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Dans le champ des technologies de communication contemporaines, Internet constitue une innovation majeure. Mises en place à partir de la fin des années 1960, les interconnexions entre les ordinateurs ont, depuis, crû exponentiellement, tout comme le nombre des usagers de l’Internet, qui devrait atteindre en 2011 plus de 1,5 milliards de personnes (Le Journal du Net 2009). La multiplicité des outils ou de l’information disponible dans le cyberespace – qui représente des milliards de documents (textes, images, enregistrements sonores, etc.) – contribue également à en faire un espace dans lequel un ensemble vertigineux de données en constante évolution est accessible en tout temps. Internet constitue de ce fait un objet de recherche complexe qui interpelle à la fois les sciences informatiques, cognitives et sociales, et l’anthropologie en particulier. Dès le début des années 1990, Escobar (1994) proposait l’établissement d’un programme de recherche, celui de la « cyberanthropologie », qu’il définissait comme l’étude des répercussions des innovations liées, d’une part, aux révolutions informatiques et communicationnelles (dispositif de « technosocialité ») et, d’autre part, aux biotechnologies (dispositif de « biosocialité »). En ce qui concerne la première dimension qui nous intéresse ici, Escobar distinguait plusieurs champs de recherche : celui de la production et de l’emploi des nouvelles technologies de communication, en premier lieu ; celui d’Internet avec ses « communautés virtuelles » et ses « réseaux sociaux en ligne » dont l’étude permettrait de mieux comprendre le buissonnement de nouvelles cultures, en deuxième lieu. Un troisième champ de recherche couvrirait, quant à lui, les aspects de l’économie politique liée à l’accès à ces nouvelles technologies et à la façon dont elles réorganisent les relations entre les centres et les périphéries. Ces propositions ont ensuite été élargies par Hakken (1999) qui proposait de situer l’ethnographie du cyberespace dans un modèle écologique plus complexe inspiré de Bronfenbrenner pour en comprendre les différents paliers d’interaction, des macrosystèmes aux microsystèmes. Ces perspectives, sans être toujours reprises de façon aussi structurée, ont donné lieu, parallèlement, à de nombreuses recherches qui couvrent plusieurs angles, depuis l’étude de la construction culturelle des jeux en ligne jusqu’aux répercussions des usages dans le quotidien des internautes, comme le suggèrent les recensions bibliographiques[1]. Dans ce vaste panorama hétérogène, à l’image de la diversité de l’univers d’Internet, la question des savoirs et des savoir-faire et de leur transmission dans le cyberespace n’a pas fait l’objet d’une réflexion thématique dans les revues d’anthropologie, une carence que ce numéro tente de combler partiellement en proposant des pistes de réflexion théorique et méthodologique, de même que des études empiriques menées dans des contextes socioculturels variés.

L’article de Joseph J. Lévy et Évelyne Lasserre qui ouvre ce numéro met en relief les différentes positions théoriques à cet égard, à partir d’une reprise des travaux sur la place d’Internet dans la transmission des savoirs et des savoir-faire à travers les technologies de communication comme Internet. Les auteurs vantent la contribution d’Internet et du cyberespace, montrant combien il élargit l’accès aux ressources touchant le savoir dans ses différentes facettes et contribue à sa diffusion dans un espace globalisé, à l’image de la noosphère proposée par Teilhard de Chardin. Cette vision ne fait cependant pas l’unanimité et plusieurs chercheurs critiquent cette perspective utopique pour mettre en évidence les inégalités socioculturelles liées au fossé numérique, ainsi que les définitions du savoir proposées et leurs limites, de même que les effets de l’utilisation de l’Internet sur l’apparition d’une culture hostile au savoir et tournée vers le divertissement. Les travaux empiriques dans le cyberespace montrent, quant à eux, les différentes formes de savoirs (experts, populaires et expérientiels) véhiculés et la diversité des usages dans des champs variés (de la santé à la pédagogie) qui interpellent l’anthropologie. Celle-ci semble encore réticente à incorporer l’étude d’Internet et du cyberespace dans les programmes d’enseignement universitaires de la discipline, alors qu’elle est cruciale pour comprendre les modalités des transformations de la culture contemporaine, tant au plan global que local.

