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Environnement bâti et activité physique

Il est clairement établi que l’activité physique d’intensité modérée a de grands bénéfices pour la santé (National Center for Chronic Disease Prevention and Health Promotion (États-Unis) 1996 ; Slentz et al., 2007). Or, au Québec, à peine 38,1 % de la population de 18 ans et plus se conforme aux recommandations émises par la santé publique en ce domaine (Nolin et Hamel, 2009). La plupart des chercheurs retiennent quatre catégories de facteurs pouvant exercer une influence sur l’activité physique : facteurs individuels, facteurs sociaux, facteurs comportementaux (ou habitudes de vie) et facteurs environnementaux (Lachance et al., 2006 ; Papas et al., 2007). Ce dernier facteur comprend l’environnement physique défini, d’une part, par l’environnement naturel et, d’autre part, par les infrastructures du cadre bâti, c’est-à-dire l’environnement bâti. En 2006, le Québec s’est doté du Plan d’action gouvernemental de promotion des saines habitudes de vie et de prévention des problèmes reliés au poids 2006-2012 : Investir pour l’avenir, afin de faire de la lutte à l’obésité l’une de ses priorités. Ce plan concentre ses efforts sur les différentes mesures à adopter afin de modifier les environnements, dont l’environnement bâti, dans le but de favoriser l’adoption de saines habitudes de vie. Au cours des dernières années, plusieurs études ont montré le lien entre les caractéristiques de l’environnement bâti et l’activité physique (Frank et al., 2004 ; Berke et al., 2007 ; Li et al., 2008 ; INSPQ, 2009 ; INSPQ, 2010 ; Panter et Jones, 2010). Toutefois, la plupart de ces études ont été réalisées aux États-Unis.

L’objectif principal de cette étude est d’exposer le développement – sur la base de la littérature en santé publique, en transport et en planification urbaine – d’un indice de potentiel piétonnier des quartiers, et ce, pour l’ensemble des RMR du Québec. Cet indice a été jumelé aux données sur le mode de transport utilisé par la population âgée de 15 ans et plus pour se rendre au travail. Plusieurs auteurs ont souligné l’importance d’étudier spécifiquement l’impact de l’environnement bâti sur la pratique du transport actif, car les facteurs environnementaux liés à la pratique récréative sont possiblement d’un autre ordre. De plus, certains auteurs suggèrent que l’environnement bâti aurait un impact plus grand sur la pratique du transport actif que sur la pratique d’activités de loisirs (Pikora et al., 2003 ; Hoehner et al., 2005). L’Agence de la santé publique du Canada définit le transport actif comme étant « […] toute forme de transport où l’énergie est fournie par l’être humain – la marche, la bicyclette, un fauteuil roulant non motorisé, des patins à roues alignées ou une planche à roulettes […] ». Un avis de Kino-Québec (1999) souligne par le fait même les bienfaits de la pratique du transport actif en tant que composante d’un mode de vie physiquement actif.

Mesures du potentiel piétonnier à l’échelle des quartiers

Plusieurs chercheurs ont tenté de mesurer les liens entre l’environnement bâti, le transport actif et la santé des individus. Les mécanismes sous-tendant cette association sont liés aux caractéristiques de la forme urbaine. Les auteurs provenant du domaine de l’aménagement et des transports ont déjà, depuis quelque temps, souligné l’impact de cette forme urbaine sur les choix des modes de transport (Pushkarev et Zupan, 1977 ; Cervero, 1989 ; Newman et Kenworthy, 1989 ; Ewing, 1994 ; Frank et Pivo, 1994 ; Cervero et Kockelman, 1997). Les éléments de la forme urbaine pouvant être liés au choix des modes de transport des individus sont la densité, la diversité (mixité) et la connexité (Frank et al., 2003). En théorie, une forme urbaine optimale serait caractérisée par une diversification, une compacité et une connexité importantes. L’hypothèse serait que les milieux à forte densité, à forte mixité et à forte connexité auraient tendance à améliorer l’accessibilité et la proximité des lieux de destination. La distance des trajets à parcourir afin qu’un individu puisse se rendre à sa destination serait moins grande et pourrait favoriser la pratique du transport actif.

