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Ce numéro spécial de la revue Ethnologies présente des articles qui illustrent comment les thématiques liées à la guérison se manifestent à l’heure actuelle, dans une variété de contextes religieux et culturels. Dans notre recherche en cours sur le pluralisme religieux dans le Québec contemporain[1], nous avons trouvé que la guérison, ou du moins une certaine conception de la guérison, est présente dans la plupart des rituels et discours religieux. Ceci est encore plus évident dans les religions ou pratiques dites « spirituelles » qui ont émergé au cours des dernières années parmi les Québécois non immigrants, soient le spiritualisme, le néo-chamanisme, incluant le druidisme, la wicca, le yoga et diverses formes de « spiritualités autochtones » (Corneiller 2010 ; Normandin 2010). Ces dernières attirent bon nombre de non Autochtones, en particulier des jeunes (à cet égard, voir la contribution de Rosemary Roberts dans ce numéro). On observe la même tendance au sein des courants religieux établis depuis plus longtemps tels que le catholicisme et divers mouvements issus du protestantisme (baptisme, pentecôtisme, etc.), ainsi que dans les discours de certains pratiquants musulmans (Mossière infra). Parallèlement aux rituels de guérison des charismatiques catholiques que nous avons identifiés dans notre étude (par exemple Bouchard 2009 ; Ruiz Henao à paraître) ou dans des recherches antérieures (Côté et Zylberberg 1990), un volet de notre projet a également mis en évidence l’existence de cérémonies visant à offrir soutien et soulagement aux victimes du sida dans une paroisse du « village gai » de Montréal. La pastorale de cette église catholique est effectivement reconnue pour son effet thérapeutique sur les paroissiens (Koussens 2007, 2009 et à paraître). Ainsi, bien que les pratiques religieuses de guérison traitent souvent de maladies et de douleurs physiques, elles constituent également une source de soutien psychologique et de soulagement émotionnel.

Dans son étude de quatre religions relativement récentes (l’antoinisme, la science chrétienne, la scientologie et IVI [Invitation à la Vie]), Dericquebourg (1988) introduit la notion de « religions de guérison » ; plus généralement, notre recherche montre que la guérison constitue une caractéristique essentielle d’un grand nombre de courants religieux actuels. La quasi-omniprésence de la thématique de la guérison dans les spiritualités contemporaines n’est d’ailleurs pas limitée au contexte québécois, comme le suggèrent les travaux de McGuire (1996, 2008), Csordas (1994, 2001, 2002), Aubrée (2003), Corten (1995) et d’autres auteurs de ce numéro comme Cristina Rocha, Cristophe Monnot et Philippe Gonzalez, et Laurent Denizeau.

En ce sens, plusieurs contributions de ce numéro suggèrent que les rituels de guérison et leurs adeptes jouissent d’un potentiel particulier pour attirer de nouvelles recrues par-delà les frontières nationales et religieuses, créant ainsi des réseaux transnationaux composés de praticiens de la guérison et de leurs clients. Par exemple, des prêtres et prêtresses vaudou circulent régulièrement entre Montréal, Miami et Haïti, tout comme ceux qui requièrent leurs services (Drotbohm 2009). L’article de Cristina Rocha publié dans ce numéro illustre comment une certaine clientèle australienne en quête de guérison se tourne vers un guérisseur brésilien, João de Deus (Jean de Dieu), lequel est pourtant lié à une tradition spirituelle que peu d’entre eux connaissent (spiritisme), dans un pays que peu ont déjà visité, et qui parle une langue différente de la leur.

Comme les exemples précédents le suggèrent, la guérison religieuse peut prendre différentes formes : des rituels de catharsis qui défoulent et offrent un espace social pour libérer les charges émotionnelles (par exemple dans les groupes charismatiques, catholiques et protestants), aux activités axées sur la guérison des individus ou de la terre, en passant par les pèlerinages que certains considèrent comme un mode de restauration personnelle (Boutin 2008) ou par les méditations de yoga en groupe (McGuire 2008 : 139)[2]. Dans certains cas, comme lors des soirées de miracles décrites par Denizeau dans ce numéro, la prière formulée par le demandeur et par d’autres participants constitue une technique de guérison à part entière. Plus généralement, les pratiques corporelles de type ascétique prescrites par les traditions religieuses peuvent être interprétées comme un mode de guérison pour soi et pour les autres. Ainsi, des femmes hindoues jeûnent pour le bien de leur époux et de leur famille (Betbeder 2009) ; comme l’illustre l’article de Géraldine Mossière, les femmes converties à l’islam considèrent que les règles prescrites par l’Islam (pudeur, code alimentaire) pour discipliner le corps entraînent également des effets psychiques et physiques bénéfiques sur l’individu.

