Corps de l’article

Selon le recensement de 2006, près de 80 % de la population québécoise vit en milieu urbain. À elle seule, la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal compte près de la moitié de la population totale du Québec. Les tendances démographiques donnent à penser que cette proportion devrait augmenter au cours des prochaines années (Institut de la statistique du Québec, 2011). La croissance de l’urbain ne signe pas pour autant la disparition du rural ou son absorption par les milieux urbains. Bien que les données actuelles montrent que la population de localités éloignées ou isolées des grands centres est en décroissance continue, elles relèvent aussi de nombreuses situations de stabilisation démographique et même des exemples de reprise de la croissance.

Plutôt qu’un affaiblissement de la différenciation rurale-urbaine et la fin d’une mentalité campagnarde (Mendras, 1967 ; Fortin, 1971), on observe une diversité ainsi qu’une variabilité significative des espaces ruraux et urbains. Loin d’un déclin généralisé, les campagnes québécoises continuent de jouer un rôle de support à la croissance urbaine. Au même titre que les villes, les campagnes possèdent une vie socioéconomique spécifique, irréductible aux dynamiques urbaines et sur laquelle les chercheurs doivent se pencher. Face aux reconfigurations sociospatiales des territoires ruraux et aux mutations des espaces urbains liés aux processus d’urbanisation et de mondialisation, réexaminer la ruralité et l’urbanité relève non seulement d’une exigence théorique, mais aussi d’une demande sociale[1].

Les travaux sur les dynamiques urbaines et rurales sont assez nombreux, mais ceux sur les rapports entre ces deux espaces sont plus rares. On s’est souvent contenté de modèles interprétatifs, pensés dans d’autres contextes historiques (en France particulièrement) qui ne rendent pas bien compte de la réalité québécoise. Au-delà des portraits statistiques, les nouvelles réalités rurales-urbaines sont difficiles à cerner à cause de leurs multiples composantes. De plus, on constate aussi qu’« une certaine urbanité a gommé la compréhension des liens d’interdépendance rurale-urbaine » (Jean, 2004, p. 1). Pour comprendre les modifications en profondeur des liens dichotomiques classiques villes-campagnes, il est apparu pertinent d’en analyser les représentations. Les différents groupes présents sur les territoires construisent leur propre représentation de l’espace générant des attentes, des besoins ainsi que des pratiques spatiales diversifiées. En raison de la multiplicité et de la complexité des représentations associées aux territoires, l’espace peut devenir un lieu de concurrence, de confrontations et de conflits entre ruraux et urbains. D’un autre côté, elles peuvent aussi générer de nouvelles relations de complémentarité basées sur une réactualisation des liens d’interdépendance qui, petit à petit, se sont atténués entre les campagnes et les villes (Simard, 2007).

Comment les Québécois, qu’ils proviennent de la ville ou de la campagne, se représentent-ils le milieu rural de nos jours ? De façon inverse, comment les ruraux et les urbains perçoivent-ils l’espace urbain ? La campagne, vue par les urbains, correspond-elle à celle perçue par ses propres habitants ? La ville a-t-elle la même signification pour les urbains et pour les ruraux ? Notre objectif est de mettre en perspective, grâce à une analyse comparative, la vision des jeunes urbains et des jeunes ruraux sur la vie à la campagne et en ville. L’analyse comparée de leurs représentations sociales permettra de construire une typologie et de porter des « regards croisés » sur la ruralité et l’urbanité québécoise d’aujourd’hui.

Quatre groupes de discussion ont été formés en 2007 à l’Université de Montréal (UdeM) ainsi qu’à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) afin de mettre en lumière les représentations de la ruralité et de l’urbanité québécoises d’aujourd’hui grâce à la méthodologie de la cartographie conceptuelle[2]. Trente jeunes ont été recrutés dans le Bas-Saint-Laurent et trente à Montréal. Dans chaque cas, quinze jeunes ont participé aux groupes de discussion sur la ruralité, alors que les quinze autres ont pris part aux groupes de discussion sur l’urbanité québécoise.

D’une portée exploratoire et descriptive, l’article se divise en cinq parties. Nous débuterons par un bref retour sur la notion des représentations sociales pour ensuite apporter quelques précisions méthodologiques sur l’approche de la cartographie conceptuelle. Puis, nous présenterons les cartes conceptuelles produites lors des discussions en groupes portant sur les représentations de la ruralité et de l’urbanité québécoise. Nous nous pencherons par la suite sur les points de vue des deux populations à l’étude, les jeunes Montréalais et les jeunes Bas-Laurentiens, en tentant de faire ressortir les divergences et les similitudes. Enfin, nous dégagerons des regards croisés sur les rapports entre la ruralité et l’urbanité.

À la recherche des représentations sociales

La perspective théorique et épistémologique adoptée dans cet article s’inspire de l’approche constructiviste de Gumuchian (1988), selon laquelle les réalités sociales sont le fruit d’une construction par divers agents. De la même façon que les acteurs sociaux n’agissent pas nécessairement en fonction de la connaissance objective qu’ils ont d’une situation, mais souvent en fonction des représentations qu’ils s’en font (Berque, 1985), l’espace devient « objet d’étude par les significations et les valeurs qui lui sont attribuées » (Gumuchian, 1991, p. 6). Ainsi, des notions comme la ruralité et l’urbanité, même si elles renvoient à une matérialité palpable, sont par ailleurs des objets socialement construits (Jean, 2003 ; Perrier-Cornet, 2008 ; Gagnonet al., 2006). Elles évoquent une réalité idéelle qui peut être mise à jour par l’étude des représentations sociales.

Nous entendons par représentation sociale une « forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989, p. 36), également désignée comme « savoir de sens commun » (Jodelet, 1984). La constitution et la structuration des représentations de la ville et de la campagne, c’est-à-dire l’attribution d’un sens à l’espace, s’élaborent en prenant appui sur de multiples images de l’espace, et permettent aux individus d’approcher et d’interpréter leur environnement selon un processus dynamique. Les représentations sociales résultent d’une élaboration lente qui n’est pas indépendante de l’organisation sociale historique. C’est donc par l’intériorisation d’expériences, de pratiques, de modèles de conduites et de pensée socialement inculquées ou transmises, que les représentations sociales prennent forme. La réalité objectivée et la réalité subjectivée se nourrissent ainsi l’une et l’autre : la réalité résulte à la fois de « l’extériorisation de l’intériorité et de l’intériorisation de l’extériorité » (Bourdieu, 1987). En ce sens, les représentations résultent d’une « construction » et d’une « expression » du sujet. Elles permettent ainsi à l’individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites à travers son propre schème de références (Abric, 1997).

Les reconfigurations sociospatiales des territoires ruraux et les mutations des espaces urbains ont profondément bouleversé les représentations qu’en avaient les acteurs sociaux (Lacasse, 1999). La ruralité québécoise ne se réduit pas à son passé agricole et l’urbanité n’est pas uniquement signe de progrès. Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que cette situation impose une révision des instruments d’observation et d’analyse (Gagnonet al., 2006 ; Jean, 2004). Ainsi, une lecture renouvelée de la ruralité et de l’urbanité québécoise doit parvenir à mettre sous la loupe ces espaces, non pas comme de simples réceptacles matériels aux contours physiques, mais bien comme des territoires construits et investis de sens autant par l’ensemble de leurs résidants que par leurs usagers. En donnant un sens à l’environnement dans lequel ils vivent, les acteurs sociaux génèrent de nouvelles formes sociales de gestion de l’espace et d’occupation du territoire, de même que des représentations de l’espace. C’est dans le but d’expliciter ces représentations que nous avons réuni, lors de discussions de groupes où a été employée la méthode de la cartographie conceptuelle, un total de soixante jeunes provenant de la région montréalaise et de la région bas-laurentienne.