Selon certains auteurs, les processus liés à l’étalement urbain auraient favorisé un tissu urbain caractérisé par : une dispersion de la population à l’intérieur de développements résidentiels de faible densité, une séparation des lieux de travail et des lieux de résidence, une absence d’un centre-ville ou d’un suburban town important et un réseau routier se distinguant par de larges quadrilatères (Ewing et al., 2003). Ces milieux favorisent de grandes distances de déplacement pendulaire et une utilisation importante de l’automobile. Les études liées aux migrations pendulaires viennent en partie confirmer cette tendance, tant dans les villes monocentriques que polycentriques (Aguilera, 2010). Par exemple, les résultats d’une étude effectuée sur le territoire de la région métropolitaine de Montréal montrent que les processus de polynucléarisation des emplois sont liés à un accroissement des distances de déplacement pendulaire et à une utilisation accrue de l’automobile. Toutefois, cette même étude a observé que cette tendance n’était pas généralisée à l’ensemble du tissu urbain de la région. À la frange de certains pôles d’emploi, les distances de navettage sont moins élevées et d’autres modes de transport sont privilégiés : covoiturage, transport en commun (métro, train, autobus), taxi ou encore transport actif (vélo et à pied) (Barbonne et al., 2008).

Plusieurs études reprennent ces concepts issus du domaine des transports afin de créer des indices qui se veulent un reflet du potentiel piétonnier des environnements bâtis analysés. La méthode consiste à agréger une série d’indicateurs de l’environnement bâti favorisant la pratique du transport actif. Ces études, qui proviennent des États-Unis, de l’Australie et plus récemment de l’Europe, ont montré des associations positives entre le potentiel piétonnier des quartiers et la pratique d’activité physique chez les adultes. Ainsi, aux États-Unis, Frank et al. (2005) ont étudié l’impact du potentiel piétonnier du quartier de résidence (densité résidentielle, connexité des rues et mixité des fonctions) sur la pratique d’activité physique d’intensité moyenne. Les résultats montrent que 37 % de ceux qui habitent un quartier à plus fort potentiel piétonnier atteignent le seuil quotidien de pratique d’activité physique recommandé aux États-Unis (30 minutes au moins cinq jours par semaine), alors que 18 % des gens résidant dans le quartier au plus faible potentiel piétonnier l’atteignent.

En Australie, une étude montre l’association positive entre le potentiel piétonnier du quartier de résidence et la fréquence de la marche utilitaire. Le potentiel piétonnier du quartier a été défini selon la densité résidentielle, la connexité des rues et la mixité des modes d’occupation du sol, et mesuré à l’aide d’un système d’information géographique (Owen et al., 2007).

Plus récemment, les résultats d’une étude réalisée à Gand, en Belgique, ont montré que les résidants provenant de quartiers à fort potentiel piétonnier avaient significativement tendance à privilégier la marche comme mode de déplacement comparativement à des habitants provenant de quartiers à faible potentiel piétonnier (Van Dyck et al., 2010). Finalement, Sundquist et al. (2011) ont étudié l’association entre le potentiel piétonnier des quartiers et la pratique d’activité physique à Stockholm, en Suède. Les résultats montrent que les habitants provenant de quartiers à fort potentiel piétonnier font 50 minutes de plus de déplacement par la marche chaque semaine que ceux provenant de quartiers à faible potentiel piétonnier.

Le point commun de ces études est l’utilisation d’une mesure objective de potentiel piétonnier des quartiers, élaborée à l’aide de systèmes d’information géographique. L’indice de potentiel piétonnier est généralement composé des variables suivantes : proportion du terrain consacré aux activités commerciales sur l’ensemble du territoire, mixité de l’utilisation du sol, densité résidentielle et densité des intersections (connexité).