Ceci nous amène au défi de définir la guérison en tant que telle. La sociologue Meredith McGuire (1996 : 101) souligne le fait que la thématique de la guérison dépasse de loin la simple régulation du corps ; elle touche en fait surtout la transformation du soi. En effet, comme le suggère Csordas : « The object of healing is not elimination of a thing (an illness, a problem, a symptom, a disorder) but transformation of a person, a self that is a bodily being » (2002 : 3). En somme, la guérison constitue avant tout un mode holistique de restauration de l’unité corps/esprit rompue par les processus de sécularisation (McGuire 2008). Pour les praticiens que McGuire a rencontrés, recouvrer cette unité constituait l’objectif de leur séance de guérison. Dans l’étude de Meintel (2005), les guérisseurs spiritualistes disent vivre souvent ce sentiment d’union –avec soi, avec les guides spirituels, avec Dieu – quand ils transmettent la guérison, tandis que ceux qui reçoivent leurs soins versent quelquefois des larmes de libération ; ils confient alors leur soulagement quant aux sentiments de stress, d’anxiété et de tristesse[3].

Paradoxalement, pour les vétérans du système de soin biomédical, la guérison spirituelle peut représenter une source d’autonomisation : en choisissant de se « soumettre » à une source de pouvoir alternative – comme pour ceux qui reçoivent la guérison des entités canalisées par João de Deus, ou simplement en faisant l’acte de foi requis pour accepter la guérison d’un praticien spiritualiste (Meintel 2005). Les patients peuvent ainsi ressentir une forme de capacité d’agir [agency] qui manque souvent dans leurs interactions avec le milieu biomédical. Ainsi, Dubisch (2005 : 222) présente le corps (des patients) comme un « espace de résistance » aux régimes biomédicaux. En outre, la majorité de ceux qui se rendent dans la congrégation spiritualiste étudiée par Meintel pour bénéficier de services de guérison espère ainsi trouver réconfort face au désarroi que l’expérience dans les milieux biomédicaux peut susciter (anxiété, tristesse, dépression, etc.). Implicitement, les espaces religieux valident ces besoins et leur donnent un moyen d’expression. Dans la même perspective, l’article de Béguet montre comment la possibilité de reformuler des expériences de maladie mentale habituellement stigmatisantes ou marginales dans un langage de guérison et de spiritualité permet de les revaloriser de façon positive. Nous ne souhaitons cependant pas exagérer ici le décalage existant entre la guérison telle que pratiquée et vécue en contexte religieux et les soins reçus en milieu biomédical. À cet égard, il existe une littérature critique croissante dans et à propos du milieu médical dont une grande part traite du rôle de la guérison dans la médecine[4]. De plus, lors de notre terrain réalisé auprès de groupes et de congrégations offrant des formes de guérison spirituelle, nous avons trouvé un nombre important de travailleurs et de praticiens de la santé provenant d’une variété d’échelons du système de santé, allant des médecins aux auxiliaires familiaux. Ces derniers rapportent que leurs approches thérapeutiques s’entremêlent souvent avec des techniques inspirées de leur spiritualité. Ainsi, le groupe d’Umbanda étudié par Hernandez (2010) dans notre projet a été fondé par des thérapeutes cherchant à renouveler leur pratique clinique. Comme le suggère l’article de Le Gall et Xenocostas, il est probable que la religiosité des immigrants influence le système de santé des sociétés sécularisées où ils s’installent, contribuant ainsi aux débats en cours sur la place du religieux, de la spiritualité et de la santé dans le secteur médical[5].

Dans un travail antérieur réalisé sur la figure de João de Deus, Rocha (2009) proposait que la guérison produise un sentiment d’émotion et d’intégration spirituelle et physique parmi ceux qui la reçoivent. Dans sa contribution à ce numéro, elle montre comment la guérison s’accompagne d’un sentiment quasi extatique d’union avec la terre et avec l’esprit. Ceci semble contredire la perspective de Brown (1999) et d’autres auteurs cités par Dubisch (2005 : 225) qui formulent des critiques à l’encontre des spiritualités et pratiques de guérison « Nouvel Âge » qui leur paraissent démesurément axées sur l’individu. En fait, comme le suggère Dubisch, ces spiritualités reposent sur une conception de l’individu qui se pose en alternative aux définitions habituellement véhiculées dans les discours occidentaux, qui présentent la personne comme une unité autonome, aux contours limités. En ce sens, l’auteur explique que les guérisseurs de son étude considèrent le corps individuel comme un « champ énergétique ». De façon similaire, dans notre recherche, nous avons trouvé des formes de spiritualités qui conçoivent l’individu comme une entité vibratoire, soit comme un être à multiples dimensions, connecté par d’invisibles liens à toute la création, plutôt que comme une masse solide et unitaire. Pour les Wiccans que Roberts décrit dans ce numéro, les rituels visent à créer non seulement un sentiment de réalisation personnelle, mais aussi un sentiment d’union avec la terre et avec les autres, si bien que la guérison du soi devient intimement liée à la guérison de la terre.