L’approche méthodologique : la cartographie conceptuelle

Dans l’optique de répertorier les grandes représentations de la ruralité et de l’urbanité et de les mettre en perspective, la méthode de la cartographie conceptuelle a été utilisée. Cette approche combine les cartes mentales et une démarche classique de groupes de discussion (Trochim, 1989 ; Dagenais et Bouchard, 1995 ; Ridde, 2006 ; Kane et Trochim, 2007). Popularisée par Trochim (1989), Kane et Trochim (2007), cette méthode permet d’organiser des données qualitatives au moyen d’une série d’analyses statistiques. Elle agrège une grande quantité d’énoncés caractérisant un objet donné, ici la ruralité et l’urbanité québécoises, afin d’obtenir une carte de ses principales caractéristiques.

Les groupes de discussion ont mis en présence soixante jeunes, soit trente jeunes Montréalais et autant de jeunes ruraux du Bas-Saint-Laurent. Le choix des jeunes relevait d’une décision méthodologique visant à favoriser le recrutement des participants aux exercices cartographiques qui se tenaient sur deux journées consécutives. En tant qu’acteurs ou décideurs de demain, les jeunes portent un regard prospectif sur les rapports de complémentarité rurale-urbaine qui nous interpellait.

Les jeunes recrutés pour les groupes de discussion ne devaient pas être des résidants de Rimouski, Matane ou Rivière-du-Loup, villes régionales. Les jeunes originaires de la ville n’étaient pas exclus, mais devaient avoir une expérience rurale significative, soit être installés dans un milieu rural depuis plus de trois ans. Quant aux urbains, ils devaient provenir du Grand Montréal et avoir une expérience de vie à Montréal d’au moins trois ans. Outre les affiches qui ont été apposées dans des lieux fréquentés par les jeunes (cafés, cégeps, universités, Commission Jeunesse du Conseil Régional des Élus (CRÉ) du Bas-Saint-Laurent et le Centre local d’emploi de Rimouski), ce sont surtout les lettres d’invitation envoyées dans les réseaux de notre équipe de recherche, le « bouche à oreille » et « l’effet boule de neige » qui ont joué un rôle primordial dans le recrutement des participants.

La composition des groupes de discussion

La compilation d’un bref questionnaire rempli par les participants a permis de dresser un portrait sociodémographique incluant certains critères comme le genre, l’âge, le milieu de vie actuel, la région d’origine et la connaissance du milieu à l’étude. Les groupes de discussion comprenaient autant d’hommes que de femmes. La composition des groupes a toutefois légèrement varié en ce qui concerne l’âge et le statut socioéconomique. La majorité des participants étaient âgés entre 18 et 26 ans, mais les jeunes du Bas-Saint-Laurent étaient généralement plus jeunes que les Montréalais, ce qui explique leur plus faible niveau de scolarité. Les Montréalais étaient majoritairement des étudiants universitaires (9, surtout dans le domaine de la santé et des services aux citoyens – droit, finances, police) et des jeunes professionnels (4), alors que les Bas-Laurentiens avaient des profils aussi diversifiés qu’agriculteur, ébéniste, artiste-peintre, agent de développement rural, cégépiens (3) ou étudiants universitaires (2). Les deux tiers des jeunes ruraux du Bas-Saint-Laurent ont déclaré vivre actuellement dans ce qu’ils considéraient comme la campagne ou un village. À l’exception de trois répondants qui habitaient en banlieue de Montréal, tous les jeunes urbains ont dit que leur lieu de résidence actuel était la ville de Montréal.

En ce qui a trait au milieu d’origine, la moitié des ruraux ont rapporté être originaires de la campagne ou d’un village, l’autre moitié d’une petite ville de région. Parmi les ruraux recrutés, trois étaient des « néo-ruraux » : un couple originaire de la grande région de Montréal qui a fait le choix il y a cinq ans de venir s’installer dans le Bas-Saint-Laurent ainsi qu’un autre participant appartenant à la catégorie que l’on appelle ruraux de retour[3]. Pour ce qui est des Montréalais, près des deux tiers ont affirmé être de la ville de Montréal, alors que les autres répondants étaient originaires de la banlieue de Montréal. Les trois quarts des urbains et des ruraux ont rapporté avoir une « bonne » à une « très bonne connaissance de la ville », alors que les urbains estimaient leurs connaissances de la ruralité comme « pas assez bonne » ou « passable », ce qui concorde avec le fait que la majorité des urbains n’ont jamais habité ailleurs qu’à Montréal ou dans les banlieues avoisinantes. De leur côté, les Bas-Laurentiens ont affirmé, dans une large mesure, posséder une « bonne » à une « très bonne » connaissance de la ruralité. Malheureusement, nous ne disposons pas d’information quant à leurs aspirations résidentielles.

Le déroulement des groupes de discussion

Réparti sur deux journées consécutives, le déroulement des groupes de discussions a été le même à Montréal et à Rimouski, et s’est effectué en cinq étapes.

Premièrement, la cartographie conceptuelle s’appuie sur la collecte systématique du plus grand nombre de perceptions possibles auprès d’un groupe de personnes. Ces représentations sont identifiées lors d’une période de « remue-méninges ». À partir d’une seule question, les participants étaient invités par l’animateur[4] à compléter de façon spontanée, par de brefs énoncés, de courtes phrases ou des idées, les phrases suivantes : « lorsque je pense à la ruralité québécoise d’aujourd’hui, je pense à… et lorsque je pense à l’espace urbain québécois d’aujourd’hui (la ville)[5], je pense à… »

Les réponses étaient numérotées et projetées à l’écran pour que les participants soient en mesure de voir l’ensemble des énoncés. À titre d’exemple, nous avons obtenu les réponses : « Lorsque je pense à la ruralité québécoise d’aujourd’hui, je pense à… » la campagne (énoncé 1, Ruraux-ruralité), aux ressources naturelles (énoncé 9, Urbains-ruralité), à l’agriculture (énoncé 5, Urbains-ruralité). Durant cette phase de production d’idées, aucun énoncé n’était écarté. Les échanges entre les participants étaient limités, de même que les interventions de l’animateur, afin de ne pas orienter la formulation des énoncés qui complétaient la phrase d’amorce. Bien qu’il n’y ait pas vraiment eu d’échanges directs entre les participants, plusieurs énoncés ont été formulés à partir d’un énoncé précédent, le complétant, le précisant, ou encore en lui apportant certaines nuances. Les jeunes urbains et les jeunes ruraux ont respectivement produit 150 et 152 énoncés sur la ruralité[6]. Dans les groupes de discussion portant sur l’urbanité, les jeunes urbains ont formulé 130 énoncés alors que les ruraux en ont émis 162 pour atteindre le seuil de saturation[7]. La durée de l’étape du remue-méninges a varié entre deux et trois heures.