Pour les anthropologues travaillant sur des terrains touchant les technologies de communication comme Internet, les méthodologies ethnographiques habituelles sont-elles encore suffisantes ? Ou bien de nouvelles approches sont-elles nécessaires, ce qui demanderait l’acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles méthodes ? Ce sont à ces questionnements que l’article « Pour en finir avec l’ethnographie du virtuel ! Des enjeux méthodologiques de l’enquête de terrain en ligne » tente de répondre. Madeleine Pastinelli nous invite à un examen attentif des enjeux et conséquences méthodologiques d’une anthropologie en ligne. La démarche ethnographique s’est en effet vue confrontée, avec la démocratisation de l’accès à l’Internet, à l’émergence de terrains riches en promesses heuristiques. Or, selon l’auteure, ces promesses ne revêtent pas nécessairement les atours de phénomènes inédits. Elle montre en quoi la démarche ethnographique a, dans un premier temps, quasiment anesthésié sa potentialité interprétative en envisageant ces terrains à la lumière du présupposé de l’absolue innovation. À ce titre, l’ethnographie des mondes en ligne aurait cédé à deux tentations simplificatrices : celle procédant à une réification du cybermonde qui deviendrait une chose en soi ; celle tendant à une hyperspécialisation de ce même monde en le distinguant du reste des activités sociales et culturelles. Il y aurait donc une cyberréalité parallèle, sorte d’univers virtuel existant à côté d’un monde supposé réel. Les méthodes classiques de l’ethnographie ne fonctionneraient plus puisque la tangibilité et la présence de l’autre dans l’observation se verraient délitées et différées. L’auteure remet en question ce parti pris singularisant, en relativisant la spécificité de l’outil technologique qui serait resitué dans un contexte plus large. Certes, l’accélération des échanges, la mise en visibilité contrastée d’identités fluides et dynamiques, ou encore la multisituation des sujets performants sont tout autant des caractéristiques inhérentes aux situations contemporaines techno-communicationnelles que des phénomènes humains à l’antériorité anthropologiquement reconnue. En fin de compte, l’enquête en terres virtuelles et l’ethnographie de ce qui se joue en ligne confrontent le chercheur aux questionnements récurrents de la constitution du lien, de la coprésence et de la reconnaissance au travers de scènes sociales spécifiques mais pas nécessairement irréductibles. La méthode d’une ethnographie en ligne ne pose donc pas problème en soi et c’est bel et bien l’objet de l’étude en tant qu’élément de résistance problématique qui légitime la démarche anthropologique.

Béatrice Steiner, dans « Les braconniers de la Toile : les relations aînés-cadets à l’ère de l’Internet », envisage de son côté l’organisation et la définition des relations intergénérationnelles dans le contexte malien par l’étude minutieuse d’interactions au sein de différents cybercafés de Bamako. Trois espaces se voient ethnographiquement explorés : celui du contenu (les informations consultées et échangées), celui des discours concernant le dispositif technologique proprement dit, enfin, celui des relations accompagnant ces usages. L’auteure pointe ainsi les stratégies de mises en scène de soi et d’évitement relationnel permettant de maintenir un certain consensus social. Par ces jeux, mêlant proximité et distance, comportements manifestes ou plus latents, elle identifie des processus de transmission des connaissances et d’acquisition des savoir-faire qui ne valident pas nécessairement l’évidence d’une inversion générationnelle. De même, en observant attentivement les logiques de traitement et de réception de certains contenus (en l’occurrence pornographiques), elle souligne la modulation des modèles classiques de bienséance et de respect à l’oeuvre dans la société. La transparence supposée de la cybercommunication permettrait, dans le cadre de la société malienne contemporaine, la formulation d’un éloignement relationnel et affectif qui se verrait paradoxalement redoublé par une immédiateté informationnelle. Les expressions individuelles habituellement tacites peuvent, par la distanciation que crée l’écran, s’exprimer, déplaçant hors de l’espace concret du cybercafé les relations potentiellement sources de conflit.

Dans le prolongement de cette réflexion sur le rôle et le statut de l’Internet dans les modalités de perception de l’Afrique contemporaine, l’article « “Dogonité” et Internet : une lecture critique de l’essentialisation des identités », par Aghi A. Bahi, Denise D. Barros et Paula Morgado, montre comment un corpus de présentations touristiques en ligne nourrit une vision fantasmée et stéréotypée du Pays Dogon. Ici le cyberespace, comme le soulignent les auteures, met en oeuvre un dispositif de reproduction des catégories classiquement mobilisées concernant une dogonité supposée ancestrale, donc traditionnelle. Par leur exotisme, source d’enchantement, le « dépaysement » et l’exploration de l’authenticité affichés ne font que réitérer l’imaginaire d’un monde pur et protégé entouré de l’aura de magie d’une société lieu de mystères et de rêves pour le touriste en mal de découvertes et d’étonnements. Le frisson de l’altérité revêt ici les atours d’une fiction en miroir qui renverrait les reflets d’une ethnicité tout autant calquée que revendiquée. En reprenant les clichés d’une certaine conception de l’identité immuable et éternelle, les promoteurs de l’offre touristique figent un monde coupé des enjeux économiques et politiques du Pays Dogon contemporain. Pourtant, les acteurs de ce même pays, en s’appropriant cet enchantement mondialisé, répondent aux attentes qu’ils projettent sur un tourisme potentiellement lucratif. Les auteures évoquent cependant des formes de résistances plus labiles et dynamiques au travers de pages et de blogs personnels déjouant et dérivant la figure d’une altérité convenue.

