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Cet article est le fruit d’une expérience clinique, dans le cadre d’une structure de soins ambulatoires, de psychiatrie Infanto-Juvénile hospitalière. Expérience clinique que nous avons eu l’opportunité d’exposer lors du 5ème CIFAS (Congrès International Francophone sur l’Agression Sexuelle), en mai 2009 à Montréal.[1]

Il s’agit du travail de réflexion d’une équipe de psychodramatistes[2], intervenant auprès d’adolescents auteurs de violence sexuelle. C’est ensemble que nous avons interrogé, élaboré et pensé notre pratique.

Le psychodrame offre la possibilité de mobiliser la psyché et les éprouvés corporels, dans un processus de réaménagements psychiques.

C’est un dispositif thérapeutique particulièrement intéressant à l’adolescence.

Nous nous proposons de présenter l’évolution d’un travail clinique de psychodrame avec un groupe d’adolescents auteurs de violences sexuelles.

Ce groupe de psychodrame s’inscrit dans le cadre d’un dispositif particulier d’une structure de consultations ambulatoires pour adolescents, dans le pôle de psychiatrie Infanto-Juvénile.

Ce dispositif spécifique, accueille et favorise l’accès aux soins d’adolescents en difficultés psychiques et en « danger de délinquance », dans des problématiques de passages à l’acte et d’ agirs.

Dans la perspective de proposer des soins adaptés aux difficultés de ces adolescents en « panne de symbolisation », pour reprendre les termes de Jean-Pierre Pinel (Pinel, 1999), nous avons réfléchi autour de la mise en place de soins médiatisés, les situations de face à face s’avérant pour le moins, souvent difficilement supportées par les adolescents.

Au décours de ces consultations, nous avons été amenées à recevoir des jeunes impliqués dans des passages à l’acte sexuel violent, passage ou recours à l’acte, impliquant le corps; et, pour certains dans des obligations de soin dans le cadre de Contrôle Judiciaire ou de Sursis Mise à l’Epreuve. Dans le premier temps de cet exposé, nous présenterons le psychodrame. C’est dans une perspective clinique que nous nous situerons pour présenter l’intérêt de ce dispositif autour du psychodrame en groupe pour ces adolescents auteurs de violences sexuelles.

Nous utiliserons les termes « d’auteurs de violence sexuelle », tout au long de cet article, par facilité, et n’entrerons pas dans le débat autour des notions d’agression sexuelle, d’infraction à caractère sexuel, ou de violence sexuelle.

Nous définirons, dans un premier temps, le psychodrame analytique, la problématique de sidération de la pensé, les concepts psychanalytiques de transfert, contre-transfert, et de diffraction du transfert, auxquels nous nous référerons.

Nous présenterons, dans une deuxième partie, les différents moments de notre dispositif de psychodrame.

Nous exposerons une situation clinique, l’évolution de T. dans le groupe, dans un troisième temps.

Nous décrirons, enfin, les éprouvés contre-transférentiels des thérapeutes à l’égard de ce garçon en particulier, interrogeant la question de la sidération, corporelle et de la pensée, et la manière dont le cadre du dispositif à permis l’élaboration de ces éprouvés, en référence aux travaux d’A. Ciavaldini. (Ciavaldini, 2004).

1. Quelques définitions

Avant de développer notre réflexion, nous nous proposons de reprendre quelques définitions de concepts psychanalytiques qui nous accompagneront tout au long de notre analyse. Nous définirons donc les concepts de «  sidération de la pensée », puis de « transfert », de « contre- transfert », et enfin le processus de « diffraction du transfert ».

Nous considérerons la « sidération de la pensée », comme une stratégie de défense du psychisme face à un évènement traumatique, évènement face auquel la psyché ne peut plus assurer sa tâche habituelle d’intégration des éléments extérieurs. Le Moi est débordé, l’appareil psychique est alors comme saturé, déconnecté, et la pensée arrêtée, paralysée, sidérée.

Le transfert, en psychanalyse tel que défini par P. Denis (Denis, 2002) « …désigne la transposition, le report sur une autre personne, et principalement le psychanalyste, de sentiments, désirs, modalités relationnelles, jadis organisées ou éprouvés par rapport à des personnages très investis de l’histoire du sujet. », notamment les figures parentales.

Le contre-transfert est l’ensemble des réactions inconscientes de l’analyste, du thérapeute, au transfert de son patient, y compris les sentiments projetés en lui par celui-ci. C. Geissmann (Geissmann, 2002).

