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La publication d’un ouvrage de droit civil québécois en langue anglaise est un événement en soi. Certes, il existe plusieurs livres d’introduction générale au droit civil québécois dans la langue de Shakespeare, le plus récent et connu étant celui des professeurs, Brierley et Macdonald[1]. Cependant, la parution d’un ouvrage spécialisé en droit civil québécois en langue anglaise est particulière. En droit des obligations, certains se souviendront que Hyman Carl Goldenberg et George van Vliet Nicholls avaient publié chacun une monographie sur la responsabilité civile au cours des années 30[2]. Dans un premier temps, nous situerons l’ouvrage de Grammond, Debruche et Campagnolo au sein de la doctrine québécoise. Nous découvrirons alors toute sa pertinence. Dans un second temps, nous procéderons à sa recension.

La doctrine en droit des obligations

Comparativement à d’autres domaines du droit québécois, la doctrine en droit des obligations est abondante. Le classique Droit civil canadien de Pierre-Basile Mignault contient quelques tomes consacrés aux obligations. Le traité en 9 volumes est publié de 1895 à 1916[3]. François Langelier fait paraître le Cours de droit civil de la province de Québec en 6 volumes au début des années 1900[4]. Il s’agit du cours qu’il donne à la Faculté de droit de l’Université Laval, sous forme de commentaires sur le Code civil du Bas Canada, article par article. Le Traité de droit civil du Québec, mieux connu sous le nom de « Collection Trudel », emprunte la même formule au milieu des années 1900, mais en 17 volumes plus complets[5]. Il est écrit de 1942 à 1965 par des praticiens québécois. Les tomes sur les obligations sont essentiellement rédigés par Gérard Trudel lui-même et par Léon Faribeault. Le volume sur la responsabilité civile, réalisé par André Nadeau en 1949, se présente sous forme de traité et non de commentaires article par article[6]. Ce volume est mis à jour en 1971, avec l’aide de son neveu[7], après la nomination de l’auteur à la Cour supérieure. Il est toujours considéré comme un ouvrage de référence. Trois précis sur la responsabilité civile sont publiés en 1935, en 1938 et en 1948[8].

Le légendaire Jean-Louis Baudouin a publié au début des années 70 ses deux ouvrages classiques sur le droit des obligations. Le premier est consacré aux contrats et au régime de l’obligation ; le second, à la responsabilité civile. L’ouvrage Les obligations a fait l’objet de six éditions. Il est maintenant rédigé par le professeur Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de la professeure Nathalie Vézina[9]. La septième édition paraîtra à l’automne 2012. La professeure Vézina sera coauteure à part entière. La Responsabilité civile est toujours rédigée par Me Jean-Louis Baudouin, comme nous devons maintenant le nommer, et par le professeur Patrice Deslauriers. Le volume est rendu à sa septième édition[10]. La huitième édition paraîtra en 2013, avec l’ajout du professeur Benoît Moore à l’équipe d’auteurs. Ces deux ouvrages demeurent les plus utilisés en droit québécois et les plus cités par les juges.

Le professeur Maurice Tancelin fait paraître au début des années 70 la première édition de son traité sur les obligations. Son ouvrage regroupe les contrats, la responsabilité civile et le régime dans un même et unique volume, fait plutôt rare. Il a publié sa septième édition en 2009[11]. Il modifie le titre à chaque édition. L’ouvrage du professeur Tancelin est unique par son approche critique et son ouverture à l’égard des perspectives externes. Le professeur Tancelin complète son ouvrage de doctrine par une compilation critique de la jurisprudence. L’ouvrage, maintenant rédigé en collaboration avec le professeur Daniel Gardner depuis la fin des années 90, en est à sa dixième édition[12]. La treizième édition paraîtra en 2013. Nous nous joindrons à l’équipe d’auteurs, à titre de collaborateur.

Le professeur Pineau, aidé de différents coauteurs au fil des éditions, participe à la richesse de la doctrine en droit des obligations. Son traité englobe les cours d’obligations I et III, mais il n’aborde pas la responsabilité civile. La quatrième édition de son traité a paru en 2001[13]. Le professeur Pineau a publié deux éditions d’un précis sur la responsabilité, mais il a abandonné ce type de publication en 1980[14] après la seconde édition. Le professeur Angers Larouche voulait écrire un traité sur le droit des obligations. Il a publié un premier tome en 1982 sur les contrats et les quasi-contrats[15]. Les autres tomes n’ont jamais suivi. Les professeurs Didier Lluelles et Benoît Moore ont publié un traité de près de 2 000 pages en 2006[16]. Il ne s’intéresse pas à la responsabilité civile et le traitement sur le régime de l’obligation est amputé de la prescription extinctive. Il livre une féroce compétition au traité sur les obligations des professeurs Jobin et Vézina. La seconde édition paraîtra à l’automne 2012.

