Corps de l’article

1. Introduction

En Côte d’Ivoire, quelques données épidémiologiques laissent présager une implication possible du milieu lagunaire et de ses variations hydroclimatiques dans le maintien endémique de certaines maladies. En effet, selon DOSSO et al. (1983), depuis 1970, les Vibrionaceae sont principalement mis en cause dans les épidémies qui affectent les populations riveraines de la lagune Ébrié. L'implication possible des variations hydroclimatiques sur la survenue ou non des cas cliniques associés aux entérovirus est largement documentée (JEAN et al., 2006; SEDMAK et al., 2003; TSAI et al., 1993).

À Abidjan-Côte d'Ivoire, la présence des entérovirus dans l’environnement avait déjà été décrite par GERSHY-DAMET et al. (1987) et par BINI et al. (2006). Leurs domaines pathologiques sont très étendus car ils sont capables de provoquer des lésions du système nerveux, du tractus gastro-intestinal, des appareils respiratoires, des muscles, de la peau et des yeux. La poliomyélite et la méningite sont les maladies les plus graves causées par les entérovirus. Ces virus sont également incriminés dans la myalgie, l’arthrite, dans les maladies cardiaques chroniques, le syndrome de Guillain Barré, la conjonctivite hémorragique et le diabète de type I (SANTÉ CANADA, 2004).

Le portage des entérovirus dans les eaux usées permet de recueillir des informations sur les infections liées à ces virus dans les populations humaines et d'établir le risque d'infection que représentent les entérovirus des eaux usées sur ces populations.

Cette étude a été réalisée à partir d’échantillons d'eaux usées collectés à différents sites de prélèvement le long d'un canal dont l'écoulement débouche sur une lagune tropicale à Yopougon. Elle avait pour but d’isoler les entérovirus des eaux usées urbaines et lagunaires et de suivre in situ l’influence des variations hydroclimatiques ainsi que celle d’autres variables abiotiques (pH, salinité, conductivité, sulfate) sur la distribution, le transport, la survie et la persistance de ces virus dans l’environnement.

2. Matériel et methodes

2.1 Cadre de l’étude

La commune de Yopougon a une superficie d’environ 85 km2 et s’étend sur 14 800 hectares. Les données de l’Institut National de la Statistique (Recensement général de la population et de l’habitat, 1998) indiquaient une population de 688 235 habitants. Sa population a été estimée en 2008 à 1 114 940 habitants.

La zone de l’étude s’étendait du nord de la commune à partir de la zone industrielle jusqu’au sud à la berge de la lagune Ebrié près de la centrale thermique d’Azito (Figure 1).

Figure 1

Répartition des sites d’échantillonnage le long d'un canal unitaire dont l'écoulement débouche sur une lagune tropicale à Yopougon.

Distribution of the sampling sites along the channel which flows into a tropical lagoon in Yopougon.

Répartition des sites d’échantillonnage le long d'un canal unitaire dont l'écoulement débouche sur une lagune tropicale à Yopougon.

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La population en aval de la zone d’étude à Azito était estimée en 2008 à 2 395 habitants.

2.2 Échantillonnage

Un échantillonnage aléatoire simple a été effectué sur site (MAUL, 1991). Un volume d’environ 2 litres d’eau usée brute ou lagunaire a été prélevé au fond, près des sédiments, à l'aide d'un récipient en plastique de 2,5 litres relié à une corde.

Ce volume était réparti juste après la collecte comme suit : 1 litre d’eau usée pour analyse virologique aliquoté dans un flacon stérile en verre pyrex. Les échantillons ont été maintenus à +4 °C pendant 48 heures si le traitement n’était pas immédiat (LIEW et GERBA, 1980; WHO, 2003).

