Corps de l’article

Introduction

La mobilité spatiale des ménages est devenue une caractéristique des modes de vie urbains. Les déplacements dans l’espace urbain permettent des interactions sociales et économiques constituant la dynamique de base des villes (Wiel, 2005). Pour mettre en oeuvre cette mobilité, différents moyens de transport sont possibles, chacun avec ses contraintes, ses avantages et ses effets. Le transport actif consiste en des déplacements à pied ou à vélo pour des motifs utilitaires. Il contribue à l’activité physique globale des personnes. Il peut être combiné avec le transport collectif. Dans cet article, nous traiterons plus spécifiquement de la marche, unité de base du déplacement individuel. Ce moyen de transport peut généralement être effectué par toute personne pour faire les déplacements requis dans la vie quotidienne.

La promotion de la marche, et plus globalement du transport actif, comme mode de déplacement propice à la santé est assez récente (Edwards et Tsouros, 2006). Le transport actif est un enjeu à cause des bénéfices pour la santé publique, mais aussi en raison de son déclin par rapport à la motorisation dans les villes d’Amérique du Nord. Au Canada, en 2005, 19 % des déplacements s’étaient faits en transport actif contre 25 % en 1998 et la motorisation des ménages pour tous les déplacements a crû de 5 % pour la même période (Turcotte, 2008). On observe aussi une diminution importante du transport actif vers l’école chez les 6-12 ans, avec une part modale qui est passée de 45 % en 1993 à 34 % en 2003 (AMT, 1993 et 2003). À Montréal, la part modale de la marche pour les parcours de moins de 2 km est passée de 39 % à 35,5 % entre 1993 et 2003 (Ville de Montréal, 2006). Toutefois, ce déclin est peut-être en voie de s’atténuer, car la dernière enquête origine-destination (OD) pour Montréal montre que le transport actif a augmenté de plus de 1 % (AMT, 2008).

De même, les recherches ont identifié les impacts, souvent délétères, de l’usage généralisé de l’automobile (Direction de santé publique de l’Agence de Montréal, 2006). Les problèmes de qualité de l’air (OMS, 1987) et l’épidémie d’obésité (OMS, 2000) ont été spécifiquement identifiés à cet effet. La marche comme mode de transport actif devient une solution de santé publique aux problèmes engendrés par la forte motorisation des ménages.

Plusieurs disciplines ont produit des recherches permettant de mieux comprendre les relations entre le transport, la forme urbaine, la santé et le bien-être des populations citadines : la santé publique (Saelens et al., 2003 ; Diez Roux, 2001), l’aménagement (Frank et al., 2003 ; Bachiri et Després, 2008 ; Lee et Moudon, 2006), la sociologie urbaine (Kaufmann, 2008), le transport (Handy, 2005 ; Krizek et al., 2009) et la géographie de la santé (Curtis, 2004 ; Morency et Cloutier, 2005).

L’étude des déplacements urbains ne fait pas appel seulement à des questionnements portant sur les moyens de transport, les infrastructures de voirie et les systèmes techniques, mais aussi à l’organisation de l’espace, aux politiques publiques et aux modes de vie. Selon notre perspective, conceptualiser les transports actifs implique aussi une mise en relation complexe des composantes de l’environnement bâti avec les politiques publiques (aménagement du territoire et transport) et les caractéristiques individuelles. De plus, le transport des personnes dans les agglomérations urbaines génère une série de conséquences qui produisent des impacts positifs et négatifs sur l’environnement et sur la santé (Frumkin et al., 2004). La toile causale de l’obésité montre que le transport et l’aménagement sont des facteurs contributifs très importants (Ritenbaugh et al., 1999). Ultimement, cela a un impact sur l’économie et sur les finances publiques. Par exemple, on estime à six milliards de dollars annuellement le coût de l’obésité au Canada (Anis, 2010). Le transport des personnes représente donc un enjeu qui dépasse l’organisation technique des déplacements dans l’espace urbanisé. La marche comme mode actif de déplacement suppose une série de facteurs et d’effets qu’il est approprié de présenter de façon holistique. Un des défis consiste à adopter la bonne stratégie méthodologique pour y arriver.

