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La gestion de la pandémie grippale A(H1N1), en 2009-2010, a mis l’OMS (Organisation mondiale de la santé) sous le feu des projecteurs. Rapports d’instances politiques nationales et internationales, articles dans la littérature médicale, textes d’analyses en relations internationales et même dossiers dans les journaux quotidiens… le fonctionnement de l’OMS et les rapports de ses experts avec l’industrie pharmaceutique ont été largement étudiés et discutés. L’une des originalités de l’ouvrage d’Yves Beigbeder réside dans la multiplicité des sources et des points de vue. Ancien fonctionnaire de l’organisation, il se saisit des rapports et discours de l’OMS, et analyse les conséquences des prises de position extérieures sur l’organisation.

Écrit à un moment clef de l’histoire de l’OMS, ce livre relate les dernières évolutions qui permettent de saisir les enjeux et d’esquisser des futurs possibles pour l’institution. À la fois ouvrage de relations internationales et réflexion sur le fonctionnement des organisations, et de leurs liens avec les autres acteurs internationaux (firmes multinationales, ONG et fondations, États), ce document montre comment certaines des problématiques majeures de l’OMS aujourd’hui s’ancrent dans son histoire ancienne.

Les deux premiers chapitres sont en effet consacrés aux origines de l’OMS et à sa création. Les objectifs et les fonctions, larges, de l’organisation, sont définis : normaliser, rechercher, former, informer et appuyer les États dans l’organisation de leurs systèmes de santé et de lutte contre les maladies. Dès le départ, l’auteur situe l’OMS parmi les autres acteurs de la santé publique mondiale : UNICEF, ONUSIDA, Banque Mondiale, fondations, etc.

Très vite, on comprend que l’institution se construit dans ces relations avec d’autres et que c’est aussi dans ces rapports complexes que s’enracinent les difficultés qu’elle rencontre. Le troisième chapitre explique ainsi que la coopération avec le secteur privé, renforcée à partir de la fin des années 1990, est un moyen formidable d’augmentation des ressources. L’éradication de la poliomyélite ou l’amélioration de l’accès aux vaccins ne sont que deux exemples de ce que permettent les partenariats. Ces contributions constituent cependant une source de risques non négligeables, notamment celui du conflit d’intérêts.

La crise financière rencontrée en 2011 par l’organisation, résultant de la baisse des contributions volontaires (qui couvrent 80 % du budget de l’OMS) ainsi que la remise en cause de l’organisation et de son rôle dans la pandémie grippale en 2009-2010 conduisent à une profonde réforme, encore en cours, de l’institution. Comment fonctionner lorsque les donateurs, principaux financeurs, choisissent les programmes qu’ils soutiennent et que la pérennité des fonds n’est pas garantie ? Les allégations de corruption qui ont pesé sur l’OMS auraient-elles pu être évitées si une politique claire concernant les conflits d’intérêts potentiels et une communication adéquate avaient été mises en place ? Plus fondamentalement, sur quelles missions se concentrer ? Le rôle normatif de l’organisation doit-il être renforcé, comme y auraient intérêt les pays du Sud ? Ou au contraire, faut-il limiter son pouvoir réglementaire en donnant davantage de poids aux entreprises pharmaceutiques ?

Yves Beigbeder explique le rapport complexe qui unit l’OMS aux groupes industriels pharmaceutiques : l’OMS a besoin de ces entreprises, mais les industriels n’ont pas besoin de l’OMS. Cette accroche est largement étayée, développée et complétée dans les derniers chapitres du livre. Elle permet de comprendre pourquoi l’institution use avec modération de sa capacité à normaliser, et se positionne plutôt timidement sur la question de la propriété intellectuelle. Surtout, elle rappelle que l’OMS est une organisation internationale et que certains de ses États membres, qui portent tout de même une part de son budget, sont parfois actifs dans le soutien aux groupes pharmaceutiques.

C’est donc le portrait d’une organisation en réflexion sur son devenir qui est dressé dans cet ouvrage. L’auteur, dans chaque chapitre, nous offre une description poussée de la réalité de l’organisation, une analyse des arguments et des réactions de l’OMS et des autres acteurs, avant de se positionner à titre personnel. Sans concession, ce livre n’est pas non plus « à charge », et la rigueur scientifique qui le caractérise permet une véritable compréhension des enjeux actuels.