Le processus de guérison induit des modes d’apprentissage et d’expérience du monde et des autres spécifiques et, à cet égard, le concept de « somatic mode of attention » introduit par Csordas (1993) se révèle particulièrement approprié. Csordas, comme McGuire, fait référence à la notion d’habitus de Bourdieu pour traduire la dimension incorporée de la connaissance sociale (Csordas 2002 ; McGuire 2008). D’une certaine façon, transmettre[6] et recevoir la guérison signifie incorporer un nouvel habitus, un habitus qui est acquis par l’intermédiaire du corps[7], à l’instar des médiums spiritualistes qui apprennent et expérimentent la clairvoyance en partie en développant leur capacité d’attention aux sensations corporelles acquises (Meintel à paraître). Éminemment sociale et culturelle (Spickard 1995), la guérison est donc centrée sur l’unité corps/esprit, elle-même inséparable du contexte social et politique dont proviennent la souffrance ou la maladie. À l’heure de la globalisation et de l’accélération de la circulation des ressources symboliques, les approches scientifiques axées sur la guérison font généralement état d’une « nouvelle culture » (Dubisch 2008 : 331), laquelle se caractérise par de nouvelles conceptions du corps, combinée, entre autres, à des notions d’esprits et à diverses dimensions de la réalité. Les rituels de guérison font également référence à des connexions avec d’autres corps à travers celui du sujet. McGuire (2008 : 112-113) mentionne l’essai de Schutz, « Making music together » (1964) pour illustrer la mise en relation des corps nécessaire pour produire une harmonie, par exemple dans le cadre d’une chorale. Danser une valse ou un tango, ramer dans une équipe, même marcher main dans la main, sont des comportements qui nécessitent effectivement une sensibilité corporelle et une certaine capacité de réaction à l’autre.

La relation entre l’expérience de guérison et la foi religieuse semble relativement variable. Dans son étude sur la guérison réalisée auprès d’évangéliques lyonnais (France), Denizeau trouve que la foi constitue la « seule condition » pour la guérison, tandis que l’article de Monnot et Gonzalez souligne l’importance des témoignages de guérison pour renforcer la foi. Dans sa recherche, McGuire (2008 : 144) évoque une guérisseuse américaine pour qui il n’était pas nécessaire « que la personne cherchant de l’aide croie au pouvoir de guérison pour en expérimenter les bienfaits [that the person seeking help believe in the power of healing to experience its benefits] ». Au sein de la congrégation spiritualiste qu’elle étudie à Montréal, Meintel observe également que ceux qui recherchent la guérison ne sont souvent pas membres de cette église et qu’ils ne sont même pas convaincus par la possibilité de guérison spirituelle. En revanche, certains fréquentent l’église suite à une expérience antérieure de guérison tandis que pour les guérisseurs eux-mêmes, le fait de transmettre la guérison renforce et accroît leur foi en la source divine d’où provient ce don. Dans ce groupe, les personnes qui demandent de la guérison recherchent plus un soulagement à leur détresse émotionnelle (chagrin, anxiété, stress, tristesse, dépression, problème relationnel) qu’à leurs maux physiques. Par ailleurs, le discours des médiums, ministres et membres de la congrégation lie souvent les notions de guérison et de pardon. Le pardon (accordé à soi et aux autres) – thème sur lequel nous reviendrons plus loin – apparaît donc comme une condition nécessaire pour la guérison personnelle ; la capacité de pardonner est d’ailleurs souvent vue comme un indicateur d’un plus grand bien-être. En général, notre recherche montre que l’expérience de recevoir la guérison constitue un point d’entrée pour l’intégration de nouveaux membres dans les groupes religieux.

