeur du développement stratégique de l’entreprise. En effet, les capacités dynamiques combinent la capacité à oeuvrer dans certains domaines et le fait d’exceller dans les processus d’apprentissage relatifs à ces domaines. Autrement dit, le développement de l’entreprise dépend de sa capacité à innover mais également de sa capacité à apprendre. La direction a alors pour objectif de favoriser cette dynamique (Arrègle et Quélin, 2000). Cette prise en compte du rôle décisif joué par les processus d’apprentissage apparaît d’autant plus intéressante que les travaux traitant du processus d’internationalisation s’appuient sur celui-ci pour conduire leur raisonnement. En effet, un des apports majeurs de ces modèles tient à la mise en exergue d’un processus d’internationalisation par étapes se fondant sur les théories de l’apprentissage. L’entreprise accroît ainsi son engagement en termes de ressources et de marchés étrangers pénétrés au fur et à mesure qu’elle apprend de ces marchés hors de ses frontières nationales. Néanmoins, une des limites de ces travaux traitant du processus d’expansion géographique des firmes tient au fait qu’ils ne rendent pas compte des facteurs déterminants, des variables sur lesquelles porte l’apprentissage et qui peuvent permettre de comprendre le passage d’un stade à un autre. Le courant des ressources dynamiques offre la possibilité d’enrichir cette compréhension du processus d’internationalisation en s’interrogeant non seulement sur le « pourquoi » mais également sur le « comment » de ce développement d’une entreprise au-delà de ses frontières nationales.

En outre, le courant des ressources dynamiques nous permet de reconsidérer explicitement le rôle central de la direction dans l’orientation et la réussite de la firme (Bettis et Prahalad, 1986). Ce rôle des compétences managériales[4] dans la mise en action combinée des ressources, et donc dans la construction d’un avantage concurrentiel, a été souligné par nombre de travaux dans le cadre d’une stratégie d’internationalisation (Peng, 2001 ; Van Den Bosch et Van Wijk, 2001 ; Westhead, Wright et Ucbasaran, 2001 ; Perks et Hughes, 2008 ; Knight et Daekwan, 2009). Cette dimension apparaît d’autant plus primordiale que notre réflexion s’inscrit dans le cadre des PME où il est souvent fait état de la position centrale occupée par la direction. Le courant des ressources dynamiques suggère que les usages potentiels et donc la valeur d’une ressource d’une entreprise dépendent de la manière dont son équipe dirigeante la combine, la coordonne et l’utilise avec d’autres ressources spécifiques à la firme et auxquelles elle peut recourir. Il souligne ainsi que les compétences de l’équipe de direction doivent être considérées comme des moteurs du changement (Sanchez, 2000) et méritent pour cette raison une attention toute spéciale, en particulier s’agissant du processus d’internationalisation. Toutefois, la seule détention des compétences managériales nécessaires à la conduite d’un processus de changement, tel le processus d’internationalisation, ne saurait être suffisante pour conduire l’entreprise hors de ses frontières nationales. En effet, « l’addition de compétences individuelles ne conduira à l’émergence d’une compétence clé que si elle s’accompagne conjointement d’une intégration et d’une synergie de ces différentes compétences » (Meschi, 1997, p. 14). Toute réflexion contraire ne pourrait que s’enfermer dans un discours circulaire et tautologique. Il existe donc un autre défi à relever pour l’équipe dirigeante, à savoir mettre en oeuvre l’ensemble de leurs compétences managériales dans un fonctionnement d’équipe (Hambrick, 1987).

Dès lors, au-delà de la seule mise en évidence de ce statut primordial de l’équipe dirigeante et de l’identification des compétences en oeuvre dans le processus stratégique, l’objectif de cette réflexion est donc d’étudier le rôle des compétences managériales et de comprendre leur impact sur la conduite de ce processus, et en particulier sur la conduite du processus d’internationalisation des PME sur lequel nous nous concentrons.

2. Un éclairage sur les méthodes d’investigation de la recherche

À la lumière du questionnement retenu et des objectifs poursuivis, la stratégie d’accès au réel privilégiée pour analyser et comprendre le rôle des compétences de l’équipe dirigeante dans la conduite du processus d’internationalisation consiste en une étude de cas multisites, suivant une optique explicative. Celle-ci s’est déclinée, durant 34 mois (entre 2002 et 2005), dans l’étude approfondie et longitudinale de trois PME françaises dont nous conserverons l’anonymat. Ces organisations sont des entreprises industrielles, structurées, non cotées sur un marché financier, indépendantes et engagées significativement hors de leurs frontières nationales (tableau 1).

