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Les coprésidents de la Commission Bouchard-Taylor (CBT) sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles n’ont-ils pas joué aux apprentis sorciers en voulant élargir le mandat qui leur avait été confié et en faisant fi du savoir-faire québécois en matière de consultation publique ? Ou n’ont-ils pas plutôt manqué l’essentiel ? Les auteurs conviés par Bernard Gagnon penchent pour la seconde option et l’objectif principal de cet ouvrage collectif est de proposer un ensemble de balises et d’arguments pour relancer et nourrir la discussion. Notons que, publié en 2010, il précède les efforts de relance du débat tentés par Gérard Bouchard, à l’occasion d’un symposium international sur l’interculturalisme, efforts qui ne semblent pas avoir réussi à insuffler une nouvelle dynamique au débat. Le présent ouvrage y parviendra-t-il ?

Quatre parties le composent. La première tente de faire la lumière sur la notion de diversité et surtout sur la valorisation dont elle est l’objet sur bien des tribunes, et notamment dans le rapport de la CBT. Jacques Beauchemin s’attaque à cette notion, proto-théorique et apolitique, nous dit-il, et questionne la célébration de la diversité culturelle à laquelle se livre Milan Kundera car elle ne résiste pas à l’épreuve du politique. Cela expliquerait la profonde déception de la « majorité francophone » qui se serait sentie « négligée » (p. 41) par un rapport faisant l’impasse sur la question nationale. Geneviève Nootens estime plutôt qu’il faut dépasser l’idée de « subordonner la diversité à l’unité d’un sujet collectif homogène » (p. 59) et critique ce qu’elle appelle une « représentation moniste de la réalité sociale » (p. 64).

La seconde partie revient sur le débat sur les accommodements raisonnables, d’abord avec un texte de Victor Armony qui recentre courageusement l’attention sur les faits en matière d’immigration pour dénoncer les mythes qui ont nourri le débat et des inquiétudes non fondées. Martin Geoffroy dénonce ce qu’il appelle l’amalgame religion-ethnicité et attribue les insuffisances du rapport de la CBT au discrédit jeté au Québec sur l’étude scientifique du phénomène religieux.

Les troisième et quatrième parties, d’une certaine manière, ne font qu’un, puisqu’elles traitent de la question nationale, grande absente des débats et du rapport de la CBT. Guy Laforest note que même l’expression « nation québécoise » est rarement mentionnée dans le rapport et aurait souhaité que les coprésidents logent leur propos à l’enseigne d’une analyse critique de l’évolution du projet national canadien. En faisant l’impasse sur ce contexte, ils ont alimenté l’anomie ambiante. Le diagnostic posé par Joseph Yvan Thériault n’est pas moins sévère : la tentative de réconcilier républicanisme et multiculturalisme ne pouvait que déboucher sur une « synthèse ratée », ce qui est bien dommage compte tenu de ce « couple idéal » formé par les coprésidents ! Micheline Labelle et François Rocher partent quant à eux du flou entourant la notion d’interculturalisme pour défendre la nécessité d’une vraie politique replacée dans une perspective plus ambitieuse de citoyenneté. Les réflexions de Raffaele Iacovino rejoignent celles des auteurs précédents sur ce point. Quant à Michel Seymour, il réitère sa thèse sur l’importance d’une constitution québécoise comme remède au malaise identitaire québécois, pour reprendre le titre de son texte. Enfin, Alain-G. Gagnon revient sur les diverses contributions, en guise de point d’orgue, sur le concept de citoyenneté active, consolidant la cohérence de cet ouvrage collectif.