Le processus de la  « diffraction du transfert. » a été  étudié par René Kaës et travaillé par C.Vacheret ( Vacheret, 2006), dont je reprends les termes :

Dans le dispositif de la cure individuelle (psychanalytique), le transfert est condensé sur la personne de l’analyste qui est groupe à lui tout seul, et permet ainsi de mettre au travail la groupalité psychique du sujet singulier en même temps que la sienne propre. Dans le dispositif groupal, les membres sont là, présents, dans un effet de coprésence qui mobilise immédiatement, c’est-à-dire sans médiation, la diffraction du transfert qui se dépose sur plusieurs autres.

Toutes les facettes identificatoires du sujet se déploient à son insu, c’est-à-dire inconsciemment sur tous les autres, y déposant – c’est ce que j’ai appelé le transfert par dépôt (Vacheret, 2004) – une partie, un aspect de lui-même dont chacun est porteur potentiellement. C’est le processus le plus étonnant et peut-être le plus dérangeant dans un groupe, en tout cas celui qui surprend le plus les membres du groupe, quand ils repèrent que l’un des membres est susceptible de restituer au sujet, une parole qui fait sens pour lui, en lien avec son parcours, son histoire, son cheminement. L’autre parle de moi, à son insu, parce que j’ai déposé en lui, à mon insu, une partie de ma réalité psychique et de mes groupes internes, qu’il met en mots et en représentations inconsciemment. Cette part déposée en l’autre revient au sujet, « détoxiquée», nommée, affectée et réappropriable.

1. 1. Le psychodrame analytique

Le psychodrame analytique utilise le jeu et sa dramatisation, dans le but « d’élucider » des phénomènes inconscients. La fonction interprétative du jeu est au premier plan et repose sur l‘analyse du transfert et des résistances. «… La fiction que représente le jeu est une invite à une activité symbolisante, souvent précaire pour le type de patient auquel cette thérapie s’adresse. »  N. Amar (Amar, 2002).

Le psychodrame en groupe est un dispositif thérapeutique particulièrement intéressant, à l’adolescence car il offre la possibilité du jeu, dans la sécurité d’un groupe de pairs.

Le psychodrame permet en effet d’accéder aux représentations en passant par l’acte (le jeu). Il est ainsi tout indiqué pour ces adolescents, qui tentent de court-circuiter la pensée par un recours constant à l’agir. A travers les échos personnels suscités par le jeu, le retour à la pensée est accompagné par les thérapeutes dans l’espace contenant des séances.

La médiation psychodramatique l’est d’autant plus que nous avons affaire, ici, à une population particulièrement soumise à la projection des conflits intrapsychiques sur la scène du dehors et que par ailleurs, l’agression dont ils sont auteurs, agit comme un évènement traumatique en quête d’élaboration.

Nous reprendrons dans la littérature, ce qu’en dit Catherine Chabert (Chabert,  2000) : 

Ce jeu est indispensable à l’adolescence, période qui peut être traversée fructueusement même si un certain degré d’angoisse accompagne toujours ses bouleversements intérieurs et sa confrontation avec la réalité extérieure 

… C’est une offre thérapeutique favorable chaque fois que le recours au comportement, voire à l’agir…oppose une entrave au déploiement de l’activité des représentations et à la libre circulation des affects…

… Ce passage par la perception presque tangible de personnages, représentant aussi bien des personnages de l’entourage réel que des représentations des instances psychiques, constitue un moyen (puissant), probablement indispensable pour que s’élabore véritablement un système de représentation initialement proposées par des images externes, puis susceptibles d’être peu à peu intériorisées.

Nous cheminerons avec cette idée de S. Daymas (Daymas, 1992) « … Oser la figuration des réalités fictives, souvent invérifiables dégèle le fonctionnement (psychique) et permet une reprise fantasmatique. »

Nous faisons l’hypothèse que le psychodrame, par la mobilisation des affects, l’élaboration verbale, le travail sur les inscriptions corporelles et la mise en mouvement du corps, permet des réaménagements des processus psychiques , vers la représentation et la symbolisation.

Nous voulons surtout montrer, à travers notre expérience, comment certaines spécificités de notre dispositif, sont particulièrement favorables à la relance du processus de penser : Une équipe de thérapeutes, favorisant la diffraction du transfert et le transfert collatéral, permet de supporter le potentiel destructeur de la pulsion de mort. La mise en groupe de ces adolescents auteurs de violence sexuelle, diminue la « monstruosité » de chacun, donc les résistances, et favorise un travail d’élaboration psychique.

A partir de notre conception théorique du passage à l’acte, passage à l’acte violent, passage à l’acte sexuel violent, comme une impasse psychique, pour reprendre les travaux de C.Balier  (Balier, Ciavaldini. et Girard-Khayat, 1996), nous considérerons l’adolescence en tant que processus, comme un moment particulier et privilégié, de réaménagements possibles de la psyché chez ces sujets « en panne de symbolisation».