Le deuxième litre d’eau usée était destiné aux analyses hydrochimiques. Les échantillonnages s'étaient déroulés en trois séries. Les deux premières séries ont été effectuées dans le sens amont-aval. La première série de prélèvements s'était étendue du 15/09/08 au 19/10/08 pour n = 18 échantillons de 2 litres chacun alors que la deuxième série de prélèvements du 21/10/08 au 04/12/08 pour n = 23. La troisième série a été effectuée à des points critiques. Cette dernière série de prélèvements s'était étendue du 08/12/08 au 25/12/08 pour n = 21. Les collectes des échantillons pour analyses virologiques ont été poursuivies jusqu'au 5/01/09. Ainsi, aux 21 échantillons collectés lors de cette série, quatre autres ont été ajoutés, prélevés uniquement pour les analyses virologiques le 5/01/09, soit un total de n = 25 échantillons collectés à la troisième série de prélèvement.

Dans l'ensemble, 128 échantillons d'eaux usées d'un litre chacun ont été prélevés durant la période s’étendant du 15/09/08 au 05/01/09 dont 88 échantillons d’eaux usées brutes et 40 échantillons lagunaires.

2.3 Caractérisation physicochimique des eaux usées brutes et lagunaires

Les mesures du pH, de la température, de la conductivité et de la salinité ont été effectuées sur site à l’aide d’un multiparamètre HACH Sens Ion5 à sonde multiple et à l’aide d’un multiparamètre de marque Orion 4 Star pH ISE portable.

La concentration de sulfate d'un échantillon d'eau usée a été déterminée à partir d'un prélèvement de 25 mL effectué sur le deuxième litre d'eaux usées destiné aux analyses hydrochimiques. À cet effet, nous avons utilisé un spectromètre portable : Datalogging Spectrophotometer HAH DR/2010. La méthode était la « SulfaVer 4 Method » (powder pillow ou AccuVac Ampul) Method 8051 validée par USEPA pour être appliquée aux analyses des eaux usées.

2.4 Isolement viral

Les entérovirus contenus dans les échantillons d’eaux usées ont été concentrés sélectivement par l’utilisation de Dextran T40 et de Polyéthylène glycol 6000 (PEG 6000) selon la méthode de séparation en deux phases recommandée par l’OMS et d’après le principe de la précipitation des virus (LEWIS et METCALF, 1988; WHO 2003). Ainsi, 66 concentrats de 500 µL, extraits après clarification et concentration de 66 échantillons de 500 mL d’eaux usées ont été inoculés sur quatre lignées de cellules en boîtes de 25 cm2 : L20B, BgM, Hep2C, RD (Passage 0 ou P0). Les boîtes ont été incubées à 36 °C puis observées au microscope optique inversé pendant cinq jours à la recherche d’effets cytopathiques (ECP) caractéristiques des entérovirus. Un passage (Passage 1 ou PI) a été effectué systématiquement sur la même lignée de cellules si l’échantillon ne provoquait pas d'ECP en P0 pendant cinq jours (J5). En effet, en absence d'ECP à J5 en P0, les cellules potentiellement infectées par les virus ont été lysées par congélation puis décongélation et agitation. La suspension de cellules (500 µL) obtenue après répétition de cette opération trois fois de suite a été inoculée sur la lignée de cellules correspondante. Par ailleurs, les suspensions de culture en cas d’ECP ont été réinoculées sur lignées L20B en cas de positivité sur les lignées autres que les L20B (recherche de poliovirus) et sur BGM si les cultures étaient positives sur les autres lignées autres que les BGM (confirmation de la présence d’entérovirus) (HOVIT et STENVIK, 1994; WHO, 2004).

La confirmation des résultats présomptifs d'isolements viraux a été effectuée par typage moléculaire des souches après extraction et amplification du génome viral par RT-PCR à partir d’amorces non dégénérées Pan-Entérovirus (EV) (5' ACACGGACACCCAAAGTAGTCGGTTCC-3' et 5'-TCCGGCCCCTGAATGCGGCTAATCC-3') et d'amorces dégénérées Pan-Poliovirus (PV) (5'-TTIAIIGCRTGICCRTTRTT-3' et 5'-CITAITCIMGITTYGAYATG-3'). Les amorces spécifiques ont été sélectionnées pour typage des Poliovirus détectés par RT-PCR; ce sont : PV-Serotype 1 (-ATCATICTYTCIARCATYTG-3' et 5'-TGCGIGAYACIACICAYAT-3'), PV-Serotype 2 (-AYICCYTCIACIRCICCYTC-3' et 5'-TGCGIGAYACIACICAYAT-3'), PV-Serotype 3 (5'-CCIAIYTGITCRTTIGYRTC-3' et 5'-AAYCCITCIRTITTYTAYAC-3'). Les produits d’amplification ont été visualisés par transillumination UV après électrophorèse sur gel de polyacrylamide à 30 % imprégné de bromure d’éthidium (WHO, 2004; YANG et al., 1991).

