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Dans le dernier numéro des Cahiers québécois de démographie, Claire Benjamin a publié un compte rendu de notre livre, Le remède imaginaire. Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec (Dubreuil et Marois, 2011), auquel nous souhaitons réagir. L’auteure soutient que, contrairement à ce que nous affirmons dans l’ouvrage, l’immigration contribuera à relever les défis reliés au vieillissement de la population (Benjamin, 2011).

Dans sa critique, Benjamin accorde une grande importance à la simulation que nous présentons en guise d’introduction au chapitre consacré à l’impact démographique de l’immigration. Elle relève ainsi que la méthode employée « surestime la fécondité, l’émigration et la migration nette interprovinciale de la population non alimentée par l’immigration en lui appliquant les probabilités calculées pour l’ensemble. » (p. 164) D’un point de vue purement théorique, elle a en partie raison. Toutefois, les démographes habitués aux modèles pratiques savent que ces surestimations sont infimes et n’influencent pas les tendances au-delà du simple aléa que présente toute forme de simulation démographique.

Il est vrai que les femmes nées à l’étranger font en moyenne un peu plus d’enfants que celles nées au Canada. En revanche, il a également été démontré que les filles de femmes nées à l’étranger ont une fécondité plus basse que celle des filles de femmes nées au Canada (Bélanger et Gilbert, 2002). Par exemple, durant la période 1996-2001, la fécondité globale au Canada était de 1,52 enfant par femme. Or, si l’on ne regarde que la fécondité des femmes dont les deux parents sont nés au Canada, celle-ci se situait à 1,53 enfant par femme. Les femmes nées à l’étranger avaient un peu plus d’enfants — 1,82 enfant par femme —, mais leurs filles avaient de leur côté une fécondité inférieure, soit d’environ 1,4 enfant par femme. En fin de compte, la fécondité globale des immigrantes et des filles d’immigrants était environ la même que celle des filles de 3e génération ou plus. L’hypothèse selon laquelle l’immigration n’influence pas la fécondité globale du pays d’accueil est donc tout à fait justifiable. C’est pour cette raison que l’immense majorité des projections, y compris les projections officielles de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), de même que celles utilisées par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles et citées par Benjamin, ne considèrent pas les immigrants comme une sous-population ayant des comportements démographiques considérablement différents de ceux de la population native.

En ce qui nous concerne, même si la fécondité avait été légèrement surestimée (ce qui n’est pas du tout certain), l’émigration internationale et interprovinciale, comme le souligne d’ailleurs Benjamin, l’est également. Ainsi, même si nous obtenons un peu plus de naissances qu’une simulation prenant en compte des comportements démographiques distincts pour les immigrants, nous avons également plus de départs, ce qui vient donc annuler une partie de la surestimation. Il va de soi qu’en modifiant légèrement les paramètres, nous obtiendrions une population de quelques centaines de personnes de plus ou de moins, mais cela n’est pas suffisant pour considérer que le modèle ne tient pas la route.

Benjamin rappelle également que la population future ne sera pas la même que la population passée et, de ce fait, l’impact de l’immigration sur celle-ci pourrait être différent. C’est tout à fait juste. Pour éviter tout malentendu, soulignons que la simulation était présentée en guise d’introduction et ne prétendait pas démontrer l’absence d’impact des politiques actuelles sur le vieillissement futur. Cette démonstration se trouve plutôt dans les autres projections et études auxquelles nous faisons référence dans le chapitre et qui, elles, prennent en considération les populations futures. Parmi ces simulations, notons celles réalisées par l’un de nous et dont nous nous sommes contentés de rappeler les principales conclusions (Marois, 2008), c’est-à-dire que l’immigration ne peut pas, à l’intérieur de paramètres plausibles, influencer de manière importante et durable la structure par âge d’une population.

Pour contredire notre thèse, Benjamin se réfère aux plus récentes projections de l’ISQ montrant qu’un scénario de migration nulle implique un rapport de dépendance légèrement moins favorable en 2056 : 84 % contre 74 % ans pour le scénario de référence. Soulignons d’abord que ces projections de l’ISQ montrent justement que l’immigration n’a qu’un impact modéré sur la structure par âge : une immigration importante soutenue pendant un demi-siècle, soit l’arrivée de plus de 2 millions d’immigrants, ne permet de rabaisser le rapport de dépendance que de 10 points de pourcentage. Cette baisse demeure modeste puisque ce rapport aura tout de même augmenté de 30 points de pourcentage entre 2006 et 2056. Soulignons ensuite que cet impact est atteint par rapport à un scénario de migration 0, scénario tout à fait irréaliste et qu’aucun participant au débat n’a jamais proposé.

Plutôt que d’ennuyer le lecteur avec une nouvelle revue de la littérature, nous proposons d’interpréter une projection originale comparant les deux scénarios les plus pertinents dans le contexte actuel : un premier supposant un volume d’admission annuel de 45 000 immigrants, soit le plus faible niveau proposé par un parti politique lors de la dernière consultation sur la planification de l’immigration, et un second supposant un volume de 65 000 immigrants, soit le plus haut niveau avancé, notamment par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. La figure 1 présente le rapport de dépendance des personnes âgées (soit le rapport des 65 ans et plus sur la population âgée de 15 à 64 ans) de 2011 à 2031 pour ces deux scénarios.