L’objectif de cet article est de présenter les principaux déterminants spatiaux et sociaux du transport actif dans l’espace urbain et les conséquences des choix individuels et collectifs liées à ce mode de déplacement. La carte conceptuelle est l’outil méthodologique choisi, car elle permet une narration schématique des connaissances scientifiques sur le transport actif et facilite la compréhension globale du phénomène. L’élaboration d’une carte conceptuelle du transport actif constitue un défi stimulant, compte tenu de l’étendue des concepts à intégrer et des contraintes pour représenter simplement le phénomène. Enfin, la carte conceptuelle permet d’exposer les liens entre l’ensemble des composantes souvent étudiées par des disciplines indépendantes.

L’article se divise en trois parties. Tout d’abord, il expose la méthode de la carte conceptuelle. Ensuite, la carte conceptuelle du transport actif urbain est divisée en quatre figures pour faciliter la présentation. Les lecteurs sont invités à lire directement la carte conceptuelle. Seuls certains aspects originaux ou à débattre seront traités dans le texte. Enfin, l’article se termine par une discussion sur les conclusions que l’on peut tirer d’une carte conceptuelle du transport actif.

Méthodologie

À la lumière de la revue de littérature effectuée, la perspective que nous avons adoptée intègre les connaissances de la géographie, de l’aménagement et de l’urbanisme, du transport et de la santé publique. La méthode de la carte conceptuelle développée par Novak (1977) est utilisée pour représenter les conclusions de notre recherche documentaire. Le logiciel CMAP, conçu par l’Institute for Human and Machine Cognition affilié au réseau des universités de Floride, a permis de la réaliser. Une carte conceptuelle est une représentation visuelle et hiérarchisée des concepts décrivant une thématique et des types de relations existant entre ses éléments (Marchand et D’Ivernois, 2004). La structure d’une carte conceptuelle présente schématiquement les connaissances sur un sujet, mais, comme toute théorie ou représentation d’une problématique, la carte conceptuelle reflète aussi une perspective par rapport à la compréhension d’un sujet (Kinchin et al., 2000).

Les cartes conceptuelles s’appuient sur la théorie de l’apprentissage significatif (Ausubel et al., 1978). Cette dernière affirme que les nouveaux concepts s’insèrent dans un réseau de connaissances existantes grâce aux liens qu’une personne établit entre ces concepts. Les cartes conceptuelles représentent l’organisation des connaissances et faciliteraient la création de nouveaux savoirs (Mintzes et al., 2000). Bien qu’elle soit surtout utilisée à des fins pédagogiques ou d’évaluation des apprentissages (Ruiz-Primo et Shavelson, 1996), la méthode des cartes conceptuelles peut être un outil de recherche et d’aide à la conceptualisation de nouvelles idées. Les cartes peuvent se bâtir en collectif grâce aux possibilités qu’offrent les logiciels spécialisés.Une carte conceptuelle s’élabore en quelques étapes de base (Novak, 1990 ; Laflamme, 2006) (tableau 1).

La structure de la carte conceptuelle du transport actif

L’utilisation du transport actif découle d’une combinaison de déterminants, soit l’environnement bâti, les politiques publiques et les caractéristiques individuelles (figure 1). Ces déterminants principaux sont formés d’une série de concepts qui s’incarnent sur le territoire et avec lesquels les individus doivent composer en tenant compte de leurs contraintes et de leurs ressources. Ces composantes contribuent à produire les déplacements actifs, mais leurs conditions entraînent aussi des impacts sur la santé des populations urbaines, ce qui peut se répercuter sur la composition des politiques publiques. Les grands déterminants du transport actif sont interconnectés dans cette dynamique de rétroaction. Cette carte conceptuelle de type cyclique (Safayeni et al., 2005) montre que les facteurs associés aux déplacements actifs forment une dynamique complexe de causes, d’associations et d’effets qui se combinent selon les territoires et les échelles spatiales.

La majorité des recherches étudient un des déterminants principaux. Par exemple, les recherches issues des disciplines de la santé vont souvent traiter des facteurs individuels dans la pratique du transport actif, tels l’âge (Rosenberg et al., 2009) ou le revenu (Cerin et al., 2009). Un autre courant prolifique de recherches a pour objectif d’éclairer les facteurs de nature physicospatiale qui favorisent les déplacements actifs (Pikora et al., 2003). Les relations avec la santé sont ensuite identifiées, tels le potentiel piétonnier et l’obésité (Frank et al., 2006).

