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Introduction

Cet article s’intéresse au rôle du brevet d’invention dans la science. En particulier, nous étudions les conséquences du dépôt de brevet par des chercheurs publics sur la dissémination des connaissances scientifiques et le transfert de technologie vers l’industrie. Bien que ces questions aient déjà été abordées dans la littérature (Henderson et al., 1998; Mowery et al., 2001; Stephan et al., 2001; Mazzoleni et Sampat, 2002; Buenstorf, 2006; Eisenberg, 2006; Geuna et Nesta, 2006; Sampat, 2006; Fabrizio, 2007; Murray et Stern, 2007; Czarnitzki et al., 2011; Jensen et Webster, 2011), notre travail propose de nouveaux résultats en utilisant une source d’information originale : le point de vue des inventeurs académiques français c’est-à-dire des enseignants-chercheurs également mentionnés comme inventeurs dans un dépôt de brevet européen. Une enquête menée au printemps 2008 auprès de la population des inventeurs académiques français nous a permis de collecter des informations détaillées sur 280 d’entre eux.

La vision économique traditionnelle considère que le rôle des organismes publics de recherche est d’approvisionner un stock de connaissances fondamentales dans lequel les entreprises doivent pouvoir puiser afin de développer des innovations. En ce sens, le brevet a historiquement eu très peu de place dans la « république des sciences » (Polanyi, 1962), qui repose plutôt sur la diffusion rapide et gratuite des connaissances scientifiques (Bush, 1945; Nelson, 1959; Dasgupta et David, 1994; Stephan, 1996). En rupture avec cette vision, lors des trois dernières décennies le nombre de dépôts de brevets par des universités a explosé partout dans le monde (Mowery et al., 2001; Mazzoleni et Sampat, 2002; Cesaroni et Piccaluga, 2002; Geuna et Nesta, 2006; Azagra-Caro et al., 2006; Carayol et Matt, 2007; Lissoni et al., 2007). Le Bayh-Dole Act aux États-Unis, même s’il n’en est probablement pas le déclencheur principal, symbolise cette rupture (Mowery et Ziedonis, 2002; Mowery et al., 2004; Sampat, 2006).

Les conséquences de ce changement ont été largement documentées. D’un côté, breveter les recherches académiques est considéré comme nécessaire afin de favoriser le transfert de ces recherches vers l’industrie et ainsi diminuer le taux d’inventions qui restent sur les étagères des universités (Jensen et Thursby, 2001; Verspagen, 2006). Mais d’un autre côté le brevetage des recherches académiques peut avoir de nombreux effets indésirables. Cela risque notamment de menacer la construction d’un socle de connaissances fondamentales accessible à tous au moindre coût (David, 2003; Nelson, 2004) et ainsi d’affecter la croissance de nos économies à long terme.

Empiriquement, la plupart des études économétriques montrent que le dépôt de brevet sur les recherches académiques ne diminue par la performance des chercheurs, mesurée en nombre de publications scientifiques (Stephan et al., 2001; Breschi et al., 2005; Van Looy et al., 2006; Carayol, 2007; Thursby et Thursby, 2011). Néanmoins des études plus qualitatives indiquent que le brevet affecte les normes de la science ouverte et ralentit la diffusion des connaissances académiques en favorisant le secret (Blumenthal et al., 1997; Louis et al., 2001; Campbell et al., 2002). Il a également été montré que dans certains secteurs, comme la pharmacie par exemple, le dépôt de brevet favorise le transfert de technologie vers l’industrie (Mansfield, 1986; Levin et al., 1987; Cohen et al., 2000).

Notre travail offre un complément aux études déjà réalisées en introduisant une nouvelle source d’information : nous demandons leur avis directement aux inventeurs académiques. Ces derniers sont en effet les mieux placés pour connaître l’impact du brevet sur leur activité scientifique et leurs collaborations industrielles. Les études antérieures nous ont permis d’identifier 1228 professeurs d’universités et maîtres de conférences français mentionnés comme inventeurs dans un brevet européen (Lissoni et al., 2007). Nous avons adressé un questionnaire (par courriel) à l’ensemble de ces inventeurs académiques et avons recueilli 280 réponses exploitables, soit un taux de retour de plus de 20 %.

La significativité des études par questionnaire est toujours une question délicate car ces études sont basées sur l’avis des répondants. Cela amène le chercheur à travailler sur des préférences déclarées et non pas révélées. Or les réponses au questionnaire sont sujettes à de nombreux biais. Dans notre étude, par exemple, la plupart des répondants semblent être très enthousiastes par rapport au brevet. Néanmoins, concernant les conséquences du brevet dans la science les sources d’information sont tellement rares que notre étude a au moins le mérite de proposer de nouveaux résultats basés sur une information qualitative riche.

La partie suivante propose une revue de la littérature sur les conséquences du brevet dans la science. La deuxième partie fournit une description de notre échantillon d’inventeurs académiques français et s’intéresse aux biais éventuels du fait de la méthodologie utilisée (préférences déclarées et non pas révélées). Enfin, dans la troisième partie nous exposons les résultats principaux de l’enquête.