Le dispositif thérapeutique spécifique, de psychodrame en groupe et d’entretiens individuels, pour des adolescents auteurs de violence sexuelle, tel que nous le pratiquons aujourd’hui, est l’évolution d’un dispositif de groupe antérieur, jugé par nous inadéquat, et une adaptation du cadre de psychodrame analytique.

Nous avions réunis, dans un groupe de psychodrame, des adolescents dans des passages à l’acte, et des agirs violents. Les entretiens individuels avec le thérapeute principal n’étaient pas systématiques - ils avaient lieu, mais avec les thérapeutes individuels de chacun - et n’étaient pas formalisés comme constitutifs du dispositif de psychodrame. Il est apparu, à l’expérience, important que les deux espaces de thérapie, individuel et groupal soient articulés l’un à l’autre. Lorsqu’un garçon est déjà engagé dans un travail psychothérapique avec un clinicien extérieur au dispositif de psychodrame, nous aménageons des espaces de synthèse avec celui-ci, le patient est alors informé de ces rencontres, et du fait qu’il est pensé par nous, en son absence.

Dans le groupe précédent, un seul adolescent se trouvait dans une problématique de passage à l’acte sexuel violent. Ce garçon était agité de façon récurrente, dans le cadre des séances, par une excitation qui avait à voir avec l’excitation sexuelle. Bien qu’il soit reçu en individuel, il n’a pu aborder dans ce cadre de face à face ce qui l’agitait, et nous n’avons pas pu travailler avec lui, autour de ce passage à l’acte.

Il était indispensable d’adapter notre cadre clinique pour que la question du débordement pulsionnel puisse s’exprimer et être pensée. Nous avons alors imaginé pour ce garçon, comme pour les autres adolescents auteurs de violence sexuelle qui nous arrivaient en consultation, un cadre différent.

Réunir en groupe des adolescents auteurs de violence sexuelle, chacun d’entre eux sachant que les autres participants ont traversé des passages à l’acte sexuels aussi, sans savoir précisément lesquels, peut permettre, et c’est notre hypothèse, une parole plus facile et plus libre.

Pouvoir aborder l’acte (en groupe ou en individuel) c’est le replacer du côté de l’évènementiel, comme un évènement de la vie, quelque chose qui s’est passé à un moment donné, qui a eu lieu et qui appartient au passé.

Une autre idée avec laquelle nous cheminons, consiste à penser que ces adolescents restent traumatisés par l’acte qu’ils ont commis et que ce traumatisme est venu arrêter le temps psychique à ce moment-là.

C’est à la fin d’une séance qu’est apparu, lors des échos, la difficulté, voire la sidération de la pensée, engendrée par la question « Avez-vous une idée de scène ? »

La consigne  « avoir une idée de scène » semble une question impossible pour les adolescents du groupe, dans ce premier temps, comme si nous leur demandions ce que précisément, ils ne peuvent pas faire : imaginer, élaborer, figurer, se représenter et mettre en scène.

C’est bien cela, qu’il s’agit de mettre au travail psychiquement dans ce dispositif.

2. La présentation de notre dispositif de psychodrame en groupe

Nous nous situerons dans le cadre du psychodrame triadique en groupe, prenant en compte, dans l’analyse du processus des séances, la référence analytique des groupalistes français. (Kaès, 1976 ; Anzieu, 1979).

Le groupe dont il sera question, est un groupe ouvert, limité à cinq, composé de garçons dans des problématiques d’agirs sexuels.

Une réflexion spécifique sur les modalités de traitement de ces adolescents s’est imposée face à l’augmentation des demandes et la nécessité de mettre en place, dans nos consultations, un soin médiatisé.

Les orientations se font sur proposition des thérapeutes travaillant dans la structure de consultations ambulatoires. La thérapeute principale rencontre alors le jeune, pose, s’il y a lieu, l’indication du dispositif de psychodrame en groupe et lui présente le cadre du soin. Ce dispositif se décline en différents temps, les séances hebdomadaires de psychodrame en groupe et des entretiens individuels mensuels, avec la thérapeute principale.

L’accord et l’engagement du jeune sont indispensables. Chaque jeune s’engage à participer à toutes les séances et à un entretien individuel par mois, avec la thérapeute principale, durant une année scolaire. Après 3 absences consécutives et non justifiées soit aux entretiens individuels, soit au groupe, l’indication du psychodrame est réinterrogée.

Pour certains jeunes, il peut être proposé de participer à trois séances avant de s’engager dans le travail.

2. 1 Les séances de psychodrame en groupe

Les règles du groupe et les règles du jeu sont énoncées aux garçons. Il s’agit de la règle de « libre association de pensée » ; la règle d’abstinence qui se manifeste par le respect inconditionnel, c’est à dire sans condition, de l’autre (ni moquerie, ni jugement) d’une part et le fait de ne pas se fréquenter à l’extérieur et le rapporter au groupe si cela se produisait. L’empathie et la confidentialité sur les jeux et sur ce qui concerne les autres participants sont requis.

