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Mais le divorce entre religion et culture entraîne par définition la disparition de l’entre-deux, de la gradation. Cet espace de transition entre l’incroyance et la communauté de foi consistait par définition l’espace de la culture religieuse. […] en resserrant les critères d’appartenance, les religions contribuent aussi à cette dichotomie croissante, et à cette disparition d’une culture religieuse profane.

Olivier Roy, 2008, p. 161-162

Les temps présents réaliseraient, entendons-nous parfois, une fin de l’histoire recouvrant le catholicisme québécois du « linceul de pourpre où dorment les dieux morts », comme le disait Renan (cité par Bellet, 2001, p. 10). Sécularisation et disparition du catholicisme ont toujours été de grands classiques de la sociologie des religions. Plusieurs ouvrages en témoignent, aux titres aussi suggestifs les uns que les autres : La décomposition du catholicisme (Bouyer, 1968) ; Le christianisme éclaté ; Le christianisme d’ici a-t-il un avenir ? (Petit et Breton, 1988) ; Trop Tard ? (Provencher, 2002) ; Chrétiens, Tournez la page (Rémondet al., 2002). Généralement, en matière de religion, le Québec a souvent été considéré comme un cas singulier en Amérique du Nord, tenant autant de la société distincte que de l’exception sociologique. Cette singularité a pris sa source, a-t-on souvent rappelé, dans le caractère culturel et national porté par le catholicisme depuis la Nouvelle-France jusqu’à la Révolution tranquille. La véhémence de la critique du cléricalisme durant les années 1960 et 1970, et la désaffection rapide de la pratique religieuse et des vocations qui s’ensuivirent ont suggéré aux sociologues des religions que le Québec pouvait être considéré d’une certaine façon comme faisant partie de l’exception européenne – là où la sécularisation comme privatisation du religieux, perte de crédibilité des institutions religieuses et chute de la pratique religieuse instituée, avait été le plus perceptible et persistante. Des sociologues d’ici, mais aussi d’ailleurs ont proposé qu’hormis quelques traits spécifiques, le Québec était frappé d’une sécularisation somme toute similaire à celle des vieux pays et que, de ce fait, il appartenait davantage à un régime de religiosité typique des sociétés dites sorties de la religion (Berger, 2001 ; Hervieu-Léger, 2003b et 2006)[2]. De ce point de vue, le Québec apparaissait ainsi détaché du complexe continental américain, de sa religiosité florissante comme de sa religion civile, et en rupture avec l’ensemble canadien considéré tantôt comme un simple prolongement des États-Unis, tantôt comme un chef-lieu du protestantisme institutionnel. Unique en terre d’Amérique, ce Québec rejoignait ainsi le grand récit séculariste en empruntant au passage le schéma tradition / modernité inspiré de la grande rupture révolutionnaire française. Ce raccordement symbolique avec l’exception européenne – par-dessus les terres et l’histoire elle-même – rassérénait, il va de soi, le récit du Québec comme société et nation distinctes. Terre française d’abord, il connaîtrait aujourd’hui le type de religiosité de la mère-patrie, et son catholicisme n’aurait été qu’une façon de protéger sa distinction devant les empires anglais et américain. Bref, par son rapport au religieux (même négatif), le Québec appartiendrait à la réalité séculariste européenne, faisant de lui le plus éloigné et le plus récalcitrant des « villages gaulois ». Sans contester pour autant la profondeur des liens qui unissent le Québec et la France, certains faits ne viennent-ils pas contredire toutefois cette interprétation et atténuer du coup la thèse de l’exception européenne appliquée au Québec ? La réponse à cette question exige de nombreuses nuances, entendu d’une part que la réalité de l’Europe est polymorphe et que, d’autre part, certaines tendances sociographiques peuvent tantôt rapprocher le cadre séculariste de l’Europe et le Québec, tantôt l’en éloigner.

À l’opposé de cette voie interprétative, l’une des critiques les plus fortes de ces thèses de la sécularisation provient des théories de la logique marchande d’inspiration américaine. Plutôt que de voir un déclin univoque de la religion en modernité, le sociologue Rodney Stark ainsi que ses nombreux collègues, incluant Roger Finke et William Bainbridge, ont proposé que dans un marché moderne et pluriel où il existe peu de contraintes, les Églises qui connaissent le plus de succès sont celles pouvant répondre le plus efficacement aux besoins de leurs « consommateurs ». Se comportant comme dans n’importe quel autre marché, les individus chercheraient alors, selon eux, des Églises qui leur fourniraient les meilleurs bénéfices pour le moindre coût. Une fois le monopole des Églises traditionnelles brisé par une diversification du marché, chaque institution religieuse, tout dépendant de son caractère libéral ou conservateur, aurait ainsi accès à un certain créneau du marché. Selon cette perspective, les Églises conservatrices offriraient des produits spirituels plus rares, plus éloignés du reste de la société, et pourraient donc exiger des coûts plus élevés de leurs fidèles (Stark et Finke, 1992 et 2000)[3].

Le sociologue canadien Réginald Bibby a fait sienne cette théorisation du marché religieux et l’a traduite, d’une certaine manière, pour les contextes canadien et québécois (Bibby, 1990, 2002, 2007-2008, 2011)[4]. Selon lui, le marché religieux du Canada, et surtout du Québec, aurait toujours été plus restreint qu’aux États-Unis. Dans l’histoire du Canada, certaines Églises (notamment anglicane, presbytérienne et catholique) auraient obtenu des privilèges d’État, privilèges ayant par incidence limité l’expansion des autres groupes religieux. Même à l’époque contemporaine, les Québécois sembleraient peu enclins à appartenir à une autre Église que celle qu’ils ont connue dans leur enfance. Plutôt que de choisir une Église parmi plusieurs, une grande partie des « consommateurs québécois » ont alors choisi de pratiquer ce que Bibby a nommé une religion à la carte au sein de leur Église traditionnelle – les individus choisissent les aspects du catholicisme qui leur conviennent (tels l’appartenance religieuse, les croyances et certains rites de passage) selon une rationalité qui s’apparenterait à celle de l’économie de marché (coûts / bénéfices). Toujours selon Bibby, les « consommateurs québécois » – qui sont constamment dotés de besoins spirituels qu’ils cherchent à remplir – pourraient être prêts à payer un certain coût, notamment celui de fréquenter leur église hebdomadairement, si le service offert était de meilleure qualité. L’obstacle contemporain à un retour à la religion ne proviendrait donc pas d’une sécularisation de la société et des individus en général, mais plutôt d’un problème d’offre provenant de l’intérieur même des Églises[5].

Alors que les théories classiques de la sécularisation tendent à atténuer les différences régionales et confessionnelles qui peuvent caractériser les déclins religieux, l’approche de logique marchande laisse, quant à elle, très peu de place pour la religion pensée dans son articulation avec une communauté plus large, au niveau ethnique ou national. Centré sur l’individu, Bibby n’a guère estimé le Québec en tant que société globale. Si l’approche du choix rationnel individuel s’avérait opératoire au Québec, on aurait pu s’attendre à des tendances religieuses plus éclatées, calquées sur la pluralité des styles de vie et des « besoins » spirituels des Québécois.

Or, de la Révolution tranquille aux années 2000, plusieurs indicateurs de religiosité semblent relever d’une logique sociale, qui, dans leur pratique comme dans leur désistement, a révélé une certaine permanence de la référence catholique, et ce, pour la majorité des Québécois, surtout francophones. C’est en masse que les Québécois ont cessé la fréquentation de la messe dominicale lors des années 1960-1970, c’est encore en masse qu’ils continuent à se déclarer aujourd’hui « catholiques » et qu’ils participent toujours en majorité à divers rituels de passage encadrés par le catholicisme – notamment le baptême et les funérailles (Lemieux, 1990 ; Meunier, Laniel et Demers, 2010). Tout se passe comme si la religion, malgré une certaine sécularisation et une subjectivation du croire, conservait une signification identitaire presque nationale. La logique individuelle mise de l’avant par Rodney Stark ou par Réginald Bibby semble difficilement rendre compte de la dimension sociale de la religion chez les Québécois.

Ni les théories de la sécularisation d’inspiration européenne (notamment française) ni celles de la logique marchande d’inspiration américaine ne semblent donc rendre compte de manière satisfaisante des particularités du Québec en matière de religion, notamment de l’importance de son rapport historique et culturel au catholicisme. L’analyse se complique, de surcroît, du moment où l’on tente de replacer le Québec dans l’ensemble canadien. Comme le notait Peter Beyer, la disparité canadienne en matière de religion ne cesse d’étonner (Beyer, 2008). On constate en effet de grandes variations de la religiosité d’Est en Ouest, et celles-ci semblent parfois plus importantes que la division séculaire entre le Québec et le reste du Canada (ROC) (Bowen, 2004 ; Veevers, 1990). Le Québec se meut ici dans un ensemble balloté entre diverses tendances semblant tantôt accélérer la pleine sécularisation de sa société, tantôt réaffirmer la primauté de son lien identitaire au catholicisme romain, tantôt réanimer certains intégrismes religieux. Étranges tiraillements qui semblent participer à l’ébranlement d’un fragile consensus édifié timidement depuis les années 1960 autour d’un catholicisme culturel, et qui suggèrent l’avènement d’un nouveau régime de religiosité où s’affirment lutte, sinon conflit entre une certaine idée de la laïcité et de la liberté religieuse.

Ni Europe, ni États-Unis, le Québec ne présente-t-il pas une configuration sociohistorique rendant compte d’une situation religieuse différente (Hervieu-Léger, 2003b) ? Cette hypothèse, déjà envisagée dans les années 1970 par le sociologue David Martin, nuance grandement le caractère univoque de la thèse de la sécularisation (Martin, 1978 et 2005). L’important n’étant plus d’illustrer l’ampleur de son déploiement, mais les particularités de son action selon des contextes bien singuliers, et ce, à travers des trames sociohistoriques parfois fort différentes les unes des autres. L’enjeu est déplacé : il ne s’agit plus de déterminer le moment, la date et l’heure de l’agonie du catholicisme québécois, ou les voies cachées de sa renaissance (Bibby, 2007-2008), mais de mieux comprendre la transformation du régime de religiosité propre au catholicisme québécois. On entend ici par régime de religiosité la configuration dominante du religieux et de l’exercice des religions instituées au sein d’un type de société donné et dans lequel pratiques et croyances se manifestent dans une distance plus ou moins accentuée avec l’État, avec les autres institutions de la société civile et avec les finalités de la société. Tout type de société reposant sur un régime de religiosité et vice et versa (Hervieu-Léger, 1999 et 2001)[6].

Comment définir ce nouveau régime de religiosité et saisir la dynamique socioreligieuse propre au Québec contemporain ? Comment comprendre son rapport ambivalent au catholicisme et la transformation récente de celui-ci ? En quoi le cas du Québec est-il spécifique ? Le présent article privilégiera l’analyse de la religiosité du cas canadien (étudié ici selon ses variations régionales)[7] et sa comparaison avec le cas québécois pour mieux comprendre l’évolution récente du régime de religiosité des Québécois et, ainsi, mieux identifier la spécificité québécoise. Après un bref rappel des principaux indicateurs de religiosité touchant prioritairement la religion catholique au Québec de 1960 à nos jours (période caractérisée par un catholicisme culturel), nous tenterons de dégager les tendances les plus contemporaines (depuis 2000) révélant une transformation de l’existence et de l’affirmation d’un catholicisme culturel, notamment chez les jeunes. Dans un deuxième temps, nous analyserons les changements récents qu’ont connus les Églises protestantes mainlines au Canada depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, pour ensuite, dans un troisième temps, comparer les catholicismes de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest. Ces comparaisons nous amèneront ensuite à élaborer une typologie des régimes de religiosité et une périodisation qui lui est associée. Finalement, nous dégagerons les tendances plus générales quant à l’avenir du catholicisme au Canada, pour revenir enfin sur celles pouvant définir l’évolution spécifique de la religion au Québec.

