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Dans le champ épistémologique des études de sécurité, affirmer dorénavant que le militaire n’a plus l’apanage de la sécurité et que le quasi-monopole du clivage théorique entre (néo)-réalistes et (néo)-libéraux est périmé relève d’un rare truisme. C’est en partant de cette lapalissade que les coordinateurs de l’ouvrage, Frédéric Mérand, Martial Foucault et Bastien Irondelle, justifient, dans l’introduction, la pertinence de leur objet de recherche, la sécurité européenne, de même que l’approche théorique adoptée – diverse et représentant les principaux courants des études de sécurité –, comme préliminaire aux études empiriques. Si aucune des théories ne permet d’expliquer de façon exhaustive la dynamique de sécurité européenne, toutes contiennent des ressources exploitables selon les questions que soulèvent les recherches empiriques. C’est bien dans cette logique qu’il convient de comprendre la quinzaine de contributions qui structurent cet ouvrage.

Fruit d’une collaboration institutionnelle entre les universités canadiennes de McGill et de Montréal, cet ouvrage très didactique réunit des contributeurs des deux rives de l’Atlantique, ce qui donne une vision d’ensemble loin d’être ethnocentrée. Remarquons d’ailleurs que la pluralité des points de vue et des théories retenus ne nuit aucunement à la lecture de l’ouvrage dont le fil conducteur est le caractère protéiforme des menaces qui pèsent sur l’Europe depuis la chute du Mur. La dynamique de pacification de l’Europe s’est concomitamment accompagnée d’un changement de nature de la menace (autant celui qui en est à l’origine que le dessein). Leur variété de même que leur intensité ont incontestablement évolué.

Sur un plan empirique, la lecture de l’ouvrage renvoie à plusieurs idées fortes. Tout d’abord, la coopération institutionnelle dans le cadre de l’Alliance atlantique, l’Union européenne (PESD) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération européenne en matière de sécurité se développe crescendo, l’objectif étant de pouvoir répondre aux menaces, qu’elles soient classiques ou non. Par ailleurs, l’Europe n’ayant plus d’ennemi per se et refusant l’utilisation du hard power est, de plus en plus, dominée par une culture kantienne et elle entérine ainsi sa transformation en communauté de sécurité. L’échec fut celui de ne pas avoir réussi à amarrer la Russie à cette communauté. Les théoriciens qui ont voulu analyser ce système de sécurité « post-westphalien » parlent désormais de culture stratégique européenne. L’Europe, en outre, semble être de plus en plus stratégiquement marginalisée. En témoignent la « dé-sanctuarisation » de l’Alliance atlantique, la mutation même de la vocation stratégique de cette dernière pour mieux se projeter sur des théâtres d’opération extérieurs et même la désécuritisation de la menace nucléaire. Par ailleurs, le caractère transfrontalier des menaces a contribué à brouiller le concept même de sécurité. Les constructivistes ne parlent-ils pas de « continuum de sécurité » pour qualifier la sécurité européenne, devenue à la fois intérieure et extérieure, comme en témoigne le développement des questions liées à la criminalité internationale, aux migrations et à l’environnement ?

Même si le vernis théorique rend certaines des thèses développées un peu absconses, on trouvera difficilement un défaut de fond ou de forme à ce livre. Et, bien qu’il ne soit jamais aisé, dans les ouvrages collectifs, de trouver le bon équilibre entre l’éclectisme et le syncrétisme, toutes les contributions s’inscrivent dans une logique harmonieuse. Remarquons, en plus, que certaines d’entre elles prennent quasiment la forme d’un manuel tant est marquée la dimension pédagogique dans l’analyse des théories des relations internationales. L’absence de contribution consacrée exclusivement à la notion de sécurité intérieure de l’Union européenne est peut-être regrettable, bien que, reconnaissons-le, certains de ses aspects aient pu être évoqués de façon transversale par plusieurs des contributeurs. On ne peut que recommander cet ouvrage à tous ceux qui souhaitent approfondir leur réflexion sur la sécurité européenne à l’aune d’instruments théoriques contemporains (notons, cependant, que les contributions ont été écrites avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et qu’à ce titre une mise à jour s’avérera nécessaire). Cependant, le lecteur averti devra préalablement savoir manier le langage de la science politique des relations internationales ; à défaut, il risque de s’égarer dans les zigzags et les subtilités du vocabulaire utilisé par tous les auteurs.