Objectifs, questions de recherche et hypothèses

Tel que mentionné précédemment, l’objectif de cet article est d’exposer le développement d’un indice de potentiel piétonnier des quartiers, basé sur la littérature existante et destiné à caractériser l’ensemble des RMR du Québec. Il s’agit également d’évaluer l’association entre cet indice de potentiel piétonnier et l’utilisation du transport actif (marche ou vélo) pour se rendre au travail. Nos questions de recherche sont les suivantes : quelle est la variation spatiale du potentiel piétonnier des quartiers dans les RMR du Québec? Est-ce qu’il existe des liens significatifs entre le potentiel piétonnier des quartiers et le mode de transport pour aller au travail, une fois les caractéristiques individuelles contrôlées? En nous basant sur les études déjà publiées, nous pouvons formuler comme première hypothèse que le niveau de potentiel piétonnier sera plus élevé pour les secteurs de recensement (SR) localisés dans les lieux centraux des différentes RMR du Québec. Ce niveau de potentiel piétonnier sera moins élevé dans les quartiers périphériques, sauf dans les anciens noyaux villageois. Notre deuxième hypothèse stipule que la probabilité d’utiliser la marche ou le vélo comme mode de transport pour aller au travail augmentera en fonction de la croissance du niveau de potentiel piétonnier des SR, et ce, en tenant compte des variables liées aux caractéristiques individuelles jugées pertinentes. Cette étude s’inscrit dans les nouveaux courants de la géographie de la santé en utilisant diverses méthodes quantitatives telles que les systèmes d’information géographique et l’analyse multiniveau dans la recherche des liens possibles entre les caractéristiques de l’environnement et la santé des populations (Gatrell, 2002).

Données

Notre étude utilise trois séries de données : deux qui concernent les caractéristiques de l’environnement bâti et une qui concerne les individus et le mode de transport qu’ils utilisent pour aller au travail. La première série provient du rôle d’évaluation foncière du Québec du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire. Ce rôle foncier présente un résumé de l’inventaire des immeubles (unités d’évaluation foncière) situés sur le territoire d’une municipalité. Sa principale utilité consiste à indiquer la valeur des immeubles à des fins de taxation. Dans le cadre de la présente étude, il est utilisé pour calculer la mixité et la densité de l’environnement bâti au sein des SR. La seconde série de données provient du Réseau routier national (2002) produit par Ressources naturelles Canada. Ce fichier est composé d’entités linéaires (segments routiers, par exemple) et d’entités ponctuelles (jonctions) et est utilisé pour mesurer la connexité du réseau routier au sein des RMR du Québec. La dernière série de données provient du recensement de 2006 de Statistique Canada. Ces données (ou microdonnées) comprennent toute l’information disponible sur les individus ayant répondu au formulaire long du recensement de 2006 (échantillon représentant 20 % de la population) et sont ici utilisées afin de caractériser les individus sur le plan socioéconomique et de déterminer leur mode de transport pour se rendre au travail (Craig et al., 2002).

Échelles spatiales

Les mesures du potentiel piétonnier ont été calculées à l’échelle des SR, une unité spatiale du recensement canadien. Ce choix découle du fait que le SR est la plus petite unité territoriale à laquelle les données individuelles de recensement sont associées (dans une optique de préservation de la confidentialité).

Échantillon

L’échantillon utilisé provient des données-échantillon (20 %) du recensement de 2006. Cet échantillon contient, pour le Québec, 649 851 individus (avant la pondération). Nos analyses portent uniquement sur les individus âgés de 15 ans et plus, actifs sur le marché du travail, n’effectuant pas de télétravail et habitant dans une RMR. Notre échantillon final est composé de 505 279 individus. Une pondération calculée par Statistique Canada est utilisée afin d’assurer que l’échantillon soit représentatif de l’ensemble de la population.

Variable dépendante

Notre variable dépendante est le mode de transport pour aller au travail. Nous avons utilisé, pour créer cette variable, la question suivante du formulaire long du recensement : « Comment cette personne se rendait-elle habituellement au travail ? Si cette personne utilisait plus d’un moyen de transport, cochez celui qui a servi à la plus grande partie du trajet. » Les choix de réponse étaient : « automobile, camion ou fourgonnette – en tant que conducteur », « automobile, camion ou fourgonnette – en tant que passager », « transport en commun (autobus, tramway, métro, train léger sur rail, train de banlieue, traversier) », « à pied », « bicyclette », « motocyclette », « taxi », et « autre moyen ». À partir du fichier des microdonnées du recensement, nous avons isolé les personnes de 15 ans et plus ayant utilisé la marche ou le vélo comme moyen de transport pour aller au travail. Deux variables ont été dichotomisées de telle manière que les personnes utilisant la marche ou le vélo obtenaient la valeur 1, et celles utilisant un autre moyen de transport, la valeur 0.