1. Les conséquences du brevet d’invention dans la science : revue de la littérature

1.1 Incitations et transfert de technologie

L’argument principal en faveur du brevetage des inventions issues du public repose sur le manque d’incitation des acteurs à assurer le transfert de l’invention de la science vers l’industrie : (1) incitations des entreprises à investir afin de rendre les inventions issues du public économiquement viables et (2) incitations des chercheurs publics à assister les entreprises dans ce processus de valorisation[1].

Les inventions académiques sont souvent à un stade embryonnaire c’est-à-dire qu’elles nécessitent encore d’importants investissements complémentaires avant d’être rentables (Jensen et Thursby, 2001). Or, les entreprises n’ont pas intérêt à réaliser ces investissements si elles ne peuvent pas ensuite s’approprier l’invention. En l’absence de brevet, la plupart des inventions réalisées au sein des universités resteraient ainsi sur les étagères des laboratoires (Mazzoleni et Sampat, 2002). Le brevet, en offrant un élément d’exclusivité serait ainsi nécessaire pour inciter au développement industriel des inventions qui sortent des laboratoires académiques (Verspagen, 2006). Cet argument a notamment été central à l’époque du Bayh-dole Act voté aux États-Unis en 1980.

Du côté des chercheurs publics les incitations sont également au coeur du raisonnement. Jensen et Thursby (2001) expliquent que lorsque les inventions issues du public sont dans un état embryonnaire, les entreprises ont besoin de la participation des chercheurs publics pour les développer. Cependant, dans le système de la « république des sciences » ces derniers ont très peu d’incitation à collaborer. Aussi, les entreprises font face à un problème de type principal-agent. La rémunération de l’entreprise (le principal) dépend du niveau d’effort fourni par le scientifique (l’agent), niveau largement inobservable. Le brevet, et surtout les schémas de licences basés sur les royautés, permet alors d’intéresser les chercheurs publics et donc de les inciter à collaborer pour rendre l’invention économiquement rentable.

Malgré la clarté de l’argument Bayh-Dole, les études empiriques qui ont essayé de le tester restent rares. Une exception concerne les travaux de Jensen et Thursby (2001), qui ont analysé le cas de 62 universités américaines. Ils concluent que de nombreuses inventions étant à un stage très éloigné du marché, elles resteraient effectivement sur les étagères des universités sans l’aide de mécanismes de licence permettant d’aligner les incitations des chercheurs publics et des entreprises (Jensen et Thursby, 2001 : 241). D’un autre côté, certains auteurs questionnent cet argument en montrant, d’une part que les brevets détenus par les universités n’ont pas toujours un effet positif sur le déroulement des collaborations universités-entreprises (Bekker et Bodas Freitas, 2011) et, d’autre part, que le Bayh-Dole Act a surtout contribué à diminuer la qualité des brevets délivrés aux universités (Henderson et al., 1998).

Dans tous les cas, en ce qui concerne cette hypothèse Bayh-Dole, d’importantes différences sectorielles sont à attendre (Sampat, 2006). Par exemple, dans le domaine des sciences de la vie et de la pharmacie, l’importance du brevet est attestée par toutes les études empiriques (Mansfield, 1986; Levin et al., 1987; Cohen et al., 2000). Mais cela n’est pas forcément le cas pour d’autres secteurs. Mowery et al. (2004) insistent notamment sur la multiplicité des canaux de transmission entre universités et entreprises (publications, conférences, brevet, liens informels, formation d’étudiants, etc.). Cela signifie que l’absence de brevet n’est pas toujours synonyme d’échec du transfert de la technologie.

1.2 La dissémination des recherches académiques et la culture open science

Déposer des brevets sur les recherches académiques risque de ralentir la dissémination de ces recherches en encourageant le secret. En France, comme dans la plupart des pays occidentaux (États-Unis exceptés) une invention doit être tenue entièrement secrète avant de la breveter, faute de pouvoir satisfaire le critère de nouveauté. Toute révélation de l’invention antérieure au dépôt de brevet invalide la demande. Aussi, encourager les scientifiques à déposer des brevets risque d’encourager les pratiques de secret, au moins à cout terme. Aux États-Unis cet effet est probablement atténué du fait de l’existence d’un délai de grâce qui autorise les inventeurs à déposer un brevet au maximum un an après la première divulgation de l’invention (Franzoni et Scellato, 2007; Pénin, 2008).

Dans le même ordre d’idée, on craint également que l’introduction du brevet dans la science diminue les interactions et le partage d’idées entre les scientifiques. Le brevet les rendrait plus égoïstes et moins prêts à partager leurs résultats entre eux. Cette diminution de la collaboration risquerait alors d’affecter l’efficacité de la recherche scientifique, justement basée sur un modèle très ouvert (Polanyi, 1962; Dasgupta et David, 1994; Verspagen, 2006).