2.5 Estimation de la concentration des entérovirus

La concentration virale a été évaluée en prenant pour référence la dose capable de provoquer une réponse positive (ECP) avec une probabilité de 0,50 prédéterminée. L'unité de mesure de la concentration virale étant par définition la dose cytopathogène à 50 % (DCP 50).

Elle a été calculée selon la méthode décrite par Maul (1991) sur la base du titrage des suspensions virales par séroneutralisation en microplaque de culture de 96 puits sur lignées RD en application de la formule de Kärber : logDI50 = L - d (S-0,5). Cette méthode s'appuie sur des hypothèses plus faibles, à savoir des fréquences empiriques extrêmes atteignant respectivement 0 % et 100 % de réponses positives, et une courbe d'efficacité possédant un centre de symétrie au point recherché. Le Titre obtenu, T = 10 - (logDI50) DI50•50 μL-1 de suspension virale a été rapporté à 500 mL et exprimé en UFP•500 mL-1 (MAUL, 1991; WHO, 2004).

2.6 Analyse statistique

Pour l’analyse des données, le logiciel SPSS 13.0 pour Windows a été utilisé et le test Chi carré (χ2) a servi aux différentes comparaisons statistiques. En effet, à des pluviométries différentes, deux proportions d'échantillons positifs ont été comparées. Trois autres proportions d'échantillons positifs à des conductivités différentes ont été comparées au seuil alpha 0,05. Les tests de validité étaient respectés, c'est-à-dire tous les effectifs théoriques (C i, j) ≥ 5.

3. Résultats et discussion

3.1 Isolement viral

La méthode de concentration des entérovirus suggérée par l'OMS (guidelines for environmental surveillance of poliovirus circulation) est adaptée uniquement aux eaux usées (LEWIS et METCALF, 1988; SCHWARTZBROD, 1991; WHO, 2003). Par contre, pour les estuaires ou les eaux lagunaires, d'autres méthodes telles que l'ultrafiltration (i.e. F60S; Fresevirus) ont donné de bons résultats (APHA, 1998). Dans cette étude, les échantillons de deux sites lagunaires G et H fortement pollués par les eaux usées urbaines ont présenté les caractéristiques d'eaux usées avec des teneurs élevées en matières organiques et matières en suspension. L'utilisation d'un dispositif d'ultrafiltration pour la concentration des virus des échantillons collectés présenterait l'inconvénient d'entraîner le colmatage des pores par les matières organiques. En outre, ces méthodes d'ultrafiltration sont connues pour être lentes (~3 heures pour 100 litres pour une eau traitée de bonne qualité).

Dans le but d'augmenter la sensibilité et de recouvrer un grand nombre de ces virus, l’isolement viral a été effectué sur un grand nombre de lignées cellulaires (RD, Hep2C, L20B, BGM) (GRABOW et al., 1999 ).

Dans l'ensemble, parmi les échantillons d'eaux usées brutes (n = 45) et lagunaires (n = 21), 68,9 % et 52,4 % respectivement se sont révélés positifs à l'isolement viral. La présence des entérovirus a été confirmée par RT-PCR respectivement dans 57,8 % et 42,8 % des échantillons d'eaux usées brutes et lagunaires. Sur l'ensemble des virus détectés (n = 42), les analyses effectuées par culture et RT-PCR ont permis de détecter 94,3 % d'entérovirus non polio (ENPV) et 5,7 % de Polio serotype 2.