Le précis de Grammond, Debruche et Campagnolo n’est pas redondant dans la doctrine québécoise. Les auteurs n’avaient pas besoin de justifier sa pertinence en introduction. Cet ouvrage comble plusieurs lacunes. La première est l’absence de documentation en langue anglaise en droit civil québécois. Il existe une tradition de droit civil québécois en anglais. La seconde lacune est l’absence d’un précis en droit québécois des obligations. Les ouvrages présentement sur le marché s’adressent davantage aux praticiens qu’aux étudiants. Le volume de Grammond, Debruche et Campagnolo va choyer les étudiants qui suivent des cours de droit civil québécois en anglais à l’Université d’Ottawa. Intitulé Quebec Contract Law, il porte sur la matière habituellement étudiée dans les cours d’obligations I et III, soit la théorie générale des contrats et le régime de l’obligation. Il ne manque plus qu’un ouvrage sur la responsabilité civile en langue anglaise et un précis en langue française qui engloberait les trois cours de droit des obligations pour que la doctrine québécoise soit complète dans ce domaine.

La recension

La périphérie du texte

L’ouvrage débute par une intéressante présentation synthétique des auteurs. La préface est signée par le juge Nicholas Kasirer de la Cour d’appel du Québec. Ancien doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill, le juge Kasirer est un illustre représentant de la tradition de droit civil québécois en anglais.

L’ouvrage de Grammond, Debruche et Campagnolo se termine par les tables usuelles. Soulignons la synthèse et la pertinence de la table de la doctrine : les auteurs y présentent la doctrine par « thèmes » au lieu d’utiliser uniquement l’ordre alphabétique.

Le plan

Le plan est original et s’éloigne des canons classiques en la matière. L’origine du livre explique ce changement. C’était en effet une section d’une encyclopédie juridique internationale. Les auteurs ont dû respecter certaines règles, dont le plan, pour assurer l’uniformité de la collection. L’ouvrage se divise en chapitres, à la manière d’un livre de common law. Il en compte huit. Les auteurs débutent par une « Introduction au droit des contrats » (chap. I). Ils traitent de l’histoire des contrats, des concepts fondamentaux de la matière, de la notion de bonne foi, de la classification des contrats et de la distinction entre le contrat et d’autres institutions juridiques. Par la suite, ils consacrent deux chapitres à la formation du contrat : offre et acception, conditions de forme, capacité, vices de consentement, objet, cause, sanction (chap. II et III). Soulignons une section sur un sujet à la mode : la responsabilité précontractuelle. Puis deux chapitres portent respectivement sur le contenu du contrat (chap. IV) et ses effets (chap. V). Ces noms de chapitre sont classiques en droit des obligations, mais leurs divisions sont originales. Le contenu du contrat traite de l’exprès et de l’implicite, de même que de la révision judiciaire du contenu du contrat. Il comprend aussi une section sur les modalités. Le chapitre sur les effets se penche sur les termes classiques, soit l’effet du contrat au sens large, mais il comporte également une section sur les mutations de l’obligation. Le chapitre VI s’intéresse au paiement et aux recours en cas d’inexécution. Le chapitre VII traite de l’extinction de l’obligation. Le contenu des chapitres VI et VII, pour ce qui est du plan, est classique. Les auteurs n’oublient pas de traiter de la prescription extinctive dans le chapitre VII. Elle fait partie intégrante du droit des obligations, bien qu’elle se trouve dans un livre distinct du Code civil du Québec[17]. Le chapitre VIII contient une introduction aux quatre principaux contrats nommés : vente, entreprise et service, mandat et louage. La théorie générale des contrats néglige trop souvent les contrats nommés. Les auteurs ont pris dans ce cas une excellente initiative.

Le fond

D’une façon générale, l’ouvrage est excellent. Il est bien fondé en droit, rigoureux et complet. Nous avons apprécié l’esprit de synthèse des auteurs et les comparaisons avec le droit de tradition anglaise, particulièrement les développements plus étoffés portant sur la distinction entre la cause et la consideration et ceux qui concernent la stipulation pour autrui. Selon nous, il est aussi rafraîchissant d’avoir consacré plus de 20 paragraphes aux règles de la preuve. Le droit substantif, la preuve et la procédure font trop souvent cavalier seul en droit québécois. Nous conclurons par deux commentaires constructifs. Les auteurs exagèrent peut-être un tantinet l’importance et la présence de la bonne foi dans le Code civil du Québec. De plus, est-il pertinent de citer systématiquement les autres auteurs en droit des obligations, particulièrement les grands traités ? Bien sûr, ces deux remarques ne modifient pas notre appréciation de l’ouvrage.