Tableau 1

Étapes pour l'élaboration de la carte conceptuelle du transport actif urbain

Étapes pour l'élaboration de la carte conceptuelle du transport actif urbain

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La carte conceptuelle présente une vision globale des concepts qui contribuent au transport actif. Certains de ces éléments sont sous le contrôle des individus (connaissances et habiletés, par exemple). D’autres, voire la majorité des facteurs structurants, proviennent de l’environnement bâti, politique et social sur lequel les individus ont un contrôle limité (Cohen et al., 2000). La compilation des recherches formant la base de la carte conceptuelle montre que le transport actif n’est pas seulement un choix individuel, mais qu’il résulte des interactions entre les composantes de l’environnement externe et de leurs effets sur les habitudes de vie et les choix modaux.

Figure 1

Shéma synthèse de la carte conceptuelle du transport actif

Shéma synthèse de la carte conceptuelle du transport actif

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La carte conceptuelle pour une narration scientifique sur le transport actif

La carte conceptuelle est formée de grappes regroupant des concepts associés. Les prochaines sections relèveront un enjeu pour chaque grappe. Le texte est complémentaire de la narration scientifique, qui se fait principalement à l’aide de la carte. Les références bibliographiques appuyant les concepts sont identifiées par des chiffres correspondant à une deuxième liste présentée à la fin de l’article. Certains concepts n’ont pas de référence spécifique, car bien que démontrés dans d’autres domaines, ils n’ont pas encore été étudiés en relation avec le transport actif.

La narration de la carte conceptuelle sur le transport actif débute de haut en bas et suit le sens des flèches unissant deux concepts. Elle peut se lire de la façon suivante (figure 1) :

le transport actif est un déplacement à pied ou à vélo qui résulte d’une articulation entre :

  • l’environnement bâti (Handy et al., 2002), c’est-à-dire l’aménagement du territoire et des espaces urbains, les infrastructures de la voirie et le système de transport disponible qui s’offre en plus du transport actif ;

  • les politiques publiques qui encouragent directement les déplacements actifs, de même que celles qui modèlent les composantes mentionnées précédemment et qui peuvent être élaborées par les villes (zonage, programme Better streets Plan de la ville de San Francisco, plans locaux de déplacements) ou les gouvernements et les institutions publiques (Programme d’aide gouvernementale aux modes de transport alternatifs à l’automobile du ministère des Transports du Québec, la politique ABC des Pays-Bas citée par Foucher, 1999) ;

  • les caractéristiques individuelles et le milieu social de la personne qui se déplace ;

  • les impacts sur la santé, souvent dommageables, générés par le transport des personnes, et qui sont de plus en plus documentés. L’identification de ces impacts constitue un levier vers des politiques publiques plus favorables à la santé.

Grappe 1 : l’aménagement du territoire

L’aménagement du territoire est un déterminant fondamental du transport actif (figure 2). Certains facteurs urbanistiques contribuant à modeler le territoire pour qu’il soit propice aux déplacements actifs peuvent être regroupés sous le concept fédérateur de potentiel piétonnier. Ce potentiel est la capacité d’un site, d’un quartier ou plus globalement d’une ville à favoriser les déplacements actifs, de par ses caractéristiques. Les principaux indicateurs caractérisant le potentiel piétonnier sont représentés dans la grappe 1, tels les types d’usages du sol ou l’esthétisme des lieux (figure 2). Selon la configuration de ces éléments, il peut en résulter des espaces urbains favorables au transport actif.