Les études empiriques n’offrent pas de résultats convergents en ce qui touche à l’impact du brevet sur la diffusion des connaissances académiques et la culture scientifique. De nombreuses études économétriques montrent que le dépôt de brevet est plutôt un complément qu’un substitut aux publications scientifiques. Aussi bien au niveau de l’université, du laboratoire que du chercheur, un plus grand nombre de brevets est associé à un plus grand nombre de publications scientifiques (Stephan et al., 2001; Breschi et al., 2005; Buenstorf, 2006; Van Looy et al., 2006; Carayol et Matt, 2007). Ainsi, si l’on mesure la diffusion des connaissances scientifiques par le nombre de publications scientifiques, il semble que le brevet n’affecte pas ou peu la dissémination de ces connaissances mais, au contraire, la renforce. D’un autre côté, il existe également certains éléments, essentiellement qualitatifs, en faveur de l’existence d’un délai de publication attribuable au dépôt de brevet (Webster et Packer, 1997; Blumenthal et al., 1997; Louis et al., 2001; Campbell et al., 2002).

1.3 Les incitations à faire de la recherche fondamentale

Une critique importante faite au brevetage des recherches académique est que cela risque d’entraîner une éviction des recherches fondamentales au profit des recherches plus appliquées[2]. En théorie, les recherches fondamentales ne peuvent pas faire l’objet de brevets. La possibilité de déposer des brevets peut ainsi inciter les chercheurs à diminuer les efforts consacrés à la recherche fondamentale et à accroître ceux consacrés à la recherche appliquée, qui devient plus rémunératrice grâce au brevet[3]. Un tel effet d’éviction affecterait alors sérieusement la production d’innovations à long terme (Nelson, 1959, 2004).

Lorsque l’on mesure la production de recherche fondamentale par le nombre de publications scientifiques, l’existence d’un effet d’éviction est clairement rejetée. Comme déjà indiqué plus haut, la plupart des études économétriques concluent à une complémentarité entre brevet et publications, signifiant que les chercheurs qui déposent le plus de brevet sont également ceux qui publient le plus. Thursby et Thursby (2002) montrent de plus que l’augmentation des dépôts de brevet par les scientifiques ne provient pas d’un changement dans l’orientation des recherches des chercheurs mais plutôt d’un accroissement de la propension des universités à déposer des brevets. Thursby et Thursby (2011) montrent également que le fait de déclarer une invention au service de valorisation de son université a un effet positif sur le nombre de publications scientifiques et donc ne semble pas écarter le chercheur de la recherche fondamentale.

Néanmoins, certaines études mettent en avant l’existence d’un effet d’éviction de la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée (Azoulay et al., 2006). Czarnitzki et al. (2009), par exemple, tiennent compte de l’hétérogénéité des activités de brevet et démontrent, sur des données allemandes, que les brevets détenus par des universités ne diminuent pas la performance des scientifiques mais que, par contre, les brevets détenus par des partenaires industriels induisent un effet d’éviction. Sur des données anglaises, Crespi et al. (2011), trouvent une relation en U inversé entre brevet et publication, suggérant qu’au-delà de 10 brevets un accroissement du nombre de brevet pourrait nuire à la performance scientifique. Enfin, Gulbrandsen et Smeby (2005) trouvent que les professeurs norvégiens qui ont des liens avec l’industrie tendent à décrire leur recherche comme étant plus appliquée.

1.4 L’accès aux connaissances scientifiques

Le brevetage des recherches académiques risque d’augmenter le coût d’accès à ces recherches. Comme l’innovation est un processus cumulatif il est important, pour innover, d’avoir accès aux connaissances passées. L’argument central du modèle open science est que les connaissances scientifiques doivent être largement disponibles à moindre coût afin de faciliter leur réutilisation. Or, le brevet amène un élément de contrôle sur ces recherches, réduisant ainsi leur disponibilité. De plus, dans des secteurs comme les biotechnologies et l’électronique, la multiplication des brevets sur des recherches très en amont risque d’entraîner un « filet de brevet » (Shapiro, 2001), une « tragédie des anticommuns » (Heller et Eisenberg, 1998) ou encore une « privatisation du socle commun de connaissances », (Nelson, 2004). Ces expressions suggèrent que la prolifération des brevets sur des recherches scientifiques risque de réduire l’utilisation de ces recherches et ainsi d’affecter le processus de production de connaissances nouvelles[4].

Empiriquement, les preuves de l’existence d’une « tragédie des anticommuns » sont minces. Murray et Stern (2007), en comparant les citations d’articles scientifiques avant et après le dépôt d’un brevet, identifient un effet d’anticommun modeste mais statistiquement significatif. D’autres études, notamment dans les sciences de la vie, insistent plutôt sur les freins alternatifs à l’accès aux recherches académiques, comme le secret ou la rétention de matériels complémentaires (Walsh et al., 2007; Cohen et Walsh, 2008).

La littérature économique met ainsi en avant un certain nombre d’hypothèses concernant les conséquences du brevetage des inventions issues du public. Dans la suite de l’article nous analysons ces conséquences à la lumière d’une étude menée auprès d’inventeurs académiques français.