L’originalité de cet article réside non seulement dans son traitement comparatif Québec / Canada – qui demeure une avenue peu explorée par la littérature, mais dans l’analyse de données peu ou pas exploitées jusqu’à maintenant et qui ne reposent pas exclusivement sur des sondages (ou recensements), mais sur des compilations de pratiques institutionnelles. Le corpus de données sur lequel reposent nos résultats est très vaste. Nous ne fournirons ici que les principaux résultats préliminaires d’une enquête portant notamment sur le baptême de 1968 à 2007, le mariage catholique de 1968 à 2007, ainsi que sur divers rites de passage (1re communion, confirmation, etc.) au Québec et au Canada, dans les 64 diocèses catholiques[8]. Les données ont été recueillies à partir des rapports annuels diocésains disponibles et des compilations intra-diocésaines, avec l’aide de chacun des diocèses et archidiocèses du Canada et du Service des archives de la Conférence des évêques catholiques du Canada[9]. Pour la comparaison avec d’autres Églises canadiennes, nous avons utilisé des données provenant des rapports statistiques annuels du General Council de l’Église Unie ; et des rapports diocésains issus du General Synod de l’Église anglicane du Canada[10]. Nous y avons finalement ajouté des données complémentaires portant sur l’appartenance religieuse, ainsi que sur la pratique religieuse (notamment l’indicateur de participation hebdomadaire à la messe dominicale). Ces données proviennent de diverses sources : les Recensements canadiens de 1971 à 2001 et les Enquêtes sociales générales (ESG) de 1986, 1992, 1998, 2006 et 2007[11].

Le catholicisme québécois comme religion culturelle : rappel des principaux indicateurs de religiosité (1968-2007)[12]

Le temps de la religion culturelle : 1960 à 2001

Examinons d’abord quelques indicateurs de vitalité religieuse[13] qui nous permettront de mieux saisir la teneur culturelle du catholicisme québécois depuis la Révolution tranquille[14].

En ce qui a trait à la pratique religieuse hebdomadaire, en 1965, 80 % des catholiques québécois disaient se rendre à la messe dominicale (Hamelin et Gagnon, 1984). En 1998, ils ne sont plus que 18,7 % à s’y rendre à chaque semaine, montrant une baisse de 76,6 % en l’espace d’un peu plus de trente ans (Statistique Canada, 1998). De plus, un découpage générationnel de ces taux de pratique tend à illustrer que cette diminution touche toutes les générations tout en s’accentuant chez les plus jeunes catholiques.

Ces données pourraient laisser croire que cette baisse de la pratique allait se refléter directement sur les taux d’appartenance déclarée au catholicisme. Pourtant, contrairement à la pratique religieuse hebdomadaire, l’appartenance déclarée au catholicisme varie fort peu entre 1971 et 2001, alors qu’en 2001, 83,5 % des Québécois disaient toujours appartenir au catholicisme (Statistique Canada, 2007a). Si la pratique religieuse hebdomadaire chute de plus de 75 % en trente ans, on constate une baisse d’à peine 0,5 % de l’appartenance déclarée au catholicisme pour la même période. Chez les Québécois parlant français à la maison, les taux d’appartenance atteignent même 91,9 % en 2001. Fait remarquable, jusqu’en 2001, pour l’ensemble de la population de langue maternelle française parlant le français à la maison et de 3e génération et plus, les taux d’appartenance au catholicisme oscillent entre 89 % et 97 % – quels que soient le lieu d’habitation, le revenu ou le niveau d’éducation. Comme en témoigne le tableau 2, jusqu’en 2001, le découpage générationnel fait très peu varier ces statistiques déjà élevées. Les indicateurs de pratique religieuse et d’appartenance religieuse semblent donc dissociés, comme si l’un et l’autre ne renvoyaient pas à la même dimension du rapport au catholicisme.

Tableau 1

Participation à un service religieux, selon le groupe d’âge, au Québec, 1986 et 1998 (%)

Participation à un service religieux, selon le groupe d’âge, au Québec, 1986 et 1998 (%)
Sources : Enquête sociale générale, cycle 2, 1986 [Canada] : emplois du temps, fichier des épisodes ; enquête sociale générale, cycle 12, 1998 [Canada] : emplois du temps, fichier des épisodes, Statistique Canada.

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La pratique du mariage catholique a connu, quant à elle, un déclin constant entre 1968 et 2001, baisse semblable à celle de la pratique religieuse hebdomadaire. En 33 ans, la proportion des mariages catholiques par rapport à l’ensemble des mariages (religieux ou civils) a baissé de plus de 51 % (voir graphique 1). Parallèlement, le taux d’individus vivant en union libre par rapport à la population totale a augmenté : si 1,3 % des femmes vivaient en union libre pour l’ensemble de la population avant 1970, ce taux s’élevait à 30,6 % entre les années 1990 et 1995 (Lapierre-Adamcyk, Le Bourdais et Marcil-Gratton, 1999). Les données du dernier Recensement indiquent que 35 % des couples vivaient en union libre en 2006 – faisant des Québécois les champions mondiaux toute catégorie – passant devant les Suédois qui détenaient jusqu’alors le titre (Rodrigue, 2007).

Le nombre de 1res communions et de confirmations reste somme toute assez stable de 1988 à 2001, passant respectivement de 60 218 à 52 617 et de 65 000 à 49 630 (Groupe de recherche Vers une sortie de la religion culturelle des Québécois ?, 2008-2011)[15]. La baisse surviendra plus tardivement et coïncidera en partie avec la réforme des commissions scolaires confessionnelles, transformées en commissions scolaires linguistiques, et avec la modification conséquente de l’initiation sacramentelle qui s’effectuera désormais hors des cadres scolaires – nous reviendrons plus tard sur l’ampleur de cette baisse.

Les statistiques concernant le baptême ont de quoi étonner. C’est que contrairement aux données sur le mariage, elles présentent une grande stabilité. La baisse du nombre de baptêmes par rapport au nombre total de naissances[16] est largement moins prononcée que celle du mariage religieux. En 2001, le rapport baptêmes / naissances totales était de 74,8 %, en baisse de seulement 14,1 % depuis 1971 (voir graphique 1)[17]. Pour l’année 2001, on a pu estimer à 88,7 % le taux de baptêmes de nouveau-nés issus de mères se déclarant catholiques (Meunier, Laniel et Demers, 2010).

Tableau 2

Pourcentage des Québécois parlant français à la maison qui se déclarent catholiques, 1971 à 2001

Pourcentage des Québécois parlant français à la maison qui se déclarent catholiques, 1971 à 2001
Sources : Recensements de la population, 1971, 1981, 1991 et 2001, [Canada] fichier de microdonnées à grande diffusion (FMGD), fichier des particuliers, Statistique Canada.

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Les statistiques concernant le baptême ont de quoi étonner. C’est que contrairement aux données sur le mariage, elles présentent une grande stabilité. La baisse du nombre de baptêmes par rapport au nombre total de naissances[18] est largement moins prononcée que celle du mariage religieux. En 2001, le rapport baptêmes / naissances totales était de 74,8 %, en baisse de seulement 14,1 % depuis 1971 (voir graphique 1)[19]. Pour l’année 2001, on a pu estimer à 88,7 % le taux de baptêmes de nouveau-nés issus de mères se déclarant catholiques (Meunier, Laniel et Demers, 2010).

Comment interpréter l’ensemble de ces chiffres et surtout la variation étonnante entre certains indicateurs ? Conformément à ce que pouvait laisser présager l’idée de sécularisation issue de la Révolution tranquille, la pratique religieuse hebdomadaire et les rites du mariage catholique ont chuté rapidement à partir des années 1970. Cependant, les rites du baptême et l’appartenance déclarée au catholicisme sont demeurés relativement stables et fort élevés. Nous avons proposé ailleurs (Meunier et Laniel, 2011 ; Meunier, Laniel et Demers, 2010) que deux tendances différentes sont à l’oeuvre. Ces quatre indicateurs semblent en fait illustrer l’existence d’un rapport paradoxal des Québécois face à l’Église catholique, et ce, depuis la Révolution tranquille – relation que nous avons qualifiée « d’amour-haine ». Ce rapport paradoxal témoignerait d’une logique religieuse d’ensemble qui n’est pas exempte de tensions, et qui doit être comprise comme un tout cohérent, comme un des éléments dominants du régime de religiosité du Québec à une époque donnée[20]. Rapport critique, d’abord, qui se manifesterait par le désistement institutionnel des Québécois à l’endroit de l’Église catholique : observable notamment par les faibles taux de pratique hebdomadaire et la baisse du prorata de mariages catholiques. Pratique religieuse et mariage évoqueraient la contrainte institutionnelle, que celle-ci s’exerce par les devoirs, par la reconnaissance de l’autorité, par les prescriptions et les proscriptions en matière de moeurs sexuelles, de rapports de genre et de liberté individuelle.

Or, ce rapport critique à la religion catholique semble s’accompagner d’un rapport parfois positif au catholicisme. Comme l’a montré Raymond Lemieux, l’Église catholique post-Révolution tranquille a représenté l’un des rares lieux d’appartenance où ont cohabité momentanément plusieurs générations, et où chaque individu a semblé en mesure de ressaisir son histoire de vie, dans un horizon donnant sens à une naissance, à une union ou à une mort (Lemieux, 1990). Ce catholicisme culturel constituerait l’une des dernières fonctions sociales perceptibles de l’Église catholique au Québec. « En tant que ressource identitaire, […] référence éthique ou encore au titre de réservoir de rites » (Voyé, 2006), cette religion culturelle permettrait implicitement à l’Église de participer à la référence nationale comme tradition nationale et, aussi, comme lieu d’inscription dans le temps long de la mémoire collective (Laniel, 2010).

Ce catholicisme culturel est en quelque sorte un produit du concordat implicite entre l’Église catholique et la nation québécoise au sortir de la Révolution tranquille (Meunier et Laniel, 2011). L’éducation devient le lieu privilégié de cette entente, où la laïcisation du système scolaire (dont la création du ministère de l’Éducation en 1964) est obtenue en retour d’une inscription des religions catholiques et protestantes au sein du cursus scolaire (cours d’enseignement religieux) et d’une organisation scolaire confessionnelle (commissions scolaires confessionnelles) (Hamelin, 1984 ; Milot, 2009b). Cette réinscription implicite du catholicisme au coeur du système scolaire contribuera de manière importante à la transmission de la culture religieuse catholique et fera notamment de l’école le lieu de l’initiation sacramentelle. Ce type de concordat implicite durera un certain temps, plus de 40 ans en fait[21], contribuant à réinscrire génération après génération la trace du catholicisme au sein de la morale commune, à légitimer civilement cette religion et à reproduire des pratiques consacrant pour la majorité le catholicisme comme la religion culturelle des Québécois, et ce, même après la rupture de la Révolution tranquille.

Déclin de la religion culturelle au 21e siècle ?

L’analyse des principaux indicateurs de vitalité religieuse nous montre qu’il faudra attendre le début du 21e siècle pour constater un fléchissement significatif de ce qui constituait hier les traits de la religion culturelle au Québec.