Avant de traiter la question de la guérison en dehors des limites conventionnelles de la définition du religieux, il convient de considérer la raison pour laquelle la thématique est si présente dans les rituels, pratiques et discours religieux actuels. Outre les éléments dont nous avons discuté jusqu’ici, soient l’intégration, la connexion, l’autonomisation [empowerment] que la guérison spirituelle peut offrir, nous proposons qu’elle intègre certaines dimensions centrales aux thématiques autour desquelles gravite la religiosité actuelle, entre autres la notion d’émotion, celle d’embodiment [incorporation] (Riis et Woodhead 2010 ; Mossière 2007) et celle de l’agir individuel [agency]. Cette dernière notion englobe l’intention, la capacité d’attention ainsi qu’un considérable potentiel d’inventivité. En effet, beaucoup de guérisseurs font preuve d’une grande créativité pour s’inspirer de traditions différentes des leurs (McGuire 2008 ; Meintel à paraître ; Roberts 2009, 2010). Quant aux clients, leurs « itinéraires thérapeutiques » les amènent souvent en marge du système de soin médical conventionnel comme de leur première religion de socialisation. De telles initiatives mettent en exergue une autre facette de la « subjectivation » de la vie religieuse (Hervieu-Léger 1999), soit l’envers de l’individualisation de la vie spirituelle qui, tel que décrit par McGuire (2008) conduit au choix et à l’adoption personnalisés de codes de conduite normatifs et de pratiques spirituelles ritualisées (Oestergaard 2009). Ainsi, comme l’explique l’un des informateurs de Meintel, les guérisseurs se sentent responsables de constituer « un canal aussi pur que possible ». Pour les guérisseurs spiritualistes qu’elle a rencontrés, ceci signifie non seulement éviter les influences négatives comme la drogue ou l’excès de boisson, mais aussi maintenir un certain niveau de conscience à travers une pratique spirituelle personnelle suivie, incluant prière et méditation. De leur côté, ceux qui reçoivent la guérison doivent l’accepter de plein gré et respecter les règles et convenances édictées (silence, yeux fermés, mains reposant les paumes vers le bas). Certains d’entre eux ont auparavant déjà entamé des pérégrinations diverses auprès de guérisseurs issus de diverses approches thérapeutiques et beaucoup fréquentent simultanément des guérisseurs issus de traditions variées, qu’ils soient d’approche biomédicale, alternative/holistique, ou spirituelle.

Pour ceux qui étudient les questions d’émotion, d’embodiment et d’expérience dans les religiosités contemporaines (Mossière 2007, pour les rituels pentecôtistes), la situation du chercheur sur le terrain peut devenir problématique, en particulier lorsqu’on l’invite à participer aux pratiques de guérison, comme l’a vécu Meintel (à paraître) auprès des spiritualistes. Le chercheur peut-il partager l’expérience subjective et incorporée de ceux qu’il étudie ? Ces conditions de recherche peuvent-elles faire avancer notre compréhension de la guérison et d’autres phénomènes de religiosité contemporains ? Goulet traite de cette problématique dans le premier article de ce numéro, tout comme Meintel dans plusieurs de ses travaux sur la guérison et la médiumnité (Meintel, sous presse). Au cours des dernières années, bon nombre de chercheurs ont souligné la valeur positive de la participation réflexive du chercheur dans les pratiques de guérison (Dubisch 2008) et autres activités qui requièrent un apprentissage faisant intervenir le corps, comme les sports (Turner 2000) et les arts martiaux (Samudra 2008).

Un autre thème qui émerge de l’étude des groupes religieux contemporains est la notion de don, en particulier dans les églises évangéliques, les congrégations catholiques charismatiques et les groupes spiritualistes où la prophétie, la clairvoyance et la guérison sont toutes considérées comme des dons provenant d’une source divine, et dont l’usage est voué au bénéfice des autres. D’après les résultats de notre recherche au Québec, des croyances similaires entourent également la guérison chamanique (Normandin 2010 ; Corneiller 2010). Expliquer pourquoi la notion de don est si centrale dans la plupart des courants spirituels actuels dépasse notre objectif ; mentionnons simplement que ce thème apparaît de façon récurrente dans les rapports humains des sociétés contemporaines, comme beaucoup d’analyses récentes en témoignent (Godelier 1996 ; Caillé 2000 ; Godbout 2000). La description du festival de « Burning Man » proposée par Gauthier dans ce numéro suggère que la notion de guérison – et l’échange de don qu’elle implique – recouvre des domaines qui s’étendent au-delà des frontières habituelles de la religion et de la spiritualité. Ainsi, la guérison semble trouver des champs d’application au sein de la sphère politique ; pensons par exemple à la commission « Vérité et Réconciliation » en Afrique du Sud (Wilson 2001), aux efforts de réconciliation et de guérison au Rwanda (Staub et al. 2005), ainsi qu’aux divers projets de rapprochement des pays d’Amérique du Nord avec les peuples autochtones. Certains pasteurs de congrégations ethniques de notre étude ont d’ailleurs prêché sur l’importance de la paix et de la bonne entente entre les fidèles provenant de pays en guerre, par exemple dans l’église pentecôtiste examinée par Mossière (2008), dont de nombreux membres sont originaires du Rwanda et de République démocratique du Congo. De tels efforts visant à apporter la guérison aux traumatismes de sociétés entières mettent en lumière l’idée de reconnaissance – autre type d’échange de don (Meintel 2008).

