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En septembre 2008, en plein coeur de la plus récente crise financière et économique mondiale, le président français invitait les pays industrialisés à « refonder le capitalisme ». Trois ans plus tard, force est de constater que cette invitation est tombée à plat. Bien sûr, les gouvernements sont intervenus afin de soutenir certains secteurs d’activité économique et stimuler la consommation des ménages mais ce faisant, ils ont maintenu le statu quo en assurant la survie du système à la source de la crise, sans pour autant en repenser véritablement les fondements. Le néolibéralisme, ou ce que Riccardo Petrella appelle la « théologie universelle capitaliste » (Petrella, Pour une nouvelle narration du monde, 2007), idéologie portée par la mondialisation économique, est encore bien en selle, avec les effets qu’on lui connaît, notamment : précarisation croissante de certains types d’emplois, détérioration des conditions de travail, remise en cause des droits économiques et sociaux des travailleurs et effritement de la fonction sociale de l’État.

C’est dans ce contexte plus large que s’inscrit l’ouvrage collectif dirigé par les professeurs Michel Coutu et Gregor Murray. Réunissant des textes de spécialistes réputés collaborant au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail, ce livre invite à une réflexion interdisciplinaire et transfrontalière sur les façons d’atténuer les impacts négatifs du néolibéralisme sur les droits socioéconomiques des travailleurs et ainsi protéger la « citoyenneté au travail ». Plus particulièrement, on se demande si le concept de « citoyenneté industrielle », évoquant l’affirmation des droits des travailleurs au 20e siècle, est encore pertinent aujourd’hui. À l’heure de la redéfinition des rapports collectifs de travail – et de l’individualisation croissante de ces rapports sous l’égide en partie des chartes des droits –, d’une remise en question du syndicalisme, de l’éclatement des frontières économiques et des transformations, délocalisations et précarisations que cela provoque dans l’emploi, la « citoyenneté au travail » pourrait-elle constituer le vecteur d’une meilleure protection des droits socioéconomiques des travailleurs ? Selon la discipline empruntée, cette « citoyenneté » passerait entre autres par la protection des droits et libertés constitutionnels et quasi constitutionnels, notamment la dignité humaine, la mise en place de mécanismes de consultation et de participation aux décisions, la socialisation de l’entreprise privée, l’adoption de politiques publiques plus favorables à la santé et à la sécurité, l’appréhension des inégalités de sexes en milieu de travail, le renouvellement du droit du travail et le respect du droit international des droits de la personne. Utopie, comme se questionnent Coutu et Murray en 4e de couverture, ou « entreprise » réaliste ? Peut-être quelque chose entre les deux. Entreprise conditionnelle, assurément, comme l’ont montré les riches contributions de cet excellent ouvrage qui jette les jalons d’avenir de la citoyenneté au travail.