Graphique 1

Proportion de naissances baptisées, proportion de mariages religieux, appartenance au catholicisme et pratique religieuse hebdomadaire, au Québec, 1968-2007 (%)

Proportion de naissances baptisées, proportion de mariages religieux, appartenance au catholicisme et pratique religieuse hebdomadaire, au Québec, 1968-2007 (%)
Sources : Données de l’appartenance religieuse proviennent des recensements de population, 1971, 1981, 1991 et 2201 ainsi que de l’Enquête sociale générale, 2006 ; données de la pratique de la messe proviennent des Enquêtes sociales générales, 1986, 1992, 1998 et 2006 ainsi que de (Ferretti, 1999, p. 164) ; données démographiques de naissances et de mariages proviennent de Statistique Canada, tableau 053-0001 (CANSIM) ; données des baptêmes et des mariages catholiques proviennent du CECC ainsi que des diocèses catholiques.

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La pratique religieuse hebdomadaire atteint des minima records en 2006 avec des taux de 5,8 % et 4,3 %, pour les membres de la génération X (nés entre 1966 et 1975) et de la génération Y (nés entre 1976 et 1990) respectivement. Mais surtout, l’appartenance au catholicisme en 2006 chute rapidement à 74,4 % chez les membres de la génération X, et à 68,6 %[22] chez ceux de la génération Y, comparativement à 84,7 % chez les babyboomers et à 89,9 % chez les pré-babyboomers. Un écart de plus de 20 % sépare les pré-babyboomers des jeunes de la génération Y (Statistique Canada, 2006). À titre comparatif, en 2001, à peine cinq ans plus tôt, l’écart n’était que de 7 % entre les 65 ans et plus et les 15-24 ans (Statistique Canada, 2007a). L’appartenance au catholicisme, pourtant stable pendant près de 40 ans, baisse donc considérablement et rapidement avec la venue des post-babyboomers, particulièrement avec la génération Y[23]. Si, comme nous pouvons le voir pour la période 2001-2006, le prorata du nombre de mariages catholiques sur le nombre de mariages totaux poursuit sa chute à la même vitesse depuis les années 1970, la proportion baptêmes / naissances totales baisse radicalement, quant à elle (voir graphique 1). De 74,8 % qu’elle était en 2001, elle tombe à 57,8 % en 2007, chutant de 22,7 % en l’espace d’à peine six ans. Cette baisse ne semble pas seulement due à l’augmentation des naissances d’enfants non catholiques, issus de l’immigration notamment. Quelques indications parmi d’autres : la proportion des baptêmes en rapport au nombre total de naissances d’enfants issus de mères francophones passe de 96,6 % à 74,7 % de 2001 à 2008, soit une diminution de plus de 22 % en sept ans. Pour la même période, la proportion des baptêmes en rapport au nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont nés au Canada passe de 94,9 % à 74,9 % (Groupe de recherche Vers une sortie de la religion culturelle des Québécois ?, 2008-2011).

Cette baisse est synchronique avec les taux de continuité sacramentelle 1re communion / baptême[24] par lequel on peut estimer le pourcentage d’enfants baptisés ayant participé à la 1re communion (8 ans plus tard[25]). Ce taux est un indicateur original pour qui cherche à estimer la perduration de la religion culturelle. Avant 1983, tous les baptisés (ou presque) participaient aux cours d’enseignement religieux et étaient initiés aux sacrements subséquents. Formellement, après 1983, date de création des cours d’enseignement moral (nouveau choix donné aux parents et à leurs enfants)[26], la responsabilité de l’initiation sacramentelle des jeunes est progressivement passée de l’école à la paroisse – selon des modalités diverses dues notamment à la connivence plus ou moins grande entre ces deux institutions selon les milieux régionaux[27]. Toutefois, une part des cours d’enseignement religieux prépare toujours l’insertion de l’enfant dans la communauté chrétienne et normalise la démarche d’initiation sacramentelle. Les activités pastorales de l’école, en symbiose avec l’ensemble du monde scolaire confessionnel, favorisaient là un moment de rencontre avec la communauté des parents qui, par conviction ou tradition, faisait de ces événements des rites de passage inscrits au sein de la culture. Hormis ses objectifs théologiques et pastoraux, l’initiation sacramentelle auprès des jeunes a pour fonction sociale non seulement d’initier ceux-ci à certains rituels, règles, contenus, croyances ou pratiques, mais de les inscrire au sein d’une lignée croyante et, par là, au coeur même d’une référence religieuse située culturellement. Dès 2000, on assiste à une autonomisation de plus en plus grande des sphères scolaires et religieuses, notamment par la déconfessionnalisation du système scolaire. Même si divers compromis administratifs et politiques viendront pour un temps reconduire le catholicisme à l’école, cette réforme, qui s’imposera morceau par morceau jusqu’à la disparition complète des cours d’enseignement religieux confessionnel en 2008, affirmera un tournant séculariste qui marquera plusieurs pratiques en son sein. Avec la réforme des commissions scolaires confessionnelles – les parents catholiques seront davantage partie prenante de la socialisation religieuse de leurs enfants, ne serait-ce qu’en s’assurant que ces derniers participent aux diverses formations préparatoires au sein d’une paroisse. Le geste redouble aujourd’hui son caractère volontaire et montre plus clairement encore la valeur que les parents accordent à cette inscription religieuse et culturelle. Bien qu’il s’agisse ici d’une estimation, on peut penser que, depuis 2000, année qui marque la fin du concordat implicite en matière d’éducation religieuse, le taux de continuité sacramentelle 1re communion / baptême est en baisse, passant de 70,3 % qu’il était en 2000 à 58,9 % en 2007[28]. Cette baisse illustre qu’en 2007 moins de 6 enfants sur 10 qui ont été baptisés en 1999 auraient fait leur 1re communion. La baisse étant de plus en plus prononcée depuis 2000, ce seraient les enfants baptisés depuis 1992 (huit ans auparavant) qui auraient grandi dans un climat social remettant en question la continuité sacramentelle, une des dynamos de la reproduction du catholicisme culturel[29].

La lecture de plusieurs statistiques après 2001 suggère donc une transformation de la configuration dominante du religieux qui prévalait au sein de la société québécoise jusqu’alors. Sans parler explicitement de « fin du catholicisme culturel », on perçoit néanmoins un déplacement, un étiolement des référents catholiques, et les premiers moments d’une baisse progressive de pratiques qui liaient toujours une part de l’identité québécoise et la religion catholique encore récemment. Ce phénomène est surtout perceptible chez les générations les plus jeunes, porteuses de l’avenir et de moins en moins socialisées aux préceptes du catholicisme. Si pour le Québec il semble s’agir d’un inédit historique, en est-il de même lorsqu’on le compare au reste du Canada ? Ne serait-ce pas peut-être une histoire déjà vécue ailleurs au Canada ? Et si tel était le cas, comment faudrait-il interpréter la singularité québécoise en matière de sécularisation ?

Le cas du Québec reconsidéré à la lueur du Canada ? Retour sur les transformations récentes de la chrétienté au Canada

L’effondrement des religions mainlines

À regarder de près l’ensemble des indicateurs classiques de vitalité religieuse (appartenance, membership, pratique, rituels de passage) au sein des Églises protestantes mainlines au Québec et au Canada, on constate que celles-ci ont connu un déclin depuis les années 1950-1960[30]. Le taux de pratique dominicale des fidèles canadiens de ces Églises est passé de 35 % en 1957[31] à 18 % en 2000[32]. Le nombre de congrégations de l’Église Unie quant à lui passe de 4 525 en 1970 à 3 362 en 2007 (Groupe de recherche Vers une sortie de la religion culturelle des Québécois ?, 2008-2011)[33]. Et à regarder de près les statistiques portant sur le membership de ces Églises[34], 1965 est l’année où on enregistre le nombre record de plus d’un million de membres et pour l’Église Unie et pour l’Église anglicane (Bibby, 2002). Depuis, leurs memberships ne cessent de décliner de façon relativement constante ; ils n’étaient que 638 000 membres de l’Église Unie et 642 000 membres de l’Église anglicane en 2001 (Groupe de recherche Vers une sortie de la religion culturelle des Québécois ?, 2008-2011). L’appartenance déclarée aux Églises protestantes mainlines est aussi en déclin – la proportion de citoyens canadiens affiliés à ces Églises passant de 44 % en 1951 à 19,9 % en 2001[35]. Les taux de baptêmes / naissances totales ont également connu une chute : baisses de 66,2 % entre 1970 et 2007 pour l’Église Unie, et de 49,8 % entre 1970 et 2001 pour l’Église anglicane. Les taux de décès célébrés en funérailles au sein des Églises Unie et anglicane[36] – indicateur non comptabilisé chez les catholiques – ont connu le même sort, baisses de 56,7 % et de 47,9 % respectivement pour les mêmes périodes[37].

Plus d’un théoricien de la sécularisation a vu dans ces déclins la conséquence d’une progression constante de la modernité. À l’opposé, ceux de la théorie du marché religieux ont suggéré que les baisses des grandes Églises mainlines libérales s’expliquaient par le fait que les coûts que ces institutions exigeaient (telle l’assistance à la messe) ne valaient guère les bénéfices spirituels qu’elles disaient offrir (Stark et Finke, 2000).

Toutefois, en reprenant l’idée des régimes de religiosité explicitée au début de l’article, la chute du protestantisme mainline au Canada anglais peut aussi être comprise comme le reflet d’un changement majeur dans le rapport Église / nation au Canada anglais vers le milieu du 20e siècle. Cette transformation comporte non seulement des similitudes avec le processus de modernisation qu’a connu le Québec durant les années 1960, mais éclaire peut-être aussi les changements plus récents au sein du catholicisme culturel québécois.

L’exculturation des Églises protestantes mainlines au Canada anglais

À l’instar du Québec et de plusieurs autres pays occidentaux, le Canada anglais a connu maintes transformations identitaires dans les années 1950 et 1960. Plusieurs de ces changements seraient le fruit d’une distanciation progressive de la dimension britannique de l’identité canadienne-anglaise. Pour nombre d’historiens et sociologues ayant étudié cette période, l’esprit du Canada anglais était naguère surtout défini par ses liens avec la Grande-Bretagne, par sa participation au sein de l’Empire britannique, par sa composition d’individus chrétiens anglo-saxons, et se distinguait des États-Unis par un caractère plus conservateur (Breton, 1988 ; Buckner, 2005 ; Choquette, 1977 ; Grant, 1966 ; Igartua, 2006 ; Lacombe, 2002 ; Noll, 1992). Le mouvement « d’indépendance » identitaire du milieu du 20e siècle, ayant renvoyé en arrière-plan ces aspects primordiaux de l’identité canadienne, s’est affirmé pendant plusieurs décennies avant et après la Deuxième Guerre mondiale. C’est toutefois durant les décennies 1950-1960 que le débat sur cette question a ouvertement eu cours, période où le discours officiel du Canada anglais visait de plus en plus à faire émerger une identité canadienne, une identité « sans trait d’union »[38].