Certains indicateurs font l’objet d’un consensus fort dans l’ensemble des recherches scientifiques. Ainsi, la densité résidentielle et commerciale, la mixité des fonctions urbaines et la connectivité du réseau routier détiendraient un poids considérable parmi les éléments qui caractérisent les espaces urbains propices au transport actif (Saelens et Handy, 2008). D’autres facteurs, comme le sentiment d’insécurité, nuisent à la pratique de la marche (Duncan et al., 2005 ; Hoehner et al., 2005). À cet effet, la crainte d’actes criminels ou la présence de signes d’incivilité peuvent amener les femmes à restreindre leurs déplacements actifs ou à opter pour d’autres moyens de transport (Suminski et al., 2005). L’esthétique du paysage urbain contribue de son côté à rendre les trajets plus agréables, ce qui soutient la régularité de la pratique du transport actif. Notons à cet égard que les résultats de recherche sont inconsistants quant à l’importance à accorder à ces éléments plus fortement teintés par les perceptions individuelles. Néanmoins, des méthodes de recherche existent pour saisir toute la richesse des perceptions. Par exemple, la méthode des itinéraires de Miaux (2008) a permis d’étudier les expériences de marche dans différents types de quartiers et d’en dégager les indicateurs de l’environnement bâti qui se démarquent pour le piéton. De même, la méthode d’analyse du paysage urbain propice à la marche développée par Ewing et al. (2006) permet d’évaluer objectivement des sites selon des principes de lisibilité, d’échelle humaine ou de complexité qui, à la base, sont fondés sur des perceptions. Finalement, la méthode conçue par Ramadier et al. (2008) approfondit les éléments sociocognitifs de la mobilité quotidienne des individus grâce à divers moyens comme une grille d’analyse paysagère, des entretiens, un journal de bord et le géoréférencement des informations obtenues. Des méthodes comme celles-là contribuent à mieux investiguer les aspects sensibles de l’aménagement urbain.

Le potentiel piétonnier permet de préciser les modes d’influence de l’aménagement du territoire sur la pratique du transport actif. L’inconsistance des résultats de recherche quant à certains éléments plus subjectifs constitue un enjeu pour l’identification du poids relatif attribuable aux différents concepts. Cela sera débattu plus amplement dans la section discussion.

Figure 2

La grappe de concepts portant sur l'aménagement du territoire

La grappe de concepts portant sur l'aménagement du territoire

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Grappe 2 : les infrastructures de voirie

Les infrastructures de voirie urbaine sont l’espace fonctionnel typique du transport actif. Elles doivent assurer le partage de la route entre les piétons et les autres usagers (véhicules motorisés, vélo) (figure 3). Comme illustrées sur la carte, les rues et les intersections regroupent des éléments qui vont concourir directement à la fonctionnalité et à la sécurité des déplacements actifs. Des directives précises sur la géométrie et les normes de signalisation des carrefours sont énoncées par les manuels du ministère des Transports (MTQ, 2009). Ces mesures sont habituellement subordonnées à la typologie hiérarchique du réseau routier, qui prescrit le design en fonction de la capacité routière souhaitée. Elles doivent assurer le partage de la route entre les différents usagers (véhicules motorisés, piétons, cyclistes), mais les aménagements de transport actif ne sont pas toujours adéquats. La carte conceptuelle aide à positionner les infrastructures de voirie urbaine dans la problématique du transport actif et de ses impacts sur la santé. En effet, dans ce contexte, les usagers du transport actif peuvent être exposés à des risques d’accident (Morency et Cloutier, 2005). La perception d’un risque est aussi associée à la diminution de la pratique de la marche, particulièrement pour les écoliers (Groupe de recherche Villes et mobilité, 2009 ; Cloutier, 2010). Des mesures d’apaisement de la circulation et d’aide à la traverse pour les piétons et cyclistes contribuent à réduire l’exposition au risque (Retting et al., 2003 ; Reynolds et al., 2009). Ce sont des stratégies d’intervention ciblant l’environnement bâti pour améliorer le bilan de santé publique.

Figure 3

La grappe de concepts portant sur les infrastructures de voirie et du système de transport

La grappe de concepts portant sur les infrastructures de voirie et du système de transport

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Grappe 3 : le système de transport

L’environnement bâti comprend aussi le système de transport (figure 3). Comme le signale la carte conceptuelle, la décision d’utiliser un mode de déplacement actif est tributaire de l’accessibilité physique et économique aux moyens de transport automobile ou collectif disponibles. Par exemple, le taux élevé de motorisation des ménages, qui croît deux fois plus vite que la démographie dans la grande région de Montréal, montre que l’accès à une automobile est facile (AMT, 2008). Conséquemment, l’auto constitue un moyen de transport concurrentiel pour les déplacements courants, même ceux de 2 km et moins pour lesquels la part modale du transport actif est habituellement élevée (voir l’introduction). Quant au transport collectif, il suppose de fait un déplacement piétonnier dans un trajet direct ou dans une chaîne de déplacements. On marche en moyenne 19 minutes par voyage en transport collectif (Besser et Danneberg, 2005). Considérant la recommandation des grandes agences médicales de faire de l’activité physique au moins 30 minutes 5 fois par semaine, l’usage du transport collectif intégrant la marche contribue à l’atteinte de cette cible de santé publique.