Tableau 1

Fiches signalétiques des PME étudiées

Fiches signalétiques des PME étudiées

-> Voir la liste des tableaux

Notre étude s’est appuyée sur le recueil et l’utilisation de données variées. Nous avons ainsi mené au total 33 entretiens individuels semi-directifs, in situ, d’une durée variant entre une heure et deux heures et demie. L’ensemble des membres identifiés de l’équipe dirigeante des différentes entreprises a été interrogé. Nous nous sommes également entretenus avec deux acteurs externes aux entreprises (un directeur d’appui à l’international d’une chambre de commerce et d’industrie, un agent commercial multicartes) et reconnus comme intervenant activement dans le processus d’expansion géographique des firmes. L’ensemble de ces entretiens nous a ainsi permis de collecter de nombreuses données primaires longitudinales a posteriori retraçant l’évolution du processus d’internationalisation depuis les origines jusqu’à aujourd’hui pour chacune des entreprises[5].

Compte tenu de la durée de l’étude, nous avons également recueilli des données en temps réel sur, par exemple, le développement récent des exportations de la PME 1 sur la zone Afrique, la naissance d’un projet de création de filiale de production pour la PME 2 ou encore la totalité du processus de création et d’implantation d’une filiale de vente en Italie de la PME 3. En outre, afin de compléter ces entretiens, nous avons collecté des données secondaires externes (études du SESSI, presse spécialisée, etc.) et internes (historique des entreprises, plaquettes commerciales, revues de presse, etc.). Ce recueil de données secondaires avait une double finalité : comprendre (ces données permettent de reconstituer des évènements passés et de les comparer aux évènements présents) et valider (ces données offrent la possibilité de compléter, voire de contredire, les données recueillies à l’aide d’autres modes de collecte tel l’entretien).

La méthode proposée par Miles et Huberman (2003) a ensuite guidé la condensation des données colligées (au travers de l’élaboration d’un dictionnaire des thèmes et des objets étudiés, de la définition des unités de codage, ou encore de la catégorisation des données collectées[6]), leur présentation (avec par exemple l’élaboration de matrices chronologiques ou encore de méta-matrices) ainsi que l’élaboration et la vérification des conclusions (s’appuyant sur le contrôle de la représentativité des données et des effets du chercheur, la triangulation des données, la vérification des explications rivales, l’évaluation des résultats par nos interlocuteurs, etc.) qui sont présentées ci-après.

3. Les compétences de l’équipe dirigeante au coeur du processus d’internationalisation des PME

Au regard de notre objectif, nous allons tout d’abord rendre compte des différents cheminements à l’international suivis par chacune des PME étudiées et montrer les possibilités d’enrichissement des modèles Uppsala et Innovation qui s’offrent à nous. Nous verrons ensuite que, même s’il est souvent fait état du rôle crucial du dirigeant dans la conduite stratégique des PME, l’internationalisation des entreprises étudiées doit être envisagée comme un processus collectif porté par une équipe dont les décisions et les actions permettent un engagement croissant sur les marchés étrangers. Nous montrons qu’il est par conséquent nécessaire de porter une attention toute particulière aux compétences de cette équipe dirigeante. Puis, nous identifions les différentes compétences des équipes intervenant dans le cadre particulier de la conduite d’un processus d’expansion géographique au sein de PME. Enfin, nous démontrons qu’il faut envisager l’internationalisation de ces entreprises comme un processus dont la dynamique, les modalités et les pays visés sont fortement dépendants des compétences de l’équipe dirigeante en place et de leur évolution.

3.1. Les cheminements d’internationalisation suivis par les PME étudiées

La matrice 1 (p. 26) rend compte des caractéristiques du processus d’expansion géographique suivi par les PME étudiées, au regard des dimensions « pays » et « modalités » qui sont déterminantes dans la construction des modèles antérieurs traitant du processus d’internationalisation.

Matrice 1

Approche comparative des processus d’internationalisation suivis par les PME étudiées sur les dimensions « pays » et « modalités »

Approche comparative des processus d’internationalisation suivis par les PME étudiées sur les dimensions « pays » et « modalités »

Matrice 1 (suite)

Approche comparative des processus d’internationalisation suivis par les PME étudiées sur les dimensions « pays » et « modalités »

-> Voir la liste des tableaux

Au regard de l’ensemble des données recueillies et des analyses conduites, il apparaît donc que chacun des stades identifiés pour l’ensemble des sites étudiés représente un engagement croissant en ressources au cours des processus d’internationalisation respectivement suivis par ces trois PME. En outre, il est à souligner que la pénétration des marchés étrangers s’effectue généralement tout d’abord vers des marchés psychologiquement proches, pour ensuite progressivement s’orienter vers des pays psychologiquement plus éloignés[7]. Ces résultats s’inscrivent dès lors dans la continuité des descriptions opérées par les modèles Uppsala et Innovation, qui envisagent l’internationalisation comme un processus incrémental et cumulatif.

