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Introduction

En 2004, Jonnaert, Barrette, Boufrahi et Masciotra mentionnaient que « les situations sont les grandes absentes des programmes actuels » (Jonnaert, Barrette, Boufrahi et Masciotra, 2004, p. 680). Or, le référentiel de formation à l’enseignement préscolaire et primaire du Québec, précise que « la mise en contexte à partir de situations pratiques liées à l’exercice de la profession semble être la voie la plus appropriée pour favoriser le développement de compétences et assurer une plus grande cohérence de la formation. » (Ministère de l’éducation du Québec, 2001, p. 218). Ce curriculum, comme d’autres mis en oeuvre ces dernières années, est conçu et structuré selon une approche par compétences. Malgré la volonté affichée par les différentes universités québécoises d’articuler les différents contenus des programmes afin de « favoriser le développement progressif et continu de l’ensemble des compétences professionnelles requises pour l’exercice de la profession » (Université de Sherbrooke, 2003, p. 15), la structuration et l’organisation internes des programmes semblent toujours reposer sur une logique de cours, plus ou moins autonomes les uns par rapport aux autres mais sans nécessairement que ceux-ci visent l’articulation avec d’autres situations de formation considérées comme tels, les périodes de stage en particulier.

1. Problématique

Considérant les pistes proposées par Vanhulle et Lenoir (2005), nous adoptons la perspective qu’une « dimension véritablement dialogique de la formation des jeunes enseignants reste peu mise en question par manque d’investigation élargie » (p. 234). En effet, nous ne connaissons pas de recherches au Québec étudiant les diverses situations formatives vécues par les enseignants en formation et leurs apports dans le processus d’apprentissage professionnel. Certes, des travaux visent à mettre en évidence la fonction de certaines situations comme les périodes de stage par exemple ou encore le rôle de certains acteurs dans le dispositif de formation (Correa Molina et Gervais, 2008). Mais aucune n’étudie la dimension dialogique pouvant s’établir entre ces différentes situations. Aucune ne vise à comprendre comment cette dimension pourrait soutenir, accompagner et favoriser la réussite du processus de professionnalisation. Pourtant, la recherche d’une lecture compréhensive de ce processus chez les futurs enseignants permettrait sans doute de favoriser des liens entre la recherche sur la formation à l’enseignement et la réflexion des concepteurs et responsables de programmes. Pour analyser ce dialogue entre les différentes situations rencontrées par l’enseignant en formation, encore faut-il retracer la logique épistémologique qui sous-tend le dispositif de formation et notamment les éléments constitutifs de sa structure “professionnalisante” en étudiant tout particulièrement les différentes situations rencontrées et vécues par l’apprenant. Nous faisons l’hypothèse que la pensée bachelardienne peut être sollicitée pour décrire et comprendre ce dialogue entre les différentes situations formatives.

2. Recueil de données préliminaires

Afin de préciser dans un premier temps quelles sont les différentes situations présentes dans les programmes de formation à l’enseignement dans les universités québécoises, nous avons effectué une recension des cours offerts dans les sept baccalauréats d’enseignement au préscolaire et au primaire dans la province de Québec. Cette recension, faite à partir de la description des cours dans les annuaires, a porté sur près de 400 cours. L’ensemble de ces cours a été classifié selon une grille d’analyse issue d’une précédente recherche conduite au Centre de recherche sur l’intervention éducative portant sur l’analyse des pratiques d’enseignement (Lenoir et al…, 2006). Cette grille proposait initialement quatre grandes catégories permettant d’analyser ces pratiques d’enseignement. Elle cherchait à répondre aux questions suivantes: pourquoi enseigner ? À qui enseigner ? Comment et avec quoi enseigner ? Quoi enseigner ? Nous avons ajouté une catégorie supplémentaire visant à identifier et caractériser les cours portant sur le développement personnel et professionnel de l’enseignant en formation. Notre étude nous a conduits à analyser les descriptifs de ces cours tels qu’ils se présentent dans les différents annuaires accessibles sur les sites des universités québécoises.