À un certain niveau et de façon quelque peu paradoxale, bon nombre des formes actuelles de guérison rendent compte de l’économie de marché dont elles proviennent. D’un côté, la guérison en contexte religieux induit un échange social qui contraste avec les échanges de marché, pas seulement parce qu’il implique Dieu ou des entités spirituelles comme agents, mais plutôt parce que la notion de guérison comprend un élément (plus ou moins prononcé) de gratuité et de don de soi. D’un autre côté, les pratiques de guérison permettent à l’individu d’exprimer son agir et sa capacité de choisir. Qui plus est, ces deux caractéristiques essentielles de l’économie de marché qui sont rendues accessibles par les mass media se manifestent souvent à l’échelle transnationale, où l’adaptation à (et l’emprunt de) ressources symboliques d’origines très disparates constitue le plus souvent la norme (voire Gauthier et al, à paraître).

Ceci nous amène à une autre question, soit celle des limites de la définition de la guérison spirituelle. Spiritual but not religious, l’ouvrage de Fuller (2001), décrit de nombreux guérisseurs[8] à l’oeuvre aujourd’hui, en particulier les « guérisseurs énergétiques » que Dubisch (2005) a étudiés, notamment les praticiens de Reiki et de Shin Jin Jyutsu, ainsi que certains guérisseurs « holistiques » examinés par Meredith McGuire (2008). Dans notre recherche réalisée auprès de groupes religieux contemporains au Québec, nous observons qu’un accent similaire est mis sur l’entièreté, l’unité corps/esprit et les émotions, ainsi que sur un certain degré de ritualisation des pratiques de guérison. Ces dernières ne sont généralement pas considérées comme religieuses par ceux qui les réalisent, quoique certains praticiens pourraient les présenter comme « spirituelles ». Par exemple, de nombreuses classes de yoga commencent et finissent par des prières, des méditations ou des chants. Les diverses variétés de yoga pratiquées en Occident sont d’ailleurs habituellement considérées et présentées comme des pratiques corporelles holistiques, entraînant des effets bénéfiques sur la santé. Nous trouvons également de nombreux « groupes de développement personnel[9] » qui se situent à la limite du religieux et visent à améliorer le bien-être et les relations interpersonnelles de l’individu. Souvent, ces groupes comportent une part importante de spiritualité non « dénominationnelle » et cherchent à accroître la « conscience » de leurs clients. Dans beaucoup de cas, ils encouragent les pratiques corporelles telles que le travail de respiration et de méditation dont ils étendent le champ d’application à l’espace profane du quotidien.

Un certain nombre de chercheurs pensent que nous assistons peut-être à un processus de réenchantement du monde, au sein duquel la religion joue un rôle majeur (voir par exemple Csordas 2007a, 2007b). Un tel réenchantement, comme Maffesoli (2007) le suggère, va bien au-delà de ce qui est habituellement reconnu comme religieux ou spirituel (notons par ailleurs que Maffesoli reconnaît une place importante à la question du don dans l’éthique de partage qu’il voit émerger des socialités contemporaines). La guérison peut constituer un élément important dans ce réenchantement. En effet, il est possible que ce ne soit pas seulement le corps et le soin qui lui est apporté qui soient réenchantés, mais la religion elle-même. Ainsi, le terme « miracle » si souvent employé dans le discours évangélique (comme dans les contributions de Christophe Monnot et Gonzalez et de Laurent Denizeau dans ce numéro) offre des pistes intéressantes pour penser comment les croyances et les pratiques religieuses contemporaines participent du réenchantement de la religion, ainsi que des notions de santé, de bien-être et de corps.


This special issue presents contributions by writers who deal with the significance of healing in widely diverse religious and cultural contexts today. In our ongoing research on religion in contemporary Quebec[1] we have found that healing, or a certain conception of healing, is ubiquitous in contemporary religious ritual and discourse. This is most evident in religions or spiritually-oriented practices that have emerged among non-immigrant Québécois in recent years, such as, for example, Spiritualism, neo-shamanism, including Druidry, Wicca, yoga and various forms of “Native spirituality” (e.g. Corneiller 2011; Normandin 2010) that are attracting many non-Natives, especially young people. (See Rosemary Roberts’ contribution to this issue.) The same tendency can be found in longer-established religious currents such as Catholicism and the various offshoots of Protestantism (baptism, Pentecostalism, etc.), as well as in the discourse of some people who practice Islam (Mossière infra). Besides the Charismatic Catholic healing rituals found in our study (e.g. Bouchard 2009, Ruiz, In press) and in earlier studies (Côté et Zylberberg 1990), there are the ceremonies whose goal is to provide comfort and support for victims of AIDs, as described in the research for our study of a Catholic parish located in Montreal’s “Gay Village,” whose ministry in general is seen as having a healing effect on parishioners (Koussens 2007, 2009 and Forthcoming). Though religious healing sometimes addresses physical diseases and pain, it also appears to offer psychological support and emotional relief.