Variables indépendantes

Composantes du potentiel piétonnier

Pour évaluer le potentiel piétonnier des SR, quatre mesures ont été utilisées  : la densité résidentielle, la densité des destinations, la connexité et la mixité. La densité de l’utilisation du sol est égale au nombre d’unités d’évaluation foncière résidentielle par hectare. Telles qu’identifiées par les Codes d’utilisation du bien-fonds (CUBF), les unités résidentielles comprennent les logements, les chalets ou maisons de villégiature, les maisons mobiles, les habitations pour groupes organisés, les hôtels ou les motels résidentiels. Les indices de potentiel piétonnier se composent généralement de la proportion du terrain consacré aux activités commerciales sur l’ensemble du territoire. Cette donnée n’étant pas disponible pour notre territoire à l’étude, nous avons opté pour la densité des destinations. La densité des destinations est égale au nombre d’unités d’évaluation foncière à l’hectare dont l’affectation appartient au résidentiel, à l’industrie manufacturière, au commercial, aux services ou aux activités culturelles, récréatives ou de loisirs. Pour représenter la mixité de chaque territoire à l’étude, nous avons utilisé un indice d’entropie calculé à partir de la formule d’entropie dérivée de la recherche de Cervero et Kockelman (1997). Cette formule a déjà été utilisée dans plusieurs études (Mobley et al., 2006 ; Norman et al., 2006).

n = Nombre de groupes d'utilisation du sol.

Pij = Superficie de l'unité d'évaluation foncière i dans la zone j.

Pj = Somme des superficies des unités d'évaluation foncière 1 à n dans la zone j.

L’indice d’entropie est utilisé pour évaluer le degré d’homogénéité, ou inversement, de diversité des territoires. Il varie de 0 à 1, une valeur élevée indiquant que la mixité du territoire considéré est importante. Le calcul s’effectue sur la base de la superficie que couvrent les unités d’évaluation foncière ayant l’une des affectations suivantes : résidentielle, manufacturière, commerciale, de services, culturelle, récréative ou de loisir. La connexité d’un territoire est égale au nombre d’intersections qu’on y compte au km2, excluant les intersections situées sur les autoroutes, les entrées et sorties des systèmes autoroutiers, de même que les intersections de moins de trois segments routiers.

L’indice de potentiel piétonnier des SR représente la sommation des scores Z de ces différentes mesures.

x = Valeur à être standardisée

μ = Moyenne de la population

σ = Écart-type de la population

La mesure du potentiel piétonnier des quartiers a par la suite été divisée en déciles. Les SR se retrouvant dans les quatre premiers déciles sont considérés comme des quartiers ayant un faible potentiel piétonnier et les SR ayant un score se retrouvant dans les quatre derniers déciles sont considérés comme des quartiers ayant un potentiel piétonnier élevé. Cette méthode a été utilisée dans plusieurs autres recherches (Owen et al., 2007 ; Sallis et al., 2009 ; Van Dyck et al., 2010 ; Sundquist et al., 2011).

Covariables à l’échelle des individus

Les covariables que nous utilisons afin de contrôler l’association entre le potentiel piétonnier des SR et le mode de transport pour aller au travail sont l’âge des individus, le sexe (femme = 1 et homme = 0), le niveau de scolarité (avec un diplôme d’études secondaires (DES) = 1 et sans DES = 0), l’état du revenu brut du ménage (sous le seuil de faible revenu (SFR) = 1 et au-dessus du SFR = 0) et la distance parcourue entre le domicile et le lieu de travail. Pour les distances parcourues, les seuils sont établis en fonction de la distance médiane de l’ensemble des déplacements à vélo et à pied (vélo : 2,9 km et moins = 0 et plus de 2,9 km = 1) (marche : 0,9 km et moins = 0 et plus de 0,9 km = 1). Ces variables individuelles ont été sélectionnées parce qu’elles sont souvent associées à la pratique du transport actif (Garrard, 2009) et sont utilisées dans plusieurs autres études (Boer et al., 2007 ; McCormack et al., 2008).