Lors de la deuxième étape, les participants devaient attribuer une cote (de 1, pas important, à 5, très important) selon l’importance qu’ils accordaient individuellement à chaque énoncé. En ayant privilégié une grande liberté d’expression des répondants qui s’est traduite par une quantité élevée d’énoncés complétant la phrase, il n’est pas surprenant que toutes les idées n’aient pas la même valeur, ni la même importance. Durant la troisième phase, les participants devaient regrouper l’ensemble des énoncés dans des « piles » aux contenus « apparentés ». De façon individuelle, ils avaient la possibilité de faire autant de regroupements qu’ils le jugeaient nécessaire, en classant les énoncés qui leur semblaient aller ensemble « in a way that makes sense to them » (Trochim, 1989, p. 7). Les participants étaient entièrement libres de choisir les critères ainsi que la logique de classification qu’ils utilisaient. C’est avec cet exercice d’une durée de 60 à 90 minutes que se clôturait la première journée de la rencontre.

Ces informations codées (numéro d’énoncés et leurs cotes d’importance respectives, ainsi que les piles et leurs titres) étaient par la suite compilées par les chercheurs dans le logiciel Concept Systems[8]. La construction de la carte conceptuelle s’est faite dans un premier temps par l’utilisation d’une matrice binaire symétrique de similarité (binary symmetric similarity matrix). La matrice sert à calculer combien de personnes ont placé un énoncé donné dans la même pile, sans tenir compte de la cote d’importance de l’énoncé, du titre de la pile, ni des autres énoncés rassemblés dans la pile. Dans un deuxième temps, ces données agrégées ont permis de mener des analyses non métriques d’échelonnage multidimensionnel (bi-dimensional nonmetric multidimensions scaling of similarity matrix) dans le but de hiérarchiser et de répartir des points – les énoncés – sur un axe vertical et horizontal (XY) en fonction de leur distance relationnelle[9]. Dans un troisième temps, des analyses statistiques multivariées de classification ascendante hiérarchique (hierarchical clustering) basées sur l’algorithme de Ward (Kane et Trochim, 2007) ont aussi été menées pour regrouper en grappes les éléments qui représentent des concepts similaires (Dagenaiset al., 2009). La carte conceptuelle prend donc la forme d’un graphique bidimensionnel composé de nuages de points, formant des grappes ou clusters qui représentent divers concepts ou dimensions de la ruralité et de l’urbanité québécoise contemporaine.

Les cartes produites se lisent de la même façon qu’une carte géographique. Les concepts représentés sont assimilables à des lieux situés sur une carte, dont on peut repérer la distance, l’orientation et l’organisation spatiale générale. Ainsi, deux grappes rapprochées renvoient à des concepts assez similaires, alors que celles qui sont éloignées auront tendance à relever de dimensions différentes. La taille d’une grappe révèle la dispersion des énoncés qu’elle regroupe (et non pas leur importance relative). C’est l’épaisseur des grappes (plutôt que la couleur ou la taille) qui révèle l’importance accordée par les participants à la dimension représentée dans chacune des grappes. Les grappes les plus épaisses contiennent les énoncés ayant des cotes d’importance relativement élevées (sur une échelle de Likert de 1 à 5), signe de leur caractère consensuel auprès du groupe. Bref, les cartes conceptuelles exposent une gamme étendue de perceptions des acteurs, leurs interrelations, leurs articulations, mais surtout, les représentations les plus importantes pour caractériser l’objet.

Finalement, la dernière étape consistait à valider les résultats préliminaires. Ceux-ci étaient soumis aux participants lors de la deuxième journée des groupes de discussion. Les participants avaient à nommer chaque grappe produite par le traitement statistique en se référant aux énoncés qu’elle contenait. Contrairement aux étapes précédentes, celle-ci faisait appel à de nombreuses discussions entre les jeunes (sans intervention des chercheurs) pour leur permettre d’en arriver à un consensus. Les suggestions étaient projetées à l’écran et les participants étaient en mesure de modifier le nom donné à chaque grappe avant d’en arriver à une proposition finale.

Cartographies conceptuelles : la ruralité québécoise d’aujourd’hui

La carte suivante est le résultat du groupe de discussion sur la ruralité québécoise contemporaine ayant réuni les quinze ruraux du Bas-Saint-Laurent. Divisée en neuf grappes, elle symbolise autant de grandes représentations de la ruralité chez ces jeunes.

Le discours de jeunes ruraux sur la ruralité québécoise d’aujourd’hui

L’analyse de la carte conceptuelle des jeunes ruraux du Bas-Saint-Laurent permet d’avancer que la ruralité est évoquée de façon fortement positive chez eux. L’interprétation de ces résultats conduit à proposer quatre axes autour desquels s’articulent leurs représentations sociales :

  1. la ruralité comme mode de vie (Grappe 1 : Le choix d’un mode de vie authentique, cote d’importance sur l’échelle de Likert de 3,90 sur 5) ;

  2. la ruralité comme espace naturel (Grappe 2 : Loisirs distincts et proximité avec la nature, cote d’importance : 3,91) ;

  3. la ruralité comme espace aux dimensions humaines (Grappe 3 : Des villages à visage humain, 3,91 ; Grappe 9 : Des identités communautaires à redéfinir et des mentalités à faire évoluer, 3,30 ; Grappe 4 : Images caricaturales de la campagne, 3,31) ;

  4. la ruralité comme espace en « mode solution » (Grappe 8 : Un milieu en mode solution : Maintien des secteurs d’emplois traditionnels et innovations dans le développement socioéconomique, 4,08 ; Grappe 5 : Contraintes démographiques et difficultés à maintenir un dynamisme local et des services, 3,81 ; Grappe 6 : Précarité économique et reconversion des secteurs traditionnels, 3,95 ; Grappe 7 : Négligence gouvernementale et politiques mal adaptées (fédérale, provinciale et municipale), 3,68.

Figure I

Carte conceptuelle des représentations de la ruralité par des ruraux du Bas-Saint-Laurent

Carte conceptuelle des représentations de la ruralité par des ruraux du Bas-Saint-Laurent

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Un des traits dominants du discours des ruraux est que malgré, la nécessité d’améliorer leur environnement, tant social, culturel, politique qu’économique, ceux-ci ont mentionné plusieurs facteurs incitant à choisir la campagne comme lieu de résidence, mais surtout comme mode de vie authentique (Grappe 1). Cette représentation transparaît dans une grande quantité d’énoncés qui nous conduisent à penser que ce mode de vie distinctif semble l’attribut le plus important des campagnes québécoises aux yeux des jeunes ruraux. Les Bas-Laurentiens interrogés ont effectivement souligné le fait que la ruralité est bien plus qu’un simple lieu de résidence ou de travail. La ruralité reflète avant tout un choix volontaire d’un autre mode de vie[10], d’un mode de vie de qualité privilégié pour les loisirs et les activités de plein air. C’est un cadre de vie propice pour élever une famille et où l’on peut vivre au rythme de la nature, et ce, en toute tranquillité et simplicité (Grappe 2).

Ces espaces naturels aux paysages magnifiques et même féeriques recèlent des richesses environnementales inestimables aux yeux de leurs habitants. Néanmoins, le milieu rural n’est pas seulement reconnu pour la proximité et le contact particulier avec la nature, mais aussi comme un espace communautaire (Grappe 3). Le climat d’entraide et de solidarité génère un tissu social dense qui se traduit par un sentiment d’appartenance et de fierté, de même qu’une identité collective forte. Avec les mots d’une expression bien de chez nous, les villages sont considérés par les jeunes comme étant « tricotés serrés ».