2. Description de l’échantillon et représentativité

Lors d’une enquête par questionnaire menée au printemps 2008, nous avons récolté des informations sur 280 inventeurs académiques français (voir le questionnaire en annexe 1). Cet échantillon est issu de la population totale des inventeurs académiques français identifiés par Lissoni et al. (2007). Par inventeurs académiques, nous entendons ici des maîtres de conférences et professeurs d’universités mentionnés comme inventeurs dans un brevet. En utilisant des techniques d’appariement entre les enseignants-chercheurs français en 2004 et les inventeurs de brevet européen depuis 1993, nous avons identifié 1228 inventeurs académiques en France. Ces inventeurs académiques représentent 3,84 % des enseignants-chercheurs français dans les disciplines correspondantes (Lissoni et al., 2007). Sur ces 1228 inventeurs académiques contactés par courriel, 280 ont offert des réponses exploitables à notre questionnaire, ce qui correspond à un taux de réponse de plus de 20 %.

Les tableaux 1 et 2 montrent le profil des répondants ainsi que ceux de la population mère par rapport à l’âge, le genre, le grade et la discipline scientifique. Les statistiques calculées pour la population mère proviennent de Lissoni et al. (2007).

Tableau 1

Distribution par rapport au genre et au grade universitaire

Distribution par rapport au genre et au grade universitaire

Note : MCF=maître de conférences; PU=professeur d’université.

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Tableau 2

Distribution par rapport à la discipline scientifique

Distribution par rapport à la discipline scientifique

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La grande majorité des répondants sont des hommes, ce qui est cohérent avec la population mère des inventeurs académiques français. Il y a une surreprésentation dans notre échantillon des maîtres de conférences ainsi que des chercheurs plus jeunes, ces deux points étant naturellement corrélés. Enfin, il y a une sous-représentation des chercheurs en sciences médicales et une surreprésentation de ceux en chimie. Il est important de souligner que ces différences n’affectent pas significativement la représentativité de notre échantillon[5].

La méthodologie utilisée (préférences autodéclarées) laisse possible l’existence d’un biais de sélection et/ou d’un biais hypothétique. Les répondants sont tous probablement influencés par leur opinion subjective sur la question du brevet, exagérant ou réduisant ainsi les mérites de ce dernier. Pour évaluer la possibilité de tels biais, la dernière question du questionnaire demandait aux scientifiques leur avis par rapport aux conséquences possibles du brevetage des inventions académiques. La question était délibérément subjective dans le sens ou nous demandions clairement l’opinion du répondant. Pour chaque proposition, le répondant était invité à donner une note sur une échelle de Likert de 0 à 5 : 0 si le répondant est en complet désaccord avec la proposition, 5 s’il est en accord complet. Nous considérons ensuite que le répondant est d’accord avec la proposition s’il donne une note de 4 ou 5, qu’il est neutre, pour une note de 2 ou 3 et qu’il est en désaccord pour une note de 0 ou 1. Les réponses à cette question sont indiquées dans le tableau 3.

Tableau 3

Perception du brevet académique par les répondants

Perception du brevet académique par les répondants

Note : 278 répondants à cette question

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Ces résultats sont à comparer avec ceux de Davis et al., (2008), la seule étude similaire à notre connaissance. Davis et al. analysent la perception du brevet académique par les scientifiques en science de la vie au Danemark. Ils posent deux questions : est-ce que, selon les répondants, breveter les recherches académiques a un impact négatif sur : (1) la liberté de choisir son domaine de recherche et (2) les normes d’ouverture de la science. Au total, 27 % des répondants pensent que le brevet académique a un impact négatif sur la liberté du choix du problème et 41 % pensent qu’il affecte négativement les normes de la science ouverte. Pour comparaison, dans notre échantillon, seuls 8,3 % des répondants sont d’accord avec le fait que breveter les recherches académiques décroît la confiance et la collaboration entre les chercheurs (ce que l’on peut assimiler aux normes de la science ouverte).

En résumé, dans notre enquête, les répondants semblent avoir une image très positive du brevet d’invention et n’hésitent souvent pas à s’enthousiasmer (nous le retrouvons surtout dans les commentaires qui accompagnent les réponses). Il est intéressant de remarquer que cette perception positive est significativement corrélée au nombre de brevets inventés (voir annexe 3)[6]. Plus le répondant invente de brevets et plus il a tendance à être favorable au brevet. Néanmoins, comme nous le verrons par la suite, cette perception positive des répondants ne semble pas affecter de manière significative les réponses au questionnaire, les différences entre répondants étant rarement expliquées par leur vision du brevet telle qu’exposée dans le tableau 3.

3. Principaux résultats

3.1 Brevet académique, diffusion des recherches scientifiques et culture open science

Notre enquête montre que le brevetage des recherches académiques entraîne quasiment systématiquement un retard dans leur diffusion à la communauté scientifique. Dans une grande majorité des cas les répondants affirment que le dépôt de brevet a entraîné un délai dans la publication de la recherche objet du dépôt. Deux cent dix-huit répondants (sur 278, soit 78 %) reconnaissent un tel délai de publication directement attribuable au brevet (graphique 1). De surcroît, la durée de ce délai n’est pas toujours négligeable. Sur les 218 répondants qui reconnaissent un délai dans la publication de leur recherche, environ la moitié (106 ce qui équivaut à 49 %) estiment que ce délai a dépassé un an (graphique 2). Par ailleurs, 17 % des répondants reconnaissent également un contrôle du contenu de leur publication par un partenaire industriel, qui a le droit de modifier voire d’interdire la publication. Enfin, 16 % des répondants affirment que le dépôt de brevet a empêché purement et simplement la publication des recherches (graphique 1).