Approche méthodologique

Notre approche méthodologique met en jeu deux types de traitement. Dans un premier temps, nous avons utilisé les systèmes d’information géographique afin de calculer les différentes mesures liées au potentiel piétonnier des SR et d’obtenir une représentation visuelle de la variation spatiale de cet indice pour les RMR du Québec (Gatineau, Montréal, Saint-Jean-sur-Richelieu, Granby, Trois-Rivières, Drummondville, Québec, Sherbrooke et Saguenay). Par la suite, des modèles de régression linéaire hiérarchique spécifique aux variables dépendantes dichotomiques, dans notre cas le fait ou non d’utiliser la marche ou le vélo pour se rendre au travail, ont été utilisés. Les analyses de régression ont été réalisées avec le logiciel HLM 6.01. Comme la distance médiane de migration pendulaire est plus élevée pour le mode vélo, nous avons créé des modèles statistiques pour le vélo et des modèles statistiques pour la marche. Nos modèles statistiques comportent deux niveaux : le premier représente les caractéristiques individuelles, et le second, le niveau de potentiel piétonnier des SR :

Niveau 1 (individus âgés de 15 ans et plus) : la variable dépendante est une variable dichotomique indiquant si les individus utilisent ou non le transport (marche ou vélo) pour se rendre au travail. Dans le cas d’une variable dépendante binaire, le modèle utilisé est de type Bernoulli et intègre une fonction logit :

Niveau 2 (niveau de potentiel piétonnier des SR) :

À partir de ces analyses, il est possible de calculer les rapports de cotes estimées d’utiliser la marche ou le vélo comme mode de déplacement pour aller au travail pour l’ensemble des SR (Raudenbush et Bryk, 2002 ; Lebel et al., 2010).

Les résidus du niveau 2 de cette équation ont été calculés afin d’évaluer la probabilité d’utilisation du vélo ou de la marche pour chaque SR. L’individu de référence serait un homme, de 15 ans, au-dessus du seuil de faible revenu, sans DES, habitant un quartier où le potentiel piétonnier est faible. Pour les 1263 SR, la différence entre la probabilité d’utiliser la marche ou le vélo et la probabilité moyenne a été calculée. Les résultats ont été cartographiés afin d’évaluer la distribution spatiale de la probabilité d’utiliser la marche ou le vélo comme mode de déplacement pour aller au travail.

Résultats

Statistiques descriptives et variation géographique du potentiel piétonnier

Le tableau 1 présente les variables utilisées dans les modèles de régression logistique hiérarchique. L’échantillon utilisé est composé d’individus dont la moyenne d’âge est de 39 ans. La proportion des personnes sous le seuil de faible revenu est de 9 %. Quatorze pourcent des personnes de l’échantillon ne détiennent pas de diplôme d’études secondaires (DES), 1,7 % utilisent le vélo pour se rendre au travail et 6,4 % la marche. Les distances médianes parcourues sont de 2,9 km pour le vélo et 0,9 km pour la marche.

Tableau 1

Statistiques descriptives (après pondération)

Statistiques descriptives (après pondération)
*

Médiane

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Figure 1

Niveau de potentiel piétonnier des secteurs de recensement pour les RMR du Québec

Niveau de potentiel piétonnier des secteurs de recensement pour les RMR du Québec

Projection géographique : Conique conforme de Lambert

Sources : Géobase (Réseau routier national, 2010); MAMROT (Rôle foncier, 2007) et Statistique Canada, 2006. Compilation des données : INSPQ, 2010.

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Au regard de la figure 1, il est possible d’observer que la plupart des quartiers centraux des différentes RMR ont des niveaux de potentiel piétonnier élevés. Pour la RMR de Gatineau, les quartiers centraux de l’ancienne ville de Hull ont un potentiel piétonnier élevé. Pour la RMR de Montréal, de nombreux SR ont des niveaux de potentiel piétonnier élevés ; ces niveaux sont plus faibles dans les extrémités est et ouest de l’île. Un continuum de SR avec des niveaux élevés semble se dessiner pour la portion centrale de l’île Jésus (Laval) et pour certains anciens noyaux villageois de la Rive-Nord (Sainte-Thérèse et Saint-Jérôme). Sur la Rive-Sud, des niveaux de potentiel piétonnier élevés sont observés à Longueuil et dans le centre de la RMR de Saint-Jean-sur-Richelieu. Les niveaux de potentiel piétonnier des SR sont élevés dans les quartiers centraux des RMR de Trois-Rivières, Granby, Drummondville et Sherbrooke. À Québec, la portion centrale et historique de la capitale contient quelques SR ayant un niveau élevé de potentiel piétonnier. Pour la RMR de Saguenay, seulement quelques SR sont caractérisés par un niveau élevé de potentiel piétonnier ; ils sont localisés dans l’arrondissement de Jonquière.