Malgré toutes ces représentations sociales positives de la ruralité québécoise, il n’en demeure pas moins que les régions rurales, comme celle du Bas-Saint-Laurent, sont aux prises avec des problèmes économiques, environnementaux, politiques, démographiques et sociaux inquiétants. Tout en appréciant la vie dans des petites collectivités, les ruraux pensent que ces milieux sont actuellement en « mode solution » (Grappe 8), même s’ils remarquent un manque de volonté politique pour encourager la mise en place de stratégies de reconversion des secteurs traditionnels d’emplois, ainsi que la promotion d’activités alternatives et durables. La situation précaire des régions ne semble pas être l’objet de politiques gouvernementales adaptées, ni même l’objet de préoccupations, de soutien ou tout simplement de reconnaissance de la part des populations urbaines (la nécessité de changer les préjugés des urbains, préjugés caricaturaux entretenus par les médias ; Grappes 6 et 7). Les jeunes rencontrés valorisent l’utilisation d’approches participatives centrées sur la capacité d’organisation et de mobilisation des communautés rurales qui demeurent les mieux placées pour répondre aux besoins spécifiques de leur population, bien que cela doive se faire de concert avec les instances gouvernementales.

Pour conclure, la ruralité évoque chez les jeunes ruraux un mode de vie en contact avec la nature, proche des gens, de ses racines et des traditions. D’un côté, ils valorisent l’image bucolique, naturelle et attachante de la vie rurale, alors que de l’autre, ils dénoncent cette vision romancée et caricaturale des campagnes québécoises souvent véhiculée par les citadins. En y célébrant la vraie campagne, intacte et authentique, les ruraux prennent appui sur des idées stéréotypées d’un mode de vie rural traditionnel et en symbiose avec la nature. Néanmoins, ces a priori, qu’ils ont pris la peine de définir comme des idées préconçues et mal fondées ou tout simplement peu actuelles, sont malgré tout repris par les ruraux eux-mêmes pour caractériser la ruralité québécoise contemporaine.

Le discours des jeunes urbains sur la ruralité québécoise d’aujourd’hui

Avec plus de la moitié des grappes faisant référence à des représentations sociales négatives, les jeunes urbains font de leur côté état d’une vision plus négative de la ruralité québécoise contemporaine. De l’ensemble des dimensions de la ruralité représentées par cette carte conceptuelle, il appert qu’elles comprennent trois composantes positives et sept négatives. Celles-ci reposent principalement sur cinq dimensions :

  1. les problèmes sociaux liés au paradoxe de la culture traditionnelle (Grappe 4 : Hermétisme culturel et conservatisme, 3,57 ; Grappe 5 : Homogénéité et conformisme social, 3,48) ;

  2. la faible densité démographique et l’isolement (Grappe 6 : Problèmes sociaux et isolement, 3,17 ; Grappe 3 : Dualité ville-campagne, 3,42) ;

  3. la fragilité économique des communautés rurales (Grappe 8 : Exploitation des ressources naturelles et défis du développement durable, 3,87 ; Grappe 9 : Difficultés de la diversité économique et alternative, 3,63 ; Grappe 7 : Urbanisation et mutations du monde rural, 2,94).

Sur une note plus positive, la ruralité représente aussi :

  1. un environnement naturel d’une grande richesse (Grappe 1 : Tourisme, plein air et attraits du mode de vie paisible, 3,28) ;

  2. un lieu de récréation et de détente (Grappe 2 : Sentiment d’appartenance communautaire et traditions culturelles, 3,46).

Figure II

Carte conceptuelle des représentations de la ruralité par des jeunes urbains de Montréal

Carte conceptuelle des représentations de la ruralité par des jeunes urbains de Montréal

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Les représentations de la ruralité véhiculées par les Montréalais relèvent d’une perception paradoxale, révélant les deux facettes, négatives et positives, de la culture traditionnelle. D’un côté, ils tracent un portrait peu flatteur des communautés rurales éloignées en mettant l’accent sur une culture rurale traditionnelle, archaïque et conservatrice (Grappe 4). Cette vision négative de la culture traditionnelle vient des problèmes sociaux qui lui sont associés : conservatisme, homogénéité sociale et fermeture d’esprit des habitants (Grappe 5), mais aussi peur de la diversité sociale, culturelle, religieuse et linguistique. D’un autre côté, les jeunes urbains présentent la culture rurale comme étant aussi porteuse de valeurs authentiques et profondes. Ce sont sur ces valeurs d’entraide, d’esprit communautaire et de cohésion sociale que se serait bâti le patrimoine québécois. Cependant, la réaffirmation et la revalorisation des traditions québécoises ne sont pas seulement perçues de façon positive. Elles sont aussi identifiées comme des contraintes au développement des communautés rurales en favorisant une attitude de repli sur soi, de fermeture à la nouveauté, à l’innovation et donc, plus largement à la modernité. Cette tension entre tradition et la modernité est à la base du paradoxe de la culture rurale traditionnelle.

Une deuxième dimension de la ruralité mise de l’avant par les urbains concerne la faible densité démographique et son corollaire, la dispersion de population, mises en cause dans le manque d’infrastructures et les difficultés d’accès aux services (Grappe 6). Dans ces espaces peu peuplés, la rusticité, la précarité et même l’absence de certains services constituent une contrainte majeure, de même qu’une source de dépendance par rapport à la ville. En raison de l’éloignement et de l’isolement des communautés rurales, un fossé socioéconomique, culturel et identitaire se serait ainsi creusé entre ville et campagne. Celui-ci pourrait d’ailleurs expliquer l’incompréhension des réalités rurales évoquée par les Montréalais (Grappe 3).

Quant aux représentations économiques de la ruralité, les jeunes urbains ont eu tendance à dénoncer le modèle économique productiviste – forêts dévastées par la coupe à blanc, grosses industries alimentaires – et ses effets déstructurants sur le développement des régions (Grappe 8). Faisant référence à une série de difficultés d’ordre structurel qui ont fragilisé les économies rurales, ils désapprouvent les méfaits de la mondialisation, sans pour autant valoriser les capacités de mobilisation des acteurs locaux (niveau d’instruction moindre, vie professionnelle limitée dans certains domaines ; Grappe 7). Bien qu’ils reconnaissent le potentiel de développement des alternatives quant à l’organisation socio-politico-économique des espaces ruraux, le manque d’initiatives locales, mais surtout le dynamisme économique décroissant conduiraient les ruraux à intégrer une attitude de désespoir – voire de fatalisme. La ruralité est assujettie à des processus de globalisation sur lesquels les ruraux ont peu d’emprise et les politiques publiques de développement local ne parviendraient pas à revitaliser une économie aussi mal en point (Grappe 9).

Pour reprendre l’expression des urbains qui se sont prêtés à l’exercice de la cartographie conceptuelle, leurs représentations de la ruralité sont « très négatives et défaitistes ». C’est un peu comme si les attributs de la ruralité pouvaient toujours prendre une connotation négative et être tournés à la défaveur des ruraux. En revanche, la notion de ressources naturelles a été évoquée de façon très positive, ce qui contrecarre les représentations plus négatives de la ruralité. La campagne recèle des richesses environnementales inestimables et des paysages majestueux. En ce sens, la ruralité revêt un aspect environnemental incontestable, avec la beauté et la tranquillité de son environnement et de son mode de vie (Grappe 1). De cette dimension environnementale des espaces ruraux découle celle de leur vocation touristique en tant que lieu de vacances, de détente et de récréation (Bryant, 2005). En ce sens, les communautés rurales sont perçues comme des espaces attractifs pour les populations urbaines puisqu’elles offrent une meilleure qualité de vie que la vie urbaine ainsi que des loisirs qui lui sont propres (Grappe 2).