Sans revenir sur l’apport de la Commission Laurendeau-Dunton et les nombreux débats entourant l’adoption de la Loi sur les langues officielles sous Trudeau en 1968, un des traits de la transformation identitaire du Canada anglophone durant cette période a été l’adoption de la notion de multiculturalisme, non seulement comme politique gouvernementale visant des conditions sociales plus propices à l’égalité entre les divers groupes sociaux, culturels et linguistiques, mais aussi comme idéologie intégrante de l’identité anglo-canadienne (Charbonneau, 2004-2005 ; Kymlica, 1995). Au cours des années 1970 à 2000, l’enjeu de la diversité est devenue une caractéristique de plus en plus célébrée et même recherchée au Canada anglais. « La présence et la survie de diverses minorités raciales et ethniques qui se définissent comme différentes et tiennent à le demeurer » (Dewing et Leman, 2006, p. 1) se sont peu à peu transformées en aspects primordiaux de l’identité des Anglo-Canadiens et de sa distinction, notamment, à l’égard des États-Unis. Du His Dominion, à fort caractère britannique, on passait ainsi subrepticement à un cadre national « civique » dans lequel s’entremêlent une grande variété d’ethnicités et de communautés. Une telle modification de la représentation identitaire dominante au Canada anglophone n’est pas sans répercussions dans toutes les sphères de la société, dont la sphère religieuse. « Dispositif idéologique, pratique et symbolique par lequel est constituée, entretenue, développée et contrôlée la conscience (individuelle et collective) de l’appartenance à une lignée croyante particulière » (Hervieu-Léger, 1993, p. 119, nous soulignons), la religion ne pouvait en ce cas que multiplier les mémoires autorisées à des lignées croyantes et, ainsi, contribuer à l’essor d’un pluralisme en rupture avec l’appartenance britannique d’hier. La transformation était majeure et touchait les grandes Églises protestantes du Canada anglais, pour qui cette mémoire a généralement été, malgré certaines particularités propres à chacune des lignées croyantes, celle de l’héritage britannique. Au cours de la période d’environ 1850 à 1950, cette tradition a coïncidé avec la mémoire collective de la nation canadienne-anglaise. Plusieurs auteurs ont indiqué que les Églises chrétiennes, surtout protestantes, du Canada anglais, étaient parmi les institutions les plus importantes ayant appuyé et renforcé l’identité britannique-canadienne de l’époque (Grant, 1998 ; Noll, 1992 ; Westfall, 1989). Toutefois, au fur et à mesure que les Anglo-Canadiens se définissaient comme une nation « civique », cet héritage des grandes Églises protestantes s’est transformé en critère plutôt « ethnique », souvent à connotation péjorative : « Conséquemment, lorsque le multiculturalisme est devenu fondamental pour l’imagination sociale et politique canadienne, la religion a été subsumée sous l’étiquette de race […] » (Biles et Ibrahim, 2005, p. 163 – traduction). Les grandes Églises protestantes éprouvèrent du coup certaines difficultés à s’insérer dans la nouvelle mémoire collective anglo-canadienne basée de plus en plus sur la diversité et de moins en moins sur l’héritage chrétien anglo-saxon.

Cause ou effet ? Difficile à dire. Mais toujours est-il que le début de la baisse de l’assistance à la messe dominicale au sein des grandes Églises protestantes, située par plusieurs commentateurs dans les années 1940-1950 (Bowen, 2004 ; Mol, 1985), survient au moment même où s’étiole la représentation identitaire unifiée (religion, culture, nation) au Canada anglais. Le déclin proportionnel de l’appartenance religieuse, du membership, et de certains rites de passage qui apparaît durant les années 1970 et 1980 – période correspondant à la montée du multiculturalisme – semble, quant à lui, amorcer une nouvelle phase dans la « crise » des Églises protestantes mainlines au Canada. C’est tout l’aspect culturel de ces Églises qui ne semble plus aller de soi. La baisse de la vitalité religieuse serait peut-être ici un indicateur parmi d’autres, d’une crise autrement plus profonde, mettant en question les liens entre la trame mémorielle portée par les Églises protestantes et celle de la nation anglo-canadienne. À la première phase de désistement touchant plus précisément l’assistance à la messe dominicale, suivrait celle de la « déliaison » du peuple anglo-canadien et la culture religieuse protestante anglo-saxonne. Cette phase correspondrait justement au processus d’exculturation, décrit par la sociologue Hervieu-Léger (2003a). Phénomène relatif à la mondialisation, l’exculturation du religieux en Occident toucherait d’abord les grandes religions instituées et leur lien privilégié à des cultures en particulier et ne serait pas étrangère à la multiplication des groupements de type évangéliste ou intégriste (Martin, 2005 ; Roy, 2008) et à l’augmentation du nombre de personnes se disant « sans-religion ». Mais ce phénomène touche-t-il de la même façon l’ensemble des religions du pays, à commencer par le catholicisme, partout au Canada ? Une exploration des divers indicateurs de religiosité révèle moins l’affirmation d’une tendance unique que la disparité des régimes de religiosité dans les différentes régions du Canada.

Le catholicisme au Canada : plusieurs régions, plusieurs réalités religieuses ?

Comparativement au déclin important et de la pratique religieuse et des différents rites de passage enregistrés dans les Églises protestantes mainlines, le catholicisme au Canada anglais demeure un cas quelque peu ambigu. Contrairement aux Églises protestantes, le catholicisme hors Québec n’a pas connu ces décennies de baisse des taux de participation et de pratique. Si on a pu constater quelques baisses ici et là, celles-ci étaient la plupart du temps bien moins considérables, et ce, pour l’ensemble des indicateurs.

Appartenance religieuse

En générale, on remarque une relative stabilité de l’appartenance religieuse catholique à travers tout le Canada depuis les années 1970 (voir le tableau 3). Au Canada anglais, le catholicisme semble avoir réussi à se maintenir, notamment en raison d’un renouvellement par l’immigration[39] et par de moindres pertes de ses fidèles[40].

Tableau 3

Appartenance religieuse catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1971 à 2001, avec variations proportionnelles (année de référence 1971) (%)

Appartenance religieuse catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1971 à 2001, avec variations proportionnelles (année de référence 1971) (%)
Sources : Recensements de la population, 1971, 1981, 1991 et 2001, [Canada] fichier de microdonnées à grande diffusion (FMGD), fichier des particuliers, Statistique Canada.

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Fréquentation de la messe dominicale

Toutefois, à l’instar des statistiques religieuses sur le Québec, une forte appartenance n’implique pas nécessairement une fréquentation régulière de la messe dominicale. Néanmoins, en comparaison avec le Québec, les statistiques des catholiques de l’Atlantique, de l’Ontario et de l’Ouest touchant la pratique dominicale se rapprochent davantage de leur taux d’appartenance respectif, malgré la baisse significative de celles-ci de 1986 à 2006 (voir tableau 4).

En effet, bien qu’il semble y avoir une baisse de l’assistance à la messe dominicale depuis 1986 dans l’Atlantique, en Ontario et dans l’Ouest pour la population catholique, dans aucune de ces trois régions le déclin n’égale celui observé au Québec (où la catégorie de « ne pratique jamais » dépassait en 2006 le seuil des 35 %). Fait étonnant, l’Ouest semble connaître une stabilisation de son taux de pratique mensuelle catholique depuis 2001.

Tableau 4

Assistance à la messe « au moins une fois par mois » et « jamais », population catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1986-2006 (%)

Assistance à la messe « au moins une fois par mois » et « jamais », population catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1986-2006 (%)
Sources : Enquête sociale générale, cycle 2, 1986 [Canada] : emplois du temps, fichier des épisodes ; cycle 11, 1996 [Canada] : l’entraide et le soutien social ; cycle 15, 2001 [Canada] : enquête rétrospective sur la famille, fichier principal ; cycle 20, 2006 [Canada] : enquête sur les transitions familiales, Statistique Canada.

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Importance des convictions religieuses et spirituelles

Ce taux plus considérable des individus qui « ne pratiquent jamais » au Québec en 2006 est aussi accompagné d’un taux plus élevé de catholiques qui répondent « pas très important / pas important du tout » lorsqu’on leur demande de qualifier la place de leurs convictions religieuses et spirituelles dans la vie quotidienne (voir tableau 5).

Tableau 5

Importance des convictions religieuses et spirituelles, populaires anglophone catholique et francophone catholique (langue maternelle), selon l’assistance à la messe dominicale dominicale, régions (%)

Importance des convictions religieuses et spirituelles, populaires anglophone catholique et francophone catholique (langue maternelle), selon l’assistance à la messe dominicale dominicale, régions (%)
Sources : Enquête sociale générale, cycle 20, 2006 [Canada] : enquête sur les transitions familiales, Statistique Canada.

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Ce dernier tableau fournit de nombreuses et précieuses indications sur la multiplicité des régimes de religiosité touchant le catholicisme au Canada. Notons que, d’une manière générale et sans surprise, un individu qui pratique mensuellement déclare accorder de l’importance aux convictions religieuses ou spirituelles. Près de la moitié des individus se déclarant catholiques qui ne pratiquent jamais accordent cependant de l’importance à ce type de conviction. Cette tendance est accentuée dans l’Ouest, en Ontario et en Atlantique, et semble légèrement plus affirmée chez les francophones (de langue maternelle) catholiques. Les catholiques du Québec qui ne pratiquent jamais accordent majoritairement peu d’importance aux convictions religieuses et spirituelles – cela suggérant une dissociation plus nette encore entre appartenance, participation à la messe et convictions religieuses. Plus largement, excepté le Québec, 70 à 82 % de l’ensemble des catholiques des régions canadiennes accordent une grande ou très grande importance aux convictions religieuses et spirituelles. Ils ne sont que 59,8 % des francophones catholiques du Québec à le faire ; et 40,2 % d’entre eux accordent peu ou prou d’importance à ce type de convictions – les classant premiers au Canada en la matière. Dissociation pratique / convictions / appartenance, appartenance catholique jumelée avec une certaine indifférence en matière de convictions religieuses et record canadien de non-participation à la messe dominicale chez les catholiques avec 37,3 % (en 2006) semblent caractériser une part de la spécificité du régime de religiosité propre au Québec, entre autres dans son rapport au catholicisme marqué par la culture, l’identité et le lien avec la société contemporaine.

Baptêmes

Ces quelques traits que l’on pourrait croire originaux se transposent-ils en d’autres indicateurs de vitalité religieuse, notamment dans les données portant sur les rites et pratiques catholiques au Canada ? Les tendances observées pour le baptême, la 1re communion et le mariage catholique distinguent-elles aussi nettement le Québec des autres régions canadiennes que les variables de l’appartenance religieuse, de l’assistance à la messe et de l’importance accordée aux convictions ?

Le graphique 2 illustre l’évolution du taux de baptêmes par rapport au nombre de naissances totales pour les quatre grandes régions catholiques du Canada. Comparativement aux Églises Unie et anglicane qui ont subi une baisse de ce taux depuis les années 1970, les baisses n’ont véritablement débuté chez les catholiques que vers la fin des années 1990, et ce, partout au Canada. Toutefois, l’Atlantique connaît une chute beaucoup moins marquée à cet égard, son taux de baptêmes catholiques / naissances totales ne connaissant qu’une variation de 14,5 % entre 1968 et 2007, confronté à 33,7 % au Québec, à 34,1 % en Ontario et à 40,5 % dans l’Ouest, pour la même période.

Graphique 2

Proportions des baptêmes / naissances totales (en %), Église catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1968-2007

Proportions des baptêmes / naissances totales (en %), Église catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1968-2007
Sources : Rapports statistiques annuels, diocèses, CECC et Annuario, Église catholique, données colligées par l’Équipe de recherche sur le catholicisme au Québec et au Canada, dirigée par É.-Martin Meunier, Université d’Ottawa, 1969 à 2008 ; données des naissances proviennent de Statistique Canada, tableau 053-0001 (CANSIM).