Dericquebourg (1988) speaks of “healing religions” in his study of three relatively recent religions (Antoinism, Christian Science and Scientology); in fact, our research has found that healing is a prominent feature in many religious currents today. The near omnipresence of healing in contemporary spiritualities is hardly limited to Quebec, as is evident in the works of McGuire (1996, 2008), Csordas (1994, 2001, 2002), Aubrée (2003), Corten (1995) and others, including Cristina Rocha, Cristophe Monnot and Philippe Gonzalez and Laurent Denizeau, whose work can be found in this issue.

Moreover, several of the contributions to this issue attest to the power of spiritual healing rituals and of practitioners to attract participants and clients across national and religious boundaries, leading to transnational networks of healing practitioners and clients; for example, Vodou priests and priestesses often circulate between Montreal, Miami and Haiti, as do those seeking their help (Drotbohm 2009). Cristina Rocha’s article in this issue shows how Australians seek healing from a Brazilian practitioner, John of God, coming from a spiritual tradition (Spiritism) few of them know about, in a country few have ever visited, and who speaks a language that is not their own.

As the aforementioned examples suggest, religious healing takes many different forms; there are rituals of catharsis that liberate emotions and provide a social setting for emotional release (to be found, for example, in charismatic groups, both Catholic and Protestant), along with rituals oriented to healing individuals or healing the earth; for some, pilgrimage is a form of healing (Boutin 2008), while for others, yoga meditation in a group (McGuire 2008: 139) may have a similar effect.[2] In some cases, such as the “Soirée miracles” described by Denizeau in this issue, prayer (by the supplicant and the other participants) is an integral part of the techniques of healing. More generally, practices of bodily ascesis prescribed by religion may be interpreted as a means of healing for oneself or for others, as, for example, the fasting of Hindu wives for the good of their husbands and families (Betbeder 2009); as Géraldine Mossière’s article shows, the regulation of the body prescribed by Islam (modesty and dietary rules) are interpreted by converts as having psychic and physical benefits.

This brings us to the question of what healing really is. The sociologist Meredith McGuire (1996: 101) underscores the fact that healing goes well beyond a regulation of the body; rather, it concerns the transformation of the self. As Csordas (2002: 3) puts it, “The object of healing is not elimination of a thing (an illness, a problem, a symptom, a disorder) but transformation of a person, a self that is a bodily being.” In short, healing is a holistic endeavour that restores the body-mind-spirit unity ruptured by the processes of secularization (McGuire 2008). For the healers that McGuire interviewed, restoring this unity was the aim of their healing; Spiritualist healers in Meintel’s (2005) study often experience such oneness – with self, spirit guides, God – while bringing about healing. Those receiving their ministrations often shed the silent tears of emotional release and say they find solace for feelings of stress, anxiety or sadness.[3]

For veterans of the biomedical system of care, spiritual healing can be paradoxically empowering: by choosing to “surrender” to another source of power, as in the case of those receiving healing from the entities involved with John of God, or simply by taking the leap of faith needed so as to accept healing from a Spiritualist healer (Meintel 2005), recipients can feel a sense of agency often lacking in their dealings with the biomedical sphere; indeed, Dubisch (2005: 222) speaks of the (recipient’s) body as a “locus of resistance” to biomedical regimes. Moreover, the majority of those coming for healing in the Spiritualist congregation studied by Meintel are seeking relief from distress that might be given short shrift in biomedical contexts (anxiety, sadness, depression, etc.). Implicitly, these needs are validated and given a voice in the religious healing context. In the same vein, Beguet’s article shows that reframing the otherwise stigmatizing and marginal experiences of mental illness into the language of healing and spirituality invests them with positive value. Nonetheless, we do not wish to overemphasize the split between healing and the biomedical realm. For one thing, there is a growing critical literature within and regarding medicine, much of it concerned with the role of healing in medicine.[4] Moreover, in our fieldwork we have encountered workers and practitioners from all echelons of the health care system, ranging from M.D.s to home caregivers, in groups and congregations concerned with spiritual healing. These individuals sometimes tell us that their therapeutic approaches are frequently combined with techniques inspired by their spirituality; in fact, the Umbanda group studied by Hernandez (2010) in our research was founded by therapists interested in renewing themselves as clinicians. As Le Gall and Xenocostas’ article suggests, the religiosities of immigrants are likely to have an impact on the health care system of the secularized societies where they settle and may thus contribute further to reflections on religion, spirituality and health in the health care sector.[5]