Il n’en demeure pas moins que transparaît dans le discours des urbains la représentation d’une ruralité passablement réductrice et construite à partir de représentations négatives du système social et économique traditionnel. Leurs perceptions de la ruralité sont en grande partie liées à des images bucoliques. Bien qu’elles ne soient pas nécessairement fausses, celles-ci idéalisent un milieu soumis à des recompositions sociospatiales importantes. Au-delà de ces stéréotypes, les jeunes urbains reconnaissent toutefois plusieurs attributs de la ruralité québécoise contemporaine. Ils soulignent aussi le potentiel de revitalisation de ces espaces en préservant le lien qui les unit entre eux et avec la nature.

Cartographies conceptuelles : l’urbanité québécoise d’aujourd’hui

Les discussions de groupes menées avec les jeunes urbains et les jeunes ruraux ont aussi permis de révéler leurs représentations de l’urbanité québécoise contemporaine. Dans un premier temps, nous analyserons ce que les Montréalais ont répondu à la question : « Lorsque je pense à l’espace urbain québécois (la ville) d’aujourd’hui, je pense à … »[11] pour ensuite présenter les résultats des exercices conceptuels menés auprès des jeunes ruraux.

Figure III

Carte conceptuelle des représentations de l’espace urbain québécois par des jeunes urbains de Montréal

Carte conceptuelle des représentations de l’espace urbain québécois par des jeunes urbains de Montréal

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Le discours des jeunes Montréalais sur l’espace urbain québécois d’aujourd’hui

L’analyse du discours des jeunes Montréalais ayant participé à la construction d’une carte conceptuelle sur l’espace urbain québécois d’aujourd’hui fait ressortir six dimensions de la représentation de la ville. Celles-ci reflètent une vision plutôt positive de l’urbain et de ses principales caractéristiques.

  1. l’urbanité, c’est Montréal (Grappe 1 : Cartes postales montréalaises, 3,79) ;

  2. l’urbanité, c’est un mode d’organisation territorial et symbolique (Grappe 4 : Architecture et aménagement de la densité urbaine, 3,91) ;

  3. l’urbanité, c’est un espace de concentration de la diversité (Grappe 6: Ouverture d’esprit envers les différents modes de vie, 3,97 ; Grappe 7 : Effets pervers de la métropole sur les moeurs de ses habitants, 3,49 ; Grappe 8 : Problèmes sociaux liés aux inégalités économiques et à la diversité culturelle, 3,96) ;

  4. l’urbanité, c’est le lieu de tous les plaisirs et de toutes les opportunités (Grappe 3 : Richesse et accessibilité de la vie sociale et culturelle, 4,18) ;

  5. l’urbanité, c’est des problèmes sociaux et environnementaux (Grappe 5 : Dynamique problématique de la diversité des transports, 4,0 ; Grappe 9 : La vie populaire et l’environnement gris, 3,79) ;

  6. l’urbanité, c’est un lieu d’innovation, de savoir et de développement économique (Grappe 2 : Un centre international économique, politique et du savoir, 3,85).

Premier énoncé recueilli en réponse à la question utilisée lors du remue-méninges et qui a l’indice d’importance le plus élevé, Montréal évoque certainement une grande représentation de l’urbanité québécoise. Pour les jeunes urbains, la ville c’est Montréal et rien d’autre ! C’est du moins ce que laisse entendre le fait qu’aucune autre ville de la province québécoise n’ait été mentionnée. Il faut par contre prendre en considération que les participants étaient tous des Montréalais d’origine, ce qui peut expliquer l’importance accordée à la ville et à ses lieux typiques (d’où le titre de la Grappe 1 : Cartes postales montréalaises).

L’interprétation des représentations de l’urbanité véhiculées par les jeunes Montréalais relève d’une conception « spatio-fonctionnelle » de l’espace, dans le sens où la ville semble plus facilement caractérisable de façon concrète et tangible, notamment par la mise en valeur de certains lieux évocateurs. Ainsi, les urbains ont fait référence à Montréal en tant qu’un mode d’organisation territorial spécifique, soit en tant qu’une mosaïque de quartiers ayant chacun une vie et un dynamisme qui lui est propre (par exemple les quartiers historiques, lequartier gai, le plateau, le Mont-Royal). Les quartiers constitueraient un mode d’appropriation du territoire, un point d’ancrage d’une partie de la population, sur lequel se développe un sens de l’appartenance à la ville et à la vie de quartier.

Des gratte-ciel aux ghettos culturels, l’urbanité québécoise contemporaine est aussi perçue comme un lieu à forte population dense où se concentrent les communautés culturelles et les regroupements multiculturels. La diversité y est tout à l’honneur. Néanmoins, cette diversité socioculturelle s’avère parfois être la cause d’inégalités sociales, économiques et culturelles, appréhendées comme l’envers de la médaille de la vie en ville. De plus, la surproximité au niveau de l’espace et au niveau des gens tend à amplifier certains problèmes liés à la cohabitation urbaine et socioculturelle.

La diversité et l’abondance des activités culturelles, récréatives et même gastronomiques font de la ville le lieu de tous les plaisirs, de tous les possibles. La vitalité et le dynamisme socioculturels, la richesse architecturale, la présence d’activités et l’accès facile aux services représentent un aspect décisif du choix d’un mode de vie urbain, ainsi qu’une représentation positive de l’urbanité. Puisque tout se passe en ville, les jeunes citadins ont ainsi la possibilité de faire leurs propres choix en fonction de ce qu’ils désirent, des « tonnes de possibilités », notamment de carrière et de transports, leur étant ouvertes (Grappe 5).

Cette offre urbaine n’est possible que par la forte densité démographique qui la caractérise. Celle-ci donne lieu à une proximité et une promiscuité qui instaurent une distance sociale. Pour les urbains, l’anonymat et le manque d’authenticité au niveau des rapports sociaux génèrent des liens sociaux impersonnels marqués par la superficialité et une déresponsabilisation des citoyens les uns envers les autres ainsi qu’envers l’environnement. Les urbains, lorsqu’ils parlent de villes sales et polluées, déplorent les nombreux inconvénients et coûts sociaux de la vie urbaine, telles la pollution, la congestion et la saleté. Néanmoins, la détérioration et la dégradation de l’environnement urbain – ainsi que les problèmes sociaux qui l’affligent – ne font pas le poids face aux avantages de la vie en ville. En d’autres mots, les urbains reconnaissent les aspects négatifs de la vie urbaine, mais ils ne la troqueraient pour rien au monde et encore moins pour la vie en campagne (Galland et Stellinger, 2008).

Lieu d’innovation et d’attraction, Montréal monopolise l’activité économique et politique. Centre d’affaires et technopôle d’envergure, c’est aussi un lieu de savoir et de développement de la recherche. Sa vitalité économique, intellectuelle et culturelle, ses infrastructures, sa haute technologie et sa proximité de plusieurs grandes villes des États-Unis font de Montréal une plaque tournante. Cosmopolite, multiculturelle et bilingue, cette ville jouit d’une personnalité unique, ouverte sur le monde et sur la diversité qui la destine à un futur prometteur selon les jeunes urbains rencontrés.