Graphique 1

Conséquences directement attribuables au dépôt de brevet

Conséquences directement attribuables au dépôt de brevet

Note : 278 réponses. Plusieurs réponses possibles.

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Graphique 2

Délai de publication directement attribuable au dépôt de brevet

Délai de publication directement attribuable au dépôt de brevet

Note : 218 réponses. Cette question concerne uniquement les répondants qui reconnaissent avoir expérimenté un délai de publication.

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Pour analyser les éléments qui affectent l’existence d’un délai de publication, ainsi que la longueur de ce délai, nous avons estimé deux modèles : un logit dont la variable dépendante (RETARD_PUBLI1) prend la valeur 1 lorsque le répondant reporte un délai de publication et zéro sinon et un modèle logit ordonné dont la variable dépendante (RETARD_PUBLI2) prend les valeurs de 0 à 4 selon la longueur du délai reporté (0 si pas de délai reporté, 4 si le délai est supérieur à 2 ans). Les résultats de ces deux modèles sont présentés dans le tableau 4.

Tableau 4

Les déterminants du délai de publication[1]

Les déterminants du délai de publication1

Note : = 263 / (***) significatif au seuil de 1 %, (**) significatif au seuil de 5 %, (*) significatif au seuil de 10 %.

1

Les régressions réalisées dans l’article contiennent un grand nombre de variables explicatives par rapport au nombre total d’observations, ce qui est susceptible d’affecter les estimations. Néanmoins, nos résultats restent robustes lorsque l’on retient une spécification plus parcimonieuse. Aussi, pour simplifier la lecture de l’article nous avons choisi de ne présenter ici que les résultats des régressions complètes.

Une description des variables utilisées est fournie en annexe 2.

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Plusieurs éléments intéressants ressortent de cette analyse : en premier lieu, l’existence d’un délai ainsi que la longueur du délai sont significativement corrélées à la performance scientifique du répondant. Plus le répondant a un nombre de publications élevé et plus la probabilité qu’il reporte un délai et un délai important est élevée. Les répondants dans le secteur de la pharmacie ainsi que ceux évoluant dans des laboratoires qui ont une politique de brevet systématique mentionnent également des délais plus longs. Par contre, le nombre de brevets déposés, l’âge, la perception du brevet, le fait que le répondant dépose des brevets codétenus par des industriels ainsi que sa motivation n’influencent pas l’existence d’un délai, ni la longueur du délai reporté.

En résumé, notre enquête suggère que le dépôt de brevet dans la science peut sérieusement ralentir la publication et la diffusion des recherches scientifiques ainsi qu’influer sur leur contenu. Par contre, en ce qui concerne l’impact du brevet sur la culture open science, notre enquête n’offre pas de résultats très significatifs[7].

3.2 Brevet académique et transfert de technologie université-industrie

Notre étude tend à appuyer en partie l’hypothèse du Bayh-dole Act selon laquelle le brevetage des recherches scientifiques facilite leur transfert vers l’industrie. En effet, 43 % des répondants (115 des 270 répondants à la question) mentionnent qu’au moins une de leur invention brevetée a été commercialisée ou industrialisée. Il est intéressant de remarquer la très forte corrélation entre ce chiffre et le fait que les brevets soient codéposés avec des industriels (tableau 7 – modèle 1). La probabilité que le répondant fasse état d’une invention transférée est positivement et significativement corrélée (au seuil de 1 %) avec le fait que le répondant ait un ou plusieurs brevets codéposés avec des industriels. Cela s’explique en grande partie par le fait que les codépôts de brevet viennent le plus souvent sanctionner des projets de recherche communs entre l’université et l’entreprise, projets souvent initiés par les entreprises elles-mêmes, ce qui explique leur plus fort intérêt pour ces brevets. La probabilité d’avoir une invention commercialisée est également plus importante pour les hommes. Par contre, elle ne dépend pas de la performance scientifique du répondant, du nombre de brevets qu’il a inventés, de la politique de dépôt de brevet de son laboratoire d’appartenance, de sa motivation, de sa perception du brevet, ni de sa discipline scientifique.