In her earlier work on Joao de Deus, Rocha (2009) has shown that healing only produces a sensation of emotional, spiritual and physical integration in those who receive it; in her article in this issue, we see that healing generates an almost ecstatic sense of union with the land and with Spirit. This would seem to contradict Brown (1999) and others cited by Dubisch (2005: 225) who criticize “New Age” spiritualities and healing practices as being too centred on the individual. In fact, as Dubish suggests, these spiritualities put forth notions of the individual that are quite different from the usual meanings of the word found in Western discourse, whereby the person is conceived of as a bounded and autonomous unit: Dubisch speaks of the individual body as an “energy field” for the healers in her study and we have encountered spiritualities that see the individual as a vibrational entity, as a multi-levelled being (rather than as a solid, unitary mass), and as being connected by invisible webs to all creation and so on. As for the Wiccans Roberts describes in her contribution to this issue, rituals are aimed at creating renewed wholeness and union with the earth and with others; healing the self and healing the land are inseparable.

The process of healing entails special forms of knowing and experiencing the world and others; Csordas’ (1993) notion of somatic modes of attention is relevant in this regard. Csordas, like McGuire, makes reference to Bourdieu’s notion of “habitus” as regards the embodied component of social knowledge (Csordas 2002; McGuire 2008). Transmitting[6] and receiving healing, in a sense, involves absorbing a new habitus, one that must be learned via the body,[7] much as clairvoyant Spiritualist mediums learn and experience clairvoyance partly through a learned attentiveness to bodily sensations (Meintel In press). Given its social and cultural basis (Spickard 1995), healing is then centred on the body-mind as being inseparable from the political and social context from which its distress, suffering or disease emerges. At the same time, in the present era of globalization and rapid circulation of symbolic resources, healing approaches often involve a “new culture” (Dubisch 2008: 331), where one learns new views of the body, often along with notions of spirits and diverse dimensions of reality, etc. Rituals of healing also evoke connectedness to other bodies via our own; McGuire (2008: 112-113) refers to Schutz’s (1964) essay on “Making Music Together” to illustrate the attunement of bodies necessary to produce harmony, for example, when singing in a chorale. Indeed, dancing a waltz or a tango, rowing as a member of a crew, or even walking hand in hand with another person all call for bodily sensitivity and reactiveness to others.

The relationship between the experience of healing and religious faith seems quite variable; Denizeau finds in his study of Evangelical healing in Lyon, France, that faith is “the only condition” for healing, while Monnot and Gonzalez’s article highlights the importance of healing narratives in reinforcing faith. McGuire (2008: 144) mentions an American woman healer in her study for whom it was “not necessary that the person seeking help believe in the power of healing in order to experience its benefits.” Similarly, Meintel finds in the Spiritualist congregation she studied in Montreal that those seeking healing are often not church members, nor are they sure that they believe in spiritual healing. Some, however, eventually join the church because of their experience of receiving healing, and for the healers themselves, transmitting healing reinforces and enhances their faith in the Divine source of this gift. Those seeking healing in this congregation do so more often for relief from emotional distress (grief, anxiety, stress, sadness, depression, relationship difficulties, etc.) than for physical ailments. In the discourse of mediums, ministers and congregation members, healing and forgiveness (le pardon) are often interconnected. Forgiveness (of self and/or others) – a theme to which we will return at a later point — appears as a necessary condition for personal healing, and to be able to forgive is often seen as an indicator of improved well-being. In general, our research finds that experiences of receiving healing are often a point of entry for new members of religious groups.

Before we look at healing beyond the conventional frontiers of religion, it is worth exploring the question of why healing is so prevalent in religious ritual, practice and discourse today. Beyond all that we have discussed so far – the integration, connectedness and empowerment that spiritual healing may offer – we suggest that it condenses certain themes found in religion today, among them being embodiment, emotion (Riis and Woodhead 2010; Mossière 2007) and individual agency. The latter includes intention and attentiveness, along with considerable inventiveness; many healers borrow creatively from traditions other than their own (McGuire 2008, Meintel Forthcoming, Roberts 2009, 2010). As for the recipients of healing, their “therapeutic itineraries” often take them far afield from conventional medical care and from their religion of primary socialization. Such wanderings comprise the other face of the “subjectivation” of religious life (Hervieu-Léger 1999), the flip side of the individualization of spiritual life described by McGuire (2008) that results in the adoption of a personally chosen normative code of conduct and ritualized spiritual practices (Oestergaard 2009). Healers feel responsible for “becoming as clear a channel as I can be,” as one of Meintel’s interlocutors puts it; for the Spiritualist healers she has interviewed, this means avoiding negative influences such as drugs or excessive drinking and maintaining spiritual awareness through personal spiritual practices such as prayer and meditation. For their part, recipients must willingly accept healing and observe the rules of decorum required (silence, eyes closed and hands resting with the palms down). Some of them have already initiated extensive peregrinations among various therapeutic approaches and many frequent several types of healers simultaneously, whether biomedical, alternative/holistic or spiritual.