Figure IV

Carte conceptuelle des représentations de l’espace urbain québécois par des jeunes ruraux du Bas-Saint-Laurent

Carte conceptuelle des représentations de l’espace urbain québécois par des jeunes ruraux du Bas-Saint-Laurent

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Le discours des jeunes ruraux sur l’espace urbain québécois d’aujourd’hui

Dans les représentations sociales de l’urbanité québécoise actuelle des jeunes Bas-Laurentiens se manifeste une contradiction, ou du moins l’apparence d’une contradiction. À des fins d’analyse, nous avons regroupé les représentations favorables (trois grandes dimensions de la ville) et les défavorables (deux dimensions). L’étude de la carte conceptuelle produite par les ruraux nous permet d’avancer qu’à leurs yeux :

  1. l’urbanité, c’est un milieu effervescent caractérisé par la diversité, la richesse et l’accessibilité (Grappe 3 : Accessibilité à la diversité culturelle, 3,97 ; Grappe 5 : Ambiance quotidienne et éléments typiques du paysage urbain, 3,53) ;

  2. l’urbanité, c’est la liberté, l’ouverture et la tolérance (Grappe 7 : Tolérance et intolérance face aux problèmes sociaux et autres comportements humains, 3,71) ;

  3. l’urbanité, c’est un lieu de pouvoir, d’attraction et de convergence, bref, « en ville, tout est possible ! » (Grappe 1 : Centre de convergence politique et économique, 3,98 ; Grappe 2 : Villes, centralisation et intégration culturelle, 3,58 ; Grappe 8 : Croissance et impacts du néo-libéralisme, 3,62) ;

  4. l’urbanité, c’est la faiblesse des liens sociaux et l’individualisme (Grappe 6 : Mode de vie dénaturé et relations humaines détériorées, 3,53) ;

  5. l’urbanité, c’est un environnement gris et malsain (Grappe 4 : Impacts de la pollution sur la qualité de vie, 3,62).

Une des représentations fortes véhiculées dans le discours des Bas-Laurentiens porte sur la diversité, la richesse et l’accessibilité urbaine d’une panoplie d’activités culturelles, artistiques, gastronomiques, etc. De la même façon que les Montréalais, cette vitalité économique, sociale, intellectuelle et culturelle est valorisée bien que les ruraux ne l’associent pas qu’à la seule ville Montréal, mais aussi à Québec, Drummondville, Trois-Rivières et Sherbrooke.

Un autre aspect abordé par les ruraux tient à la diversité et à l’effervescence urbaine. La présence d’une pluralité de comportements, de communautés culturelles ou religieuses, de riches ou de pauvres, de populations marginalisées ou exclues, générerait une plus grande ouverture face à la nouveauté et une meilleure compréhension/acceptation face à la différence. Les Bas-Laurentiens estiment en ce sens que les urbains sont généralement moins enclins à porter des jugements de valeur basés sur les apparences. Cette tolérance s’avèrerait être un préalable à la gestion de la diversité urbaine, compte tenu du méli-mélo urbain ou de ce que certains auteurs ont appelé le melting-pot (Amselle, 2002).

Selon les ruraux, le rêve est réalisable en passant par la ville. Ce qui fait sens à leurs yeux c’est définitivement la représentation du tout est possible en ville. L’espace urbain est ainsi un lieu de pouvoir et d’attraction. L’urbanité c’est le pouvoir sous toutes ses formes, ce qui l’amène parfois à se prendre pour le centre de tout, le nombril du monde. Que ce soit au niveau économique – pouvoir économique – avec des villes dynamiques et prospères, ou au niveau politique – pouvoir politique – avec un poids électoral plus lourd, l’espace urbain est représenté par sa puissance, sa notoriété, sa centralité.

De la centralité et du pouvoir urbain, on observe un glissement vers des représentations négatives de la ville. Celles-ci se rattachent à l’idée d’une faiblesse des liens sociaux typique des grandes agglomérations urbaines et à la présence de comportements individualistes. Malgré la proximité physique des citadins, la structure sociale urbaine et le mode de vie rapide et stressé auraient tendance à générer des contacts brefs et peu soutenus. Il en résulterait un mode de vie urbain marqué par l’indifférence, la désolidarisation et la déresponsabilisation envers leurs concitoyens et envers leur environnement.

À l’image des relations sociales, les urbains entretiendraient des rapports superficiels avec la nature. La dégradation des espaces naturels et construits engendrerait une diminution de la qualité de vie urbaine. Le manque d’espaces verts, l’éloignement de la nature, l’offre de plein air artificiel ne sont que quelques exemples mentionnés par les ruraux pour faire état de la vie dans une ville sale, polluée et asphaltée. Cette vie [urbaine] en accéléré où la hausse du stress fait que tout est rapide, mais jamais assez, est aussi rejetée en bloc. L’idée du train de vie constant 24/24, du métro, boulot, dodo qui prime en ville ne semble pas très attractive aux yeux des ruraux. Outre la piètre qualité de vie, la ville symbolise aussi certains problèmes sociaux, illustrés par la présence de la pauvreté, des HLM, des gangs de rue, de la délinquance, de la violence et de la criminalité, etc. Pour toutes ces raisons et malgré la présence de représentations sociales positives par rapport à la ville, les ruraux ont semblé peu attirés par le mode de vie urbain et préférer la vie à la campagne.

Regards croisés sur les représentations de la ruralité et de l’urbanité québécoise

Sur la base des quatre cartes conceptuelles, cette section vise à mettre en perspective les différentes représentations des attributs de la ruralité et de l’urbanité québécoise.

Une ruralité multiple et variée, des points de vue divergents

La ruralité, en tant que réservoir de ressources naturelles (Gagnonet al., 2006) au service d’un développement durable, constitue une représentation convergente dans le discours des urbains et des ruraux. Non seulement la ruralité est-elle valorisée comme un environnement où prédominent les ressources naturelles, elle est aussi un espace aux dimensions humaines où les liens sociaux sont « tricotés serrés ». L’idée qu’à la campagne « on se serre les coudes » pour s’entraider émerge des représentations des jeunes Québécois rencontrés. Toutefois, des lectures différentes sont faites de la ruralité selon que l’on provient de la ville ou de la campagne. Les principales divergences se situent au niveau de l’environnement et des ressources naturelles, du cadre de vie rural, des problèmes socioéconomiques que connaissent les territoires ruraux, de même que les relations de dépendance entretenues avec les agglomérations urbaines.

Alors que les ruraux utilisent le terme « nature », les urbains parlent plutôt de « ressources naturelles » pour décrire l’environnement rural. D’un côté, on se représente la ruralité comme étant liée à un mode de vie distinct, alors que, de l’autre, elle est un « espace résidentiel et récréatif consommé par l’habitat et le loisir » (Perrier-Cornet, 2003, p. 1). Déjà évoquée dans le contexte français par Perrier-Cornet (2002), cette tendance urbaine à valoriser « la campagne des villes » se retrouve aussi dans les représentations des jeunes Montréalais ayant participé aux exercices cartographiques. Du point de vue des urbains, les milieux ruraux auraient beaucoup plus à voir avec des espaces de récréation (villégiature, tourisme, activités récréo-touristiques, etc.) qu’avec des espaces résidentiels et de production comme se les représentent les ruraux. La composition des échantillons de jeunes participants peut expliquer en partie cette différence dans la façon de concevoir le rural. Les jeunes urbains rencontrés ont déclaré avoir une connaissance « passable » des milieux ruraux qui s’appuie sur un rapport de consommation de la ruralité comme lieu de vacances, d’activités de plein air, ainsi que comme lieu d’expériences agrotouristiques ou de villégiature. Le profil des ruraux rencontrés s’apparente plus volontiers à des jeunes qui ont fait le choix de demeurer ou de s’établir à la campagne et d’une « ruralité choisie » plus qu’une « ruralité subie » pour reprendre la distinction de Kayser (1994) ou les figures de « trou » ou de « piège » (trap) avancées par une équipe toulousaine (Gambinoet al., 2004). De plus, ils ont généralement une meilleure connaissance de l’urbain, quelques-uns d’entre eux en ayant fait l’expérience avant de revenir s’installer en milieu rural.