À ce stade de la réflexion et de l’analyse, force est de constater qu’aucun facteur interne et/ou externe influençant le processus d’internationalisation de chacune des PME étudiées n’est mis en exergue. Afin de ne pas proposer une simple analyse descriptive et configurationnelle du processus d’expansion géographique pour les trois entreprises étudiées, il convient dès lors de s’interroger à présent sur les raisons et conditions du démarrage de ce cheminement international ainsi que du passage d’un stade à un autre au cours de ce processus. Autrement dit, il nous faut identifier les facteurs pouvant intervenir au cours de ce processus d’internationalisation et influencer la conduite et la dynamique de celui-ci. Cette démarche est en effet totalement absente des travaux antérieurs traitant de ce phénomène qui considèrent que : « the internationalization process, once it has started, will tend to proceed regardless of whether strategic decisions are made or not » (Johanson et Vahlne, 1990, p. 12).

3.2. Les équipes dirigeantes au coeur du processus d’internationalisation

Dans le modèle Uppsala, aucune des conditions initiant le processus n’est présentée. Dans les modèles Innovation, le mécanisme déclencheur du processus est étudié mais reste limité. En effet, le comportement international des entreprises est envisagé comme seulement réactif et non proactif, l’entreprise réalisant ses premières opérations sur des marchés étrangers du fait de sollicitations externes. L’hypothèse avancée est donc que l’entreprise ne fait tout d’abord que saisir et répondre à une opportunité s’offrant à elle.

Le cas de la PME 1 illustre parfaitement l’hypothèse formulée par les modèles Innovation. En effet, cette entreprise débute ses premières activités exportatrices à la suite de sollicitations externes sans qu’il y ait de la part de cette firme, à cette époque, une réelle volonté de s’engager hors de son marché domestique, comme nous l’a indiqué le directeur d’usine et technique : « Nous n’avions pas vocation à aller démarcher et à vendre à l’étranger mais on nous a passé des commandes. » Ces propos sont d’ailleurs confirmés par le PDG de la PME 1 : « Notre stratégie à l’international était simple à l’époque puisque nous n’avions pas de stratégie, l’export a commencé par une succession d’opportunités qui se sont présentées avec le marché du caoutchouc [] parce que nos clients étaient mondiaux, étaient implantés à droite et à gauche et donc il a fallu livrer à droite et à gauche. La seule réalité est que nous avons su les saisir. » Ces premiers développements s’expliquent donc par les caractéristiques des produits fabriqués par l’entreprise à cette date et vendus à quelques usines françaises, filiales de groupes internationaux.

Pour leur part, les cas des PME 2 et 3 vont à l’encontre de cette conceptualisation d’un processus d’expansion géographique seulement réactif. En effet, les premiers pas de la PME 2 hors de ses frontières nationales trouvent leurs origines à la fois dans des sollicitations externes et, de façon quasi concomitante, dans une démarche volontaire de pénétration des marchés étrangers par le dirigeant, comme nous l’a mentionné le directeur général : « L’export chez nous, c’était au début un peu d’opportunité mais aussi une réelle volonté de se développer à l’exportation. » Le cas PME 3 contredit pour sa part totalement cette hypothèse puisque les premiers développements internationaux de l’entreprise trouvent leurs origines dans une démarche active et volontaire de l’actuel dirigeant, qui souhaite, dès son arrivée dans l’entreprise en 1973, que celle-ci soit présente à l’étranger. L’actuel PDG nous a en effet indiqué : « Quand je suis arrivé, ça ne travaillait qu’en France et donc j’ai commencé à prendre ma valise et à aller en Belgique, dans la zone wallonne, de langue française et à attaquer ça [considérant qu’]il ne fallait pas rester franco-français [et qu’]il existe un monde après la France ». En outre, signalons que les dirigeants des PME 2 et 3, à l’origine des développements internationaux, possèdent respectivement des connaissances relatives à certains marchés étrangers (acquises au travers des séminaires de formation à l’export dispensés par le service d’appui à l’international de la CRCI de Basse-Normandie) et une expérience professionnelle antérieure à l’international (en tant que commercial dans un laboratoire pharmaceutique international en Grande-Bretagne). Certains travaux peuvent apporter une explication à ces démarches exportatrices volontaires. En effet, Reuber et Fischer (1997), Wolff et Pett (2000), Loane, Bell et McNaughton (2007) montrent que les expériences internationales antérieures acquises par la direction peuvent avoir un impact positif sur le comportement exportateur des PME, en particulier lors des premiers développements de ces entreprises hors de leurs frontières nationales. Les résultats observés auprès des deux PME corroborent ces travaux qui éclairent les raisons du démarrage d’une activité exportatrice.

