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Qu’ont en commun immigration et commerce ? Que peut-on tirer de cette supposée intimité du commerce entre le pays d’origine et le pays d’accueil ? Que ce soit clair : l’immigration des populations, leur migration ainsi que le commerce international sont des composantes essentielles de la globalisation. L’économiste Roger White offre à cet égard un ouvrage synthétique imposant. Avec Migration and International Trade. The US Experience since 1945, les étudiants aussi bien que les professeurs et les praticiens peuvent désormais avoir accès à une richesse documentaire qui explique la relation entre les immigrants, leur rapport culturel et diasporique ainsi que le commerce international (immigrant-trade link). Vaste projet. En couvrant l’expérience américaine uniquement, et ce, à partir de 1945, White réussit à démontrer l’influence directe des immigrants sur les importations et les exportations américaines. En offrant une synthèse de ce genre (dont l’abondance des informations est assurément pléthorique), Migration and International Trade réalise un double objectif. D’une part, il rassemble un nombre important d’études pivots dans ce domaine, à partir desquelles White brosse un portrait rigoureux de la relation entre ces deux variables et, d’autre part, demeurant suffisamment accessible, il s’impose comme un outil incontournable pour l’étude des politiques publiques et du commerce international des États-Unis.

Dans cinq sections, l’ouvrage offre une vision très riche des phénomènes que sont l’immigration et le commerce ainsi que les rapports distanciés qui subsistent entre le pays d’origine, le pays d’accueil et la circulation des biens incorporés dans l’import-export américain.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire de justifier la relation intime entre l’immigration et le commerce, Roger White souligne l’intérêt de le faire. Les éclaircissements sur ce rapport sont fondamentaux à ses yeux, puisqu’ils permettent entre autres de faire tomber les préjugés qui persistent à propos de l’impact des immigrants sur l’économie, mais surtout d’offrir des informations pertinentes sur cette dynamique inapparente et pourtant bien réelle, et de mettre ainsi en oeuvre des politiques publiques optimales.

Cette relation est pourtant beaucoup plus complexe qu’elle ne le laisse à penser. Comment donc l’immigrant influence-t-il le cours du commerce ? White dénote plusieurs attitudes visant à combler la distance entre le pays d’origine et le pays d’adoption dont l’influence décrit les effets directs et indirects sur l’économie. Notons par exemple une notion de préférence (Preference effects) qui stimule l’import de produits d’origine ou encore l’influence de ces importations sur les « résidants intérieurs », jusqu’alors non exposés à certains produits par exemple (Consumption Spillover effects), et sur les habitudes consuméristes qu’ils acquièrent a posteriori. Ce ne sont là que quelques exemples parmi l’abondance de variables et de diverses trajectoires nationales. Pour soutenir son propos, White fait appel à plusieurs études économétriques qui considèrent les différents effets causés par l’agir de l’immigrant à la lumière de ses choix sur le marché, et vice versa. Ces précieux matériaux étant dévoilés, White décortique le phénomène de l’origine et de l’échange pour mieux expliquer au fil de son argumentation ce qui motive cette interaction discrète entre les deux pays.

L’objectif de White est posé : à l’heure de la mondialisation, il est essentiel de fournir un portrait authentique de ces gens qui décident pour la plupart de quitter leur pays d’origine pour les États-Unis en vue d’atteindre un plus grand niveau de consommation que ce qui leur était offert initialement. Et ce, toujours avec la motivation de remplir le vide qui sépare trop souvent l’expérience de l’immigrant et l’effectivité des politiques publiques.

Bien qu’il se soucie peu d’expliquer la valeur sociohistorique de cette relation qui doit s’inscrire dans une période économique et politique donnée, White propose quand même un bref historique de l’immigration et de ses politiques aux États-Unis en segmentant cinq vagues (de 1565 à 1802, de 1803 à 1868, de 1869 à 1917, de 1918 à 1968, puis de 1969 à aujourd’hui). En effet, l’histoire législative américaine en matière d’immigration s’avère pertinente pour comprendre les facteurs qui entraînent « l’existence et l’opérabilité » de la relation immigrant-commerce.

Avec le développement de l’immigration et de ses politiques nous sommes à même de saisir les transformations démographiques produites par les différentes politiques en cette matière et d’aborder les « trade-facilitation infrastructures », à savoir les formes d’organisation plus ou moins sophistiquées des logistiques de transport et des coutumes administratives propres au commerce international qui assurent les liens parfois solides, parfois ténus entre le pays d’origine et le pays d’accueil. Grâce à ce survol, nous constatons à la fois une augmentation et une diversification des origines dans les deux dernières vagues.

Roger White s’emploie ensuite à rendre compte de la distance culturelle entre les États-Unis et les pays des immigrants. Il dresse ainsi plusieurs tableaux aussi diversifiés que complexes pour mettre en nombre les périodes avant et après 1968. Cette dernière section comprend un assemblage d’exemples empiriques et de statistiques indigestes qui pourraient facilement rebuter le lecteur. En se servant de l’Augmented Gravity Model de Tinbergen (1962) et de la construction des variables appuyée sur des bases de données, White entre au coeur de la statistique de l’immigrant-trade link. Heureusement, la qualité des graphiques facilite la lecture par exemple du développement relationnel entre l’immigrant et le commerce, alors que d’autres tableaux, plus opaques, sont accompagnés de formules statistiques denses relativement décourageantes pour le profane.

Ouvrage complet, Migration and International Trade est sans conteste un outil de qualité indispensable pour quiconque s’intéresse au commerce et aux politiques d’immigration américaines.