A ces règles du groupe s’ajoutent les règles du jeu, à savoir le « Faire comme si » et la règle dite des « 7/10ème » empruntée au jeu théâtral, c’est à dire qu’on ne se touche pas

Les séances, de 30 minutes hebdomadaires, hors vacances scolaires, ont toujours lieu dans la même salle.

L’équipe de psychodramatistes est une équipe importante toujours la même, composée d’un homme et de cinq femmes. Le nombre de thérapeutes a été pensé pour sa fonction contenante, elle permet que soient mises en jeu les instances psychiques, et autorise la diffraction du transfert.

La thérapeute principale dirige la séance, et ne joue pas.

L’observateur prend les notes pendant les séances et nous fait part de ses observations extérieures au jeu, c’est « l’Historiographe» du groupe. Les quatre co-thérapeutes participent aux jeux proposés.

L’équipe de psychodramatistes se retrouve, avant la séance avec les adolescents, dans une pré-séance . C’est l’occasion d’échanger sur d’éventuels évènements advenus depuis la séance précédente, comme la rencontre fortuite d’un des garçons du groupe, des nouvelles des procédures éducatives et/ou judiciaires, un entretien individuel avec la thérapeute principale, ou des rêves concernant le groupe.

Lors de la première séance, sont repris, devant l’ensemble des membres du groupe et devant l’équipe de co-thérapeutes, les règles du groupe, les règles de jeu et ce qui a été déjà dit lors des entretiens préliminaires en individuel, à savoir que, chaque membre du groupe, est dans une problématique de passage à l’acte sexuel, judiciarisé ou judiciarisable.

Chaque séance débute par la prise de nouvelles de chacun. C’est à ce moment-là, dans les échanges que se dessine, et se formalise une proposition de scène par l’un des patients. Lorsque celle-ci est énoncée, le patient se lève et choisit, accompagné de la thérapeute principale, parmi les autres membres du groupe et les co-thérapeutes, ceux qui joueront les rôles des personnages de sa scène. Chaque garçon du groupe peut refuser un rôle attribué.

Le jeu psychodramatique débute alors. A la fin du jeu, chacun retourne s’asseoir. C’est le « retour au groupe ».

La thérapeute principale invite alors chacun, patients et co-thérapeutes à donner « ses échos dans les rôles ». Il s’agit alors de verbaliser, mettre en mots, les éprouvés et sentiments ressentis dans le rôle, durant le jeu.

Le psychodrame permet, pour ces adolescents, de se réapproprier une image de soi monstrueuse qui devient acceptable, car partagée par le groupe, avec les pairs  et les thérapeutes.

De fait, chaque participant sait que chacun a été dans des agirs de violence sexuelle, ce qui évite d’avoir à cacher cette part vécue comme monstrueuse, de crainte d’être démasqué.

Les thérapeutes montrent qu’ils peuvent jouer la part monstrueuse d’eux-mêmes et en revenir.

A travers leurs jeux, et les échos dans les rôles, ils témoignent de mouvements d’identification et de désidentification sans en être effractés ou blessés.

La post-séance permet d’une part, un travail sur les processus de la séance et les processus internes et d’autre part, le travail d’analyse des différents éprouvés corporels et psychiques des cliniciens. Ces processus sont analysés en terme d’effet de la diffraction du transfert sur les différents thérapeutes de l’équipe de psychodrame. C’est l’élaboration verbale en commun de ces éprouvés qui va réactiver les processus de pensée de l’équipe, processus sidérés lors de la séance.

Face aux effets de sidération de la pensée l’élaboration groupale permet la remise en lien en terme de liaisons intra-subjectives.

C’est sur cette capacité d’élaboration et de symbolisation retrouvée grâce au groupe de thérapeutes, que va pouvoir s’étayer une capacité à penser pour les sujets en soin.

Le Sujet va pouvoir s’appuyer psychiquement sur le groupe des thérapeutes qui va lui « prêter son appareil à penser », un  appareil à penser groupal pour reprendre les termes de R. Kaës (Kaës, 1976).

La post-séance n’est pas le lieu où l’on aborde les transferts collatéraux dans la différence, mais au moment où l’on fait corps.

Le cadre à également une fonction de contenance pour les thérapeutes.

2. 2. Les sujets du groupe

  • A. 16 ans, agression sexuelle sur une jeune fille et violence à personne, en réunion. En obligation de soin, vit en foyer. Se cache derrière sa casquette.