Une étude menée par MUELLER et al. (2009) en Argentine en suivant les recommandations de l'OMS avait donné des proportions d'échantillons positifs aux entérovirus dans les eaux usées respectivement de 96 % à Rio Cuarto, de 99 % à Cordoba et de 86 % à Villa Maria et à San Francisco. Ces prévalences sont largement au-dessus de celles obtenues dans notre étude. Cette étude de MUELLER avait révélé également que 42,5 % d'échantillons étaient positifs aux ENPV. En Afrique du Sud, GRABOW et al. (1999) ont rapporté un taux de 42,5 % d'ENPV.

À Abidjan «Côte d’Ivoire», l’étude effectuée par GERSHY-DAMET (1987) avait donné une proportion d’entérovirus sensiblement égale à la nôtre. Ce dernier, après avoir utilisé l'isolement viral, la technique Elisa et l’immunofluorescence avait détecté les entérovirus à un taux de 56,7 % (93/164).

Nous avons observé que la proportion des entérovirus dans le cas de cette étude augmentait dans le sens amont aval jusqu’au site F. En milieu lagunaire, la proportion était plus élevée au site G situé près du site F qu’au site H plus éloigné (Figure 2). Les eaux usées en se versant dans la lagune dilueraient la concentration de ces virus, d’où la réduction de la proportion des entérovirus en lagune.

Figure 2

Répartition des entérovirus par sites de prélèvements.

Enterovirus distribution at the different sampling sites.

Répartition des entérovirus par sites de prélèvements.

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3.2 Influence in situ de quelques facteurs environnementaux abiotiques sur la distribution et la persistance des entérovirus

3.2.1 Pluviométrie

L’étendue de la contamination fécale des virus entéropathogènes dans les eaux côtières peut varier saisonnièrement avec la température et la pluviométrie. Le climat peut influer sur la distribution et la survie de certains virus. GREEN et LEWIS (1999) ont isolé un plus grand nombre d'entérovirus infectieux des eaux usées non traitées et des effluents durant les mois pluvieux. Par ailleurs, plusieurs études ont mentionné que les entérovirus étaient présents plus fréquemment à basse température et survivaient pendant une plus longue période dans les environnements naturels (LIPP et al., 2001, 2002).

Les résultats obtenus dans la présente étude semblent appuyer les conclusions de GREEN et LEWIS (1999). En effet, lors de la première série de prélèvements pour une pluviométrie de 0,4 mm, 8/18 (44,4 %) échantillons collectés d’eaux usées étaient positifs aux entérovirus, alors qu’à la deuxième série de prélèvements pour 252,9 mm, 14/23 (60,9 %) échantillons collectés étaient positifs. La différence entre ces proportions provenant des deux séries de prélèvements était statistiquement significative (Chi-carré = 1,1 ≥ 1,07; p = 0,30 > 0,05) (Figure 3).

Figure 3

Évolution de la concentration virale estimée des entérovirus dans le sens amont aval en fonction de la pluviométrie lors des deux premières séries de prélèvements.

Evolution of the estimated virus concentration of enteroviruses in the upstream to downstream direction, depending on rainfall during the first and second rounds of sampling.

Évolution de la concentration virale estimée des entérovirus dans le sens amont aval en fonction de la pluviométrie lors des deux premières séries de prélèvements.

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La contamination virale était plus importante juste après une forte pluviométrie. Ce fait est illustré par la courbe d’évolution des entérovirus du 15/09/08 au 04/12/08 obtenue à partir des prélèvements effectués dans les eaux usées brutes et lagunaires dans le sens amont aval (Figure 3).

Certains auteurs ont aussi mentionné la grande probabilité de détecter les entérovirus dans les eaux côtières après les événements pluvieux (GREEN et LEWIS, 1999; SEDMAK et al., 2003; TSAI et al., 1993).

