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La technique de la microsimulation n’est pas nouvelle, celle-ci ayant vu le jour à la fin des années 1950 (Orcutt, 1957). Son usage s’est cependant répandu récemment, notamment en démographie, sous l’effet des progrès réalisés dans le domaine des ordinateurs personnels et du développement d’outils dédiés à la microsimulation. Les besoins accrus en modèles d’évaluation des politiques et en données désagrégées de la part des planificateurs publics ont également stimulé le recours à des modèles de microsimulation.

Le Canada est un des pays présentant une expérience significative dans le domaine de la microsimulation. Par exemple, ce type de modèle est utilisé depuis plusieurs années à Statistique Canada pour répondre à divers besoins du gouvernement canadien, mais aussi d’autres clients comme des organisations internationales ou des gouvernements provinciaux et territoriaux. Le modèle Demosim, plus particulièrement, est utilisé pour élaborer des projections démographiques selon diverses caractéristiques présentes au recensement comme le statut des générations, le statut de minorité visible, la confession religieuse, l’identité autochtone ou encore la participation au marché du travail. C’est aussi à Statistique Canada que Modgen, un langage informatique aujourd’hui à la base d’un grand nombre de modèles de microsimulation, a été développé.

Au niveau le plus général, la microsimulation est une technique qui consiste à simuler un à un le parcours de personnes, de ménages, d’entreprises, de virus ou d’autres entités. En démographie, la microsimulation est particulièrement utilisée dans le domaine des projections. Elle consiste alors à projeter une population en simulant le destin de chaque individu en tenant compte à la fois de ses caractéristiques, des probabilités associées aux événements pris en considération en cours de simulation — fécondité, mortalité, migration, changement d’état matrimonial, etc. — ainsi que d’un nombre aléatoire qui introduit une dimension probabiliste dans ce type de modèle.

Le principal avantage de la microsimulation est qu’elle permet de projeter dans le temps un grand nombre de caractéristiques d’une population. Très rapidement, l’ajout de variables rend les modèles de projection par composantes difficilement gérables, ceux-ci étant basés sur des matrices dont le nombre de cellules se multiplie rapidement dès que de nouvelles caractéristiques de population sont ajoutées.

La présence d’un grand nombre de caractéristiques de la population permet également de prendre en considération une quantité accrue de différences existant d’un groupe à l’autre dans la modélisation des probabilités associées aux événements auxquels les individus sont soumis. Ainsi, les modèles de microsimulation sont particulièrement aptes à simuler les effets de composition au sein d’une population, en plus de présenter un potentiel analytique décuplé par rapport aux modèles qui se basent sur des données agrégées.

Aux avantages de la microsimulation, il convient d’opposer certaines limites, rencontrées souvent par ceux qui élaborent ce genre de modèles de projection.

Il convient d’abord de disposer de données permettant la constitution de la population de départ : celle-ci doit être un fichier de microdonnées individuelles, et les caractéristiques projetées des individus doivent y être disponibles.

La prise en considération de comportements différentiels exige également le recours à la modélisation de nombreux paramètres. L’absence de sources de données permettant d’estimer directement ces risques, les variables manquantes, les tailles d’échantillons trop faibles pour obtenir des estimations fiables, voilà autant d’éléments qui mettront à coup sûr la créativité de l’utilisateur au défi. La cohérence des sources qui doivent être intégrées dans un même modèle ajoute, bien entendu, à ce défi.

Devant la popularité croissante de la microsimulation dans le domaine des projections démographiques et considérant son usage grandissant au Canada comme au Québec, il est pertinent de consacrer un numéro des Cahiers québécois de démographie à ce sujet. L’usage de la microsimulation en démographie connaissant aussi un essor ailleurs dans le monde, une attention spéciale a été accordée à la dimension internationale des articles proposés, dans un effort de montrer toute la diversité et les usages multiples des modèles de microsimulation.

L’article intitulé « Les projections démographiques par microsimulation », de Frans Willekens (NIDI) est de nature méthodologique. Il nous permet de bien comprendre les différences entre les modèles « macro » et « micro » ainsi que les conditions sous lesquelles les deux types de modèles produisent des résultats tout à fait comparables. Ce faisant, l’auteur illustre en quoi les deux types de modèles, loin d’être opposés, peuvent être complémentaires et répondent à des besoins différents.

Dans l’article intitulé « Immigration et structure par âge de la population du Canada : quelles relations ? », les auteurs Éric Caron Malenfant, Patrice Dion, André Lebel et Dominic Grenier de Statistique Canada utilisent le modèle de projection Demosim pour isoler les effets sur la structure par âge de la population canadienne tour à tour de la présence des immigrants, de leur fécondité ainsi que de leurs comportements différentiels en matière de mortalité, de fécondité et d’émigration. Cet article montre comment la microsimulation, en particulier grâce à sa capacité de tenir compte de multiples effets de composition dans les projections, peut prendre le relais de techniques telles que l’étude des populations stables et les projections démographiques par la méthode des composantes dans l’analyse de phénomènes démographiques dont les divers aspects sont, autrement, difficiles à isoler. Les résultats de cette étude revêtent par ailleurs une pertinence particulière dans le contexte du vieillissement de la population canadienne, ainsi que d’une immigration soutenue depuis plusieurs années.

Il est également question de projections dans l’article intitulé « La durée de l’isolement conjugal chez les personnes âgées en France : quelles évolutions entre hommes et femmes au fil des générations ? ». Les auteures Sophie Pennec et Joëlle Gaymu de l’Institut national d’études démographiques (INED) en France simulent le parcours conjugal de diverses générations de femmes françaises afin de mesurer les différences entre ces générations dans la durée de vie sans conjoint, sachant que le conjoint est le principal soutien en cas de perte d’autonomie à la vieillesse. Cet article illustre lui aussi le potentiel analytique qu’offre la microsimulation en projetant un grand nombre de caractéristiques, et la pertinence politique des résultats que l’on peut obtenir de ce type de modèle dans le contexte des sociétés vieillissantes.

La pertinence des modèles de microsimulation est aussi évidente dans l’article de Didier Blanchet (INSEE) intitulé « Microsimuler l’avenir des retraites en France : l’exemple du modèle Destinie », un modèle servant notamment à modéliser la viabilité financière des régimes publics de retraites en France. Cet article montre bien de quelle façon la technique de microsimulation peut faciliter la prise en compte de la grande variabilité des situations individuelles, puisque le calcul des coûts liés aux pensions de retraite peut varier en fonction de nombreux paramètres : durée en emploi, âge à la cessation, salaire, régime de pension, espérance de vie, etc.

Enfin, la note de recherche de Christophe Bergouignan de l’Université de Bordeaux 4 intitulée « Recourir aux microsimulations pour étudier la mortalité de crise. Illustration par la mortalité au Burundi en 1993 » illustre encore un autre usage de la microsimulation en démographie, celui de l’établissement d’un point de comparaison afin de mesurer l’ampleur de biais dans la mesure directe d’un phénomène démographique, ici la mortalité en situation de crise comme ce fut le cas au Burundi en 1993. En conclusion, l’auteur soulève certaines interrogations relatives à ces modèles, notamment les liens entre paramètres d’entrée et résultats en sortie.