  • J. 16 ans, Attouchements en intra-familial, auteur et victime d’agression sexuelle. Vit à domicile. Filiforme à l’air doux et sérieux.

  • K. 15 ans, plusieurs agressions sexuelles, en extra-familial. Auteur et victime d’agression sexuelle, vit en famille. A l’air d’un petit garçon.

  • T. 18 ans, plusieurs agressions sexuelles en intrafamilial (deux victimes). En obligation de soin. Vit actuellement en foyer. Râblé et rond.

  • N. 17 ans, agressions sexuelles en intrafamilial (deux victimes). En obligation de soin. Vit en famille. Tenue soignée, air sérieux.

  • R. 16 ans, attouchements en intra-familial. Auteur et victime. Vit en famille. Dégingandé, l’air faussement décontracté.

Certains de ces jeunes ont quitté le groupe au cours de cette année, et d’autres l’ont intégré.

2. 3. Les entretiens individuels

Chaque garçon est reçu en entretien individuel une fois par mois ou plus s’il le souhaite.

C’est l’occasion de la reprise de ce qui s’est passé pour lui en séance de groupe, et d’aborder ce qui ne peut être dit dans le groupe.

Lors des séances individuelles est repris avec chacun, le processus des séances. Le travail thérapeutique s’individualise alors, tout en s’appuyant sur le groupe.

C’est le passage de la dimension groupale à la dimension intersubjective, pour accéder à une possibilité de travail psychique intrasubjectif. Il s’agit d’un mouvement du trans-subjectif à l’inter-subjectif, pour accéder à l’intra-subjectif, et, à une capacité de penser.

Le travail en groupe de psychodrame est, en ce sens, une voie d’accès pour le sujet à son monde interne, son activité intra-psychique. Cet accès à son intériorité va lui permettre d’engager un travail d’introspection, d’élaboration, et de symbolisation, à travers la mise en représentation psychique, de ce qui fut une représentation spatio-temporelle dans le jeu psychodramatique. Une voie d’accès s’ouvre alors vers les capacités de mentalisation, pour reprendre les travaux de A. Ciavaldini (Ciavaldini, 1999).

Nous reprendrons l’intérêt du va et vient entre les deux espaces d’élaboration psychique – psychodrame en groupe et entretien individuel - pour les jeunes et pour les thérapeutes.

Le travail en individuel est ramené dans l’équipe de thérapeutes.

3. La présentation clinique de « T. »

Nous avons choisi de présenter, plus particulièrement, le parcours et l’évolution de l’un des garçons T..

T. est âgé de 18 ans, a commis plusieurs agressions sexuelles, dont un viol, seul, dans le cadre familial. Il est sous obligation de soins et vit actuellement en foyer.

T. a d’emblée pris la place du leader dans le groupe de garçons, s’opposant  à la thérapeute principale, questionnant systématiquement les consignes, les faisant répéter, intervenant à tout moment, transgressant les règles du groupe et les règles du jeu.

T. éprouve le cadre en attaquant les règles, il se situe toujours « à la limite de… »… la correction, dans un jeu avec les limites précisément, et vérifie par là, la fonction contenante du cadre pour le groupe.

Il apparaît comme le « porte-parole » des garçons, dépositaire de l’agressivité du groupe.

Les positions contre-transférentielles des thérapeutes sont diverses, voire opposées, et c’est justement, ce qui permettra l’élaboration de ce qui se jouait alors en dehors de la scène de psychodrame, mais dans le cadre de la séance.

Alors que la thérapeute principale est peu à peu prise dans l’incessante nécessité de rappeler les règles et de maintenir le cadre, dans une sidération de la pensée, les co-thérapeutes continuent à penser, et partagent un contre-transfert plutôt positif, à l’égard de T..

En post-séance, l’étayage de l’équipe, de « son appareil psychique groupal », a soutenu, ce que nous appellerons une remobilisation de la pensée de la thérapeute principale. Ses capacités réflexives semblaient sidérées, comme engluées et immobilisées dans un mouvement unique de maintien du cadre, sans plus pouvoir s’en décaler.

La reconnaissance de cette sidération de la pensée par la thérapeute principale, et la reconnaissance par les co-thérapeutes, des attaques nourries de T. sur le dispositif, à travers elle, a permis que le travail d’élaboration se poursuive.

A la fin d’une séance, après plusieurs absences non justifiées, la thérapeute principale a convoqué T. en entretien individuel.

Lors de cet entretien nous avons repris et questionnée l’opportunité, pour T., de l’indication du dispositif de psychodrame en groupe. Face l’évocation de sa position « à la limite …» et de son non respect des règles, T. dira qu’il est comme ça, « …je ne respecte jamais les règles à fond …».