3.2.2 Température, pH, Salinité, Conductivité, Sulfate

Dans l'ensemble, les résultats de cette étude semblent démontrer que les valeurs maximales des variables (Température Max, pH Max, Salinité Max) ne favoriseraient pas la présence des entérovirus ou seraient à l’origine de la réduction constatée de la concentration virale dans ces eaux (Tableau 1). Cependant, nous n'avons pas pu donner de conclusion définitive à ce sujet au regard du tableau 1 puisque plusieurs facteurs peuvent affecter la proportion d'échantillons positifs sur un site donné. Par ailleurs, le faible nombre de prélèvements sur chacun des sites diminue la capacité d'analyse de l'influence conjointe des facteurs abiotiques (SKRABER, 2003).

Tableau 1

Variation des échantillons positifs en fonction des paramètres environnementaux

Variation of positive samples as a function of environmental parameters

Variation des échantillons positifs en fonction des paramètres environnementaux

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3.2.2.1 Température et pH

À faibles températures comme ce fut le cas du site B (27,2 oC) et du site D (27,1 oC), nous avons obtenu un taux plus élevé de positivité par rapport au site G (28,9 oC) (Figure 4a).Selon WETZ et al. (2004), les fortes températures peuvent endommager les capsides virales ou les acides nucléiques, lesquels peuvent empêcher l'adsorption du virus. Dans la présente étude, les entérovirus infectieux étaient présents pour des températures qui oscillaient entre 26 oC et 30 oC. LIPP et al. (2001) par contre avaient détecté les entérovirus d'un estuaire au sud de la Floride seulement quand la température était au-dessous de 23 oC. Selon WETZ, dans les études in vitro, la survie du poliovirus était améliorée et la détection était observée à 22 oC dans les estuaires comparés à 30 oC dans l'eau de mer. Cette faible variabilité de la température (+4 oC) observée pourrait expliquer leur impact limité sur la contamination virale dans le contexte de Yopougon.

Figure 4

Variation de la moyenne des pH et de la température par sites en fonction des échantillons positifs.

Variation of the average pH and temperature at different sites as a function of the positive samples.

Variation de la moyenne des pH et de la température par sites en fonction des échantillons positifs.

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Par ailleurs, nous avons remarqué qu’au site C, le pH alcalin basique (pH = 8,6) tend à réduire le taux de positivité (Figure 4b). Les effets indirects du pH sur la survie du virus pourraient être à l’origine de cette réduction (FUJIOKA et ACKERMANN, 1975). En effet, DENE et al. (1981) avaient démontré que les interactions du poliovirus avec les montmorillonites révélaient que l’extension de charges négatives sur le poliovirus à pH élevé n’était pas favorable à l'adsorption par les charges négatives à la surface (particules de sol).

3.2.2.2 Salinité

Le résultat obtenu au tableau 1, malgré le nombre faible de prélèvements sur chacun des sites, semble appuyer les résultats qui ont été obtenus lors d'études antérieures. Ces résultats ont démontré que les salinités faibles tendaient à améliorer de manière générale la persistance des virus, ce qui n’était pas le cas pour les fortes salinités (SALO et CLIVER, 1976). Mais la complexité du milieu naturel ne permet pas de prévoir le comportement viral à partir des seules valeurs de pH et de la salinité (SKRABER, 2003). Ainsi, à pH constant, malgré une forte variation de la salinité du milieu (entre 1 et 40 g•L-1), LABELLE et GERBA (1979) n'ont pas observé d'évolution du pourcentage d’adsorption du poliovirus 1 (> 99 %) sur des sédiments marins naturels.

D'autres résultats obtenus dans la présente étude semblent également appuyer les conclusions obtenues par ces études (SALO et CLIVER, 1976). En effet, parmi les échantillons d'eaux lagunaires prélevés dans cette étude (n = 20), nous avons obtenu in situ, pour des salinités variant de 5,9 ‰ à 6,9 ‰ au sites G et H, 5/8 (62,7 %) et 4/12 (33,33 %) échantillons positifs. L’élévation de la salinité (+ 1 ‰) semblait affecter le taux de positivité.

