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Cet ouvrage rassemble les principales communications présentées à un colloque organisé par le Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) et par la Société du patrimoine politique du Québec (SOPOQ), tenu à Trois-Rivières et à Québec en septembre 2009. En même temps qu’il invite à une « connaissance enfin dépassionnée du Chef et de son oeuvre » (Xavier Gélinas, p. 35), il se présente comme une réappropriation de la période par l’histoire et les historiens, susceptible de favoriser le développement des études empiriques.

À n’en pas douter, le recueil propose plusieurs contributions éclairantes. Notons en particulier les textes de Pierre-Louis Lapointe sur l’Office de l’électrification rurale et de Stéphane Savard sur Hydro-Québec qui montrent comment, déjà sous le duplessisme, l’hydro-électricité était pensée comme un instrument de développement régional. De la même manière, les textes de Claude Racine et François Rocher, « Duplessis vu d’Ottawa », et de Michel Sarra-Bournet, « Maurice Duplessis et l’axe Toronto-Québec » explorent d’une manière très pertinente le domaine peu étudié des relations entre le chef de l’Union nationale et le Canada anglais.

L’ouvrage regroupe en même temps plusieurs textes intéressants sur les médias. Marc-André Robert montre comment, sous l’égide du Service de ciné-photographie du gouvernement provincial et principalement dans les films de l’abbé Proulx, le cinéma « prend la forme d’un plaidoyer en faveur du progrès, tant matériel, technique que scientifique » (p. 213). Yves Lever fait ressortir quant à lui « qu’on doit à Maurice Duplessis la période la plus noire de la censure du cinéma » (p. 230). Pierre Pagé explore l’univers de la radio et de « la pluralité des idées dans la société politique » (p. 244) qu’il a rendue possible durant la période. À propos de la presse écrite, on retrouve aussi des textes sur Pierre Laporte (Jean-Claude Panneton), Robert Lapalme (Alexandre Turgeon) et la Tribune de presse (Jocelyn Saint-Pierre).

D’autres contributions abordent le rapport tordu du duplessisme à l’immigration (Martin Pâquet), l’histoire rocambolesque du monument Duplessis (Gaston Deschênes) ou présentent le duplessisme comme un « populisme inachevé » (Frédéric Boily). Soulignons enfin le curieux texte de Charles-Philippe Courtois qui, semblant confondre le métier d’historien et celui de polémiste, s’applique à dénoncer la « représentation trompeuse » (p. 52) de Maurice Duplessis et « la vision tronquée du Québec » (p. 53) proposées par Cité libre et Parti pris qui seraient, paraît-il, ses héritiers !

Le recueil contient par ailleurs plusieurs contributions stimulantes sur l’historiographie, la sociographie et la mémoire du duplessisme (Xavier Gélinas, Yvan Carel, Éric Bédard, Suzanne Clavette, Sébastien Parent, Mathieu Bock-Côté). Puisqu’il est impossible d’en discuter sérieusement en si peu d’espace, je m’en tiendrai à cette sorte de ligne éditoriale que semblent partager certains auteurs du recueil qui s’inspirent de cette vieille querelle déjà centenaire entre l’histoire et la sociologie, sinon l’ensemble des autres sciences sociales. Ainsi, selon Xavier Gélinas : « On raffine certainement l’analyse politologique et sociologique en appelant en renfort Louis Althusser, Hans Gadamer et Jügen Habermas… mais on s’éloigne beaucoup de Trois-Rivières ou du Québec et on déroute le simple lecteur ou citoyen, même curieux et cultivé, alors qu’il conviendrait d’abord de développer plutôt des arguments et contre-arguments sous la forme de référence à des fonds d’archives, aux comptes publics, aux témoignages des participants, à la presse de l’époque, etc. » (p. 28). Cette mise à distance un brin démagogique de Paris-Berlin et de Trois-Rivières oppose à l’évidence travail théorique et recherche empirique. Cette opposition mécanique entre la sociologie et l’histoire, la théorie et l’empirie risque fort de faire de l’histoire une sorte de contre-savoir essentiellement empiriste et fier de sa neutralité autoproclamée.