L’indication du psychodrame, pour lui, est alors discutée, car la participation à ce groupe nécessite absolument, le respect des règles pour pouvoir travailler et permettre le travail des autres participants du groupe.

Je tente, en me référant fortement à Philippe Jeammet [3](échanges lors d’une rencontre quelques temps auparavant), de « retourner  la force de destructivité » qui l’anime, à son service pour le soin. Et je lui dis : « … Toute cette énergie que vous mettez à ne pas respecter complètement les règles, peut-être pourriez-vous l’utiliser pour vous, pour prendre soin de vous et vous engager dans le travail que nous vous proposons »…et je m’entends rajouter « …Vous en avez les capacités …»

T. entend ce que je lui dis et paraît touché.

Je remets alors en cause l’opportunité de l’indication au psychodrame que j’avais faite, arguant que ce pouvait être une erreur, ce qu’il dénie avec véhémence car il veut continuer… et s’engage à respecter les dites règles.

Après cet entretien, l’attitude de T., dans le groupe, change.

Il respecte plus le cadre et dans les jeux, sa position se modifie peu à peu. Il abandonne sa place de leader, ou plutôt de caïd, pour se mettre plus en retrait, en observateur.

R., un autre garçon du groupe, qui participe au psychodrame depuis le début annoncera, quelques temps plus tard, son intention de partir exprimant sa souffrance et son sentiment d’être maltraité par les autres.

R. souhaite mettre en scène l’annonce de son départ. Nous jouons la séance.

Dans les échos dans les rôles, une co-thérapeute, qui a, dans un changement de rôle, joué le rôle de T., en reprenant ce qu’il avait dit auparavant, énonce: « je ne me sentais pas concerné par le fait que R. souhaite partir, ce n’est pas mon affaire.. »

T. réagit alors fortement « Je suis si cruel que çà ! »

Lors de l’entretien individuel suivant avec T., nous reprenons cette phrase « je suis si cruel que çà ! » et T. dit son étonnement. Il peut alors entendre ce qu’il a dit, être en capacité de reconnaître ce que la co-thérapeute lui a renvoyé, et c’est comme s’il se voyait.

Il n’en revient pas. Il est confronté à une image cruelle de lui, qu’il accepte.

La question de sa propre cruauté était déjà là, et avait commencé à s’élaborer.

Il ne s’agit pas d’une question mais d’un constat. Tout cela est repris dans un temps d’élaboration individuel. « Je pensais pas que ça pouvait faire du mal ce que je dis …»

Avec la prise de conscience des effets des mots, s’ouvre un accès à l’empathie… vis-à-vis de l’autre, R. la victime de sa « cruauté ».

« Je suis si cruel que ça  » est comme une révélation qui ouvre sur la question de l’altérité. Pour reprendre Freud, dans l’esprit « Là où ça était je dois advenir »

C’est l’accès à une possibilité de distanciation, le je n’est plus identifiable au ça.

Dans un même mouvement, T. parle de façon différente, et emploie, par moment, un langage étonnement soutenu. Il semble s’ouvrir à une représentation spatiale, géographique, par exemple, en se représentant d’autres chemins pour venir en consultation. Bien qu’ayant changé domicile, plus près de celui-ci, il continuait à prendre les mêmes transports en communs, rallongeant son itinéraire. Il découvre qu’il habite à dix minutes à pieds, et viendra directement dorénavant.

Dans le psychodrame, T. semble s’être approprié, le cadre . Il ne se contente pas de le respecter, il l’utilise comme structurant, pour lui et les autres, et aidera un autre garçon à mettre en jeu une scène.

Nous avons l’impression d’assister à ce que nous appellerons « une levée de l’inhibition intellectuelle et psychique» chez cet adolescent, au dévoilement et au déploiement d’une pensée.

La dernière scène que nous évoquerons, est assez récente. C’est T. qui la propose. Après avoir évoquée l’hospitalisation de sa jeune soeur, pour une intervention chirurgicale, (soeur qu’il a abusée dans le passé), il nous annonce son intention d’aller donner son sang. Il propose de mettre en scène ce don du sang, dans un dispensaire. Dans un premier temps il jouera le rôle du donneur puis dans un changement de rôle avec le garçon qui jouait le médecin, sera le médecin qu’il jouera omnipotent, faisant lui-même la prise de sang dans le secret du cabinet médical. Les deux garçons, dans la scène, sont alors dans une grande proximité corporelle.

Lors de ce jeu, dans les échos et la post-séance, viendront aux thérapeutes des images diverses de bienveillance maternelle, ou de séduction et d’emprise.

Cette scène renvoie à quelque chose qui s’est déjà « joué » dans le cadre d’une séance, dans le groupe, en dehors d’un jeu ; et qui arrive sur la scène, dans un jeu, contenue par le jeu psychodramatique, dans l’espace où cela peut être travaillé. Mais qui arrive de façon décalée.