Dès lors, si nous ne pouvons nier l’importance des opportunités se présentant dans le cadre du processus d’expansion des entreprises hors de leurs frontières nationales, il nous faut toutefois nuancer la seule logique d’un comportement réactif s’appliquant aux PME dans le cadre de leur développement international. En effet, deux des trois PME étudiées s’engagent à l’international sur la base d’une réflexion stratégique délibérée de leur dirigeant dont l’expérience et les connaissances des marchés étrangers facilitent le démarrage d’une activité exportatrice. Nos résultats corroborent donc les différents travaux (Wolff et Pett, 2000 ; Westhead, Wright et Ucbasaran, 2001 ; Loane, Bell et McNaughton, 2007 ; Knight et Daekwan, 2009) soulignant le rôle déterminant de la direction dans le processus d’internationalisation, et plus particulièrement le rôle clé du dirigeant dans ce processus s’agissant des PME : « The key variable in small business internationalisation is the decision-maker of the firm. He or she is the one to decide starting, ending and increasing international activities. He lays down the goals concerning exporting and determines the organisational commitment. » (Miesenböck, 1988, p. 42.)

Si, effectivement, les dirigeants de ces trois PME assument seuls et pleinement la responsabilité de la prise de décisions stratégiques (leur légitimité dans ce rôle étant renforcée par le fait qu’ils sont tous les trois propriétaires de ces entreprises, comme nous l’ont fait remarquer leurs collaborateurs[8]), il ne faut toutefois pas pour autant se focaliser sur les seuls dirigeants-propriétaires. En effet, eu égard aux investigations menées, force est de constater que ceux-ci ne peuvent agir seuls par manque de temps et de compétences. Ils s’entourent donc progressivement de différents collaborateurs, aux rôles distincts et constituant une équipe dirigeante sur laquelle ils s’appuient fortement (figure 1). Cette situation nous a été confirmée par l’ensemble des dirigeants des trois PME : « À une seule personne, on ne peut pas assurer quand les marchés prennent de l’importance » (extrait d’entretien avec le dirigeant de la PME 1) ; « Il a fallu s’entourer de personnes avec des compétences qu’on n’avait pas » (extrait d’entretien avec le dirigeant de la PME 2) ; « On ne peut pas tout connaître et donc pour réussir dans vos affaires, et notamment à l’export, il faut savoir s’entourer » (extrait d’entretien avec le dirigeant de la PME 3). À ce titre, Hambrick (1987, p. 91) précise : « Except in the most extreme cases, management is a shared effort. There are too many options and issues for one person to comprehend, so delegation and collaboration occur. »

Figure 1

Les membres de l’équipe dirigeante et leur rôle

Les membres de l’équipe dirigeante et leur rôle

-> Voir la liste des figures

Néanmoins, ces collaborateurs n’ont pas tous le même rôle comme peut notamment l’illustrer le cas de la PME 3 : « Quand il y a une décision stratégique à prendre, c’est son entreprise, son argent, donc lui seul peut prendre le risque et dans ce cadre-là, c’est le seul dirigeant » (extrait d’entretien avec le directeur marketing) ; « Si on parle des décisions qui entraînent un changement important pour la société, c’est discuté en très petit comité entre le PDG, le directeur général et la secrétaire générale du pôle cosmétique » (extrait d’entretien avec le directeur export) ; « Quand c’est plus opérationnel, quand ce sont des décisions pour faire avancer le travail au jour le jour, c’est pris de façon individuelle par chaque responsable de service » (extrait d’entretien avec le directeur export). Ainsi, nous distinguons, pour l’ensemble des PME étudiées, trois niveaux au sein des équipes dirigeantes : la prise de décisions stratégiques qui relève des seuls dirigeants-propriétaires dans les cas étudiés ; l’élaboration de la stratégie qui mobilise les collaborateurs les plus anciens et les plus expérimentés permettant notamment une importante rapidité dans la prise de décisions ; et enfin la mise en oeuvre de la stratégie où nous trouvons les cadres spécialistes des grandes fonctions de ces trois PME.

Les travaux d’Eisenhardt (1992) éclairent ces résultats. En effet, l’auteur a montré que « la plupart des décideurs rapides appliquent une méthode de consultation à deux niveaux, qui permet à tous les cadres de donner leur avis, mais selon laquelle les opinions retenues par le décideur final sont celles d’un ou deux conseillers choisis parmi les cadres les plus expérimentés du groupe » (Eisenhardt, 1992, p. 12). Cette démarche de consultation du dirigeant à deux niveaux avec une place privilégiée accordée aux collaborateurs les plus expérimentés et les plus anciens est identifiée dans l’ensemble des cas étudiés, et dans le contexte particulier de la conduite d’un processus d’expansion géographique