Un autre décalage important entre le discours des ruraux et celui des urbains concerne les dynamiques sociales en milieu rural. Alors que les ruraux avancent que la ruralité mérite non seulement d’être valorisée, mais aussi d’être conservée comme forteresse de la culture traditionnelle québécoise, les urbains y voient un mode de vie traditionnel et archaïque. On a d’un côté un espace aux dimensions humaines avec un tissu social fort et dense et de l’autre un lieu passéiste et non innovant où le conformisme, l’homogénéité et la fermeture d’esprit caractérisent la plupart des habitants ; ces représentations semblent difficilement conciliables.

Quoiqu’elles ne soient pas présentes chez la majorité des jeunes, plusieurs représentations font écho à la marginalisation sociale, politique et économique des campagnes par rapport aux villes. La dévitalisation économique et le manque de services confortent une vision négative des régions rurales, ainsi que la prégnance de rapports de dépendance urbaine. Alors que tout tourne autour des villes, que l’urbain c’est la promesse de meilleur, la recherche du toujours plus, les milieux ruraux sont associés à un dynamisme économique décroissant, à un manque de choix dans les services, bref à des régions dépendantes de la même industrie, dépendante de la ville. Étant caractérisés par la centralité en tant que carrefour de différents flux économiques, de capitaux, de biens, mais aussi d’informations et de personnes, les espaces urbains se situent en opposition par rapport aux campagnes anomiques et déstructurées. De plus, le milieu montréalais fermé par rapport aux régions et le manque de connaissance des régions et de leurs modes de vie confortent l’idée d’une progression permanente du pouvoir urbain sur le milieu rural. Nourrissant depuis fort longtemps l’imaginaire social (Kayser, 1990 ; Jean, 2004) et le développement du territoire québécois (Dugas, 1999), ces rapports d’opposition centre-périphérie sont aussi véhiculés dans les représentations de la ruralité et de l’urbanité québécoise contemporaine chez les jeunes rencontrés.

Les représentations de la ruralité des jeunes urbains et des jeunes ruraux se traduisent par beaucoup plus de divergences que de similitudes. Qu’en est-il de la façon dont ils se représentent l’urbanité ?

La ville des jeunes urbains et des jeunes ruraux : des représentations similaires

L’analyse transversale des cartographies conceptuelles de l’urbanité québécoise contemporaine laisse apparaître que la manière dont les urbains et les ruraux se représentent la ville comporte pour sa part un nombre élevé de similarités. Le discours des jeunes rencontrés converge de façon générale autour de trois dimensions : la ville comme lieu de tous les pouvoirs, la diversité socioculturelle urbaine, ainsi que la qualité de la vie urbaine et de son environnement. Quelques différences émergent toutefois autour de la dimension spatiale de l’espace urbain, des relations sociales et de la sociabilité urbaine.

Tant les ruraux que les urbains s’entendent pour dire que les principaux atouts des agglomérations urbaines concernent le pouvoir politico-économique et l’influence qu’exercent les villes. Cette concentration de pouvoir dans les grandes agglomérations urbaines québécoises en fait des centres économiques, politiques et du savoir d’une étonnante vitalité, mais aussi d’une visibilité incomparable. Elles sont aussi propices à des expérimentations variées indispensables au développement des jeunes (Galland et Roudet, 2001). Lieux privilégiés pour l’élaboration de projets, de nouvelles aventures ou pour la recherche d’un emploi, une multitude de choix s’offrent aux jeunes urbains. Cet élargissement considérable des horizons de choix (Giddens, 2005 ; Rémy, 2003), qui se traduit par une augmentation des possibilités de liberté et d’émancipation, est particulièrement prisé chez les jeunes participants. La ville est le symbole par excellence de la richesse, de la vitalité, de l’accessibilité et du pouvoir, mais aussi de la diversité. On ne peut se représenter la ville sans évoquer la vitalité socioculturelle, artistique et même gastronomique qui l’anime. Celle-ci semble représenter un facteur attractif de migration, notamment pour cette catégorie de population – les jeunes – particulièrement en quête d’autonomie, d’expérimentation (Garneau, 2003) et d’ouverture à différents modes de vie ou façons de vivre.

De la même façon que les ruraux ont fait le choix de la ruralité comme milieu de vie, les Montréalais ont une vision généralement positive de la vie en ville. Ils reconnaissent certes certains inconvénients à la vie urbaine, manque d’espaces verts de qualité, stress et pollution urbaine, mais ils mettent davantage l’accent sur le pouvoir économique et politique, l’effervescence socioculturelle ainsi que la richesse de l’offre de services, d’activités et de loisirs caractéristiques de la ville contemporaine.

Quant aux divergences qui émergent des représentations sociales de l’urbanité chez les urbains et les ruraux, elles concernent principalement l’importance accordée à la ville de Montréal. Lorsque les Montréalais pensent à l’urbanité québécoise, ils ne font référence qu’à Montréal, alors que les ruraux mentionnent plusieurs autres villes. Les rapports sociaux en ville sont aussi perçus différemment par les ruraux et par les urbains. Pour les jeunes du Bas-Saint-Laurent, la perte de l’importance des liens familiaux, la faiblesse des relations sociales et interpersonnelles, ainsi que les comportements individualistes et anonymes, génèrent une vie sociale urbaine beaucoup moins riche qu’à la campagne (Fortin et Després, 2008). Pour les jeunes de Montréal, la fierté de vivre dans une métropole dynamique et le sentiment d’appartenance prévalent sur ces lacunes de la sociabilité urbaine. Cet ancrage territorial et identitaire fort s’appuie sur les possibilités de mobilité, de liberté et d’affirmation individuelle et collective, de même que sur la diversité socioculturelle propre aux milieux urbains.

Malgré ces quelques dissimilitudes dans la façon dont les ruraux et les urbains se représentent les villes, il ressort des exercices cartographiques une vision plutôt complémentaire et unifiée de l’urbanité québécoise d’aujourd’hui.

Vers des rapports de complémentarité rurale-urbaine

Les résultats de cette recherche exploratoire font état d’un écart entre les représentations de la ruralité et de l’urbanité québécoises contemporaines véhiculées par les jeunes urbains et les jeunes ruraux. Les Bas-Laurentiens portent un regard comparable à celui des Montréalais face aux espaces urbanisés, alors que leurs représentations des milieux ruraux sont divergentes. D’où provient ce fossé entre la « vision urbaine » de la campagne et celle vécue par ceux qui y résident ? Comment se fait-il que l’urbanité québécoise suscite des représentations beaucoup plus similaires entre les Montréalais et les Bas-Laurentiens ? Ces interrogations invitent à remettre en question l’opposition villes-campagnes dans les représentations territoriales pour en faire ressortir des pistes de réflexion sur les rapports de complémentarité entre le rural et l’urbain.