Mentionnons d’abord que tous les programmes francophones de Baccalauréat d’enseignement primaire et préscolaire du Québec se déroulent sur quatre ans et comptent 120 crédits. Tous ces programmes sont tenus de respecter le référentiel des compétences du ministère de l’Éducation (Gouvernement du Québec, 2001). Ils doivent avoir été approuvés par le comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement. Dans le cadre de notre analyse, nous étudierons quatre aspects des curriculums, soient les objectifs de formation des différents programmes, les contenus abordés, les modalités d’organisation curriculaire, les dispositifs ayant pour finalité déclarée une visée de professionnalisation.

2.1 Les objectifs de formation

Les objectifs de formation sont définis par chacune des universités. À la lecture des cinq baccalauréats présentés par Gauthier et Mellouki (2006) et de celle des annuaires de chacun des programmes, nous avons dégagé les objectifs de formation qui semblent soutenir les différentes formations offertes dans les neuf universités francophones du Québec. Nous dégageons de ces objectifs que du point de vue de la professionnalisation, les objectifs de quatre des neuf universités disent viser la formation de professionnels de l’enseignement. Cette affirmation est soutenue par le développement de l’autonomie (Université Laval), la maitrise des savoirs, savoirs-faires et savoir-être (Université du Québec à Montréal), la capacité d’offrir les services éducatifs prévus (Université du Québec en Outaouais) et l’aptitude à intervenir auprès des élèves (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue). Ainsi, les objectifs de formation semblent en dire bien peu sur les intentions professionnalisantes de la formation proposée et sur le souci des différents acteurs impliqués dans la formation de mettre en oeuvre un véritable processus d’apprentissage professionnel qui permettra le développement de l’activité enseignante.

2.2 Les contenus abordés

Dans un deuxième temps, dans la mesure où les objectifs de formation semblent être peu explicites quant à la visée professionnalisante des programmes recherché par le Ministère de l’éducation du Québec, nous avons procédé à une analyse des contenus des baccalauréats par le biais des descriptions des cours que l’on retrouve dans les annuaires. Afin de proposer une comparaison des différents baccalauréats, des catégories ont été établies. D’abord, le choix des catégories a été élaboré en fonction des cours que l’on retrouve dans les baccalauréats. À cet effet, toutes les descriptions de cours, disponibles dans les annuaires, ont été consultées. Ensuite, cette catégorisation a été ajustée selon les quatre questions posées par toute activité de conception ou de mise en oeuvre d’un acte d’enseignement, questions soulevées par la recherche préalablement citée (Lenoir et al..., 2006), menée à l’Université de Sherbrooke. Les baccalauréats d’enseignement au préscolaire et primaire des neuf universités francophones du Québec ont donc été catégorisés cours par cours selon une analyse des contenus de chacun. Il s’agissait, pour chacun des cours, de chercher à l’associer à la principale question à laquelle il semblait répondre.

Au cours de l’élaboration de la grille, il est apparu indispensable d’ajouter une catégorie pour les cours qui ne semblaient répondre à aucune de ces questions. Ainsi, la catégorie « Développement personnel et professionnel » nous a permis de catégoriser la totalité des cours non classés. Dans un troisième temps, les différents cours apparaissant dans le tableau 1 ont été codés.

Le but était ici d’identifier les traces de la mise en place d’un processus d’apprentissage professionnel et de repérer les prémisses permettant le développement de l’activité. Nous avons donc cherché à identifier, à travers les différentes descriptions présents dans les annuaires, les cours qui semblaient conduire l’étudiant à une certaine forme d’analyse ainsi que ceux qui semblaient faire référence à une pratique soit par le biais des stages, soit au moyen de situations de simulation.

Les codes suivants ont été utilisés :

  • Pr : Pratique en milieu réel

  • Ps : Pratique en simulation (laboratoire, mise en situation)

  • At : Analyse de modèles théoriques

  • As : Analyse de situations pédagogiques et de l’incidence de l’utilisation de stratégies selon les situations. N’est pas nécessairement une analyse de situations vécues par l’étudiant.

  • Ar : Analyse réflexive de la pratique personnelle

  • Ac : Analyse de la communication verbale personnelle (analyse langagière)

  • Am : Analyse de matériel didactique

  • Af : Analyse de sa formation, de son cheminement scolaire et professionnel

  • Ae : Analyse de l’élève (comportement, compréhension, difficulté, etc)

  • T : théories sur l’analyse des pratiques.