La constitution progressive de ces équipes dirigeantes ainsi que le recours à des acteurs extérieurs à cette équipe (figure 1 et matrice 2) correspondent, pour chacun des cas étudiés, à la nécessité de combler des compétences internes manquantes mais jugées nécessaires au développement de ces entreprises, en particulier au plan international. En effet, les dirigeants et leurs collaborateurs ont souligné qu’ils ne pouvaient pas à eux seuls regrouper l’ensemble des compétences nécessaires à la conduite de leur entreprise hors de leurs frontières nationales, en particulier lorsque ces développements prennent de l’importance et confrontent l’entreprise à une complexité croissante : « C’était une tête avec plusieurs casquettes pendant longtemps et donc l’arrivée de notre directeur commercial nous a permis de reprendre de l’oxygène et de l’efficacité » (extrait d’entretien avec le directeur général de la PME 1) ; « Il a fallu s’entourer de personnes avec des compétences qu’on n’avait pas comme par exemple avec M. X [directeur export] à l’export » (extrait d’entretien avec le PDG de la PME 2) ; « À la base, nous étions une petite entreprise et notre dirigeant pouvait encore arriver à chapeauter l’intégralité de ce qui se passait mais compte tenu des évolutions et des besoins, il lui fallait ajouter des pôles de compétences dans différents domaines d’activité » (extrait d’entretien avec le directeur financier de la PME 3). En outre, s’agissant du recours à des acteurs extérieurs tels que des agents commerciaux, il nous a été précisé par le dirigeant de la PME 1 que : « Il [l’agent commercial sur la zone Afrique] a un réseau là-bas que moi je n’aurai jamais sauf si je bosse vingt ans de plus, donc on a compris qu’il y avait vraiment complémentarité. Cette présence complémentaire m’a fait gagner dix ans puisque, avant, entre l’identification du marché, du client, le contact avec le client, le premier rendez-vous, d’habitude, c’était cinq à six mois. Et là, en trois mois, j’ai fait trois pays et j’ai six contacts, ce qui nous fait maintenant du travail pour les cinq années qui viennent. » De même, le directeur export de la PME 2 nous a indiqué : « Dès lors qu’on a voulu travailler avec un pays, on a commencé par essayer de trouver un agent sur place pour des raisons davantage de proximité, de connaissance du pays, de la culture, de la langue. » Pour des motivations identiques à celles des deux autres entreprises, la PME 3 a recours à des agents commerciaux mais également à des directeurs commerciaux locaux pour ses filiales : « Dans nos filiales, il y a toujours un directeur qui vient du pays dans lequel on s’implante, qui connaît bien le marché » (extrait d’entretien avec le directeur financier), et ce, parce que « les personnels locaux peuvent être des partenaires, des acteurs pour imposer nos produits car téléguider les choses d’ici, avec notre culture et vouloir tout imposer, c’est aller à l’échec » (extrait d’entretien avec le directeur marketing).

Matrice 2

Acteurs extérieurs aux équipes dirigeantes mobilisés pour soutenir la mise en oeuvre des stratégies internationales

Acteurs extérieurs aux équipes dirigeantes mobilisés pour soutenir la mise en oeuvre des stratégies internationales

-> Voir la liste des tableaux

Si nous observons que les trois dirigeants débutent seuls les premières opérations exportatrices, il apparaît qu’ils doivent ensuite s’entourer progressivement d’une équipe pour combler leurs lacunes et permettre de surmonter la complexité croissante relative aux développements stratégiques internationaux. À ce propos, Sanders et Carpenter (1998, p. 160) montrent en effet que : « the more extensive a firm’s degree of internationalization, the greater the level of complexity confronting its top management team », résultats confirmés par la récente étude de Loane, Bell et McNaughton (2007). Dès lors, à la lumière des investigations menées, il faut considérer l’internationalisation des PME comme un processus collectif porté par une équipe dirigeante, dont les décisions et les actions (élaboration et mise en oeuvre de la stratégie) permettent un engagement croissant sur les marchés étrangers. Cette analyse souligne donc le rôle déterminant des membres de l’équipe dirigeante (et non du seul dirigeant) dans la conduite du processus d’internationalisation et évoque, sans les approfondir, les compétences de ces équipes dont l’influence sur ce phénomène est probable. Nous allons donc à présent identifier ces compétences qui interviennent dans le processus d’expansion géographique des PME, avant de nous attacher à comprendre leur(s) rôle(s) au sein de celui-ci, démarche dont la nécessité a été soulignée (Van Den Bosch et Van Wijk, 2001 ; Loane, Bell et McNaughton, 2007 ; Knight et Daekwan, 2009).

3.3. Les compétences de l’équipe dirigeante et leur rôle dans la conduite du processus d’internationalisation

Construite à partir de l’ensemble des données collectées auprès des trois sites étudiés, la matrice 3 (p. 34) rend compte des différentes compétences des équipes dirigeantes ayant été identifiées comme intervenant dans la conduite stratégique de ces PME depuis leur création jusqu’à aujourd’hui, et notamment au cours de leur processus d’expansion géographique. En outre, elle met en évidence le nombre de sites où nous les avons observés (par comptage) et leur(s) domaine(s) d’intervention. Elle permet également de mettre en exergue le rôle de ces différentes compétences de l’équipe dirigeante dans la conduite du processus d’expansion géographique, s’appuyant notamment sur une analyse approfondie des différentes situations d’échec et de réussite rencontrées par les trois PME lors de leurs développements sur les marchés étrangers.

