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Cet ouvrage pose trois questions fondamentales auxquelles son auteur veut apporter des réponses : pourquoi une nouvelle diplomatie chinoise depuis le début des années 1990 ? Comment cette diplomatie est-elle mise en oeuvre ? Quelles en sont les implications pour l’économie politique internationale ?

Pour Zhiqun Zhu, professeur au département de science politique de l’Université Bucknell, la volonté de garantir les approvisionnements énergétiques et de matières premières (diplomatie énergétique), de conquérir de nouveaux marchés d’exportations et d’investissements (passant ainsi de la politique du bringing in à celle du going out), d’isoler diplomatiquement Taïwan (principe d’une seule Chine) et de projeter l’image d’une puissance responsable (opérant de ce fait un virage d’une diplomatie longtemps restée passive à une diplomatie dorénavant plus active) et pacifique (avec la promotion du concept de « développement pacifique » au détriment de celui plus controversé d’« émergence pacifique ») sont les principales motivations guidant cette nouvelle diplomatie chinoise.

Les stratégies mises en oeuvre pour atteindre ces nombreux objectifs incluent la diplomatie des sommets, l’absence de contraintes politiques associées au commerce et à l’aide au développement, l’évitement de la confrontation avec les puissances existantes et la participation active du public (diplomatie publique, diplomatie citoyenne ou diplomatie infor-melle avec comme exemples frappants la diplomatie du ping-pong et la diplomatie du panda).

Quant aux impacts sur l’environnement politique et économique international, ils sont globalement positifs, les opportunités que cette nouvelle diplomatie offre, autant pour les pays en développement que les pays occidentaux, étant plus significatives que la menace qu’elle représente pour eux. Car, comme l’auteur le reconnaît, certaines pratiques de la Chine au Soudan ou au Myanmar, entre autres, inquiètent.

Alors que de nombreuses recherches mettent en avant « les intérêts nationaux » comme principaux déterminants de la politique étrangère des États, l’ouvrage de Zhiqun Zhu opte pour « l’influence » comme outil analytique dans l’étude de la nouvelle diplo- matie chinoise. Et pour cause, en complément de la satisfaction de ses intérêts économiques, la promotion du soft power, qui est en adéquation avec la théorie des trois harmonies (San He) de Hu Jintao et de Wen Jiabao (un monde harmonieux, une société harmonieuse et un développement pacifique), est devenue un objectif majeur de cette diplomatie chinoise d’après 1990.

Car, si la nouvelle diplomatie chinoise reflète, à juste titre, les intérêts nationaux chinois, la paix et le développement ont été les principaux objectifs de politique étrangère et intérieure du pays depuis la fin de la guerre froide. Il n’est donc guère étonnant que l’Empire du Milieu soit attaché à la projection de son soft power et d’une image pacifique dans le monde par l’intermédiaire notamment de la promotion de la culture, de l’éducation, du sport, du tourisme, etc. En témoignent la mise en place, dès 2009, de six chaînes d’information en continu, en anglais, français, espagnol, arabe, russe et chinois, par la China Central Television (cctv), pour riposter aux traitements, par les médias étrangers, de sujets chinois ; et l’ouverture projetée de 1 000 instituts Confucius dans le monde d’ici à 2020, alors que plus de 400 établissements de ce type ont été mis sur pied dans 87 pays en 2009 et qu’à peu près 100 millions de non-natifs chinois sont censés déjà étudier le chinois comme langue étrangère.

En réalité, la Chine a réalisé que, dans sa quête de la puissance, le hard power devrait être associé au soft power et que ces deux formes de la puissance devraient être utilisées de manière intelligente (smart power) comme l’illustre sa participation à différentes missions onusiennes de maintien de la paix, avec 8 000 soldats de la paix à travers le monde en 2008. Même si cela devrait se faire au prix d’une certaine distanciation d’avec son traditionnel principe de non-ingérence dans les affaires internes des États, un des « cinq principes de la coexistence pacifique » sur lesquels est basée une politique étrangère datant du début des années 1950.

Sur le plan théorique, certes, les aspects matériels des motivations guidant les actions politiques chinoises et l’expansion du soft power, de même que la promotion des échanges culturels peuvent être expliqués respectivement par le réalisme et le libéralisme. Mais, pour Zhiqun Zhu, le constructivisme avec sa mise de la focale sur les valeurs, les normes et les identités est plus apte à expliquer la pratique de la nouvelle diplomatie chinoise. Et d’expliquer que si, pour reprendre le célèbre article d’Alexander Wendt, l’anarchie est ce qu’en font les États, alors on peut penser que la paix est aussi ce qu’ils en font. L’émergence pacifique ou le développement pacifique étant de nouvelles constructions en relations internationales, la Chine est en train de tracer et de suivre un chemin différent de celui auquel la théorie de la transition de la puissance laisse penser. Elle est donc en train de créer et de pratiquer une nouvelle identité.

L’analyse empirique est constituée de six études de cas basées sur six régions géographiques (Afrique, Moyen-Orient, Amérique latine, Asie centrale, Pacifique-Sud, Asie du Sud-Est) avec pour objectif de mieux comprendre la manière dont cette nouvelle diplomatie chinoise est mise en oeuvre dans le monde et les défis qui y sont associés. Et c’est probablement là qu’il faut juger de la nécessité d’acquérir ou non un tel ouvrage qui, sans être révolutionnaire en soi, peut certainement être utile à toute personne désireuse de disposer, dans un seul volume, d’une analyse comparée des différentes aires de mise en oeuvre de la politique étrangère chinoise dans le monde. Encore qu’un septième cas d’étude consacré à l’Union européenne manque cruellement à l’appel. Car, quand on sait que la Chine est le deuxième partenaire commercial de l’Europe, elle-même le premier partenaire de la Chine, et que l’auteur met, avec justesse d’ailleurs, en exergue les motivations économiques de cette diplomatie post-1990, il y a de quoi être déçu.

Enfin, on regrettera l’absence d’analyse consacrée à l’usage de la stratégie du soft balancing pour miner la puissance américaine lorsque l’auteur évoque les conséquences de la nouvelle diplomatie chinoise sur les relations avec les États-Unis.