Figure 1

Projection du rapport de dépendance des personnes âgées du Québec selon deux scénarios, 2011-2031

Projection du rapport de dépendance des personnes âgées du Québec selon deux scénarios, 2011-2031
Source : calculs des auteurs

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Comme nous le soulignons dans l’ouvrage, l’impact de l’immigration sur la structure par âge est positif, mais il est faible et peu significatif au regard des changements occasionnés par le vieillissement : même en soutenant pendant 20 ans des volumes d’admission historiquement inégalés, on ne parvient qu’à retarder de deux ans le vieillissement par rapport au volume d’admission le plus bas proposé actuellement par un parti politique. L’impact de l’immigration sur la structure par âge demeure néanmoins bénéfique et nous le soulignons clairement dans l’ouvrage.

Le véritable désaccord avec Benjamin se trouve ailleurs. La question cruciale est de savoir si cet impact modestement bénéfique sur la structure par âge se traduira en impact bénéfique sur l’économie, particulièrement en ce qui a trait au fardeau imposé sur les finances publiques par le vieillissement de la population. Benjamin croit que oui et soutient que l’immigration offre une contribution complémentaire à « d’autres mesures ». De notre côté, nous affirmons que personne au Québec ne sait sérieusement si l’impact de l’immigration sera globalement favorable ou défavorable à la prospérité et à la viabilité à long terme des finances publiques. Notre principal message est que l’impact sera dans tous les cas minime, notamment à cause de l’intégration de plus en plus difficile des immigrants au marché du travail.

Il est malheureusement difficile d’évaluer la position de Benjamin puisqu’elle se concentre essentiellement sur l’impact démographique de l’immigration et ne dit rien de substantiel de la partie économique de l’argument. Rappelons les principaux faits. L’immigration peut avoir un effet bénéfique sur l’économie à cause de la structure par âge plus avantageuse des immigrants. Pour que cet impact favorable se matérialise, il faut cependant que l’intégration économique des immigrants soit suffisante. À quel point suffisante ? Nous sommes incapables de le dire précisément. Cela dépendra de plusieurs paramètres, plus ou moins difficiles à estimer. Ce que nous soutenons, c’est que la dégradation des résultats économiques des immigrants depuis le début des années 1980 — aussi bien au chapitre de l’emploi que des revenus — soulève des questions importantes quant à l’impact de l’immigration à court, moyen et long terme. Les revenus des immigrants, notamment, déterminent les prestations auxquelles ils ont droit et, surtout, leur contribution fiscale, largement inférieure à la moyenne québécoise. Comme nous le soulignons, il n’est pas impossible que l’immigration profite néanmoins (modestement) à l’économie, comme il n’est pas impossible qu’elle ajoute (modestement) au fardeau du vieillissement.

L’illusion à laquelle semble céder un bon nombre de commentateurs et d’analystes est qu’en rendant la population un peu plus jeune, l’immigration accroît la proportion de la population en emploi. Cet argument néglige l’écart considérable entre les taux d’activité des immigrants et des non-immigrants, qui s’élevait à 4 % en 2009, et entre leurs taux d’emploi, qui s’élevait à 8 % (Institut de la statistique du Québec, 2011). De récentes simulations réalisées par Alain Bélanger et Patrick Sabourin (2011) ont comparé l’impact sur le taux brut d’activité d’un scénario supposant une meilleure intégration de l’immigration au marché du travail et d’un scénario supposant une plus forte croissance démographique, notamment par le biais de l’immigration. Les résultats sont sans équivoque : une meilleure intégration des immigrants est nettement plus efficace qu’une augmentation des volumes d’immigration.

Une immigration plus élevée accroît le nombre d’actifs, mais, étant donné le taux d’activité plus faible des immigrants, le taux brut d’activité s’en trouve à peu près inchangé. Leur conclusion est limpide : pour que l’immigration ait un impact favorable sur le marché du travail, il faut que l’intégration économique des immigrants s’améliore. D’un point de vue strictement économique, il vaut donc mieux miser sur un nombre d’immigrants plus restreint, mais mieux intégré. C’est d’ailleurs la thèse soutenue par ces chercheurs dans le cadre de la consultation publique sur les niveaux d’immigration pour la période 2012-2015 (Bélanger et Sabourin, 2011).

Résumons. Les défis reliés au vieillissement concernent d’abord le marché du travail et les finances publiques. Pour déterminer si l’immigration contribuera à réduire le fardeau du vieillissement, il faut connaître son impact sur ces variables. Nous ne le connaissons pas exactement, mais l’écart croissant entre les résultats économiques des immigrants et des non-immigrants nous oblige à demeurer agnostiques quant à l’impact global de l’immigration.

Cet argument ne nous semble ni original, ni controversé. Benjamin n’a pourtant pas cru bon de s’y attarder dans sa critique, se contentant de répéter que l’immigration aura un impact bénéfique. Comme son affirmation ne s’appuie que sur les simulations démographiques et néglige la partie économique de l’équation, nous ne savons pas comment y répondre, sinon en rappelant la conclusion principale de l’ouvrage : selon toute vraisemblance, l’impact de l’immigration sur la prospérité du Québec sera très faible. Il pourrait être positif comme négatif. Les politiques d’immigration soulèvent déjà des enjeux moraux, humanitaires, linguistiques, sociaux, culturels, démographiques, économiques et politiques nombreux et complexes. Il est inutile d’ajouter à la confusion en leur attribuant des bienfaits imaginaires.