L’étude de ces PME nous a permis d’identifier l’ensemble des compétences mobilisées dans leur conduite stratégique, et en particulier dans la conduite de leur processus d’internationalisation. Nous avons ainsi mis en évidence différentes compétences[9] (matrice 3) de l’équipe dirigeante intervenant au cours de ce processus et dont elles sont indissociables :

  • des compétences holistiques, ou autrement dit intervenant tant dans le cadre des développements nationaux qu’internationaux ;

  • des compétences spécialisées pour les seules activités menées sur les marchés étrangers ;

  • et enfin des compétences généralistes, se trouvant mobilisées dans le cadre de la gestion au quotidien des activités domestiques et internationales.

Matrice 3

Les compétences de l’équipe dirigeante et leur rôle dans la conduite du processus d’internationalisation

Les compétences de l’équipe dirigeante et leur rôle dans la conduite du processus d’internationalisation

* Dans le cas de la PME 1, les connaissances linguistiques n’ont pas été repérées comme intervenant dans la conduite du processus d’expansion géographique. Il faut toutefois noter que les pays visés par cette PME sont essentiellement francophones et que la maîtrise d’une langue étrangère n’est donc pas nécessaire.

-> Voir la liste des tableaux

Il apparaît que le processus d’expansion géographique de ces trois PME (en termes de modalités, d’objectifs pays et de dynamique) est étroitement associé à l’ensemble de ces compétences de l’équipe dirigeante en action et à leur évolution. Ainsi, nous corroborons différents travaux, menés auprès de grandes firmes multinationales, soulignant le rôle déterminant des équipes de direction et de leurs compétences dans la conduite de ces entreprises hors de leurs frontières nationales. En outre, il apparaît qu’un changement dans l’équipe dirigeante, et plus précisément une modification des compétences présentes au sein de cette équipe (à la suite de l’embauche d’un nouveau cadre intégré à cette équipe, d’une formation, de nouvelles expériences, etc.), avait une incidence certaine sur la stratégie élaborée par ces PME, permettant de pénétrer plus rapidement des pays étrangers, d’envisager des modalités plus lourdes et de viser de nouveaux pays. En effet, si nous prenons à titre d’illustration de ce propos le cas de la PME 3, il nous a été possible de repérer d’importants changements au niveau stratégique puisque, à la suite de l’embauche d’un nouveau directeur export (en 1998), ce sont alors, dès l’année 2000, les pays non francophones qui sont pris pour cibles par l’entreprise et la création de filiales détenues en propre qui est privilégiée pour pénétrer les marchés étrangers. L’arrivée de ce nouveau membre de l’équipe dirigeante correspond ainsi au passage, pour l’entreprise, du stade 3 au stade 4 de son cheminement international.

Ces résultats rejoignent donc les travaux de Penrose (1963, p. 77) qui soulignent : « les changements dans les connaissances détenues par le personnel dirigeant d’une entreprise modifient non seulement les services productifs des autres facteurs de production, mais également la façon dont l’entreprise perçoit les conditions de la demande ». S’agissant plus particulièrement du processus d’internationalisation, Loane, Bell et McNaughton (2007, p. 501) affirment que « the acquisition of new team members […] often provided new technical capabilities, greater knowledge of international markets, new business contact networks, or access to financial resources ».

Par ailleurs, au-delà de ce seul constat du rôle crucial des compétences de l’équipe dirigeante, notre étude nous permet de distinguer, au sein de celles-ci, des compétences aux rôles distincts dans la conduite du processus d’internationalisation. Nous distinguons en effet des compétences que nous qualifions de « stratégiques », au sens où elles initient et construisent le processus d’expansion géographique de ces PME (capacité à créer et gérer un réseau d’affaires, capacité à élaborer une stratégie d’entreprise, etc.), et des compétences opérationnelles qui permettent de mettre en oeuvre avec succès, à chaque étape du processus, cette stratégie de pénétration des marchés étrangers (connaissances des spécificités de pays/de la zone visé(e), connaissances des techniques export, capacité à gérer les opérations commerciales, techniques, etc.).

Les compétences stratégiques des équipes dirigeantes permettent d’accéder à différents marchés, nationaux et/ou internationaux. En outre, comme l’ont souvent précisé nos différents interlocuteurs, elles participent de façon déterminante à la valeur perçue par les clients du produit final proposé par ces entreprises. Enfin, elles constituent des compétences difficilement imitables par les entreprises concurrentes car elles relèvent des relations historiques qui ont été progressivement construites par les membres de l’équipe dirigeante avec leurs marchés domestiques et étrangers.