For scholars who study themes such as emotion, embodiment and experience in contemporary religion (Mossiere 2007 regarding Pentecostal rituals), the positioning of the researcher may well become an issue, in particular when she is invited to participate in healing practices, as was Meintel (Forthcoming). Can the researcher share the subjective, embodied experience of those studied and can this sharing experience advance our understanding of healing and other contemporary religious phenomena? Goulet addresses this question in the lead article of this issue, as does Meintel in various works on healing and mediumship (e.g. Meintel 2008 in press). We note that in recent years, a number of scholars have argued in favour of the value of reflexive researcher participation in healing (e.g. Dubisch 2008) and other activities, such as martial arts (Samudra 2008) or sports (Turner 2000), both of which require embodied learning.

Another important theme in contemporary religious currents is that of the gift, which is particularly evident in Evangelical churches, Charismatic Catholic congregations and Spiritualist groups where prophecy, clairvoyance and healing are all seen as gifts that proceed from a divine source and are to be used for the benefit of others. Similar beliefs surround neoshamanic healing, according to what we have discovered in our research (Normandin 2010; Corneiller 2010 ). Why the notion of gift should be so pre-eminent in so many spiritual currents today is beyond the scope of this article; suffice it to say that this theme is a recurrent one in social relationships in contemporary society, as many recent analyses attest (Godelier 1996, Caillé 2000, Godbout 2000). As Gauthier’s description of “Burning Man” in this issue shows, healing – and the “gift” exchanges it involves – extends beyond the usual frontiers of religion and spirituality. Along the same lines, let us mention the extension of healing into the political sphere; one thinks for example, of the Truth and Reconciliation Commission of South Africa (Wilson 2001), healing and reconciliation efforts in Rwanda (Staub et al. 2005), and various efforts by and concerning Native peoples. Some pastors of ethnic congregations in our study give sermons on the importance of peace and reconciliation in the home countries of members; for instance in the Pentecostal church studied by Mossiere (2008) whose members are from Rwanda and the RDC (Congo), among others. Such efforts to bring healing to the wounds of whole societies typically involve a great deal of emphasis on recognition, another type of “gift” exchange (Meintel 2008).

Somewhat paradoxically, today’s many forms of healing mirror to a certain degree the market economy from which they emerge. On one hand, healing involves a social exchange that stands in contrast to market exchange, and not only because it often involves God or spirit guides as agents, but rather for the fact that healing includes an element (more or less pronounced) of gratuitousness and self-giving. On the other hand, healing gives expression to individual agency and choice (two important features of the market economy) and is made accessible by mass media, often on a transnational scale, where adaptation to and borrowing from other available resources, often from widely disparate sources, is the norm. (See Gauthier et al, In Press).

This brings us to yet another issue, namely, that the frontiers of spiritual healing are very hard to define. “Spiritual but not religious,” as per the title of Fuller’s (2001) book on the subject, describes many healers[8] working today, notably the “energy healers” that Dubisch (2005) has studied, including Reiki and Shin Jin Jyutsu practitioners, as well as some of the “holistic” healers described by Meredith McGuire (2008). We find a similar emphasis on wholeness, body-mind-spirit unity, and emotions, as well as a degree of ritualization in healing practices that are not usually thought of as religious by those practicing them, although some practitioners may see them as “spiritual.” For example, many yoga classes begin and end with prayers, meditation or chanting. The many varieties of yoga practiced in the West are generally seen and presented as holistic, embodied practice with healing benefits. On the borders of the religious in our ongoing study, we find many “personal development groups”[9] that seek to enhance well-being and interpersonal relationships. Often these groups have a strong element of non-denominational spirituality and seek to enhance the “consciousness” or “awareness” of their clients. In many cases, they encourage embodied practices such as breath work, meditation and so on, and extend them into everyday, “profane” practice.

A number of scholars have suggested that we are perhaps witnessing a re-enchantment of the world, where religion plays a major part. (See, for example, Csordas 2007a and b.) Such a re-enchantment, as Maffesoli (2007) sees it, goes far beyond what is usually recognized as religion or spirituality. (It should be noted that Maffesoli gives important consideration to the gift in the ethics of sharing that he sees emerging from contemporary socialities.) Healing may be an important element in this re-enchantment. Indeed, it may be that not only the body and its care are being re-enchanted, but also religion itself. The term “miracles” so often heard in Evangelical discourse (as in Monnot and Gonzalez’s and Denizeau’s contributions to this issue) indicates something of the re-enchantment that contemporary healing practices and beliefs bring to religion, as well as to issues of health, well-being and the body.