Tableau 2

Modèles linéaires hiérarchiques généralisés pour le mode de transport*

Modèles linéaires hiérarchiques généralisés pour le mode de transport*
*

Population-average model avec erreurs standards robustes

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Association entre le potentiel piétonnier des SR et le mode de transport pour aller au travail

Les résultats des analyses de régression hiérarchique montrent, pour les premiers modèles, que les rapports de cote rattachés au fait d’utiliser la marche ou le vélo sont respectivement de 0,06 et de 0,01. Ces rapports sont très proches des proportions estimées (voir le tableau 1). Pour le vélo, le modèle 2 du tableau 2 présente les rapports de cote pour les éléments mesurés au niveau des individus et des SR. Il est possible de constater que les individus de sexe féminin, sans DES et habitant à plus de 2,9 km de leur travail sont moins susceptibles d’utiliser le vélo comme mode de déplacement. Le fait d’être sous le seuil du faible revenu ou d’habiter un SR où le potentiel piétonnier est élevé est au contraire associé à une probabilité plus élevée d’utiliser le transport actif. Pour la marche, les résultats sont similaires excepté pour le sexe où, cette fois, le fait d’être une femme est associé à une probabilité plus élevée d’utiliser la marche comme mode de déplacement.

Analyse de la cartographie des résidus de second niveau

Les probabilités d’utiliser la marche ou le vélo des résidus du second niveau des modèles 2 du tableau 2 ont été calculées afin d’identifier les SR qui sont différents significativement (p<0,01) des valeurs estimées par ces mêmes modèles. Les résultats sont présentés à la figure 2 pour le vélo et à la figure 3 pour la marche. Les SR où la probabilité d’utiliser la marche ou le vélo est plus élevée que la probabilité moyenne estimée sont indiqués en noir, ceux où la probabilité est moins élevée en gris foncé. Pour le vélo, 330 SR sur 1263 présentent une probabilité plus élevée que la probabilité moyenne estimée. Pour la marche, 635 SR sur 1263 affichent une probabilité plus élevée d’utiliser ce mode de transport pour se rendre au travail. Le fait d’habiter à l’intérieur de SR où le potentiel piétonnier est élevé est généralement lié à une probabilité plus élevée d’utiliser la marche ou le vélo comme mode de déplacement pour aller au travail. Toutefois, tel qu’illustré dans les figures 2 et 3, certains SR localisés en périphérie des RMR présentent une probabilité d’utiliser la marche ou le vélo plus élevée que celle estimée dans les modèles.

Discussion

Cette étude avait deux objectifs principaux. Le premier était d’exposer le développement d’un indice de potentiel piétonnier des SR au sein des RMR et d’en montrer la représentation spatiale. Tel qu’attendu, les scores de l’indice de potentiel piétonnier des SR, calculés à partir de la densité résidentielle, de la densité des destinations, de la mixité et de la connexité, sont plus élevés dans les SR centraux des différentes RMR du Québec. Dans certaines RMR telles que Québec et Montréal, certains SR périphériques montrent également des scores élevés de potentiel. Ces SR représentent d’anciens noyaux villageois, des municipalités ou d’anciennes municipalités incluses dans les RMR. Les SR dont le potentiel piétonnier est le moins élevé sont localisés dans des zones où le développement urbain s’est fait après la Deuxième Guerre mondiale. Les quartiers de ces zones sont principalement conçus pour des déplacements motorisés. Les indices obtenus par la méthode exposée ici, de même que leur distribution spatiale, sont en accord avec les quelques études portant sur le développement d’indices de potentiel piétonnier ailleurs dans le monde (Frank et al., 2010 ; Mavoa et al., 2009).