Si les compétences dites opérationnelles (au regard du rôle qu’elles jouent) peuvent être facilement acquises par d’autres firmes du même secteur, elles sont toutefois indispensables à la mise en oeuvre du processus d’internationalisation, leur absence (et notamment l’absence des compétences vouées aux seuls développements sur les marchés étrangers) pouvant être à l’origine de dysfonctionnements importants, et même conduire à des échecs lourds de conséquences sur la pérennité des entreprises comme peuvent l’illustrer les difficultés importantes auxquelles s’est heurtée la PME 1 lors de ses premiers développements sur la zone Afrique, où l’entreprise réalise aujourd’hui environ 66 % de son chiffre d’affaires export. Cette PME est sollicitée, à travers son réseau d’agents multicartes établi pour lui permettre de la soutenir dans son développement commercial, par une entreprise de biscuiterie d’Afrique de l’Ouest pour fabriquer et exporter vers le Sénégal un film plastique imprimé, destiné à l’emballage d’un produit alimentaire. Si ces exportations constituent, à l’époque, un succès sur le plan technique (produit développé), commercial (négociation avec le client), logistique (transport et livraison) et administratif (essentiellement douanier), il n’en demeure pas moins qu’elles créent d’importantes difficultés financières au sein de la PME 1 sur la période. En effet, la méconnaissance des techniques de règlement international par le dirigeant le conduit à accepter une traite à 60 jours pour le paiement de la commande par le client et à livrer la marchandise par voie maritime avant son règlement. Mais ce dernier n’intervient qu’après 12 mois et donc, sur la période, la PME 1 se retrouve face à des difficultés de trésorerie. À la lumière de ce relatif échec sur le plan financier, le dirigeant prend conscience de ne pas détenir l’ensemble des connaissances nécessaires au développement international de sa PME et de l’obligation de combler ses lacunes. Il décide alors de suivre des séminaires de formation, en particulier sur les techniques de règlement international, dispensés par le service d’aide à l’export de la Chambre régionale de commerce et d’industrie de Haute-Normandie. Fort de cette expérience et des connaissances acquises grâce à ces séminaires de formation, l’entreprise s’assure aujourd’hui de la solvabilité financière de l’ensemble de ses clients (par une remise de crédit documentaire pour chacun) avant de débuter toute opération et elle n’expédie les produits qu’après avoir reçu le règlement de la commande. À maints égards, nous pouvons considérer que ce résultat final (l’échec sur le marché sénégalais) provient de l’absence partielle de connaissances des techniques exports entraînant d’importantes difficultés dans la mise en oeuvre du processus d’expansion géographique sur la zone visée. Dès lors, les compétences opérationnelles doivent être considérées comme le minimum requis (mais non suffisant) sans lequel les PME ne peuvent prétendre pénétrer avec succès des marchés étrangers[10].

Ces résultats confirment donc, dans le contexte particulier de la conduite d’un processus d’internationalisation, les travaux visant à scinder les compétences managériales en différentes catégories en fonction de leur importance (leur rôle) dans le processus stratégique des entreprises. En effet, Schroder (1989) distingue les « B-competencies » (pour basic competencies) et les « H-competencies » (pour  high performance competencies). Les premières sont constituées des capacités à gérer les opérations financières, marketing, commerciales, de production, etc. Ce sont donc des compétences mobilisées dans le cadre de la réalisation de tâches précises et spécialisées inhérentes au développement des activités de l’entreprise. Les secondes, renvoyant à 11 compétences regroupées en quatre groupes (the cognitive competencies, the motivating competencies, the directing competencies et the achieving competencies), sont des compétences transversales et permettent à l’équipe dirigeante une performance supérieure dans des environnements complexes.

Hamel et Prahalad (1999, p. 216) considèrent également « qu’on ne saurait en effet reconnaître une valeur égale à toutes les compétences » et qu’il faut dès lors distinguer les compétences fondamentales des compétences accessoires. Selon ces auteurs, les premières possèdent les caractéristiques suivantes : elles fournissent des accès potentiels à un grand nombre de marchés ; elles contribuent de manière importante à la valeur perçue par les clients du produit ou service final proposé par l’entreprise ; et, enfin, elles sont difficiles à imiter par les firmes concurrentes. En outre, seules ces compétences fondamentales déterminent les choix opérés par l’entreprise par rapport aux compétences accessoires qui, malgré leur dimension cruciale pour son développement, ne contraignent pas les décisions prises.

À ce sujet, Hamel et Prahalad (1999, p. 216) soutiennent qu’il est alors nécessaire de « concentrer l’attention sur les compétences situées au centre, plutôt qu’à la périphérie, de la réussite ». Si nous ne rejetons pas cette idée, nos résultats montrent cependant qu’il est nécessaire de la nuancer. En effet, eu égard à l’ensemble des données recueillies et en particulier à l’analyse de différentes situations d’échecs rencontrées par ces trois PME au cours de leur expansion géographique, il apparaît que porter son attention sur les seules compétences stratégiques (ou fondamentales, selon Hamel et Prahalad, 1990) ne peut permettre d’appréhender l’ensemble des déterminants de ce processus et donc de comprendre leur influence sur la dynamique, les objectifs et les modalités retenues au cours du processus d’internationalisation.