Grappe 4 : les caractéristiques individuelles

Le transport actif n’est pas seulement déterminé par les configurations de l’environnement bâti. Comme il est représenté sur la carte, il constitue un choix réalisé par des individus qui ont des caractéristiques sociales et psychologiques ainsi que des habitudes de vie différentes (figure 4). De plus, le choix d’un mode de transport actif plutôt qu’un autre est la résultante du motif qui occasionne le déplacement. Ce dernier s’inscrit dans un programme d’activités quotidiennes localisées géographiquement, qui forment l’espace d’activités (Newsome et al., 1998) et qui s’accordent avec le budget temps de la personne. Les individus souhaitent maximiser leur potentiel de mobilité pour concilier avec flexibilité le temps dont ils disposent et leur mode de vie urbain de plus en plus spatialement fragmenté (Kaufmann, 2008). Conséquemment, un des enjeux réside dans l’intégration du transport actif dans le mode de vie.

Figure 4

La grappe de concepts portant sur les caractéristiques individuelles et sociales

La grappe de concepts portant sur les caractéristiques individuelles et sociales

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Le transport actif se pratique plus fréquemment dans les quartiers qui ont des caractéristiques favorables au potentiel piétonnier. Toutefois, une controverse subsiste sur la prépondérance des caractéristiques de l’aménagement du territoire et de la voirie par rapport aux variables individuelles. L’argument évoqué est que les personnes ayant un mode de vie physiquement actif choisiraient ce type de quartier sachant qu’elles peuvent y marcher, tandis que les individus sédentaires ne bénéficieraient pas des occasions offertes par le potentiel piétonnier du quartier. L’activité physique de transport serait la résultante des préférences individuelles (self-selection) plutôt que l’effet des éléments de l’environnement bâti (Cao et al., 2006). Plusieurs recherches constatent ces deux principes, sans clarifier vraiment l’importance relative de chacun. Néanmoins, lorsque l’on contrôle les variables représentant les préférences individuelles, l’environnement bâti demeure un déterminant fondamental du transport actif urbain (Frank et al., 2007 ; Cao et al., 2009).

Grappe 5 : les impacts sur la santé

Les choix individuels et collectifs en matière de transport urbain engendrent des répercussions sur la santé de la population (figure 5). Les impacts du transport motorisé sont plutôt négatifs, allant de l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques à l’aggravation des symptômes de l’asthme infantile (Frumkin et al., 2004). De même, la motorisation des ménages favorise un mode de vie sédentaire propice à l’obésité (Frank et al., 2004). De plus, le fort volume de circulation motorisé et la vitesse des véhicules en ville augmentent l’exposition au risque pour les piétons et les cyclistes (Direction de santé publique de l’Agence de Montréal, 2006). Par contre, le transport actif régulier facilite l’atteinte des recommandations en matière d’activité physique hebdomadaire (Saelens et al., 2003). Un mode de vie dans lequel prend place le transport actif permet de prévenir l’obésité et les maladies chroniques ou d’en atténuer les symptômes (comité scientifique de Kino-Québec, 2004).

Les impacts du transport touchent les individus, et plus directement lorsqu’il s’agit du transport actif. Toutefois, au niveau populationnel, l’augmentation ou l’aggravation de ces impacts sur la santé peut entraîner l’élaboration ou la réforme des politiques publiques aux échelles locale, régionale et nationale dans une dynamique de rétroaction (comme le montrent les liens croisés aux figures 1 et 5). Des politiques publiques en transport, en aménagement du territoire et en santé publique sont les plus susceptibles d’être améliorées par suite de la connaissance de ces impacts. D’ailleurs, l’importance des impacts a contribué à l’adoption de politiques publiques (Lachance et al., 2006 ; République française, 2009). Selon notre analyse, les impacts du transport urbain engendrent des coûts individuels et collectifs qui peuvent être utilisés comme levier pour l’adoption de politiques publiques favorables au transport actif et, plus globalement, à la santé.

