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C’est une réalité bien connue : le titre d’un livre demeure provisoire jusqu’au dernier moment du processus éditorial. Lorsque le temps est venu d’en arrêter la formulation définitive, l’auteur ne dispose ni du temps ni de la lucidité nécessaires pour s’acquitter de cette tâche avec le soin qui conviendrait. Cela explique pourquoi de nombreux titres de livres scientifiques manquent souvent à leur devoir premier, à savoir indiquer au lecteur potentiel la thématique abordée. From Rivalry to Partnership ? New Approaches to the Challenges of Africa illustre assez bien cette lacune. Qui peut comprendre que derrière celui-ci se dissimule une étude visant à évaluer la signification et la force du partenariat franco-britannique et à explorer d’autres formes de coopération bi ou « bi-multi » ?

L’ouvrage de Chafer et Cumming examine comment la France, le Royaume-Uni et d’autres donateurs sont progressivement passés de la rivalité au partenariat dans leur approche de la coopération avec l’Afrique. Cet examen est réalisé à partir d’un cadre théorique qui s’efforce de déterminer les facteurs et les contraintes qui expliquent ces évolutions politiques. L’étude se concentre en particulier sur les relations d’État à État, surtout les liens entre les hauts fonctionnaires et les responsables politiques, et ce, en s’appuyant sur quelque 200 entretiens avec des acteurs clés de ces processus.

Constatant l’absence de base théorique de la littérature existante sur la coopération avec l’Afrique, les auteurs se proposent d’asseoir leurs propres investigations sur un socle réaliste néoclassique ainsi que sur une méthode comparative.

Le choix du réalisme néoclassique conduit à la formulation de trois hypothèses : (1) la coopération apparaît quand elle est perçue comme servant l’intérêt national conçu en termes de pouvoir relatif sur la scène internationale ; (2) la politique d’un État n’est pas déterminée de façon univoque par le système international ; c’est pourquoi des États de puissances relatives équivalentes réagiront de façon différente à l’environnement international, en fonction des perceptions propres à leurs élites décisionnelles ; (3) certaines variables internes et la capacité des États à mobiliser leurs ressources domestiques auront une influence sur la formulation de leur politique étrangère et, en particulier, sur leur degré de coopération interétatique en Afrique.

Le livre s’ouvre en observant comment, pour l’essentiel de l’ère postcoloniale, la plupart des États du Nord ont laissé au second plan les besoins et les défis du continent africain et ont plutôt regardé l’Afrique comme une source d’avantages politiques économiques et stratégiques. Les donateurs adoptèrent alors des modalités unilatérales, parfois multilatérales mais rarement bilatérales. Le sommet franco-britannique de Saint-Malo, en décembre 1998, apparaît à cet égard comme une étape majeure, puisqu’il inaugure le partenariat bilatéral comme nouvelle modalité de la coopération avec l’Afrique subsaharienne.

Si l’ouvrage se concentre sur le partenariat franco-britannique en y consacrant pas moins de six chapitres, d’autres coopérations entre États donateurs sont également étudiées soit pour elles-mêmes, soit à titre de comparaison avec le tandem franco-britannique.

La dernière section aborde un autre modèle de coopération impliquant un acteur supranational, à savoir l’Union européenne (ue). Les chapitres de cette section éclairent les avantages, la complexité et les lacunes de la coopération multilatérale, qui expliquent en partie pourquoi certains États ont préféré se tourner vers la coopération bilatérale.

En conclusion, l’ouvrage montre que la coopération bilatérale est devenue une composante majeure de la stratégie de nombreux États donateurs, d’autant plus que celle-ci a pu prendre place dans un contexte de régression de rivalités passées. C’est le cas pour la coopération franco-britannique depuis 1998, mais aussi pour les États-Unis et la France et, plus récemment, entre l’ue et la Chine. Les études de cas montrent cependant que ces coopérations bilatérales demeurent plutôt informelles et hésitantes. Ce n’est pas parce que deux acteurs coopèrent dans un domaine spécifique ou dans une enceinte particulière que cette coopération s’étendra aux autres domaines et institutions. La limitation de la coopération franco-britannique aux questions de sécurité constitue à cet égard un exemple frappant.

La coopération bilatérale entre donateurs apparaît plus probable dans certaines circonstances telles que les sommets bilatéraux propices aux effets d’annonce, les crises internationales ou humanitaires. Elle se développe aussi préférentiellement dans les régions africaines où ni la France ni le Royaume-Uni n’ont exercé de domination coloniale. Elle dépend de l’implication individuelle de responsables politiques et de hauts fonctionnaires ainsi que de la mise en place de dispositifs innovants permettant de lever des capitaux frais. À l’inverse, de tels partenariats s’avèrent peu probables lorsque des intérêts commerciaux ou autres sont en compétition, lorsqu’une puissance joue un rôle dominant dans la zone ou encore lorsque la situation ne fait pas l’objet d’une large couverture médiatique et n’est pas ressentie comme une crise par les parties prenantes.

L’ouvrage permet enfin d’illustrer l’intérêt des théories réalistes néoclassiques pour étudier des domaines de la vie internationale au-delà de l’histoire diplomatique où elles ont eu tendance à se confiner jusqu’à présent. Cette approche permet de mettre en lumière la complexité de la formation de la politique étrangère des puissances moyennes, mais aussi des petits États dans des régions du monde où leurs intérêts vitaux ne sont pas en jeu. Sur le plan méthodologique, la recherche de Chafer et Cumming tend à montrer que l’application du schéma néoclassique gagne à être complétée par des entretiens directs avec les acteurs clés des politiques étudiées.