Par conséquent, l’ensemble de ces résultats nous permet de montrer qu’il est possible de mieux comprendre le processus d’expansion géographique des PME, en termes de modalités retenues, de choix de pays et de dynamique, en focalisant notre attention sur les compétences stratégiques et opérationnelles des équipes dirigeantes et leur évolution. Ainsi, il y a donc enrichissement des modèles Uppsala et Innovation puisque ces derniers, comme nous l’avons mis en exergue précédemment, n’explicitent jamais les conditions et les raisons du passage d’un stade à un autre au cours de ce processus. Ces résultats complètent différents travaux (Leconte et Forgues, 2000 ; Van Den Bosch et Van Wijk, 2001) qui montrent le rôle déterminant des compétences des équipes dirigeantes dans la conduite des entreprises hors de leurs frontières nationales, mais qui n’expliquent pas dans quelle mesure celles-ci influencent cette stratégie.

À la lumière de l’ensemble des données recueillies et analysées, nous envisageons donc l’internationalisation des PME comme un processus d’engagement sur les marchés étrangers dont la dynamique et les objectifs (les pays visés et les modalités retenues) sont fortement dépendants de l’évolution des compétences stratégiques et opérationnelles (détenues en interne ou mobilisées par le recours à des acteurs extérieurs lorsqu’elles sont absentes ou insuffisantes) de l’ensemble des membres de l’équipe dirigeante.

Conclusion

La présente recherche comporte des implications, tant sur le plan théorique que managérial, mais également certaines limites qui ouvrent autant de voies de recherche dans un domaine où de nombreuses investigations restent à mener.

Du point de vue des apports théoriques, les résultats obtenus permettent d’enrichir les travaux traitant du processus d’internationalisation tout d’abord en mettant en évidence le déroulement complet du processus d’expansion géographique d’un type d’entreprises souvent mis à l’écart des réflexions sur ce phénomène. Nous avons en effet relevé que les travaux appréhendant cette stratégie ont largement privilégié pour unité d’analyse la seule grande entreprise et/ou l’unique étude des activités exportatrices. Un autre apport de cette recherche tient au choix d’introduire la dimension temporelle dans l’analyse, dimension souvent omise par les travaux antérieurs sur le processus d’internationalisation, et en particulier les modèles Uppsala et Innovation. En effet, ces travaux prennent appui sur des méthodologies d’analyse synchroniques, analysant un échantillon de firmes à un moment déterminé. Or, l’internationalisation est profondément dynamique et dotée d’une forte temporalité et c’est pourquoi il convient d’adopter une approche diachronique. Par ailleurs, les modèles antérieurs n’explicitent jamais les conditions et raisons du passage d’un stade à un autre au cours du processus d’internationalisation des entreprises. Nous mettons en évidence qu’en mobilisant l’approche fondée sur les ressources et les compétences, et en particulier le courant des ressources dynamiques qui souligne le rôle crucial de la direction et de ses compétences dans l’expansion des entreprises (et permet également la prise en compte de la dimension temporelle dans l’analyse), il est possible de comprendre le cheminement suivi par les PME (en termes de modalités, de dynamique et de pays) à l’international. Voilà pourquoi cette étude contribue à l’enrichissement de la compréhension de ce phénomène en mettant en évidence les facteurs pouvant influencer ce processus.

L’analyse proposée comporte également des implications managériales. D’une part, elle apporte des éléments de compréhension des facteurs qui permettent d’initier, d’élaborer et de mettre en oeuvre le processus d’expansion géographique des PME, et incite à considérer tout particulièrement les compétences des équipes dirigeantes et leur évolution puisque de celles-ci dépend le développement international de ces entreprises. D’autre part, en offrant une distinction entre compétences stratégiques et compétences opérationnelles, il peut être possible de diagnostiquer les raisons des succès ou des échecs rencontrés par les entreprises au cours de leur processus d’expansion géographique. En outre, nous avons identifié les différentes compétences que l’équipe dirigeante doit autant que possible détenir, ou mobiliser par l’entremise d’acteurs extérieurs, lorsqu’elle souhaite pénétrer avec succès un marché étranger.

Toutefois, notre travail comporte des limites qui ouvrent autant de perspectives de recherche. Tout d’abord, malgré de nombreuses précautions méthodologiques, la présente recherche ne s’appuie que sur un nombre restreint d’entreprises limitant en partie la validité externe de nos résultats. Il conviendrait donc de poursuivre leur discussion en augmentant le nombre de sites étudiés. Par ailleurs, les PME étudiées sont toutes des entreprises familiales (chacune étant dirigée par le fils du fondateur de la PME, les autres membres des équipes pédagogiques n’ayant toutefois pas de lien familial avec le dirigeant[11]) et il serait donc intéressant d’envisager l’étude de PME non familiales et de comparer les comportements en matière d’internationalisation et de constitution de l’équipe dirigeante. Enfin, l’observation d’un processus d’internationalisation n’est jamais achevée, et l’étude des futurs développements sur les marchés étrangers de ces trois PME pourrait être prolongée.