C’est une « scène », au sens théatral du terme, et non pas un scénario, qui se rejoue à l’endroit où elle peut être entendue.

Cette scène, arrive après le début du travail d’élaboration, et semble s’inscrire du côté de l’imaginaire, du fantasme, et non plus dans la réalité. Le travail d’élaboration peut continuer, dans le cadre approprié et reconnu comme tel par T. Comme si, ce qu’il ne pouvait pas ne pas jouer à l’extérieur, il était parvenu à l’amener à l’intérieur du cadre du jeu psychodramatique, à représenter l’emprise et la séduction.

4. Analyse des processus et intérêt du dispositif 

L’agression et son effet traumatique, pour la victime, mais aussi pour l’auteur, persistent bien après l’événement. Le traumatisme continue à faire effraction, dans un temps comme arrêté, que le jeu et les mouvements de va et vient identificatoires permettent d’interroger.

Les scènes de psychodrame autorisent que se jouent entre autres, cette part « monstrueuse » et  réinscrivent le sujet dans un temps linéaire, historique.

« Cela a existé mais cela s’est arrêté », le temps réapparait. Des moyens d’élaboration peuvent alors se développer et permettre au Sujet de ne plus être prisonnier d’une représentation unique d’agresseur.

En effet ces sujets, du fait du traumatisme et de l’intemporalité qui en découle, sont dans l’impossibilité de se représenter ce qui s’est passé comme un évènement fini. L’intemporalité entraîne la répétition du traumatisme empêchant la maturation psychique du sujet.

T., quand il accède à une représentation de lui même (« Je suis si cruel que ça ! ») parvient à engager un travail de mise en figuration. A ce moment là, il se saisit du dispositif du psychodrame et acquiert la possibilité de mettre en représentation, de mettre en scène, et de se mettre en scène.

Le fait de ne plus être accroché uniquement au perceptif (Ciavaldini, 2004), facilite l’élaboration psychique. De ce fait il peut se représenter, se représenter dans une histoire, se mettre en récit, dans une relation, au sens de relater, dans une historisation de l’événement, en l’occurence le passage à l’acte.

Arriver à aborder cette part monstrueuse, c’est percevoir pour le sujet, sa partie défensive. T. percevait que la place de R. était difficile, mais ne réalisait pas qu’il prenait part à la rendre difficile. Il l’entend, et se l’approprie.

Nous nous sommes intéressés aux éprouvés des co-thérapeutes dans le cadre des séances. Certains se sont perçus comme passifs, objet du groupe des adolescents et de la thérapeute principale, comme pris dans une fonction « d’écran » contre l’agressivité, dans le transfert, du groupe, agressivité exprimée par T..

Ce dispositif a permis le co-étayage des thérapeutes.

Lors des échos dans les rôles, aux paroles d’une co-thérapeute, qui ne lui sont pas adressées, A. réagit. Il ne parle pas, il n’est que dans le perceptif, et ne parvient pas à élaborer ce qu’il ressent, il ne peut que renvoyer cet éprouvé brut, comme en miroir, par un regard défiant et agressif.

En post-séance, la co-thérapeute, repèrera qu’elle a perçu cette agressivité et a éprouvé le bénéfice d’être co-étayée, elle a pensé alors, face à l’agressivité du garçon : « Tu peux y aller, je ne suis pas toute seule ».

On voit bien comment cette thérapeute est passé du perçu, à l’éprouvé, puis au penser pour pouvoir accueillir l’éprouvé de A..

Nous rejoignons Pascal Roman quand il écrit « …C’est à partir de cet accueil, de ce portage, voire de cette transformation de l’affect lié à l’acte…que pourront se dégager les voies d’accès au processus représentatif, en terme d’un processus de liaison qui demande à être soutenu auprès de l’adolescent. » (P.Roman, 2008).

La position de T. a focalisé le contre-transfert négatif de l’équipe de psychodramatistes, qui a éprouvé le besoin de se mobiliser pour tenir, face à ce qu’il pouvait faire vivre d’effractant. T. était difficilement supporté par tous. En s’appuyant sur, et du fait de la diffraction du transfert, les co-thérapeutes ont pu jouer une proximité dans les scènes, pouvant donner l’illusion d’une alliance et alors se retrouver, dans les deux mouvements (transférentiels positif et négatif à l’égard du thérapeute principal), et partager des affects de l’impulsivité.

Ce qui nous a permis de vivre pour lui, avec lui, T., des éprouvés qui nous ont fait percevoir et accepter sa part de  gamin perdu , sa souffrance, et par là, de l’empathie.

