Corps de l’article

Qu’ont en commun les auteurs de l’Antiquité et les romanciers à succès d’aujourd’hui ? Assiste-t-on à « la mort de l’auteur », selon le constat de Barthes ou plutôt à sa « fabrication » plus ou moins artificielle par un système médiatique et économique dérivé d’un modèle de production industrielle ? L’écrivain lui-même est-il complice ou victime de ce système ? Toutes questions qui trouvent écho dans un imposant volume publié sous la direction de Marie-Pier Luneau et Josée Vincent et réunissant des textes prononcés à l’occasion d’un colloque dont l’objectif était de démystifier la figure paradoxale de l’auteur en la mettant en relation avec l’ensemble des composantes du monde du livre : « En définitive, il s’agit de comprendre la notion d’auteur comme une construction (relayée et étayée par tous les agents du champ, de l’auteur au lecteur lui-même), qui finit par produire, comme l’écrivait déjà Foucault en 1969, un « certain être de raison qu’on appelle auteur ». Cette notion même, relativement récente, a subi d’importantes fluctuations que retrace Jean-Yves Mollier dans un article introductif. Au cours du 18e siècle, on assiste progressivement au Sacre de l’écrivain (Bénichou), « alors que le philosophe des Lumières incarne dans sa personne l’autorité dont était investie jusque-là la parole divine ». Cette sacralisation trouvera son apogée au siècle suivant : à la faveur du romantisme, l’écrivain est considéré comme le « souverain de l’opinion, du goût et de la mode ». Au 20e siècle, soit que l’auteur s’efface peu à peu derrière la « majesté du langage » ou qu’il devienne un pur produit d’une opération commerciale mise au point par un éditeur avide de gains. À la même époque, l’homme de lettres se transforme en gestionnaire de ses intérêts et crée des sociétés pour défendre ses droits. Les nouvelles technologies mettront-elles en péril le livre, et par conséquent son auteur, se demande finalement Mollier, qui refuse toutefois de s’en tenir à des prédictions pessimistes.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à certains aspects de la fonction auteur. On y remarque une professionnalisation des écrivains qui viennent le plus souvent des métiers du livre ou de l’enseignement, le rôle capital que joue l’éditeur, perçu comme « monstre » ou au contraire comme double de l’écrivain, la difficulté de publier un second roman, après un premier succès, ainsi que les malentendus liés aux prix littéraires. Les parties suivantes interrogent les liens entre auteurs et institutions de même que les regroupements et sociétés d’auteurs. Au chapitre des représentations, on note tout particulièrement les stratégies de filiation fictives de Pessoa (Ariane Léger) et l’impact de la photographie dans l’image projetée de l’écrivain (Marie-Ève Riel). Dans cet ensemble fort riche, on aurait souhaité une plus grande place faite à l’institution littéraire québécoise et à ses écrivains (quatre articles seulement leur sont consacrés, éclairants et synthétiques). Également une discussion plus soutenue à propos de la différence entre les notions d’auteur et d’écrivain. Mais cela deviendra sans doute l’objet d’un prochain colloque et d’un prochain ouvrage. Par la diversité des sujets abordés, La fabrication de l’auteur contribue à une meilleure compréhension des stratégies liées à la publication et à la reconnaissance des auteurs, dans un champ de plus en plus miné par les impératifs commerciaux, sans enlever la part de mystère attachée au phénomène même de l’écriture.