Sur les 115 répondants qui font état du transfert industriel de l’un de leurs brevets, plus de la moitié considèrent que le brevet a été nécessaire au transfert de technologie. Plus précisément, 55 % pensent que, sans brevet, le transfert n’aurait pas eu lieu (tableau 5). De plus, 24 % pensent qu’en l’absence de brevet le transfert de l’invention aurait eu lieu mais aurait été plus difficile. Au total, 79 % des répondants qui ont expérimenté un transfert de technologie considèrent ainsi que le brevet a joué un rôle positif lors de ce transfert. Seulement 7 % d’entre eux considèrent que le brevet n’a joué aucun rôle. Remarquons néanmoins que si, dans le cas où les inventions ont été transférées vers l’industrie, le brevet semble jouer un rôle essentiel, il n’est aucunement une garantie de transfert, puisque seuls 43 % des répondants font état d’un transfert de technologie effectif. Cela signifie que 57 % des répondants avaient des brevets mais n’ont jamais vu leur technologie utilisée par l’industrie.

Tableau 5

L’impact du brevetage des inventions académiques sur leur transfert vers l’industrie

L’impact du brevetage des inventions académiques sur leur transfert vers l’industrie

Note : 115 réponses. Cela correspond au nombre de répondants dont au moins une des inventions brevetées a fait l’objet d’un transfert vers l’industrie (43 % des répondants). Les 57 % restants n’ont pas expérimenté de transfert de technologie, du moins pas pour leurs inventions brevetées.

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Tableau 6

Distribution par discipline scientifique des répondants qui considèrent que leur invention n’aurait pas été transférée s’il n’y avait pas eu de brevet

Distribution par discipline scientifique des répondants qui considèrent que leur invention n’aurait pas été transférée s’il n’y avait pas eu de brevet

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Il est possible de tester les éléments qui diffèrent entre les répondants qui considèrent le brevet comme absolument nécessaire au transfert et les autres (tableau 7 – modèle 2). En premier lieu il est intéressant de constater que la perception des répondants n’affecte pas significativement la probabilité de considérer le brevet comme nécessaire au transfert de technologie. Notamment, le fait que les répondants considèrent que « breveter les recherches académiques décroît la confiance et donc les collaborations et les interactions entre chercheurs » n’est pas corrélé de manière significative avec la probabilité de répondre que le brevet est nécessaire au transfert de technologie (la corrélation est bien négative mais non significative). De même, le nombre de brevets déposés par le répondant ainsi que le fait que le répondant codépose des brevets avec des industriels n’est pas non plus significatif. Par contre, l’âge et la motivation du dépôt influencent positivement et de manière significative la probabilité que le répondant considère le brevet comme absolument nécessaire au transfert. La discipline scientifique joue également un rôle important (tableau de contingence 6).

Tableau 7

Les déterminants du transfert de technologie et de l’importance du brevet

Les déterminants du transfert de technologie et de l’importance du brevet

Note : N = 258 pour le modèle 1 et 115 pour le modèle 2 / (***) significatif au seuil de 1 %, (**) significatif au seuil de 5 %, (*) significatif au seuil de 10 % / Une description des variables utilisées est fournie en annexe 2.

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Le brevet joue un rôle nécessaire essentiellement dans les sciences de la vie (où environ les trois quarts des répondants considèrent que sans brevet le transfert n’aurait pas eu lieu) et la pharmacie. Dans ce dernier cas, la totalité des répondants estiment que le brevet a été nécessaire au transfert. Ainsi, sans dépôt de brevet sur les recherches scientifiques, dans la pharmacie les répondants considèrent que toutes les inventions resteraient sur les étagères des laboratoires académiques. Ce résultat recoupe d’autres résultats d’enquêtes dans la pharmacie (Mansfield, 1986; Levin et al., 1987; Cohen et al., 2000). À l’inverse, le brevet semble jouer un rôle moins important pour le transfert de technologie dans les sciences de l’ingénieur où, selon les répondants, les trois quarts des inventions auraient quand même été transférées en l’absence de brevet.

Les variables indicatrices de la discipline scientifique ne figurent pas dans le modèle 2 car 100 % des répondants appartenant au secteur pharmaceutique ont répondu positivement à la question posée, ce qui empêche le calcul d’estimations.

Au final, notre étude fournit des éléments nouveaux quant à l’impact du brevetage des recherches académiques sur leur transfert vers l’industrie. Cette hypothèse semble être valide dans les sciences de la vie et surtout dans la pharmacie, mais beaucoup moins dans les sciences de l’ingénieur. Ces résultats permettent de relativiser certaines critiques de la littérature économique sur les conséquences du Bayh-Dole Act (Mowery et al., 2004). Dans certaines disciplines (la pharmacie en tête) il semblerait bien que l’appropriation soit nécessaire pour inciter le transfert des technologies développées dans les universités. Mais naturellement, avant de pouvoir en tirer des conséquences quant à la désirabilité, pour la société, du brevetage des inventions issues du public, il faut mettre en balance ce résultat avec les coûts du brevet (notamment, nous avons vu que de nombreuses inventions brevetées n’étaient jamais transférées).

3.3 Résultats supplémentaires : incitations à faire de la recherche fondamentale et accès aux connaissances scientifiques

Notre enquête offre des résultats intéressants concernant deux autres aspects liés aux conséquences du brevetage des recherches scientifiques : la possibilité d’un effet d’éviction de la recherche fondamentale au bénéfice de la recherche plus appliquée et la possibilité d’un accès aux connaissances scientifiques rendu plus difficile et plus coûteux.