Une étude in vitro réalisée par GANTZER et al. (1998) avait démontré que pour une salinité de 14 ‰, 24 ‰ et 33 ‰, il n’y avait pas de différences statistiquement significatives dans le temps de survie du poliovirus. Les résultats de cette étude in situ ont indiqué que les entérovirus étaient présents pour une salinité oscillant de 2,6 ‰ à 10,7 ‰ et que la concentration virale semblait plus faible à salinité élevée.

3.2.2.3 Conductivité et Sulfate

Une étude réalisée par SOBSEY et al. (1975) a démontré que la concentration de sel dissous en présence de solide en suspension joue un rôle dans l’adsorption du poliovirus de type 1 et de l’échovirus de type 7. Les résultats de leurs expériences révélaient que les entérovirus s'adsorbaient à plusieurs solides en suspension en présence de concentrations élevées de sels dissous (conductivité), mais pas en l’absence de sels dissous (SOBSEY et al.,1975).

Les résultats obtenus semblent appuyer les conclusions de SOBSEY et al. (1975). En effet, nous avons obtenu 6/8 (75 %) échantillons positifs pour une conductivité variant de 15 480 µS•cm-1 à 17 868 µS•cm-1, 13/23 (56,5 %) échantillons positifs pour une conductivité de 3 368 µS•cm-1 et 5/18 (27,8 %) échantillons positifs pour une conductivité de 2 253 µS•cm-1. Les différences entre ces proportions provenant des trois séries de prélèvements sont presque statistiquement significatives (Chi-carré (2ddl) = 5,93~5,99 p = 0,05).

Dans la plupart des lagunes, il est reconnu que la communauté bactérienne anaérobie est dominée par les bactéries réductrices de sulfates qui peuvent transformer 50 % de matériel organique (JORGENSEN, 1983).

La figure 5 semble montrer que la réduction constatée du sulfate, particulièrement au site lagunaire G, due probablement à l’activité réductrice de la communauté bactérienne naturelle (Desulfovibrio, etc.) aurait une incidence sur la concentration virale. Lors de ce processus catalytique de réduction du sulfate, il y aurait une production accrue d’hydrogène sulfureux qui s'accumulerait dans l'environnement anoxique sous la forme de pyrite (JORGENSEN, 1983). Ce processus a-t-il vraiment un lien avec l'abattement observé des entérovirus? L’activité enzymatique antivirale de la communauté bactérienne naturelle pourrait être mise en cause dans la réduction constatée de la concentration virale puisque de nombreuses études l'ont confirmé (BITTON, 1980; FUJIOKA et ACKERMANN, 1975). De même, des études menées dans les eaux naturelles avaient révélé qu’en dehors de la température, des UV et de l’adsorption aux solides en suspension, la persistance virale pouvait être fortement en relation avec la prédation par les flagellés, les protéases extracellulaires, les nucléases et autres enzymes (NOBLE et FUHRMAN 1997,1999; SUTTLE et CHEN, 1992).

Figure 5

Variation de la teneur en sulfate en fonction de la concentration virale estimée dans les eaux lagunaires.

Variation of sulphate content as a function of the estimated virus concentration in the lagoon waters.

Variation de la teneur en sulfate en fonction de la concentration virale estimée dans les eaux lagunaires.

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4. Conclusion

Cette étude a révélé que la prévalence des entérovirus, tant dans les eaux usées brutes que lagunaires, était très élevée et qu’il existait une forte contamination virale du milieu lagunaire en provenance des eaux usées brutes urbaines. En ce qui concerne l’influence des facteurs environnementaux sur la concentration des entérovirus, les résultats de l’étude ont confirmé ceux des études antérieures sur le rôle joué par la température, le pH, la salinité et la conductivité sur la survie et la persistance de ces virus dans l’environnement.

La persistance des entérovirus favorisée par l'action conjuguée des facteurs abiotiques générés par les eaux usées urbaines, dont l’écoulement débouche sur la lagune Ebrié, souligne la nécessité d’améliorer la qualité de ces eaux par un traitement adéquat. Les risques d'exposition aux entérovirus des populations qui vivent à proximité et le long du canal et de ceux du village Ebrié Azito qui tirent l'essentiel de leurs revenus des activités de pêche sont importants.