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Si les études théoriques sur la traduction ne datent pas d’hier, les études théoriques systématiques, elles, sont nettement plus récentes. Elles se sont cependant largement développées et ont rapidement gagné une place dans les cursus des universités sous des dénominations plus ou moins spécifiques, par exemple « Traductologie », « Translation Studies ». La dénomination et l’ordonnancement des concepts sont les premiers pas, comme on le sait, de toute orientation systématique et de tout passage vers la recherche scientifique et donc des préludes à un enseignement théorique et pratique formateur. Une collection d’anecdotes ne peut constituer un raisonnement scientifique ! On ne peut donc que féliciter l’auteur de ce recueil de ces termes clefs qu’il nous présente. C’est une réflexion synthétisée qui donne un bilan, sans nul doute provisoire, mais des plus utiles des études traductologiques.

Après une courte introduction, à peine quatre pages dans lesquelles l’auteur trace à grands traits l’historique de ce bilan et rend hommage à James S. Holmes (écrit par erreur James H. Holmes, mais correctement cité dans la bibliographie), fondateur des « Translation Studies » auxquelles il donne deux orientations de recherche, soit la théorie et la description, et l’application. L’ouvrage Key Terms in Translation Studies se compose de 142 entrées, soit des termes clefs, incluant des renvois. Bien entendu une telle liste est obligatoirement sélective et subjective, comme l’indique d’ailleurs l’auteur lui-même. Il en est également ainsi pour la deuxième partie du livre qui présente les prises de position de onze « Key Thinkers in Translation Studies ». Ce sont bien évidemment les auteurs importants dont on recommande absolument la lecture : Andrew Chesterman ; Basil Hatim et Ian Mason ; James H. Holmes ; Juliane House ; Peter Newark ; Eugene Nida ; Mary Snell-Hornby ; Gideon Toury ; Lawrence Venuti et Hans J. Vermeer. D’une certaine façon, des ouvrages d’une bibliographie minimale raisonnée. Le livre est complété par une bibliographie générale signalant par une marque spéciale les auteurs recommandés pour les « Key Readings ». Un index détaillé termine l’ouvrage.

Il ne nous est pas possible de relever ici les 142 termes clefs, aussi, à titre d’illustration, nous citerons les neuf termes de la lettre A, soit « Abusive fidelity, Acceptability, Accuracy, Adaptation, Adequacy, Agency, Assessment, Audio description, Audiovisual translation », et trois pour la lettre H, soit « Habitus, Hermeneutic motion, Hybrid text ». Si certains termes relevés, tels que « Calque, Category shift, Coherence, Cohesion, Collocation, Componential analysis, Context, Contrastive analysis, Corpora, etc. », sont connus de tous les traductologues, traducteurs et linguistes, d’autres, au contraire, sont plus spécifiques aux études traductologiques étant donné la diversité des orientations théoriques. Ainsi, « Communicative translation », terme tiré des écrits de Peter Newark, qualifie les traductions où l’expression ne présente pas un aspect important, comme dans Défense de marcher sur le gazon, traduit par Keep off the grass. La traduction sémantique donnerait : Walking on the turf is forbidden. Le terme « Habitus », emprunté à la sociologie, plus exactement à Pierre Bourdieu, désigne « la série de dispositions qui caractérisent un agent dans un domaine spécifique », c’est-à-dire les relations de pouvoir, la typologie du comportement. Le terme « Agency » désigne l’aptitude d’un individu à agir dans un but et dans un contexte social précis, et fait donc intervenir des questions de pouvoir, d’idéologie, de créativité, autres termes clefs cités dans l’ouvrage. Il ne faut pas s’étonner de la présence de nombreux termes sociologiques qui témoignent de la grande influence récente de la sociologie dans les études traductologiques. Les approches théoriques peuvent donc être nombreuses et diverses. L’approche fonctionnelle inclut le modèle de la théorie du skopos et met l’accent sur l’environnement ciblé et l’importance des facteurs sociaux ; elle s’oppose d’une certaine façon aux études descriptives de la traduction où le centre semble plutôt être l’aspect culturel. On voit, par l’étude de son métalangage, que la traductologie est bien évidemment un domaine spécialisé interdisciplinaire où se manifestent des influences multiples d’autres secteurs de la connaissance, soit la linguistique, la linguistique poststructuraliste, la littérature, la littérature comparée, la philosophie, les sciences politiques, les approches culturelles sans oublier l’informatique et ses multiples applications.

L’ouvrage, qui arrive à bon escient, illustre, explique, précise et relie une grande quantité de concepts. Le domaine de la traductologie est en pleine effervescence et ce livre permet de mieux s’y orienter et de mieux saisir les aspects théoriques sous-jacents et les diverses orientations qui conditionnent certaines prises de position. C’est un premier guide pour enseignants, chercheurs et étudiants. Bien entendu, rien n’est complet ni immuable et, au hasard des lectures de revues de traductologie, on relèvera des termes comme « critical discourse analysis, cross-cultural encounters, ideational dimension of language, ideology biases, ideology patterns, metaphors, metaphors as markers of ideology, objectivity, overinterpretation » et certainement bien d’autres qui manquent, mais que l’auteur ajoutera sans nul doute dans une deuxième édition.

Dans un même ordre d’idées et en guise de conclusion, j’aimerais également profiter de l’occasion pour signaler l’excellent ouvrage de Hatim et Munday (2004) intitulé Translation. An Advanced Resource Book qui reprend de nombreux termes de traductologie par sections spécifiques. Ainsi la section A introduit les concepts principaux et incite à la réflexion théorique, la section B illustre le centre d’intérêt présenté par des lectures complémentaires tout en développant le goût pour une recherche plus personnelle et la section C qui développe la matière présentée et encourage une exploration plus personnelle du domaine. Une magnifique illustration de la recherche traductologique littéraire est présentée, en allemand, dans l’ouvrage de Peter Utz (2007) : Anders gesagt – autrement dit – in other words qui explore les diverses traductions de Hoffman (Sandmann), de Fontanes (Effi Briest), de Kafka (Process) et de Musil (Mann ohne Eigenschaften) en français et en anglais.