C’est cette même prégnance des identités narrées que Florence Dupré analyse à propos de l’usage des sites communautaires Facebook mais surtout Bebo auprès d’une population Inuit dans son article « L’exercice des parentés et la transmission des savoirs relationnels. Recherche exploratoire sur les sites de réseaux sociaux des Inuit des îles Belcher (Nunavut) ». Par l’approche de l’exercice des relations sociales et parentales à l’oeuvre dans les réseaux sociaux, l’auteure appréhende la mise en récit des liens de parenté traduisant autant de mises en scène de la cohésion familiale et lignagère. La trame ainsi constituée en ligne permet la mise en visibilité et l’apprentissage des terminologies et des références généalogiques mises à mal dans le quotidien qikirtamiut. L’espace de l’Internet, en tant que lieu de performance, autorise l’expression de savoirs et de savoir-faire eux-mêmes liés à des formes de savoir-être faisant l’objet de processus de réception dynamiques. Cette réappropriation des codes et des référents familiaux de filiation se voit aussi traversée par la présence des défunts en réaffirmant l’inscription temporelle des liens de la communauté. Ce sont donc des mondes en relation traçant des liens entre vivants et morts, entre parents proches, membres de la parenté et réseaux de connaissances qui se déploient avec ce recours spécifique aux réseaux sociaux.

S’inscrivant dans une approche critique de la notion de risque, Christine Thoër et Stéphanie Aumond proposent une analyse sur l’usage de médicaments ou de substances chimiques à des fins de défonce dans leur article « Construction des savoirs et du risque relatifs aux médicaments détournés ». Les connaissances et pratiques exprimées par les consommateurs de ces pharmacopées détournées révèlent, via le net, une mise en commun, voire une confrontation d’expériences revendiquées comme des connaissances expertes. Les frontières entre savoirs savant et profane tendent, progressivement, à perdre de leur consistance au profit de l’affirmation d’une nouvelle source d’autorité et de légitimité. Les auteurs mettent ainsi l’accent sur l’ambivalence affichée quant aux recours au savoir biomédical. Le médicament fait l’objet d’une appropriation idiosyncrasique fondée sur le partage des expériences individuelles qui, dans le même temps, reprend les codes d’une représentation de la science médicale. Ainsi, la description des produits, les registres de justification des témoignages, voire la mise en commun des réseaux d’achat et de circulation des substances, visent à prévenir et à se prémunir du risque que présenteraient les effets secondaires et d’accoutumance. Dès lors, c’est toute la définition moderne de la société du risque qui se voit réinterrogée. Ces pratiques de détournements revendiquant des modalités singulières d’expérience fondées sur le plaisir de la maîtrise des états de conscience modifiés peuvent tout autant être interprétées comme des formes d’encadrement de la consommation toxique (donc de prévention des risques) que de propagation d’usages illicites.

Dans leur article « Dynamiques ludiques : dialectique intrinsèque du virtuel au réel », Evelyne Lasserre, Axel Guïoux et Jérôme Goffette privilégient l’étude de l’appropriation d’un jeu en ligne, celui du World of Warcraft par des personnes confrontées à un handicap physique. Après avoir situé les enjeux théoriques rattachés aux notions de game, qui réfère plutôt au dispositif et à la règle, et de playing, qui renvoie au déploiement de l’activité de jeu, les auteurs s’attachent à dégager les différentes opérations qui conditionnent l’investissement dans ce monde ludique et les apprentissages qui sont nécessaires. Ainsi, on trouve en premier lieu la création de l’avatar, le personnage choisi impliqué dans l’espace du jeu, ce qui nécessite une réflexion poussée quant au choix de ses caractéristiques puisqu’il représente les joueurs et en reflète les qualités. En second lieu, les joueurs ont à assimiler l’espace et les temporalités de l’univers ludique, modifié en permanence, pour en comprendre les contextes, et à les maîtriser à travers une pratique répétée, ce qui leur permet de s’adapter à cet espace vidéo-ludique. Cette adaptation passe par une forme de « procuration » qui médiatise les rapports entre monde réel et virtuel. L’apprentissage des modalités d’action et d’interaction constitue un autre défi et il demande la mise en place de formes de coopération entre les avatars, de même que l’acceptation de règles de conduite respectueuses qui, transgressées, demanderaient des sanctions. Les joueurs doivent aussi passer par un ensemble d’étapes qui leur permettent d’acquérir les expériences et les habiletés qui sont au fondement de la reconnaissance de leur statut dans cet univers. Cette analyse met ainsi en relief la complexité des modes de socialisation exigés par le jeu en ligne qui permettent d’acquérir les stratégies nécessaires pour naviguer dans cet univers.