Tableau 1

Les contenus des cours des BEPP des universités francophones du Québec

Les contenus des cours des BEPP des universités francophones du Québec

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De cette première classification, nous pouvons identifier trois types de situations présentes dans les programmes de formation à l’enseignement au Québec. Premièrement, sont présentes des situations d’enseignement-apprentissage. Il s’agit principalement des cours développés dans les facultés d’éducation ou les facultés des sciences de l’éducation. Ces situations semblent majoritaires dans les programmes de formation à l’enseignement. Elles correspondent à la plus grande partie des cours offerts dans les différents programmes. Elles se répartissent selon les catégories suivantes : 50 cours visent à répondre au pourquoi enseigner (les cours de fondements de l’éducation par exemple), 92 cherchent à répondre à la question du « à qui enseigner ? » (les cours sur les caractéristiques des élèves en difficulté), 58 cours portent sur le « comment et avec quoi enseigner ? » (les cours sur les démarches pédagogiques ou encore ceux portant sur la gestion de classe), 118 cours visent à répondre à la question du « quoi enseigner ? » (notamment les cours de didactique des disciplines).

Quant à la catégorie « développement personnel et professionnel », elle est divisée en trois sous-catégories : des séquences de formation en situation de travail (en particulier les stages), des cours favorisant des retours sur l’action ou une réflexion sur le cheminement personnel de l’enseignant en formation. Ces deux types de cours ou de formation semblent parfois réunis au sein de périodes spécifiques articulant les stages et les séances de retours réflexifs sur les stages. Ainsi, 40 périodes de stage sont identifiées dans l’ensemble des sept baccalauréats d’enseignement au préscolaire et au primaire. Troisième sous-catégorie de la catégorie « développement personnel et professionnel », des cours portant sur le cheminement personnel et professionnel de l’enseignant en formation, comme des cours sur l’insertion professionnelle ou encore des cours proposant une initiation à la recherche en éducation. Ces activités touchant spécifiquement et uniquement le cheminement personnel au sein du procès de formation sont présentes au nombre de 29 pour les sept programmes de baccalauréat étudiés.

2.3 Les modalités d’organisation curriculaire de la formation à l’enseignement

Si les objectifs de formation et les contenus des cours ne semblent pas présenter d’éléments permettant de déceler la mise en oeuvre d’un processus menant à l’apprentissage professionnel et le développement d’une activité d’enseignement, il nous incombe de vérifier si, à travers les modalités pédagogiques proposées par chacun des baccalauréats, les démarches pédagogiques visent explicitement le développement d’un enseignant professionnel.

Tous les programmes de baccalauréat à l’enseignement pré-scolaire et primaire sont constitués de trois types d’activités : les cours dits théoriques, que l’on peut sous-diviser en cours de didactique et de pédagogie d’une part; les stages et les activités d’intégration d’autre part. Or, à la lecture de l’organisation de ces cours, nous pouvons remarquer combien ils semblent pensés et conçus selon une logique d’alternance de type juxtapositive (Maubant, 2007a), cherchant à articuler les cours théoriques et les stages, sans doute considérés comme des situations d’apprentissage de contenus pratiques. C’est pourquoi des activités dites d’intégration sont proposées pour tenter un rapprochement entre une dimension théorique de la formation et une dimension pratique. Ces activités sont parfois liées occasions de retour sur les stages. Elles peuvent également prendre la forme d’un mémoire professionnel ou encore proposer un temps-bilan de retour sur la formation. Ces cours ont soit pour but de permettre une meilleure compréhension du fonctionnement et des caractéristiques de la profession enseignante, soit d’inviter les apprenants à une activité réflexive sur les stages, sur la formation ou plus généralement sur la profession enseignante. Par exemple, à l’Université Laval, les concepteurs du programme proposent à l’étudiant de « produire la synthèse de son identité personnelle et professionnelle. Cette synthèse constitue la dernière activité réflexive invitant l’apprenant à préciser ses valeurs et ses croyances pédagogiques en tant que futur enseignant » (Université Laval, 2010). Nous pourrions donc retrouver, par le biais des activités d’intégration proposées, une modalité d’organisation curriculaire visant à soutenir le développement professionnel du futur enseignant, ou comme le dit Mayen (2008) un processus de développement de compétences. Mais ces activités d’intégrations sont-elles suffisantes pour induire et soutenir un ou des processus d’apprentissage professionnel ? Relativement peu présentes dans les programmes actuels des baccalauréats en enseignement pré-scolaire et primaire au Québec, il n’est pas certain que ces activités d’intégration peu nombreuses réussissent à elles seules à soutenir le développement d’une professionnalisation attendue et souhaitée. Rappelons que nous définissons la professionnalisation au regard d’une visée d’apprentissage.