T. a été l’objet d’un contre transfert négatif, mais il a protégé les autres. Il a beaucoup inquiété les thérapeutes, particulièrement dans sa position auprès de K., dans un collage important, où K. a été perçu comme une victime, comme s’il avait été intrusé  par T..

Dans cette séquence de jeu que T. a rapporté, dans la dernière scène que nous vous avons évoquée, la scène du don du sang…

5. Pour une théorisation de notre dispositif

L’organisation du dispositif de psychodrame en groupe, tel que nous le pratiquons permet d‘accueillir le transfert de chacun des adolescents du groupe, adressé, diffracté sur chaque thérapeute du dispositif, thérapeute principale et co-thérapeutes, dans un mouvement de diffraction du transfert. Cet accueil permet de recevoir les éléments non liés de la psyché, projetés sur le dispositif, pour reprendre J.Bleger (Bleger, 1979).

Une part de ces éléments bruts, non élaborés ne seront que déposés, sans être traités et symbolisés. Les éléments transférentiels, liés à des affects, projetés sur les thérapeutes pourront être, parlés, pensés par l’appareil à penser groupal, dans un travail d’élaboration et de mise en liens.

Ensuite, ce qui a été symbolisé par les thérapeutes, est ramené au groupe et renvoyé à chaque sujet, dans un mouvement de concentration ou de recentration des éléments psychiques liés, dans le contre-transfert, de chaque thérapeute à l’égard du sujet.

Le premier mouvement, du sujet en groupe vers l’équipe de thérapeutes, la diffraction du transfert se passe lors de la séance de psychodrame, le travail d’élaboration et de liaisons psychiques se déploie dans les post –séances; et la reprise de cette mise en sens et en symbolisation, dans une restitution au sujet, dans le contre-transfert, s’exprime lors des séances de psychodrame suivantes et dans les entretiens individuels.

Le travail du groupe de garçons est encore en devenir, celui de l’équipe de thérapeutes également.

Il manquait un temps à notre dispositif de soins, c’est un temps de supervision pour pouvoir analyser notre travail. Ce qui nous est apparu de façon de plus en plus insistante, au fur et à mesure que nous préparions cet écrit, ce sont les enjeux et les résistances que nous avons ensemble et chacun, mis en place pour l’éviter. Nous sommes engagés, aujourd’hui, dans ce travail de supervision. C’est ce travail, avec un psychanalyste extérieur, qui nous a permis de repérer et d’interroger les points aveugles, de notre pratique.

Pour conclure

Il n’existe pas de passage à l’acte, de passage à l’acte sexuel, hors contexte, que celui-ci soit familial, social ou subjectif, inscrit dans l’histoire du sujet… C’est toujours en lien avec

Si toute réalité psychique est étayée sur celle du biologique, cette dimension est encore plus prégnante à l’adolescence : les modalités de fonctionnements psychiques, qui procèdent par association, sont étayés sur le fonctionnement cérébral, qui procède par connexions, mises en lien et en réseaux synaptiques. C’est bien ici tout l’intérêt du jeu psychodramatique qui fait jouer cet étayage, via la mobilisation du corps et donc des éprouvés. Le travail sur les éprouvés corporels, leur reconnaissance va favoriser l’accès aux affects et à leur mobilisation et donc conduit vers la mentalisation, comme le décrit A. Ciavaldini  (Ciavaldini, 2004, 2009).

C’est l’activation de la possibilité de passer de l’accroche au perceptif, (spécifique de la pathologie de l’agir) à la capacité de représentance et de penser, à la possibilité de reconnaître et d’énoncer, notamment ses affects (c’est le passage du perçu au pensé/représenté pour accéder à l’ énonçé ) qui va permettre la symbolisation de l’irreprésentable, de l’acte sexuel violent.

C’est comme si nous assistions alors à une «  levée » de l’inhibition intellectuelle et psychique  dont les gains se déclinent dans une nouvelle plasticité psychique, l’accès à une capacité psychique de se projeter et non plus d’être dans la projection de ses affects sur autrui, l’accès à l’altérité  (reconnaissance de l’autre et capacité d’empathie), l’accès à l’ambivalence et celle d’une position subjectivée, une position de sujet.

Le développement de notre dispositif psychodramatique nous a permis de mettre en place un espace potentiel favorisant la « levée » de l’inhibition intellectuelle et psychique  pour accéder à une nouvelle plasticité psychique. On observe alors chez ces adolescents une ouverture vers une capacité psychique de se projeter, et en retour de s’identifier à, et non plus d’être pris comme piègés, dans la projection de leurs éprouvés sur l’autre. C’est le début d’un accès à l’altérité  (reconnaissance de l’autre et capacité d’empathie) et par là même d’un accès à l’ambivalence qui ouvre une position subjective qui réinscrit leur acte violent sexuel dans leur propre histoire.