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Nombre de facteurs viennent rendre compte de ces baisses. Notons bien sûr une désaffiliation plus importante dans l’Ouest que partout ailleurs au Canada – nous y reviendrons. Notons également l’ampleur de la transformation démographique de certaines régions du Canada depuis les années 1960. Cela a notamment pris forme dans une immigration soutenue et aux origines religieuses variées en Ontario et dans l’Ouest et, dans une moindre mesure, au Québec. Rappelons que la population totale de l’Ontario est passée de 7 849 027 en 1971 à 12 794 689 en 2007 (avec un total de 3 418 691 immigrants reçus en 30 ans), pendant que celle du Québec a crû beaucoup plus lentement passant de 6 137 305 en 1971 à 7 687 125 en 2007 (avec un total de 1 163 128 immigrants reçus en 36 ans) (Statistique Canada, 2010b et 2010c). D’autres illustrations laissent deviner la diversification de l’origine ethnique des immigrants et, également, celle de l’appartenance religieuse. C’est notamment le cas de l’Ouest qui a vu passer sa population totale de 5 892 490 en 1971 à 10 124 035 en 2007 ; la composition de son immigration était de 89,2 % en provenance des États-Unis et de l’Europe en 1971 à 43,9 % en 2001 – celle en provenance de l’Asie de 6,7 % en 1971 à 44,5 % en 2001 (Statistique Canada, 1975 et 2007a). À elle seule, la Colombie-Britannique accueille 1 068 726 immigrants de 1971 à 2007 (Statistique Canada, 2010b). En Atlantique, la population totale est demeurée relativement la même : de 2 083 210 en 1971, elle s’élève à 2 326 107 en 2007 (Statistique Canada, 2010c). Le taux de citoyens nés à l’étranger demeure le même à 3,9 % en 1971 et en 2001 ; le taux d’individus de 1re et de 2e génération par rapport à l’ensemble de la population de l’Atlantique demeure faible et très stable avec 10,3 % en 1971 et 10 % en 2001 (Statistique Canada, 1975 et 2007a). Évidemment, le taux de baptêmes catholiques / naissances totales étant obtenu à partir du nombre total de naissances, il va de soi que l’ensemble des facteurs affectant la démographie générale d’une région viendra modifier considérablement cet indicateur de vitalité religieuse.

1res communions

Graphique 3

Proportions de 1res communions par rapport aux naissances déplacées de sept ans (en %), Église catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1988-2007

Proportions de 1res communions par rapport aux naissances déplacées de sept ans (en %), Église catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1988-2007
Sources : Rapports statistiques annuels, diocèses, CECC et Annuario, Église catholique, données colligées par l’Équipe de recherche sur le catholicisme au Québec et au Canada, dirigée par É.-Martin Meunier, Université d’Ottawa, 1989 à 2008 ; données des naissances proviennent de Statistique Canada, tableau 053-0001 (CANSIM).

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La baisse générale observée dans toutes les régions pour les taux de baptêmes / naissances totales (tout au moins depuis la fin des années 1990), ne semble être partagée que par le Québec et l’Atlantique, lorsqu’il s’agit de l’indicateur du taux de 1res communions / naissances totales décalées[41]. Pour cet indicateur, de 1988 à 2007, des baisses de 28,3 % et de 20,9 % ont été respectivement observées dans ces deux régions. Dans le reste du pays, ce même taux a connu une relative stabilité pour la même période, ne déclinant que de 3,4 % en Ontario et augmentant même de 0,9 % dans l’Ouest. Difficile d’interpréter le sens de ces statistiques descriptives. Pour ce faire, il aurait été intéressant d’obtenir des données datant d’avant 1988 – ce qui n’était pas possible pour l’ensemble des régions. Impossible donc de savoir si les baisses observées pour le Québec et l’Atlantique ont été le lot de l’Ontario et l’Ouest auparavant. Il est intéressant de remarquer que ce sont les régions ayant connu le plus d’immigration qui, de 1988 à 2007, ont peu ou prou rencontré de baisse de ce taux. Tout se passe ici comme si les grandes régions du Canada semblaient dotées d’horloges singulières liées implicitement à l’existence de différents régimes de religiosité aux effets multiples et parfois contradictoires.

Mariages catholiques

Le rite ayant connu, et de loin, le déclin le plus considérable, le taux de mariages catholiques par rapport au total de mariages civils et religieux, est à la baisse dans les quatre régions canadiennes depuis les années 1970. Le fait que l’Église catholique ne reconnaisse pas le divorce y joue assurément un rôle, et ce, à une époque où un mariage sur deux se termine par une séparation. Toutefois, les Églises Unie et anglicane, qui acceptent pourtant de remarier les individus divorcés, ont connu un déclin similaire de ce taux entre 1970 et 2007 pour les quatre régions à l’étude (Wilkins-Laflamme, 2010).

Graphique 4

Proportions de mariages célébrés au sein de l’Église (en %), Église catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1968-2007

Proportions de mariages célébrés au sein de l’Église (en %), Église catholique, régions de l’Atlantique, du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest, 1968-2007
Sources : Rapports statistiques annuels, diocèses, CECC et Annuario, Église catholique, données colligées par l’Équipe de recherche sur le catholicisme au Québec et au Canada, dirigée par É.-Martin Meunier, Université d’Ottawa, 1969 à 2008 ; données des mariages civils et religieux de l’Atlantique, de l’Ontario et de l’Ouest proviennent de Statistique Canada, tableau 053-0001 (CANSIM) ; données des mariages civils et religieux du Québec proviennent de l’Institut de la statistique du Québec, tableau mariages et taux de nuptialité, Québec, 1900-2008.

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En dépit du fait que ces baisses semblent généralisées à l’ensemble du pays, il y existe néanmoins des variations régionales notables. Comme pour les baptêmes, les baisses entre 1968 et 2007 de l’Atlantique sont moindres qu’au Québec, qu’en Ontario et que dans l’Ouest, de 47,4 %, comparativement à 65,2 %, à 62,8 % et à 60,3 % respectivement. De plus, pour le Québec, il faut tenir compte non seulement de la baisse des mariages catholiques, mais aussi des mariages en général dans la province. Nous le disions, le Québec occupe le premier rang mondial quant à sa proportion de couples en union libre. Selon le Recensement de 2006, parmi la population de 15 ans et plus, 19,4 % des individus se disent en union libre au Québec, comparativement à 10,1 % au Nouveau-Brunswick, à 8,2 % en Colombie-Britannique et à 7 % en Ontario. C’est toute l’institution du mariage qui semble ici remise en question (Laplante, 2006).

Bref, depuis les années 1970, il semble y avoir eu un déclin relativement constant de certaines pratiques catholiques, notamment l’assistance à la messe dominicale et les mariages, au Québec et partout au Canada. Toutefois, comparativement à la baisse généralisée de tous les indicateurs de vitalité religieuse pour les Églises Unie et anglicane depuis 1968, le catholicisme canadien se porte relativement bien : l’appartenance religieuse catholique demeure relativement stable, et ce, dans les quatre régions canadiennes ; le taux de baptêmes par naissances totales n’a connu des chutes significatives qu’à partir de la fin des années 1990 ; enfin, les taux de 1res communions par rapport aux naissances décalées de sept ans n’ont chuté qu’au Québec et dans l’Atlantique, mais pas en Ontario ni dans l’Ouest.

Généralement, c’est la région de l’Atlantique qui présente la plus grande vitalité religieuse du catholicisme institutionnel depuis la fin des années 1960. Les taux d’assistance à la messe demeurent toujours les plus élevés au pays, malgré une certaine baisse depuis au moins les années 1980. Les taux de baptêmes (par naissances totales) et de mariages catholiques ont connu, quant à eux, des baisses plus modérées que partout ailleurs au Canada[42].

Malgré des similitudes entre le Québec, l’Ontario et l’Ouest en ce qui a trait à la teneur des baisses enregistrées, on y décèle tout de même certaines différences, notamment au chapitre de la fréquentation à la messe dominicale et de la 1re communion. Contrairement à la situation qui prévaut au Québec, ces deux indicateurs demeurent relativement stables parmi les catholiques en Ontario et dans l’Ouest, surtout depuis le début du millénaire.

L’intrigue des « sans-religion »

Une autre variable importante pour bien saisir la dynamique des régimes de religiosité qui a cours au sein des diverses régions du Canada est celle du taux de « sans-religion », comptabilisé au moment des Recensements et des Enquêtes sociales générales effectués par Statistique Canada (Beyer, 2006 ; Clark et Schellenberg, 2006). À tous les dix ans, dans les recensements, la question suivante est posée : « Quelle est la religion de cette personne ? Indiquez une confession ou une religion précise, même si cette personne n’est pas pratiquante »[43]. Pour y répondre, le citoyen doit écrire en toutes lettres son appartenance confessionnelle ou cocher la case « sans-religion ». Cette indication n’est pas sans signification, au contraire. Elle marque de manière claire le choix de ne pas vouloir être comptabilisé parmi les Églises et, ce faisant, elle est une façon d’exprimer sa non-appartenance en matière de religion. Sociohistoriquement, cet indicateur a souvent été considéré comme un des témoins montrant l’ampleur et la vitesse d’une partie du processus de désaffiliation des Églises et des groupes religieux institués. Il importe ici de préciser que la désaffiliation ne signifie pas nécessairement l’étiolement de la religiosité ou la montée de l’athéisme[44]. C’est plutôt le type d’encadrement du religieux et la communalisation correspondante qui sont mis en question dans ce processus (Lefebvre, 2007).

Nous le disions précédemment, l’une des particularités de ce processus de désaffiliation, c’est qu’il ne touche pas de la même manière les grandes régions du Canada, ni au même moment, ni avec la même intensité.

Comme on le constate à la lecture du graphique 5, l’Ontario et l’Ouest se distinguent nettement ici encore du Québec et de l’Atlantique en réunissant respectivement près du double et du triple du taux de « sans-religion » par rapport aux régions sises à l’est de la Rivière des Outaouais, et ce, de 1971 à 2006. Dans l’Ouest, le taux de « sans-religion » a augmenté rapidement ; dès les années 1980, il franchit le cap des 10 %, taux qui ne sera atteint par le Québec et l’Atlantique qu’en 2006. C’est au début de la décennie 1990 que l’Ontario fera de même – ce qui, dans son cas, est synchronique à l’augmentation du nombre d’immigrants reçus annuellement[45].

En règle générale, le processus de désaffiliation relatif à l’augmentation constante du taux de « sans-religion » a d’abord été le lot de l’Ouest, pour gagner peu à peu par la suite les contrées de l’Est, anciennement épargnées soit par l’affirmation d’une chrétienté majoritaire (Atlantique) ou d’un catholicisme culturellement dominant dans une nation minoritaire face à l’ensemble canadien (Québec) (Martin, 1978 et 2000). La reproduction du catholicisme monopolistique au Québec aurait été en partie le fait d’un statut national minoritaire qui, dans sa tension avec le reste du Canada, aurait permis la réaffirmation du caractère catholique d’une part de la culture québécoise, mais aussi de retarder certains traits de la sécularisation, comme le suggèrent les travaux du sociologue britannique David Martin (1978). On peut penser que ce trait bien spécifique à l’histoire du Québec aurait ainsi retardé l’apparition des signes de l’exculturation – à commencer par ceux de la désaffiliation et par l’essor des « sans-religion ». Mais cette résistance semble aujourd’hui peu à peu s’atténuer si l’on tient compte que le Québec aurait vu doubler son pourcentage de « sans-religion » de 2001 à 2006.

Graphique 5

Taux de « sans-religion » par région du Canada, 1971-2006 (%)

Taux de « sans-religion » par région du Canada, 1971-2006 (%)
Sources : Recensements de la population, 1971, 1981, 1991 et 2001, [Canada] fichier de microdonnées à grande diffusion (FMGD), fichier des particuliers ; enquête sociale générale, fichier principal ; cycle 20, 2006 [Canada] : enquête sur les transitions familiales.