Figure 5

La grappe de concepts portant sur les impacts sanitaires et les politiques publiques

La grappe de concepts portant sur les impacts sanitaires et les politiques publiques

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Grappe 6 : les politiques publiques

La carte conceptuelle place les politiques publiques parmi les principaux déterminants du transport actif (figure 5). Les gouvernements et les administrations publiques peuvent cibler directement la pratique du transport actif, comme avec le Programme d’aide gouvernementale aux modes de transport alternatifs à l’automobile du ministère des Transports du Québec. Ils peuvent le faire plus globalement par les politiques sociales (politiques municipales de conciliation famille-travail, par exemple) et les politiques sur la santé, comme la politique québécoise sur les saines habitudes de vie et la problématique du poids. Les villes, par leurs règlements, politiques, programmes et interventions directes, orientent l’aménagement du territoire (zonage, plans locaux de déplacements, plans d’urbanisme, politique ABC des Pays-Bas, programme Better Streets Plan de la Ville de San Francisco, etc.). Plusieurs politiques publiques favorables à la santé ont été élaborées en réaction aux politiques publiques antérieures qui ont entraîné des effets indésirables.

Discussion

Plusieurs points de réflexion émergent à la suite de la conception d’une carte conceptuelle du transport actif urbain. La discussion portera sur les aspects innovants de la carte conceptuelle, les différentes échelles spatiales et les limites de la méthode.

Les aspects innovants de la carte conceptuelle

La carte conceptuelle est un outil original pour représenter schématiquement, dans une perspective multidisciplinaire, la problématique du transport actif urbain. Elle constitue un moyen pédagogique pour détailler des grappes de concepts et saisir la variété d’éléments en interaction. Un des intérêts de cette présentation globale des déterminants du transport actif réside dans son utilité pour le développement d’une vision partagée entre les chercheurs ou les professionnels des disciplines de la géographie, de l’aménagement, du transport et de la santé. La carte conceptuelle permet de positionner les concepts d’où des indicateurs peuvent être dégagés et de dépister les vides conceptuels ou les relations moins bien appuyées scientifiquement pouvant faire l’objet de nouvelles recherches. La carte conceptuelle constitue un outil de transfert de connaissances pour les intervenants publics. Comprenant mieux le transport actif urbain et globalement la mobilité durable, les acteurs impliqués seront à même d’adopter des stratégies favorisant la santé.

Les différentes échelles spatiales

La problématique du transport actif se mesure par des indicateurs liés aux individus (people-based) et à l’environnement bâti (place-based). Pour le transport actif et l’environnement bâti, les échelles spatiales pertinentes vont de la rue à la région, ce qui est illustré sommairement sur la carte conceptuelle. À titre d’exemple, des projets d’infrastructures routières régionales peuvent avoir des impacts négatifs sur des quartiers centraux en raison de la croissance du volume de circulation automobile qu’ils généreront de la périphérie vers le centre, augmentant ainsi l’exposition au risque de collision au niveau local. Les relations entre les composantes, de même que les éléments les constituant, varient selon l’échelle d’observation et l’étendue spatiale (Ravenel et al., 2003). Ainsi, l’étude du transport actif urbain implique la mesure des concepts qui y sont associés et nécessite le recours à des indicateurs à différentes échelles spatiales pour saisir la complexité de la mobilité active.

Le cas des indicateurs estimant le potentiel piétonnier est éclairant. Ces indicateurs sont habituellement agrégés à l’échelle des villes pour faciliter leur traitement quantitatif et leur utilisation. Les concepts de mixité des fonctions, de densité résidentielle et de connectivité du réseau de rues sont employés dans la majorité des études. La force et la récurrence de leur utilisation dans les recherches proviennent de leur précision, mais aussi des conditions de production des données sur l’espace urbain. Ces indications possèdent des propriétés objectives qu’on peut mesurer quantitativement et ils se calculent à partir des bases de données déjà constituées pour l’analyse géospatiale. D’autres données sont moins accessibles (comme l’emplacement des supports à vélo sur une artère commerciale) ou comportent une part de subjectivité (l’esthétique des lieux publics, par exemple). Leur collecte exige des méthodes plus innovantes pour les capter, les interpréter et les diffuser. Comme le mentionne Robitaille (2009), le manque de bases de données à référence spatiale comportant l’ensemble des indicateurs sur le potentiel piétonnier constitue une limite pour les deux types de mesure.