Le deuxième objectif était d’analyser le lien entre le niveau de potentiel piétonnier des SR et le mode de transport pour aller au travail. Les résultats de cette analyse montrent que le potentiel piétonnier des SR est associé significativement à l’utilisation du transport actif pour se rendre au travail. Les résultats de nos analyses sont comparables à ceux de plusieurs recherches portant sur l’association entre les caractéristiques de l’environnement bâti et la pratique de la marche ou du vélo (Craig et al., 2002 ; Leyden, 2003 ; Owen et al., 2007 ; Sallis et al., 2009 ; Van Dyck et al., 2010 ; Sunquist et al., 2011). L’analyse de la cartographie des résidus de second niveau confirme cette association. En effet, plusieurs SR des différentes RMR où le potentiel piétonnier est élevé présentent une plus forte probabilité d’utiliser la marche ou le vélo comme mode de déplacement. La distance entre le lieu de résidence et le lieu de travail demeure le facteur le plus important dans cette équation. Ces résultats sont également cohérents avec les études mesurant l’impact de la distance à parcourir sur le mode de transport utilisé (Cervero et Kockelman, 1997 ; Commins et Nolan, 2011 ; Lee et Vernez-Moudon, 2008 ; Saelens et al., 2003). Ce facteur est vraisemblablement responsable du fait qu’on observe une probabilité plus élevée d’utilisation de la marche ou du vélo dans les quartiers périphériques des RMR. Les cartes présentées aux figures 2 et 3 représentent peut-être ces pôles illustrés dans les études sur les villes polycentriques. Dans certains secteurs des régions métropolitaines, l’utilisation du transport actif est un peu plus élevée grâce à la proximité entre le lieu de résidence et le lieu de travail (Barbonne et al., 2008). Il est important de noter que la proportion de personnes utilisant le vélo comme mode de déplacement pour aller au travail est très faible et même nulle dans plusieurs SR (figure 2).

Figure 2

SR où les probabilités d'utiliser le vélo comme mode de déplacement sont plus élevées ou plus faibles que la probabilité estimée

SR où les probabilités d'utiliser le vélo comme mode de déplacement sont plus élevées ou plus faibles que la probabilité estimée

Projection géographique : Conique conforme de Lambert

Sources : Géobase (Réseau routier national, 2010); MAMROT (Rôle foncier, 2007) et Statistique Canada, 2006. Compilation des données : INSPQ, 2010.

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Figure 3

SR où les probabilités d'utiliser la marche comme mode de déplacement sont plus élevées ou plus faibles que la probabilité estimée

SR où les probabilités d'utiliser la marche comme mode de déplacement sont plus élevées ou plus faibles que la probabilité estimée

Projection géographique : Conique conforme de Lambert

Sources : Géobase (Réseau routier national, 2010); MAMROT (Rôle foncier, 2007) et Statistique Canada, 2006. Compilation des données : INSPQ, 2010.

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Cette étude présente un certain nombre de limites. Il est notamment impossible, avec nos résultats de recherche, d’affirmer que les caractéristiques des SR causent une augmentation de la pratique de la marche ou de la bicyclette chez les 15 ans et plus. Les modèles indiquent des associations significatives entre les caractéristiques des quartiers et le fait d’utiliser la marche ou le vélo, mais elles doivent être interprétées avec prudence, car il ne s’agit pas ici de modèles de cause à effet. Les « vrais » effets du quartier sur le mode de transport des individus ne pourraient effectivement être mesurés qu’à l’aide de devis de recherche « randomisés » (community-randomized trial) (Oakes, 2004). Les études utilisant des « expériences naturelles » ou des devis « quasi expérimentaux » sont identifiées par certains comme des priorités de recherche dans la détection de la causalité entre les caractéristiques de l’environnement bâti et la pratique de l’activité physique (Sallis et al., 2009 ; Story et al., 2009). Kwan (2009) suggère une nouvelle approche dans l’étude des effets de quartier sur la santé ou toute autre mesure individuelle. Au lieu d’utiliser une approche orientée sur le lieu (place-based exposure), Kwan propose d’élaborer une approche orientée sur l’individu (people-based exposure) (2009). Cette approche prend en compte la mobilité quotidienne des individus dans l’étude des effets de quartier.