Concernant le premier point, nous avons demandé aux inventeurs académiques si la possibilité de breveter leur recherche induisait un changement dans le choix de leur programme scientifique. Autrement dit, est-ce que la possibilité de déposer des brevets affecte leur agenda de recherche? Les réponses sont exposées dans le tableau 8. Au total, environ 20 % des répondants reconnaissent orienter leur recherche vers des domaines où il leur sera plus facile d’obtenir des brevets. Ce résultat indique que le brevet académique n’est pas forcément neutre pour l’agenda de recherche scientifique. Par contre, il ne faudrait pas en conclure automatiquement que le brevet académique induit une réduction de l’activité de recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée. Comme mentionné par de nombreux répondants, il n’est jamais aisé de distinguer recherche fondamentale et recherche appliquée. Derrière de nombreux dépôts de brevet il y a ainsi d’importantes recherches fondamentales. Aussi, les scientifiques qui orientent leur recherche vers des domaines brevetables peuvent-ils parfois le faire tout en continuant à produire de la recherche fondamentale.

Tableau 8

Influence du brevetage des recherches académiques sur l’agenda des recherches scientifiques

Influence du brevetage des recherches académiques sur l’agenda des recherches scientifiques

Note : 278 réponses. Nous avons volontairement évité d’utiliser les termes recherche fondamentale et appliquée afin de prévenir tout malentendu de la part des répondants.

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Un point important concerne les déterminants du choix des inventeurs académiques d’orienter ou non leurs recherches vers des domaines brevetables. En rapport à cette question, l’intérêt de nos données est qu’elles permettent d’évaluer les facteurs qui influencent le choix délibéré des chercheurs d’orienter leurs recherches vers des domaines brevetables (leur préférence déclarée). Or, la plupart des études existantes ne disposent pas de cette information mais uniquement du nombre de brevets effectivement déposés par les chercheurs (nombre qui est censé révéler leur préférence d’orienter leurs recherches vers des domaines brevetables) (Van Looy et al., 2006; Azagra Caro et al., 2006; Carayol, 2007; Stephan et al., 2007). Il est ainsi intéressant de comparer les deux approches : est-ce que les facteurs qui influencent le nombre de brevets effectivement déposés par un chercheur coïncident avec ceux qui affectent le choix d’orientation des recherches? Nos résultats semblent indiquer que non (Hussler et Pénin, 2010).

Le tableau 9 permet de comparer les facteurs qui influencent le nombre de brevets déposés par un inventeur académique (modèle binomial négatif) avec ceux qui influencent le choix délibéré d’orienter ses recherches vers des domaines brevetables (modèle logit). Dans ce second modèle la variable dépendante prend la valeur un si l’inventeur académique reconnaît orienter ses recherches vers des domaines brevetables, et zéro sinon.

Tableau 9

Les déterminants du choix des inventeurs académiques d’orienter leur recherche vers des domaines brevetables (repris de Hussler et Pénin, 2010)

Les déterminants du choix des inventeurs académiques d’orienter leur recherche vers des domaines brevetables (repris de Hussler et Pénin, 2010)

Note : = 269 / (***) significatif au seuil de 1 %, (**) significatif au seuil de 5 %, (*) significatif au seuil de 10 %.

Une description des variables utilisées est fournie en annexe 2.

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Le choix d’un inventeur académique d’orienter ses recherches vers des domaines brevetables dépend positivement de la politique de valorisation du laboratoire de recherche auquel il appartient et de son expérience passée en matière de brevet et de transfert de technologie. Les chercheurs qui appartiennent à des laboratoires qui ont une politique systématique de brevetage de leurs recherches, qui ont déjà expérimenté des brevets bloquants ou un transfert de technologie déroulé avec succès (grâce au brevet) ont plus tendance à orienter leurs recherches vers des domaines brevetables. À l’inverse, la performance de l’université d’appartenance, la performance scientifique du chercheur, son âge ainsi que sa discipline scientifique n’affectent pas son choix. Par contre l’âge et la performance scientifique affectent positivement le nombre de brevets déposés. Un autre résultat intéressant concerne l’influence de la perception des chercheurs par rapport au brevet. Paradoxalement, plus un chercheur considère que le brevet affecte les normes de la science, plus il cherche à déposer des brevets (mais moins il en obtient).

La dernière partie de notre étude sur les conséquences du brevetage des recherches académiques concerne l’accès aux connaissances scientifiques. Environ un quart des répondants indique avoir déjà été obligé de réorienter sa recherche afin d’éviter un litige de brevet (tableau 10)[8]. À nouveau, ces résultats sont très spécifiques à la discipline considérée. Ils sont par exemple très pertinents dans le cas de l’électronique (où le pourcentage monte à 33 %) et la pharmacie (37 %) mais beaucoup moins en biologie, où 16 % des répondants affirment avoir du réorienter leur recherche du fait de brevets détenus par des tiers. Nos résultats suggèrent ainsi que dans certains secteurs le brevet peut pénaliser l’accès aux connaissances scientifiques et freiner le processus cumulatif de la recherche scientifique. Aussi, ils sont à mettre en balance avec ceux de Cohen et Walsh (2008) qui, dans les sciences de la vie, montrent que le brevet est un obstacle marginal à l’accès aux connaissances scientifiques.