2.4 Les dispositifs visant la professionnalisation et la nécessité d’avoir recours à de dispositifs nouveaux

Nous avons pu déceler, dans l’analyse des activités d’intégration, un élément susceptible de permettre le développement professionnel de l’enseignant. Si l’on cherche à étudier les processus de professionnalisation dans lequel le futur enseignant se trouve placé au cours de sa formation, selon les objectifs présents dans les curriculums de formation à l’enseignement, c’est semble-t-il à travers les stages que les universités cherchent à initier et mettre en place ces processus. Très fréquemment, nous pouvons identifier différentes formes de stage dans les différents programmes de baccalauréat analysés. Les stages semblent structurés pour permettre une intégration à la profession enseignante » ce qui explique sans doute pourquoi ces stages ont différentes finalités et intitulés. Le stage d’observation est un stage où l’étudiant ne fait aucune intervention dans la classe. Le stage de responsabilité professionnelle est un stage où l’étudiant intervient seul dans la classe avec un groupe d’élèves pour une période de quelques mois. D’autres formes de stage peuvent aussi s’insérer entre le stage d’observation et le stage en responsabilité professionnelle. Citons notamment les séances en petit groupe, les leçons ponctuelles, les stages de soutien d’un enseignant en situation, etc... La prise en compte des stages, au sein des formations professionnelles des enseignants du pré-scolaire et du primaire est aujourd’hui une réalité croissante de l’ingénierie de formation développée par les universités québécoises, et ceci depuis la réforme de la formation à l’enseignement (Gouvernement du Québec, 2001). Or les stages permettent certes de soutenir la construction et le développement d’une pratique enseignante, que ce soit en observant la pratique d’un professionnel expérimenté ou pour le moins identifié comme tel ou en cherchant à mettre en oeuvre une pratique professionnelle.

Or, il est important de rappeler combien la recherche d’un développement de la pratique ne s’accompagne pas nécessairement d’un apprentissage professionnel (Pastré, 2008). Le professionnel en formation peut très bien se concentrer sur son intervention sans nécessairement donner sens à celle-ci selon les finalités d’une situation d’apprentissage. La visée d’un développement professionnel, voire d’un développement de la pratique peut se penser selon une perspective strictement instrumentaliste et techniciste de la profession. Si l’on s’appuie sur les réflexions proposées par Perron, Lessard et Bélanger (1993), réduire la professionnalisation à une dimension exclusivement techniciste et opératoire ignore la dimension culturelle de l’exercice de l’enseignement, que celle-ci soit portée par la formation et/ou par les collectifs de travail pendant les périodes de stage. Or si l’analyse des objectifs de formation ne permet pas de mettre en évidence l’ambition affichée des universités québécoises de mettre en oeuvre des démarches et des modes d’organisation visant le développement de l’apprentissage professionnel; si les contenus des cours des différents baccalauréats ne semblent pas en mesure de soutenir et d’accompagner le développement de l’activité enseignante et de surcroit de l’activité d’enseignement; si les modalités d’organisation curriculaire semblent assez faiblement porter, notamment au moyen d’activités d’intégration ponctuelles, le développement de l’apprentissage professionnel et si, in fine, les stages ne constituent pas une garantie de l’insertion de l’étudiant dans un processus de professionnalisation, n’y aurait-il pas lieu, dès lors, de recourir à des dispositifs nouveaux permettant d’engager la mise en oeuvre de processus de professionnalisation, s’appuyant notamment sur des situations d’apprentissage professionnel ? En poursuivant notre analyse des baccalauréats d’enseignement pré-scolaire et primaire au Québec, nous avons souhaité caractériser et catégoriser les différentes situations rencontrées par les enseignants en formation, là encore à partir d’une étude des différents annuaires proposés par les universités québécoises.

3. Analyses intermédiaires

Cette analyse fait donc apparaître trois types de situation à l’intérieur de la formation à l’enseignement : des situations d’enseignement-apprentissage (les cours à l’université), des situations de travail (les stages) et des situations de formation (les activités d’intégration par exemple). Nous proposons ici une première esquisse d’analyse permettant de dégager les caractéristiques de chacune d’entre elles.