À la lumière de la carte conceptuelle du transport actif urbain, la perspective de complémentarité entre les indicateurs semble très prometteuse. De plus, l’observation à une échelle spatiale plus fine permet d’étudier les concepts applicables à la rue et au voisinage et oriente les interventions sur des bonifications à court terme favorables au transport actif. Les programmes particuliers d’urbanisme, les plans de déplacement urbain, les programmes d’amélioration de la voirie et les projets de revitalisation gagneront à intégrer les composantes du potentiel piétonnier mesurées par des indicateurs à l’échelle micro afin d’améliorer la compréhension de ce qui favorise le transport actif urbain. Ainsi, selon les informations disponibles et les besoins différenciés des groupes d’utilisateurs de données (planification ou recherche), il est possible de choisir les indicateurs les plus appropriés, à l’échelle voulue.

Les échelles temporelles de la transformation des espaces urbains

Les différentes composantes exerçant un effet sur la pratique du transport actif urbain ne disposent pas du même potentiel de transformation, selon une échelle temporelle similaire. En effet, l’augmentation de la densité résidentielle de même que la consolidation de la mixité des usages du sol dans les quartiers déjà construits peuvent prendre des années avant de se concrétiser, surtout en l’absence de friches industrielles à redévelopper ou de vigoureux programmes municipaux et nationaux. Par contre, à une échelle spatiale micro, l’amélioration des trottoirs, l’entretien des espaces publics près des générateurs de déplacement ou la sécurisation des déplacements actifs aux intersections peuvent s’implanter plus rapidement. La carte conceptuelle présente un portrait des informations disponibles et pourrait s’insérer dans une des premières étapes d’un processus d’aide à la décision territoriale visant à améliorer le transport actif à court et à moyen termes.

Les limites méthodologiques

La carte conceptuelle est une représentation schématique d’une problématique. Son caractère général ne permet pas de mentionner les nuances pourtant indispensables dans les interactions entre les concepts et dans les méthodes de recherche. La pondération de chaque concept est un bon exemple. Avec une carte conceptuelle, il est difficile de représenter, avec toutes les réserves nécessaires, le poids des composantes de même que les fins détails sur les interrelations. Trop d’informations avec des symboles différents complexifient la carte et rendent sa compréhension ardue. De plus, les recherches n’ont pu éclairer l’ensemble des interactions entre les concepts. Il est donc difficile de mettre un poids sur un concept qui n’a pas encore été bien étudié. La méthode donne donc la possibilité de présenter graphiquement les concepts et succinctement les relations, mais limite la présentation des résultats plus mixtes, moins cohérents, ayant besoin d’être discutés. L’ensemble des relations ne peuvent donc être minutieusement démontrées, ce qui touche particulièrement les liaisons croisées entre deux grappes, telle l’illustration de la rétroaction entre les impacts sanitaires et les différentes politiques publiques. Un texte d’accompagnement demeure nécessaire, de même que les outils plus classiques de revue de littérature (tableau comparatif de la documentation, des méthodes employées, des terrains d’études, etc.). Une autre limite consiste en la nécessité de qualifier adéquatement les relations. Il faut synthétiser une relation par un mot de liaison. Cela entraîne une réduction sémantique qui peut être trop simplificatrice. Est-ce la conséquence inévitable de la perspective globale que la carte conceptuelle offre ? Par ailleurs, la carte conceptuelle permet-elle de créer des nouveaux savoirs, comme l’espèrent les fondateurs de la méthode ? La démarche présentée dans cet article ne nous permet pas de le confirmer.

Conclusion

La carte conceptuelle du transport actif urbain montre l’articulation des déterminants et cette méthode recèle un potentiel pour l’amélioration des connaissances sur le sujet. Elle permet de rassembler en un tout signifiant l’ensemble des composantes associées au transport actif et provenant de la production scientifique de plusieurs disciplines : la santé, l’aménagement, le transport et la géographie. La vue d’ensemble permet d’identifier les aspects méconnus qui pourront faire l’objet de recherches subséquentes. Les composantes de l’environnement bâti, des politiques publiques et des variables individuelles se déploient à différentes échelles, ce qui laisse entrevoir des défis méthodologiques pour étudier le transport actif urbain.

Le transfert des connaissances scientifiques constitue une vaste démarche et la carte conceptuelle du transport actif peut être très utile. À l’instar des chercheurs, les acteurs dont les interventions touchent le transport actif peuvent y avoir recours pour développer une meilleure compréhension des concepts afin de bonifier les stratégies d’action. Le transport actif urbain constitue une thématique remarquable pour établir des passerelles de pratiques et de recherches entre la géographie, l’aménagement, le transport et la santé.