Tableau 10

Accès aux recherches scientifiques

Accès aux recherches scientifiques

Note : 275 réponses.

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Conclusion

Ce travail est basé sur une nouvelle source d’information afin d’étudier les conséquences du brevetage des recherches académiques. Lors d’une enquête menée au printemps 2008, nous avons pu demander leur avis directement aux inventeurs académiques français. Même si cette méthodologie est sujette à certains biais, elle promet des résultats intéressants, car les inventeurs académiques constituent probablement la meilleure source d’information en ce qui concerne les conséquences du brevet dans la science. Ce sont eux les plus à même de connaître l’impact du dépôt de brevet sur leur recherche et notamment sur l’exploitation industrielle de cette recherche. Au total, nous avons collecté des informations sur 280 inventeurs académiques français. Cette source d’information, riche et rare, nous a permis de mettre en avant les résultats suivants :

  • Le brevetage des recherches académiques engendre presque systématiquement un retard dans la publication de ces recherches. Environ 80 % des répondants reconnaissent un retard de publication attribuable directement au dépôt de brevet. Dans la moitié des cas, ce retard est supérieur à un an. De plus, certains répondants reconnaissent également un contrôle du contenu de la publication de la part d’un partenaire industriel. Enfin, parfois la publication n’est pas autorisée du tout. Ce résultat a d’importantes implications politiques, notamment en ce qui concerne les discussions actuelles d’une application à l’Europe de la période de grâce qui existe aux États-Unis et qui permet d’atténuer l’effet négatif du brevet sur la diffusion des recherches scientifiques (Franzoni et Scelleto, 2007).

  • Le brevetage des inventions académiques semble faciliter leur transfert vers l’industrie dans la pharmacie et les sciences de la vie. Au total, plus de la moitié des répondants qui ont expérimenté un transfert de technologie reconnaissent que le brevet a été nécessaire afin de permettre ce transfert. Ce pourcentage est de 75 % dans les sciences de la vie et de 100 % dans la pharmacie. L’hypothèse sous-jacente au Bayh-Dole Act semble donc très pertinente dans ces domaines dans le sens où, selon les répondants, en l’absence de brevet, la plupart des inventions ne seraient pas exploitées. Elle l’est beaucoup moins par contre dans les sciences de l’ingénieur, où moins d’un quart des répondants reconnaissent que le brevet a été nécessaire au transfert. Dans ce domaine il est ainsi possible que le coût social du brevet surpasse son bénéfice.

  • Le brevetage des inventions académiques peut affecter l’agenda de recherche des chercheurs en encourageant certains scientifiques à orienter leur recherche vers des domaines où il sera possible de déposer des brevets. Environ 20 % des répondants admettent diriger leur recherche vers des domaines brevetables. Cela peut signifier que le brevet académique induit les chercheurs à faire moins de recherche fondamentale et plus de recherche appliquée. Mais un tel effet d’éviction n’est pas non plus certain car les recherches brevetables ne se font pas toujours au détriment de la recherche fondamentale.

  • – Le brevetage des recherches académiques peut augmenter le coût d’accès à ces recherches et ainsi ralentir le processus d’innovation dans certains domaines où les brevets prolifèrent. Environ 25 % des répondants admettent avoir déjà été obligé de réorienter leur recherche pour ne pas contrefaire un brevet détenu par un tiers, ce qui illustre la pertinence de ce problème.

Au final, notre travail met en avant un élément essentiel quant aux conséquences du brevetage des inventions issues du public : si, dans certains secteurs, le dépôt de brevet sur les recherches scientifiques s’avère nécessaire pour les transférer vers l’industrie (la pharmacie et les sciences de la vie notamment), le prix à payer pour ce transfert est un ralentissement parfois important de la diffusion des recherches académiques. Dans tous les cas, les conséquences sont largement fonction du contexte et notamment du secteur technologique. L’élaboration d’une politique de licences de brevet optimale au niveau de la recherche publique ne pourra ainsi se faire qu’en tenant compte des différences sectorielles. Une politique uniforme ne peut qu’être inefficace (Pénin, 2010).

L’objectif de cet article était de détailler les premiers résultats de notre enquête sur les inventeurs académiques français. Cette nouvelle source d’information offre des résultats intéressants sur les conséquences du brevet dans la science mais elle ouvre surtout des perspectives pour des travaux futurs : tout d’abord, il sera important de comparer les réponses des inventeurs académiques que nous avons analysées ici avec celle d’un échantillon de contrôle composé de scientifiques non encore impliqués dans un dépôt de brevet. Nous travaillons actuellement à la construction d’un tel échantillon de contrôle. Également, des comparaisons internationales doivent nous permettre d’enrichir ces premiers résultats. Là aussi, nous sommes en contact avec plusieurs partenaires européens et japonais afin d’étendre le questionnaire à d’autres pays.