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Les chercheurs ont délaissé plusieurs champs de l’histoire socioéconomique ces dernières décennies. L’assurance-vie comme objet de recherche en a certainement souffert puisque très peu d’études ont porté sur ce sujet. Or plusieurs milliers de Québécois ont parcouru les routes pour vendre ce produit. Pilier de l’économie financière, l’industrie de l’assurance-vie a aussi constitué un véritable réservoir de capitaux.

L’histoire de l’assurance a été étudiée à quelques reprises, mais souvent de façon bien indirecte. Dans les années 1960, des chercheurs québécois de différentes disciplines (sciences économiques, sociologie, histoire) se sont intéressés au secteur financier afin de déterminer qui détenait la propriété des entreprises de cette industrie. Cette démarche s’inscrivait dans les différents débats entourant le contrôle économique au Québec et l’« infériorité économique des Canadiens-français ». Depuis la fin des années 1980, la communauté scientifique s’est à nouveau intéressée aux questions assurantielles encore une fois de façon indirecte, en étudiant la genèse de l’État-providence. Ainsi, le principal mérite de l’ouvrage de Claude Cardinal est certainement de combler un vide historiographique. Au-delà des rares ouvrages commémoratifs sur les compagnies d’assurance-vie et des quelques travaux académiques consacrés à cette question, il n’existe aucune étude globale d’envergure sur le sujet.

Avocat de formation, Cardinal a oeuvré de nombreuses années dans le secteur de l’assurance-vie. De cette implication directe dans le milieu découlent d’ailleurs les forces et les faiblesses de l’ouvrage. Cardinal possède une connaissance très détaillée des rouages juridiques et administratifs du fonctionnement de ces compagnies, particulièrement pour les décennies où il était actif dans le secteur. Cette connaissance approfondie se traduit en une multitude de détails qui aura certainement une utilité pour les personnes intéressées par les réorganisations administratives (et / ou fusions) des assureurs-vie. Une analyse globale, moins descriptive aurait certainement permis de rendre la lecture des derniers chapitres moins ardue. Cette aridité du propos aurait pu être compensée notamment par une utilisation adéquate de tableaux et graphiques. L’assurance-vie étant un domaine où les chiffres sont fondamentaux et abondants, on ne peut qu’être surpris de l’absence de traitement statistique approprié pour présenter les nombreuses données chiffrées.

L’implication très personnelle de l’auteur provoque également un important déséquilibre dans la structure de l’ouvrage. En effet, il passe très rapidement sur les cent premières années, laissant de côté des pans majeurs de l’histoire de l’assurance-vie. Environ les deux tiers de l’ouvrage sont consacrés à la période 1950-1995. En fait, le tiers de l’ouvrage couvre les années 1975-1995.

Si l’auteur connaît très bien son objet, il tient relativement peu compte de la littérature scientifique produite sur le sujet. Il cite bien entendu quelques ouvrages commémoratifs tout en utilisant quelques sources riches en informations telles que les Rapports du surintendant des assurances. Cependant, si l’historiographie est peu abondante, elle existe tout de même et son utilisation aurait certainement permis d’élargir les perspectives. De nombreux articles de périodiques scientifiques, mémoires de maîtrise et thèses de doctorat auraient ajouté des dimensions sociologiques et historiques. Si l’ouvrage permet d’en apprendre beaucoup sur un sujet ayant peu retenu l’attention des chercheurs, son côté « juridique et administratif » risque cependant d’intéresser davantage les gestionnaires des compagnies d’assurance que les historiens et sociologues. En espérant que cet instrument serve de point de départ aux chercheurs afin d’analyser des dimensions plus spécifiques de l’industrie de l’assurance.