3.1 Les situations d’enseignement-apprentissage

Rappelons que ces situations sont considérées par les différents formateurs qui les conçoivent et les mettent en oeuvre (professeurs-chercheurs, chargés de cours) comme des situations d’enseignement. Il s’agit bien de cours universitaires au sens académique du terme. Les objectifs de ces cours sont principalement des objectifs de transmission de connaissances. Ils ne semblent pas a priori pensés et structurées pour créer les conditions d’un apprentissage professionnel. En effet, nous considérons qu’une situation d’enseignement-apprentissage se caractérise par l’identification d’un objet d’apprentissage : des savoirs (Pastré, 2008). Dès lors, l’enseignant-formateur devrait construire et mettre en place les conditions permettant d’établir une médiation cognitive entre cet objet et l’apprenant (Couturier et Chouinard, 2008). L’enseignant-formateur devrait chercher aussi à mettre en place des activités de transfert de savoirs d’une activité à une autre (Develay, 1992).

3.2 Les situations de travail

Les situations de travail semblent présentes principalement au sein des périodes de stage. Les objectifs de ces séquences portent sur le développement de compétences professionnelles. Aucune référence n’est faite à des situations permettant de construire ces compétences (Mayen, 2008). Il semble que l’on admet ici que la logique d’immersion en situation de travail suffit à elle seule pour construire et développer des compétences professionnelles. Nous reprenons ici les travaux (Maubant, 2007b) analysant certains dispositifs de formation par alternance et mettant en évidence le fait que s’il y a apprentissage professionnel et développement de compétences dans les stages, cela se fait principalement sur le mode de l’aléatoire. Or, la conception et la mise en oeuvre d’une situation de travail à visée formative doivent s’inscrire préalablement dans l’identification des buts de l’action (Pastré, 2007). Cette situation, comme par exemple les périodes de stages, doivent contenir en elles des visées d’apprentissage de savoirs professionnels. Il serait important d’étudier ce qui se joue dans ces périodes de stage pour identifier les caractéristiques de ces situations singulières et vérifier si l’intention didactique (Mayen, 2008) est présente et de quelles manières cette intention s’organise.

3.3 Les situations de formation

Nous pourrions penser a priori que ces situations contiennent les visées et les caractéristiques de situations d’apprentissage professionnel. Rappelons que nous définissons l’apprentissage professionnel comme un processus de construction de savoirs professionnels. Les situations d’apprentissage professionnel permettent, selon nous, de donner sens aux actions du futur professionnel en vue de soutenir la conceptualisation de l’action. Certes, il existe une « pluralité de formes de situations d’apprentissage par construction d’un milieu » (Pastré, 2008, p. 71), mais nous pouvons penser que des propriétés communes permettent de caractériser ces situations. En reprenant les travaux en didactique professionnelle de Pastré (2007), nous proposons d’analyser ces différentes situations en étudiant les formes d’interactions entre l’apprenant, son milieu, ses pairs et l’enseignant-formateur. L’analyse des discours entre les différents acteurs impliqués dans ces situations nous semble essentielle si l’on veut saisir le processus de médiation cognitive entre les différents porteurs de savoirs et l’apprenant. Nous cherchons également à comprendre de quelles manières ces situations de formation peuvent créer les conditions favorables à la construction de savoirs professionnels. Considérant que les dispositifs de formation à l’enseignement prévoient la mise en oeuvre de situations de formation, il est important de caractériser ces situations qui semblent dans leurs visées se rapprocher de situations d’apprentissage professionnel.

À la lecture de cette ébauche d’analyse des différentes situations présentes dans les curriculums de formation à l’enseignement au Québec, force est de constater le caractère polysémique du concept de situation. En cherchant à caractériser ces trois situations, nous cherchons à mettre en évidence l’absence d’une quatrième situation : la situation d’apprentissage professionnel. Cette situation (Maubant & Roger, à paraître; Roger & Maubant, sous presse, 2009a, 2009b), se situerait au point de rencontre, dans une zone de dialogue, entre la situation d’enseignement-apprentissage, la situation de formation et la situation de travail.