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On a souvent expliqué la hausse des « sans-religion » par l’arrivée au Canada d’une immigration d’un certain type. Il est vrai que « le cinquième des 1,8 million d’immigrants arrivés au pays entre 1981 et 2001 a déclaré n’avoir aucune religion[46] ». En contrepartie, d’autres chercheurs ont fait de l’immigration le foyer de la pratique religieuse contemporaine au Canada[47]. Assertion qui, pour le Québec, a été partiellement démentie par l’article de Paul Eid montrant que cette ferveur religieuse ne caractérisait qu’une minorité d’immigrants et que certaines religions en particulier (Eid, 2009). Ni dévots, ni athées, les immigrants de 1re et de 2e génération au Canada ne se disent pas plus « sans confession » que les Canadiens de 3e génération et plus. À titre d’exemple, dans la région de l’Ouest en 2006, 27,2 % des individus nés à l’étranger se sont désignés « sans-religion », comparativement à 34,7 % de la population de 3e génération et plus ; pour la même année en Atlantique, 22,7 % des individus nés à l’étranger s’identifiaient en tant que « sans-religion », comparativement à 11,7 % de la population de 3e génération et plus (Statistique Canada, 2006). Le phénomène des « sans-religion » ne serait donc pas le propre des immigrants ; il reste toutefois lié en partie à l’immigration, dans sa contribution démographique à transformer la morphologie sociale d’une région donnée (Bramadat et Seljak, 2008). Même si les « sans-religion » de l’Ouest, pour ne prendre que cet exemple, s’avèrent majoritairement de 3e génération et plus, l’Ouest demeure l’une des régions ayant été le plus fortement marquée par l’immigration au Canada. Sans faire de lien de cause à effet, il y a là une reconfiguration sociale particulière qui, selon nous, pourrait mener à une transformation du régime de religiosité dominant. Autrement dit, l’immigration ne changerait pas tant directement la donne religieuse en soi, qu’elle transformerait progressivement la structure globale dans laquelle s’articule la religiosité dans une région donnée. Il s’agit là d’une hypothèse importante pour qui cherche à mieux saisir la diversité du Canada, mais aussi à mieux comprendre la coexistence de différents régimes de religiosité au Canada.

Novation religieuse

Les taux de novation religieuse, c’est-à-dire le taux d’appartenance aux religions autres que celles des Églises mainlines (ici anglicane, Unie, luthérienne, presbytérienne et catholique, pour les besoins du calcul)[48], est un autre indicateur pertinent pour illustrer la disparité des grandes régions canadiennes. Ce taux a pour utilité de déterminer le pourcentage de citoyens dans un lieu donné qui n’appartiennent ni aux grandes Églises nationales traditionnelles du Canada anglais, ni à l’Église catholique. À l’évidence, comme nous pouvons le constater au tableau 6, là encore, il y a une coupure assez nette entre les provinces de l’Ouest, l’Ontario et celles de l’Atlantique et du Québec.

Ce sont les régions où l’on retrouve le plus grand nombre de « sans-religion » qui montrent les plus hauts taux de novation religieuse, notamment les provinces de l’Ouest et l’Ontario[49]. Ici encore, l’immigration n’est pas sans influer sur la hausse du nombre de religions nouvelles ou exogènes aux grandes Églises nationales traditionnelles. Durant les années 1981 à 2001, années de forte immigration au Canada, le taux de novation religieuse passe de 38,9 % à 62,1 % pour la Colombie-Britannique, de 32,0 % à 49,1 % en Alberta, et de 22,9 % à 40,8 % en Ontario – pour ne prendre que ces exemples. Difficile de dire qui, de la hausse du nombre de « sans-religion » ou de la hausse du nombre de religions « non mainlines », vient avant l’autre. Les deux indicateurs semblent toutefois varier en même temps et selon les vecteurs d’un régime de religiosité similaire.

Tableau 6

Taux de novation religieuse, par province du Canada, 1971-2001 (%)

Taux de novation religieuse, par province du Canada, 1971-2001 (%)
Sources : Recensements de la population, 1971, 1981 et 1991, [Canada] fichier de microdonnées à grande diffusion (FMGD), fichier des particuliers ; recensement de la population, 2001, Canada, fichier maître, Statistique Canada.

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L’Atlantique présente des taux moyennement élevés de novation religieuse. De 1971 à 2001, ces taux ont cependant substantiellement moins varié que ceux de l’Ontario ou des provinces de l’Ouest. Tant au chapitre du nombre de « sans-religion », de la variation décennale du nombre de fidèles pour chacune des religions mainlines et du catholicisme que du taux de novation religieuse[50], l’Atlantique est demeurée dans une relative stabilité. De 1901 à 1991, c’est-à-dire en près de 100 ans, la composition des plus grandes Églises des Maritimes a peu changé : le pourcentage de catholiques serait passé de 33,6 % en 1901 à 42,7 % en 1991 de la population totale ; celui des membres de l’Église anglicane, de 12,7 % en 1901 à 11,3 % ; et, en comparaison avec les autres régions, celui des Églises luthérienne, presbytérienne, baptiste et pentecôtiste est somme toute demeuré assez similaire, compte tenu de l’association de plusieurs de leurs membres dans l’Église Unie (Lemieux, 1996).

Sur cette question, le Québec partage avec l’Atlantique sa stabilité religieuse institutionnelle, avec ses 14,5 % de taux de novation religieuse en 2001. Outre le diocèse de Montréal avec ses 29,3 % de novation religieuse en 2001 et celui de Gatineau avec ses 12,9 % durant la même période, tous les autres diocèses de la province n’atteignent pas la barre des 10 % et figurent parmi les diocèses où vivent le plus grand pourcentage de citoyens disant appartenir à une religion mainline ou au catholicisme au Canada. Cette tendance semble se modifier depuis quelques années au Québec. La région de Montréal serait aujourd’hui la deuxième plus grande ville du Canada pour le nombre d’organismes religieux de bienfaisance par 1000 habitants[51]. Même si le nombre d’organismes religieux – si grand soit-il – ne se traduit pas dans une multiplication des appartenances religieuses au Québec, comme en témoigne notre indicateur de novation religieuse, force est d’admettre qu’il suggère un changement à venir en matière de pluralité religieuse. Ce changement coïnciderait peut-être avec l’étiolement du catholicisme culturel, notamment chez la génération Y – comme nous l’avons vu plus tôt.

Le catholicisme canadien se meut donc dans des univers socioculturels à la fois multiples et singuliers. Le contexte majoritaire du catholicisme au Québec n’est pas celui de l’Ontario, malgré ses 31,5 % de catholiques en 2006 (Statistique Canada, 2006). La morphologie même de certaines provinces du Canada a été structurée, non sans quelques heurts, autour d’une entente implicite de respect mutuel parfois entre trois ou quatre grandes Églises, comme ce fut le cas en Atlantique où catholiques, baptistes, anglicans et membres de l’Église Unie ont composé la majorité du paysage religieux du 19e siècle à nos jours. D’aucunes, comme plusieurs provinces de l’Ouest, ont pratiquement toujours été constamment transformées par l’arrivée de nouvelles Églises, sectes et groupements religieux divers, et ce, dès leur fondation. Certaines provinces, finalement – l’Ontario en est un bon exemple – ont connu des phases de stabilisation et d’entente entre certaines grandes Églises, pour ensuite favoriser une transformation radicale de cette hégémonie en un pluralisme de plus en plus affirmé, notamment par une immigration soutenue d’origines religieuses diverses (Beaman et Beyer, 2006). À l’évidence, ces multiples contextes d’instauration et d’institutionnalisation des Églises ne sont pas sans modifier la définition même des différents régimes de religiosité qui caractérisent le Québec et les provinces canadiennes (Bowen, 2004 ; O’Toole, 1996 et 2000).

Régimes de religiosité : essai de typologie et périodisation correspondante

Admettre l’existence de différents régimes de religiosité au Canada, c’est d’une certaine manière sortir de l’approche expliquant le changement religieux au Canada par les différences culturelles entre les religions elles-mêmes, et, dans une moindre mesure, entre les provinces elles-mêmes. C’est rechercher la dynamique propre qui enserre une part importante de l’ensemble de la religiosité instituée dans une région donnée. C’est tenter de définir les possibles du religieux dans une société traversée par des configurations historiques, démographiques et sociales particulières. C’est ainsi poser qu’un régime de religiosité marque, affecte et conditionne en partie les modalités de l’appartenance et des pratiques religieuses caractéristiques d’une région et d’une société données. À l’évidence, parler de régime de religiosité, c’est esquisser une configuration dominante avec laquelle doivent composer l’ensemble des formes religieuses, les religions, ainsi que l’exercice du religieux en général.

L’analyse du catholicisme au Québec et au Canada, ainsi que l’analyse de l’Église anglicane et de l’Église Unie, de 1968 à 2007 révèlent diverses modalités d’appartenance et de pratiques religieuses desquelles, par substruction, il est possible d’élaborer trois régimes de religiosité distincts. Ces régimes sont construits comme types-idéaux, c’est-à-dire comme des accentuations unilatérales de la réalité à des fins de comparaison (Gagnon, 1979). Leur caractère synthétique favorise également une compréhension de la dynamique d’ensemble du religieux institué au Canada[52] – chacune des grandes régions du Canada analysées dans cet article pouvant être rapportée à un régime de religiosité dominant.

Les trois régimes de religiosité sont nommés ainsi : 1- le régime ethno-religieux (simple ou multiple) ; 2- le régime de religion culturelle ; 3- le régime pluraliste (à dominante chrétienne ou de type mondialisé). Chacun de ces types est défini à partir d’une configuration bien spécifique d’indicateurs institutionnels de vitalité religieuse. L’agencement de ces derniers donne lieu à une dynamique particulière caractérisant en propre le régime de religiosité d’une région donnée. C’est cette dynamique qui définit en partie les rapports entre la ou les religions dominantes et l’État, mais aussi la ou les religions en lien avec la société civile. La nature de ces rapports peut être de divers ordres. Il peut y avoir cohabitation pacifique et indifférenciée entre diverses religions, État, et autres organisations de la société civile, ou au contraire tension sinon conflit. Cette tension peut avoir diverses sources, d’une concurrence entre religions d’une part, ou de divergences entre la culture dominante et l’ensemble des religions ou avec la religion majoritaire, d’autre part (Martin, 1978).

Le régime ethno-religieux

Sur le plan des indicateurs institutionnels de vitalité religieuse, chacun des régimes de religiosité peut se définir à partir de certaines caractéristiques spécifiques. On retrouvera au sein du régime ethno-religieux (simple ou multiple) : a) une appartenance forte (75 % et plus) à une ou à des grandes Églises nationales et, conséquemment, un très faible taux de « sans-religion » ; b) une forte participation à la messe parmi les populations affiliées à une religion (35 % et plus mensuellement) et un faible taux de la population affiliée qui ne pratique jamais (35 % et moins)[53] ; c) un taux de baptêmes qui a connu une variation de moins de 15 % des années 1970 aux années 2000 ; d) un taux de 1res communions et de confirmations présentant des variations très mineures en rapport au taux de baptêmes ; e) un taux de mariages religieux demeurant élevé, en diminution depuis 1971 mais de manière modérée par rapport aux autres régimes de religiosité (le taux d’unions libres étant sinon inférieur à l’ensemble canadien) ; f) un taux de novation religieuse parmi les plus bas (30 % et moins). L’individu-type vivant dans un régime de religiosité ethno-religieux se déclare donc membre d’une des grandes religions mainlines ou catholique du Canada, fréquente avec une certaine assiduité la messe dominicale, est baptisé et a fait baptiser ses enfants. Il vit dans un état de société qui promeut le baptême, la 1re communion et la confirmation. Le mariage religieux demeure pour lui le choix dominant pour les couples, et les unions libres, si elles sont tolérées ne sont pas légion. Ainsi, des prescriptions religieuses aux croyances de l’individu-type vivant dans un régime de religiosité ethno-religieux, de ses croyances à ses pratiques ordinaires ou sacramentelles, tout semble s’aligner à la doctrine et à la religion héritée par une ethnie particulière, qui réalise dans cette correspondance une part de son identité dans l’observance de sa religion. Le régime ethno-religieux peut être dit simple ou multiple, selon le nombre et le poids démographiques des religions et la diversité ethnique vivant dans une même région. Le Québec d’avant la Révolution tranquille est une illustration très pertinente d’un territoire vivant sous un régime ethno-religieux simple, en raison du caractère clairement majoritaire du Canada français catholique en son sein (Rousseau, 2006)[54]. La région de l’Atlantique est peut-être l’une des dernières au Canada à avoir connu ce type de régime de religiosité. Toutefois, le poids sociodémographique de chacune des religions et des quelques ethnies correspondantes à l’époque (Écossais, Irlandais, Anglais, Acadiens) induisait un régime ethno-religieux multiple – caractérisé aussi bien par des tensions fréquentes (notamment entre la majorité anglophone et la minorité francophone) que par un équilibre toujours précaire des forces en présence (Thériault, 2007).