Une deuxième limite se trouve dans le fait que la mesure du potentiel piétonnier ne considère qu’un nombre restreint d’éléments de l’environnement bâti. Il est effectivement probable que des caractéristiques de l’environnement bâti non considérées ici soient également reliées à la pratique du transport actif. Plusieurs études ont trouvé un lien significatif entre la présence d’infrastructures de transport en commun et la pratique du transport actif (McCormack et al., 2008 ; MacDonald et al., 2010 ; McConville et al., 2011). Berke et al. (2007), par exemple, utilisent un indice synthétique du potentiel de marche de l’environnement bâti. Pour identifier les variables à inclure dans cet indice, ces auteurs ont mis en relation la pratique de la marche chez les participants à l’étude et plus de 200 variables de l’environnement bâti. Ils ont retenu huit variables associées significativement à la pratique de la marche (distance la plus courte pour se rendre à une épicerie, densité des logements, nombre d’épiceries, de restaurants et de commerces, superficie du complexe de bureaux le plus proche, distance la plus courte pour se rendre au complexe de bureaux, superficie du quadrilatère de rues du lieu de résidence). Ces mêmes huit variables sont utilisées pour créer un score de potentiel piétonnier pour l’environnement bâti. D’autres études devront porter sur ces aspects ; pour le moment, leur réalisation pour l’ensemble des RMR du Québec est difficile à concrétiser. Une dernière limite de l’étude vient de ce que notre analyse porte uniquement sur les déplacements réalisés pour des motifs de travail, ce qui ne représente qu’une portion des déplacements.

Malgré ces limites, nous croyons que notre travail contribue à enrichir l’étude de l’association entre les caractéristiques de l’environnement bâti et la pratique du transport actif. En outre, il porte sur un grand nombre d’individus et un grand nombre de quartiers (SR). Le nombre considérable de SR (1263) inclus dans l’étude entraîne une variabilité importante du niveau de potentiel piétonnier. La taille de notre échantillon avant pondération (n = 505 279) permet quant à lui d’obtenir des résultats précis et près de la réalité. De plus, nos analyses se basent sur des mesures objectives du potentiel piétonnier des quartiers, ce qui constitue une force de l’étude étant donné que des recherches antérieures ont déjà identifié des différences dans l’évaluation du potentiel piétonnier des quartiers selon l’utilisation de mesures perçues ou objectives (Gebel et al., 2009 ; Sundquist et al., 2011). Finalement, à notre connaissance, il s’agit de la première étude de ce genre à couvrir l’ensemble des grands centres urbains du Québec.

Conclusion

Cette étude tend à démontrer que le niveau de potentiel piétonnier est élevé dans la plupart des quartiers centraux des RMR du Québec et qu’il diminue à mesure qu’on s’éloigne de ces centres. Il existe tout de même quelques zones, dans la périphérie des métropoles, où le niveau de potentiel piétonnier des quartiers est élevé. Ces zones représentent d’anciens noyaux villageois et d’anciennes municipalités. Le potentiel piétonnier des SR, tel que nous l’avons défini et mesuré, est associé significativement à l’utilisation du transport actif pour aller au travail, et ce, en tenant compte des variables liées aux caractéristiques socioéconomiques des individus. Plus précisément, la probabilité de se rendre à pied ou à vélo au travail est influencée positivement par le niveau de potentiel piétonnier des SR. À la lumière de ces résultats, il importe que les intervenants en santé publique et en planification urbaine travaillent à l’implantation de politiques du cadre bâti qui tiennent compte de l’influence des environnements sur les saines habitudes de vie. L’indice décrit dans cette étude (ainsi que ses composantes) est un outil simple qui peut être utilisé par les autorités locales afin d’obtenir des données objectives sur le potentiel piétonnier de leurs quartiers. Ces données pourraient être utilisées afin d’identifier les zones d’intérêt au sein des municipalités ayant de faibles ou de forts potentiels piétonniers et d’aider les planificateurs à localiser les endroits nécessitant du financement pour améliorer les infrastructures reliées à la pratique de la marche ou du vélo. De plus, en maintenant les données à jour, les autorités locales seraient à même de suivre le déploiement des mesures mises en place. De futurs travaux devront toutefois se pencher sur les autres caractéristiques de l’environnement qui pourraient expliquer l’adoption du transport actif, telles que l’existence de réseaux de transport en commun, permettant ainsi de mieux orienter les actions des intervenants.