4. Cadre théorique

Pour lire et comprendre ces situations, il nous fallait convoquer une théorie de l’apprentissage. La didactique professionnelle a été notre premier cadre de référence, car celle-ci cherche à lire et comprendre des situations. Or, la didactique professionnelle fait principalement référence à deux théories de l’apprentissage : la pensée piagétienne et la pensée vygotskienne. Aujourd’hui, ces deux théories ne sont pas mises en opposition au sein des écrits sur la didactique professionnelle. Elles apparaissent plutôt en complément l’une de l’autre et la didactique professionnelle présente une théorie de l’apprentissage qui cherche souvent à concilier les perspectives piagétienne et vygotskienne. En effet, à la construction de la connaissance selon la théorie des schèmes de Piaget s’ajoute la nécessaire médiation d’autrui (Pastré, 2008) et la distinction vygotskienne autour de la question de l’élaboration des concepts quotidiens et scientifiques (Ibid.). Toutefois, cette théorie de l’apprentissage nous paraît encore insuffisante pour lire et comprendre les situations d’apprentissage professionnel de la formation à l’enseignement, car, en didactique professionnelle:

  • les situations lues et analysées se déroulent à l’intérieur d’espaces fermés et de temps déterminés (ce sont des situations de travail bien déterminées et identifiées comme telles);

  • L’apprentissage se déroule sur une temporalité linéaire (construction logique et organisée des schèmes) qui ne correspond pas à la logique de la formation à l’enseignement.

Ainsi, pour définir ce que nous entendons par apprentissage professionnel, nous proposons de convoquer les travaux de Bachelard (1938). Rappelons que, pour lui, la production et la construction de connaissances nouvelles se pensent contre des connaissances antérieures par le franchissement d’obstacles épistémologiques. Bachelard, prenant en compte dans sa réflexion la problématique de la formation des enseignants, mentionne que les professeurs doivent interroger « leur propre rapport au savoir, leur représentation de leur discipline et qu’ils analysent également leurs fantasmes qui ne manquent pas d’affecter leur désir de former » (Fabre, 2001, p. 42). Il suggère donc que par l’utilisation d’une typologie appropriée, il soit possible de retracer les connaissances individuelles et ainsi il propose de dresser des profils épistémologiques permettant de créer une archéologie du savoir. Fabre (2007) présente ce qui distingue la didactique professionnelle de la didactique scolaire. Pour la première, la situation déborde toujours du problème et bien que l’on soit souvent focalisé sur la situation, l’accent est mis sur la résolution du problème. En didactique scolaire, la situation vient donner sens au problème et se centre sur les conditions du problème. Afin de dépasser les limites de la didactique professionnelle fortement orientée vers le but de l’action, Fabre propose de s’appuyer plutôt sur la pensée bachelardienne pour qui « traiter un problème, c’est contrôler sa pensée, se dédoubler intérieurement en maître et disciple. » (Fabre, 2007, p. 66). La pensée de Bachelard considère l’obstacle non comme un problème concret à résoudre, mais comme une discontinuité épistémologique. Bachelard invite à une surveillance intellectuelle de soi, qui permet d’avoir conscience non seulement de ses actions, mais aussi de son activité. L’apprentissage, chez Bachelard se présente donc comme une rupture épistémologique : comme la construction contre la connaissance antérieur, ce qui s’oppose à une conception de l’apprentissage s’inscrivant dans la poursuite d’une construction déjà existante (les schèmes par exemple). Cette construction qui s’inscrit contre une connaissance antérieure permet de concevoir la situation d’apprentissage professionnel dans une discontinuité temporelle, c’est-à-dire penser une situation qui se déroulerait selon une suite d’instants féconds conduisant à la construction de la connaissance. Bachelard parle d’une pédagogie du discontinu pour exprimer cette construction non-linéaire de l’apprentissage : « c’est donc la médiation de cette discontinuité temporelle réalisée par l’instant isolé qui nous ouvrira les voies les plus durables pour une pédagogie du discontinu » (Bachelard, 1931, p. 56). Cette idée d’instants féconds à l’intérieur desquels se mettent en place des éléments menant à l’apprentissage professionnel permet de voir les situations d’enseignement, de travail et de formation non plus comme une alternance de moments, mais bien comme un alliage de temps de formation qui nécessitent pour prendre sens un dialogue. Si une situation est habituellement “située” dans le temps, la situation d’apprentissage professionnel cherche, quant à elle, à articuler ces divers espace-temps et à considérer la notion de temps non comme un milieu défini ayant une durée globale, mais bien, selon l’idée du temps exposée par Bachelard, comme la synthèse d’une succession d’instants féconds qui pensés et agencés ainsi, conduisent à la rupture épistémologique.