Régime de religion culturelle

On retrouvera au sein du régime de religion culturelle : a) une appartenance très forte à une ou des grandes Églises mainlines ou catholique (75 % et plus) et, conséquemment, un faible taux de « sans-religion » (15 % et moins) ; b) une participation à la messe parmi les plus faibles (25 % et moins mensuellement) et une portion importante de la population affiliée qui ne pratique jamais (35 % et plus) ; c) un taux de baptêmes qui a connu une variation de moins de 15 % des années 1970 aux années 2000 ; d) un taux de 1res communions et de confirmations qui demeure somme toute élevé (autour de 80-90 %) durant cette même période ; e) un taux de mariages en baisse constante depuis les années 1970 – baisse parfois abrupte ou modérée selon les milieux ; f) un taux de novation religieuse souvent très bas (20 % et moins). L’individu-type vivant dans un régime de religion culturelle se déclare donc membre d’une des grandes religions mainlines ou catholique du Canada et fréquente peu ou prou la messe dominicale. Ici, il semble clair que le régime de la religion culturelle introduit une rupture par rapport aux autres régimes. Si l’appartenance à la religion est toujours largement souhaitée, la fréquentation de la messe dominicale semble collectivement rebuter[55]. Cet individu-type est baptisé et a fait baptiser ses enfants, sinon y songe sérieusement et a connu des pressions sociales implicites en ce sens. Il vit dans une société qui normalise le baptême et la 1re communion d’abord comme des rites identitaires. Le mariage religieux est de moins en moins un choix qui lui convient et il préfère de plus en plus l’union libre à toutes autres formes de contraintes institutionnelles qui pourraient lui rappeler la mainmise du clergé sur la conjugalité. Ainsi, l’individu-type du régime de religion culturelle ne vit pas dans un monde où croyances, pratiques et rites s’alignent sur les prescriptions et proscriptions religieuses d’une religion en particulier. Ses croyances sont souvent triées et empruntent parfois à plus d’une tradition religieuse (Bibby, 1990 ; Lemieux et Meunier, 1993). Sa pratique survient la plupart du temps aux grandes occasions, lors de grandes festivités (Noël, Pâques) et lors des rites de passage (initiation sacramentelle, mariage ou funérailles). C’est au Québec post-Révolution tranquille, du moins des années 1970 à 2000, que se trouva l’un des plus importants régimes de la religion culturelle que le Canada ait connus. Durant cette période, le catholicisme a d’abord été une « question de culture » (Lemieux, 1990), où l’affirmation identitaire des Québécois passait entre autres par une religiosité empreinte de liens de mémoire avec un certain Canada français, de filiation intergénérationnelle (Lemieux et Montminy, 2000) et d’un certain désir de distinctionnationale (Meunier et Laniel, 2011). Depuis 2000, certains signes annoncent une reconfiguration du mode dominant de religiosité au Québec, laissant voir certains traits propres aux régimes de religiosité dits pluralistes. Tendanciellement, on aperçoit l’apparition de certaines caractéristiques propres au régime de religiosité culturelle dans certaines provinces de l’Atlantique, notamment par une assistance à la messe dominicale moins assidue et des taux de mariages religieux / mariages totaux moins considérables qu’auparavant.

Régime pluraliste

Voici comment se présente le régime pluraliste : a) Une appartenance à de multiples Églises, groupes et mouvements religieux ainsi qu’une non-appartenance déclarée d’une part considérable de la population (plus de 20 %). b) La pratique religieuse hebdomadaire est considérable (plus de 30 % – hebdomadairement ; près de 40 % mensuellement) pour qui déclare appartenir à une confession en particulier. Contrairement au régime de la religion culturelle, se dire membre d’une religion, c’est se contraindre à un devoir de fréquentation à la messe dominicale. Évidemment, les « sans-religion » ont dans ce cas de figure une pratique quasi inexistante. c) Dans ce régime, le taux de baptêmes au sein de la population en général a connu une variation à la baisse de plus de 15 % des années 1970 à nos jours. Il tend toutefois à se consolider chez les populations affiliées. d) De même, les taux de 1res communions et de confirmations sont en baisse constante pour l’ensemble de la population, mais tendent à se concentrer et même à augmenter chez certains groupes affiliés à une religion. e) Le taux de mariages / nombre total de mariages (religieux et civils) est en baisse constante depuis les années 1990, mais se stabilise là encore chez les sous-groupes affiliés à une religion en particulier. f) Le taux de novation religieuse est parmi les plus élevés au pays (plus que 35 %). Rappelons que ce taux est calculé à partir du pourcentage d’appartenance religieuse qui ne provient pas des religions mainlines et catholique[56]. Il révèle non seulement la diversité religieuse d’une région, mais le rapport aux Églises nationales ou traditionnelles. Il est ainsi un indicateur de la nouveauté institutionnelle en matière de religion. L’individu-type vivant dans un régime pluraliste se déclare donc généralement ou bien membre d’une religion ou bien « sans-religion ». Dans ce régime, un individu qui appartient à une religion la pratique avec une assiduité rare au Canada. Pour ceux qui se déclarent affiliés à une religion, la pratique religieuse, le baptême ainsi que tous les autres rituels de passage sont sinon obligatoires, du moins logiquement envisagés pour tous les membres. Ces rituels sont loin d’être uniquement des faits de culture. S’ils marquent l’identité, c’est pour enraciner celle-ci dans un univers parfois en rupture avec la culture ambiante et les tendances de la société contemporaine. La religion passe d’abord par la pratique et le mariage religieux est donc fortement encouragé. Encore un peu et on pourrait confondre l’individu-type du régime pluraliste qui est membre d’une Église ou d’un groupe religieux à celui du régime ethno-religieux. À cette différence près, toutefois : celui-ci vit dans une société cassée en deux où s’affrontent un monde de croyants et de non-croyants, un univers religieux et un univers dit païen (Roy, 2008).

La composition du paysage religieux au Canada laisse voir que ce type de régime pluraliste pourrait être, de plus, divisé en deux sous-types : un régime pluraliste à dominante chrétienne et un régime pluraliste dit mondialisé. Le sous-type du régime pluraliste à dominante chrétienne possèderait plusieurs des caractéristiques du régime pluraliste tout court, se distinguant notamment par le fait que les Églises non chrétiennes demeureraient minoritaires devant deux groupes d’importance : les chrétiens (de toute allégeance) et les « sans-religion » – ces deux groupes pouvant rallier jusqu’à plus de 90 % de la population. Contrairement aux régimes ethno-religieux et culturels, ce ne serait pas que les Églises mainlines et catholique qui regrouperaient l’allégeance de la majorité des fidèles, mais aussi en grand nombre des plus petites confessions chrétiennes, souvent à caractère évangélique. Même si l’Ouest est loin d’être une région monolithique – et présente par là différents visages variant au gré des provinces et des secteurs ruraux et urbains, elle est toutefois la région présentant le plus de traits typiques du régime pluraliste à dominante chrétienne. C’est l’une des régions qui, non seulement a le plus favorisé l’accueil d’immigrants, mais qui, comparativement à toutes les autres régions depuis les années 2000, a connu un bilan migratoire interne positif. C’est elle qui réunit en une même société le plus grand nombre de « sans-religion » et de chrétiens participant à des mouvements et groupes nouveaux issus souvent de la filière évangéliste (Martin, 2000). La poursuite de la diversification ethnique et religieuse de cette région pourrait l’amener à migrer vers un régime de religiosité pluraliste mondialisé. Pour lors, toutefois, il semble bien que la composition sociodémographique particulière de l’Ouest au tournant des 19e et 20e siècles, ajoutée à une immigration massive en provenance de l’Asie (Statistique Canada, 2003, p. 2-19), ait influé sur sa configuration religieuse autour des années 1990-2000 et ait engendré un régime de religiosité tout à fait particulier où, sur le plan religieux, la multiplicité semble avoir engendré une certaine dichotomie plutôt qu’un pluralisme. Comme dans le cas du régime de la religion culturelle, il peut s’agir là d’un stade transitoire, comme il peut s’agir d’une configuration originale qui ira en s’accentuant.

D’ailleurs, dans un régime pluraliste de type mondialisé, cette dualité chrétien / non-chrétien cède sa place à une appartenance plus diversifiée à de multiples Églises, groupes et mouvements religieux de toutes traditions religieuses et une non-appartenance déclarée d’une part considérable de la population (autour de 20 % et plus). Dans les régions caractérisées par ce sous-type, le taux de novation religieuse est évidemment élevé (plus que 35 %), mais est marqué surtout par l’apparition de religions exogènes au corpus chrétien. Cela correspond à la diversification de la provenance de l’immigration, qui en Ontario, par exemple, était composée de près de 89,9 % d’Américains et d’Européens en 1971 et qui, en 2001, est composée de 53 % d’immigrants d’origines non occidentales. L’individu-type vivant dans un régime pluraliste mondialisé se déclare donc généralement membre d’une religion chrétienne, d’une autre religion ou encore « sans-religion ». Dans ce régime, un individu qui appartient à une religion, pratique avec une certaine régularité. Pour ceux qui se déclarent affiliés à une religion, le baptême ainsi que tous les autres rituels de passage sont sinon obligatoires, du moins logiquement envisagés pour tous les membres. Ici encore, la religion semble passer d’abord par toutes formes de pratique et le mariage religieux est également grandement encouragé. Les ressemblances avec le régime ethno-religieux ne doivent pas nous aveugler : l’individu-type vivant dans un régime pluraliste mondialisé se trouve dans une société effritée où se côtoient différents groupes tantôt chrétiens, tantôt autres, tantôt « sans-religion ». Malgré sa diversité régionale, l’Ontario est sans doute la région qui porte le plus de traits typiques du régime pluraliste mondialisé. En 2006, l’Ontario est la seule province au Canada qui avait plus de 10 % de sa population disant appartenir à une religion exogène au corpus chrétien (11,2 % précisément). Son taux de population née à l’étranger par rapport à la population totale était de 29,3 % en 2006, ce qui est plus de 35 % supérieur au même taux dans l’Ouest (21,6 %)[57]. De plus, il faut ajouter qu’en 2006 l’Ontario était la seule province du régime de religiosité pluraliste (à dominante chrétienne ou mondialisé) à regrouper plus de 30 % de catholiques (31,5 %, en fait). Tout en tenant compte de la population francophone d’Ontario, on peut suggérer que cette tendance montre une certaine capacité du catholicisme ontarien à accueillir une part significative de l’immigration de tous horizons (Beyer, 2006 ; Bramadat, 2005 ; Bramadat et Seljak, 2008). L’Ontario est la région qui a le plus contribué à l’accueil des immigrants au Canada. C’est celle qui incarne le plus l’idéal multiculturel du Canada et la pluralité espérée sur les plans démographique et religieux[58]. Toutefois, les différences entre l’Ontario et l’Ouest étant souvent fines, il faudra des recherches plus poussées pour bien circonscrire les frontières et les particularités des deux sous-types, à dominante chrétienne et mondialisé, du régime pluraliste.