Avant tout, il faut revenir sur le fait que les jeunes ruraux ont généralement une bonne connaissance de la ville, alors que les urbains ont rapporté connaître peu la campagne. Les plus fréquents voyages et séjours en milieu urbain, notamment dans le cadre de leurs études, ont pu permettre aux jeunes ruraux de valider (ou non) leurs images de la ville. D’un autre côté, on peut faire l’hypothèse que les Montréalais, de par le peu de contacts entretenus avec les campagnes et leur faible connaissance des espaces ruraux, ont moins de possibilités de confronter leurs représentations aux réalités rurales. Ainsi, ils sont plus susceptibles d’entretenir des représentations préconçues ou non fondées, en grande partie véhiculées par les médias. « En particulier, lorsque les médias diffusent à souhait que la question du sous-emploi est le problème numéro un de la région et que celle-ci ne cesse de dériver vers un avenir incertain, voire compromis, il est normal – l’inverse serait étonnant – que les jeunes se fassent l’écho de ces préoccupations largement médiatisées » (Roy, 1997, p. 101). Même le Conference Board du Canada, dans un rapport publié en 2009, cherche à nuancer le discours qui circule depuis des décennies auprès de plusieurs spécialistes du développement, à savoir que ce sont les grands centres qui produisent la richesse et que la ruralité survit sous le respirateur artificiel. Si l’on en croit le Groupe CNW, la convergence des médias – la « montréalisation » de l’information – participerait à la vision négative des régions dans les médias québécois, de même qu’à leur sous-représentation (Groupe CNW, 2008). Le traitement discriminatoire des campagnes dans les médias, généralement urbains, peut offrir une hypothèse explicative à ces visions divergentes de la ruralité québécoise.

Les jeunes se représentent les villes et les campagnes québécoises comme des adversaires et non comme des partenaires d’un développement commun soutenu par une vision d’ensemble. Néanmoins, certaines représentations concordantes de la ruralité et de l’urbanité peuvent devenir des points de convergence sur lesquels bâtir une meilleure compréhension des rapports villes-campagnes notamment celle de l’environnement et du développement durable.

Les jeunes rencontrés proposent plusieurs initiatives en matière environnementale. Ils font valoir l’importance de défendre, de protéger et de valoriser l’environnement naturel des régions rurales et urbaines, dans la perspective d’un développement économique et social « durable », basé sur la réalisation des potentialités locales et sur leurs capacités à gérer leur propre territoire. Au terme de ces groupes de discussion, se précise donc la vision d’une ruralité et d’une urbanité qui ne doit pas faire l’économie de l’environnement – tant physique, qu’humain – et de la qualité de vie (Mathieu, 1998). En tant que lieu idéal de la représentation de la nature et de l’environnement, l’espace rural a le potentiel de s’instituer davantage comme un espace naturel de grande qualité, que comme un lieu économiquement dépendant et socialement empêtré dans une culture rurale traditionnelle. Légitimée au nom de la protection de l’environnement et du développement durable, l’équation ruralité = environnement peut néanmoins s’avérer quelque peu réductrice. La valorisation des espaces ruraux selon une approche par le développement durable doit éviter la tentation de voir la campagne uniquement comme un « terrain de jeu » des urbains. La mission des ruraux, en accord avec leurs représentations, ne devrait pas seulement viser à maintenir l’intégrité bio-physique et esthétique de ces territoires pour les besoins de « récréation » (play functions), mais aussi à en faire des lieux de vie (place functions), de production (production functions) et de conservation des ressources naturelles (protection functions) (Bryant, 2005).

Plus encore, cette vision du rural, mais aussi de l’urbain comme environnement[12] contribue à inscrire ces espaces au coeur de l’action collective d’un nombre important d’acteurs. Pour plusieurs spécialistes, la protection de l’environnement ne revient pas seulement aux ruraux, mais elle est devenue un enjeu public central qui intéresse toute la société, et de plus en plus les populations urbaines, en tant qu’utilisateurs et bénéficiaires de ces biens publics. Dans ce contexte, il est possible de voir émerger une nouvelle sollicitude des populations urbaines et des pouvoirs publics par rapport aux espaces ruraux québécois, mais aussi par rapport à l’amélioration de la qualité des espaces verts en ville. Cette compréhension renouvelée des apports et des spécificités rurales-urbaines pourrait permettre d’établir les bases d’une identité territoriale mieux assumée, tant par les urbains que par les ruraux.

Il devient impératif d’explorer les voies par lesquelles les urbains et les ruraux, au lieu de se poser en adversaires, peuvent devenir partenaires d’un nouveau modèle de développement territorial basé sur une meilleure compréhension des rapports d’interdépendance des économies rurales et urbaines. Comment faire en sorte que les réalités économiques, sociales et politiques rurales soient mieux comprises par les populations urbaines ? Comment dépasser une vision romantique basée sur des expériences touristiques pour mieux comprendre la contribution du rural à l’ensemble de la société québécoise ?

L’utilisation d’une méthodologie novatrice, la cartographie conceptuelle, a permis d’identifier les représentations sociales de la ruralité ainsi que du monde urbain contemporain chez des jeunes vivant à la campagne ou en ville. L’un des avantages les plus significatifs de la cartographie conceptuelle relève du fait qu’elle peut être considérée comme une méthode intégrative qui combine l’analyse statistique et qualitative. La validité, la représentativité et la profondeur des données qualitatives se trouvent renforcées par une série d’analyses quantitatives, permettant d’élargir la portée explicative des résultats. Un autre aspect original de la méthode de la cartographie conceptuelle réside dans le fait que les données et leur interprétation ont été produites par les participants eux-mêmes. Cela diminue les biais d’interprétation, tout en constituant des données qui se prêtent tout de même à une méta-analyse par les chercheurs.

Il faut toutefois souligner les contraintes à l’utilisation de la méthode de la cartographie conceptuelle et les limites inhérentes à toute démarche scientifique qui s’inscrit dans une approche constructiviste. Il aurait été intéressant de réaliser une série d’entrevues plus approfondies avec les participants pour en connaître davantage sur leur milieu d’origine, de même que leurs aspirations résidentielles et projets futurs. De plus, une meilleure prise en compte des caractéristiques sociodémographiques des participants permettrait une compréhension plus fine des logiques sous-jacentes à l’élaboration de représentations sociales. Notre recherche a porté sur des jeunes Bas-Laurentiens et Montréalais, mais des groupes aux profils différents (adultes, personnes âgées, élus municipaux, etc.) ou de régions diverses (Basse-Côte-Nord ou Beauce par exemple) auraient probablement d’autres visions de la ruralité et de l’urbanité québécoises. En aucun cas, le portrait que nous proposons ici ne peut être considéré comme représentatif de l’ensemble des conceptions de la ruralité et de l’urbanité qui peuvent exister au sein de la population québécoise. Cela dit, il faut préciser qu’une telle généralisation ne constituait aucunement un objectif de recherche, cette étude visant plutôt à dégager et à comparer une multiplicité de façons de conceptualiser la ruralité et l’espace urbain d’aujourd’hui chez des groupes de jeunes ruraux et de jeunes urbains.

À la suite des quatre exercices de cartographie conceptuelle, nous pouvons néanmoins constater que cette méthodologie a permis de mettre à jour un nombre important de représentations sociales qui autrement n’auraient pas pu être explicitées. Ainsi, un des apports majeurs de cette recherche consiste à avoir mis en évidence des lectures différentes de la ruralité et de l’urbanité. Celles-ci reposent sur l’existence d’une certaine incompréhension, une méconnaissance des caractéristiques spécifiques de l’espace rural par les urbains. Malgré les difficultés de construire un dialogue constructif entre urbains et ruraux, les changements socioéconomiques dans l’organisation spatiale des territoires et dans la façon de les concevoir imposent une réactualisation de nos connaissances quant aux frontières inédites qui se dessinent dans les relations rurales-urbaines. Visant le renforcement d’une complémentarité rurale-urbaine, les retombées de cette recherche devraient se traduire en une meilleure prise en considération des représentations sociales dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques gouvernementales davantage appropriées aux réalités territoriales d’aujourd’hui.