5. Méthodologie envisagée

Ainsi, après avoir fait cette analyse des cours proposés dans les programmes de formation à l’enseignement au Québec et après avoir dressé un premier tableau des trois types de situations présentes selon nous dans ces dispositifs, nous souhaitons, dans un deuxième temps, comprendre quelles pourraient être les caractéristiques des situations susceptibles de soutenir le processus d’apprentissage professionnel, c’est-à-dire des situations où les dialogues entre les différentes formes de savoirs constituent des médiations permettant la construction de savoirs professionnels. Pour ce faire, nous avons sélectionné, outre les cours de mise en pratique, les cours annonçant explicitement des situations de mise en rapport entre des processus de conceptualisation et des processus d’action. Les intitulés de ces cours contiennent tous le terme d’analyse et pour certains d’entre eux font référence à des objectifs d’analyse de pratiques. Dans les étapes suivantes de notre recherche, nous proposerons d’étudier davantage les plans de cours et leurs descriptifs, voire de conduire des entrevues avec les responsables de ces cours. Cela permettra de cibler plus précisément les cours déterminants de la formation susceptibles d’atteindre des objectifs d’apprentissage professionnel. Enfin, des entrevues avec des étudiants seront réalisées. Ces entrevues seronnt conduites à différents moments de la formation, identifiés comme déterminants par les étapes précédentes. Chacun de ces récits sera ensuite catégorisé de manière indépendante afin de retracer le développement de l’apprentissage professionnel, puis comparé aux autres récits.

6. Discussion : pour un dialogue entre les différentes situations rencontrées par l’enseignant en formation

Nous cherchons à lire et comprendre les situations d’apprentissage professionnel en identifiant des situations au sein des dispositifs de formation créant les conditions d’identification d’obstacles épistémologiques. Si nous considérons que les attendus et les attributs d’une situation d’apprentissage professionnel visent la mise en dialogue des savoirs comme vecteur de la médiation cognitive, au travers d’une mise en rapport, voire d’une mise en tension entre les trois situations rencontrées par l’enseignant en formation, nous pouvons dégager cinq caractéristiques constitutives d’une situation d’apprentissage professionnelle : la présence d’exercices pratiques, la mise en place d’exercices d’analyse réflexive sur la pratique, des périodes ou séquences d’analyse de théories éducatives ou de modèles pédagogiques susceptibles d’être mobilisées dans la pratique d’enseignement, des séquences d’analyse de situations pédagogiques (sous la forme d’études de cas par exemple) et des séquences de présentation de théories d’analyse de pratiques. Nous avons identifié un ensemble de cours présentant, dans leur intitulé, ces cinq caractéristiques. Citons les cours d’analyse de modèles théoriques, les cours d’analyse de situations pédagogiques ou encore les cours d’analyse de la pratique professionnelle. C’est en convoquant la pensée bachelardienne que nous cherchons à comprendre les enjeux didactiques et pédagogiques des situations d’apprentissage professionnel mais aussi leurs enjeux organisationnels. Ainsi, une réflexion portant sur une autre structuration des différents espace-temps de formation serait souhaitable pour penser autrement les programmes de formation à l’enseignement si l’on veut que ceux-ci créent les conditions d’un apprentissage professionnel. Il conviendrait que cette structuration des différentes situations, que nous qualifions ici d’espaces-temps, ne repose pas uniquement sur une logique de découpage des savoirs et de partage de l’activité d’enseignement entre les différents porteurs de savoirs, mais bien sur un travail de mise en sens des différentes situations au regard de la convocation de différents savoirs dans l’action professionnelle. L’enjeu de cette recherche est in fine de proposer une théorisation de la situation d’apprentissage professionnel. Nous identifions comme point aveugle des recherches sur la formation à l’enseignement cet objectif de mise en sens des différentes situations qui reposerait sur des mises en dialogue entre les situations, entre les savoirs et entre les différents intervenants porteurs de savoirs. Cette recherche vise donc à identifier et à caractériser les différentes situations rencontrées par l’enseignant en formation d’une part et à mettre en lumière, d’autre part, les conditions didactiques, pédagogiques et organisationnelles soutenant l’apprentissage professionnel.