Il n’y a pas de régime de religiosité qui dure éternellement. Vient un temps où un ensemble national connaît une transformation du type de religiosité dominante qui le caractérise. Ces changements obéissent à une périodicité qui est propre à chacune des régions et, en un sens, à chacun des régimes eux-mêmes. Ceux-ci définissent ainsi des « moments » (Rosanvallon, 1985) au sens d’une configuration sociohistorique particulière marquant l’univers religieux d’une région, d’une province ou d’une nation. Ces « moments » peuvent durer de nombreuses décennies, parfois moins. Ils introduisent des types de société qui sont à leur tour à la fois produits et producteurs de nouveaux régimes de religiosité (et de laïcité)[59]. Bref, on peut lire l’histoire d’une société en filigrane de la permanence et de la transformation du régime de religiosité qui la caractérise durant une période de son existence.

Chaque grande région du Canada connaît ou a connu une transformation d’importance de son régime de religiosité. L’analyse de plusieurs indicateurs suggère que l’Atlantique serait peu à peu en train de vivre une sortie du régime ethno-religieux multiple depuis les années 1990 pour migrer vers une configuration culturelle où les pratiques religieuses et l’appartenance sont de plus en plus dissociées. En effet, pour ce qui est du catholicisme, malgré la permanence d’une appartenance religieuse forte, le taux mensuel de fréquentation à la messe dominicale est en baisse constante, passant de 73,1 % en 1986 à 41,9 % à 2006 – chute fort prononcée qui ressemble en partie à la baisse enregistrée au Québec de la fin des années 1960 à 1986. À l’autre bout du Canada, l’Ouest, région au peuplement le plus récent au pays, a consolidé le caractère pluraliste de son régime de religiosité, le faisant même parfois passer d’un régime à dominante chrétienne à un pluraliste de type mondialisé – comme ce semble être de plus en plus le cas de la Colombie-Britannique depuis les dix dernières années. L’Ontario est sans contredit l’une des régions ayant connu le bouleversement le plus accéléré de sa configuration socioreligieuse dominante. À peine sortie du régime ethno-religieux multiple des années d’après-guerre[60], la société ontarienne a été rapidement transformée par une nouvelle configuration sociodémographique qui a instauré un régime pluraliste mondialisé dès le début des années 1980, régime qui sera consolidé au tournant des années 1990 avec une immigration sans précédent en nombre et en diversité. Avec la Révolution tranquille, le Québec a nettement marqué sa rupture avec le régime ethno-religieux simple qui s’était constitué depuis 1840 jusqu’à 1960. En témoignent de nombreux indicateurs, dont la baisse spectaculaire du taux de pratique religieuse hebdomadaire qui, en moins de 20 ans, a chuté de presque 60 %. Nous l’avons dit, cette rupture ne marque ni la pleine sécularisation de la société, ni la fin du catholicisme au Québec. Elle met toutefois de l’avant un nouveau régime de religiosité distinguant l’identitaire du strictement confessionnel et l’appartenance de l’observance de la pratique religieuse, mais sans pour autant disqualifier le catholicisme comme lieu d’inscription sociohistorique et comme tradition significative pour la nation et sa destinée. Fruit d’un concordat implicite (Meunier et Laniel, 2011) entre l’Église et l’État, le catholicisme culturel a été le régime de religiosité du moment post-Révolution tranquille. L’analyse de nos indicateurs montre que ce moment aurait duré près de 40 ans, des années 1960 aux années 2000. Depuis, certains indicateurs clés de ce type de religiosité instituée, comme l’appartenance ou même le taux de baptêmes par rapport aux naissances totales, ont connu des baisses significatives avec l’arrivée de la génération Y, baisses synchroniques avec une augmentation de l’immigration exogène au corpus chrétien, notamment dans les villes – Montréal en tête (Rousseau et Castel, 2006). Sans affirmer pour cela que le Québec serait définitivement sorti du régime de la religion culturelle, force est de constater que ses bases s’effritent et que sa reproduction n’est plus assurée comme auparavant. Difficile pour lors d’affirmer que le futur du Québec sera fait du présent de l’Ontario ou de l’Ouest. Difficile aussi de nier qu’il semble s’en inspirer.

Contrairement aux protestantismes mainlines et hormis le cas québécois, le catholicisme canadien se porte plutôt bien. La majorité des indicateurs institutionnels de vitalité religieuse se maintient et lorsqu’il y a baisses, celles-ci sont généralement moins considérables que pour les autres grandes religions nationales du Canada. Le catholicisme hors Québec semble avoir été en mesure de relever le défi de l’inclusion de plusieurs nouveaux immigrants – sa teneur universelle l’aidant assurément dans cette tâche. De plus, dans cette mouvance, le catholicisme hors Québec s’est anglicisé dans la foulée d’une francophonie minoritaire s’assimilant progressivement (Castonguay, 2005 ; Gilbert et Lefebvre, 2008). Le catholicisme canadien est ainsi passé d’un catholicisme à visage ethnique réunissant majoritairement Irlandais et Canadiens français, à un catholicisme diversifié sur le plan de la provenance ethnique des fidèles, mais de plus en plus anglais sur le plan de la langue d’usage[61]. Les statistiques montrent bien la synchronie entre une anglicisation progressive du catholicisme hors Québec et l’augmentation des taux de transfert linguistique (Meunier, Wilkins-Laflamme et Grenier, à venir). Cette reconfiguration du catholicisme canadien n’est pas sans conséquence sur le catholicisme québécois dans son ensemble. Elle menace la conception implicite du catholicisme centrée sur la protection de la culture francophone – analysée avec finesse par le sociologue David Martin. C’est en fait ce qu’il reste de la fonction nationalitaire du catholicisme comme rempart symbolique et creuset de l’identité canadienne-française et québécoise qui pourrait se voir ici progressivement transformée, voire annihilée. Ce changement modifiera peut-être à son tour la teneur parfois tendue des relations entre anglophonie et francophonie, relations elles-mêmes articulées à travers des tensions séculaires du protestantisme et du catholicisme. Cette mutation du catholicisme canadien à l’intérieur du régime de religiosité pluraliste (mondialisé ou non) pèsera lourd sur le catholicisme québécois composé en majeure partie d’une génération qui, bon gré mal gré, s’est voulue complice de son peuple en rapprochant foi et culture. Elle obligera en un sens les artisans du catholicisme québécois à dénationaliser le contenu même du catholicisme, à le désarrimer de son antécédence sociohistorique et à l’arrimer à une nouvelle configuration socioreligieuse qui, au-delà de l’unité nationale, vise la pluralité ethnique, qui, en deçà des impératifs politiques, focalise d’abord sur les dimensions individuelles et existentielles de la condition humaine. C’est ainsi à une conversion majeure de l’ethos catholique québécois que seront peut-être invités les citoyens du Québec contemporain. Et ce n’est pas pour rien que le Québec semble vivre aujourd’hui une importante période de transformation de son rapport à la religion. On pense, bien sûr, aux tumultes qui ont accompagné les travaux de la Commission Bouchard-Taylor. On peut aussi penser au retour d’un certain catholicisme militant (le cas de la prière aux réunions de l’assemblée de la municipalité de Saguenay et du maire Tremblay en est un exemple) et, à son corollaire, un raidissement laïciste (le Mouvement laïque québécois) visant au contraire à expurger tout religieux institué de l’espace public québécois. On peut également songer au changement d’attitude d’une part du haut clergé québécois à l’égard de la modernité québécoise. Hier témoin et complice du développement social, politique et culturel du Québec depuis la Révolution tranquille, travaillant à tisser des liens entre la foi et la culture, une part de la hiérarchie catholique, avec en tête le cardinal Marc Ouellet, semble entrer dans une nouvelle ère de clarification, voire d’intransigeance entre les préceptes de la foi catholique et le Québec tel qu’il se définit aujourd’hui. Exit cette religion culturelle à la fois identitaire et conciliante ; remise en question cette bonne entente entre le catholicisme et la culture québécoise : le temps de l’exculturation vient, semble-t-il, de commencer (Meunier et Laniel, 2011). Une religion « s’exculture quand elle se pense en retrait d’une culture dominante dont elle était partie prenante, mais qui, soudainement ou progressivement lui apparaît sous un jour négatif […][62] » (Roy, 2008, p. 51). Nous ferions face à un processus de « déliaison de l’affinité élective que l’histoire a établi en profondeur entre les représentations partagées [d’un peuple ou d’une nation] et la culture catholique » (Hervieu-Léger, 2003a, p. 97). Cette sortie ne signifierait en rien la fin de la religion, ou la fin d’une culture, mais plutôt, la fin d’une époque[63], c’est-à-dire le changement de la configuration d’une société donnée, dans son articulation originale et historiquement fondée entre religion et culture (Gauchet, 1998 ; Gauchet et Ferry, 2004). Le processus d’exculturation coïncide, il va de soi, avec la transformation progressive du régime de religiosité au Québec et l’étiolement du catholicisme comme religion culturelle des Québécois. Sur le plan de la sociologie des religions au Québec, ce phénomène nous semble d’une grande importance, car il pourrait modifier substantiellement l’apport du religieux institué à la formation, la reproduction et l’affirmation de l’identité collective. Cette transformation semble déjà avoir été le lot du Canada anglais. Comme nous l’avons vu, 30 à 40 ans avant le Québec, celui-ci entrait progressivement dans une phase d’exculturation de la référence chrétienne anglo-saxonne et scellait du même coup son obédience au pluralisme culturel et religieux comme nouveau régime de religiosité. Difficile de savoir pour lors si le Québec instituera un régime pluraliste à dominante chrétienne ou mondialisé. Le flottement sémantique entre l’interculturalisme et le multiculturalisme témoigne peut-être ici de cette ambivalence. Et malgré les critiques des uns ou les assurances des autres, nul ne peut prédire le résultat final de ce processus – le Québec n’en étant pour l’instant qu’à la déprise du régime de la religion culturelle, comme en témoignent plusieurs indicateurs de religiosité chez les membres de la génération Y.

Même si elle touche d’abord le religieux, cette transformation du régime de religiosité aura des conséquences sur les représentations sociales dominantes. Elle pourrait transformer jusqu’à la teneur de la référence nationale, du moins de celle érigée à partir de la fin du 19e siècle et maintenue par un discours idéologique visant à lier explicitement le sort de la nation à celui de la culture (notamment autour du vecteur de la langue et, dans une moindre mesure aujourd’hui, celui de la religion) (Dumont, 1987 et 1993 ; Laniel, 2010). Si avec la Révolution tranquille ce discours des élites traditionnelles du Canada français avait laissé de plus en plus place à un néo-nationalisme de type sécularisé, le lien entre culture catholique, identité canadienne-française et nation québécoise continua néanmoins d’exister (Meunier et Warren, 2002) – entre autres au sein du système d’éducation au Québec qui demeura confessionnel jusqu’en 2000 (Meunier, 2010 ; Milot, 2009b). Le processus d’exculturation représente d’une certaine manière une dernière phase de cette déliaison entre religion, culture et identité, et c’est peut-être la représentation même de la nation québécoise et de son lien avec le reste du Canada qui s’en verrait ici transformée et ainsi reconfigurée en une entité encore inédite (Cantin, 2008).

Or, sans religion historique structurant l’imaginaire collectif, le Québec pourra-t-il toujours maintenir l’idéal de sa nation (Richard, 2009) ? Autrement dit, la transformation de son régime de religiosité, de culturel à pluraliste, le mènera-t-elle inexorablement vers une « canadianisation » de ses références sociales et politiques ? Si cette question, posée cent fois depuis Henri Bourassa, Lionel Groulx et Fernand Dumont, demeure classique, elle n’en impose pas moins une certaine inquiétude.