L’entretien avec Pierre Maranda, spécialiste de l’Océanie, montre comment l’informatique intervient non seulement dans la constitution des connaissances ethnographiques mais aussi dans leur diffusion et leur appropriation. L’anthropologue revient sur l’expérience du portail Internet Peuples des eaux, gens des îles. L’Océanie, qui vise à présenter de façon interactive l’état actuel du savoir concernant les sociétés océaniennes. Ce projet interdisciplinaire particulier synthétise les possibles usages de l’outil numérique dans la recherche anthropologique. Il pose tout d’abord la question du traitement informatisé des données de terrain à partir de la constitution d’une base d’ensembles sémiotiques (les « attracteurs » de sens). Cette base permet ensuite la production d’une mise en représentation dans le web de savoirs qui reflètent la complexité des systèmes culturels océaniens à partir d’hyperliens, d’une constellation de sons, d’images, de témoignages, d’éclairages scientifiques, rendant possible un travail d’archivage qui est utile tant pour l’enseignement que pour la recherche. Ce portail numérique concrétise enfin la communalisation de savoirs experts et profanes tout en maintenant des liens de communication avec les interlocuteurs privilégiés des sites retenus (chercheurs, érudits autochtones, étudiants, etc.). Cet échange souligne directement, à l’image de ce qu’évoque plus loin Aurélie Maire dans sa note de recherche, la place de la numérisation des traces mémorielles et de leurs usages dans le monde globalisé des réseaux techno-communicationnels. Ici encore, l’utilisation de ces contenus, qu’ils soient audio et/ou visuels, interpelle une certaine conception de l’éthique de la recherche et du droit à la diffusion des éléments de première main. Ce processus de mise en visibilité pointe la complexe négociation que ces îles entretiennent avec l’histoire, établit les connexions entre les cultures insulaires pour en dégager les confluences et contribue à une conscientisation locale qui peut nourrir la créativité artistique et littéraire à partir des sources mises à disposition.

L’article de Florence Dupré, Rachel Walliser et Joseph J. Lévy « Les ressources anthropologiques dans les cyberunivers : un aperçu » complète ce tour d’horizon de la transmission des savoirs et des savoir-faire sur Internet. Ce voyage dans le cyberespace propose de saisir les procédures de recomposition de la discipline au travers de son exposition sur le web. Partant d’un recensement méticuleux des sites anthropologiques présents dans le cyberespace des années 1990 à nos jours, l’article fait l’inventaire de ses ressources sous la forme de six univers distincts mais néanmoins en relation. Ces dernières dessinent l’une après l’autre les contours des modalités pédagogiques disponibles, des espaces de référence des professionnels de l’anthropologie, des dispositifs bibliographiques et audiovisuels, des propositions muséologiques et de leurs collections matérielles et immatérielles, des sites autochtones, ou encore des sites consacrés aux associations et organismes militants à base anthropologique. Le propos montre combien l’anthropologie numérique et médiée par l’Internet depuis les années 1990 n’a fait que s’amplifier de manière désordonnée sans toujours modifier profondément les formes ou les contenus.

L’article « “Oeuvres frontières” de l’art numérique : des actes de cocréation interdisciplinaire » se trouve plus périphérique au thème sur les savoirs et les savoir-faire traités dans ce numéro. C’est au travers d’un processus artistique original que Jean-Paul Fourmentraux aborde moins le recours à l’Internet proprement dit que l’inscription d’un dispositif numérique dans une expérimentation de création. Le projet Schlag ! décrit ici fait jouer des modes de coopération brouillant les frontières entre art et science ou encore entre la présence incarnée du comédien et la présence virtuelle du personnage artificiel. À l’instar du modèle avancé par Howard Becker, l’auteur pointe des logiques de négociation entre mondes (de l’art, de la recherche expérimentale, de l’action culturelle, etc). Schlag ! nous amène ainsi à interroger le statut même de l’oeuvre, qui ne peut plus être saisie comme un objet délimité mais plutôt comme un mode opératoire associant une pluralité d’acteurs tout autant réels que virtuels. Cette création singulière peut être interprétée comme un cadre expérimental faisant écho à la place de l’Internet aujourd’hui dans les sociétés mondialisées. La flexibilité et la mouvance des définitions identitaires questionnent de façon globale, et ce, au-delà ou plutôt en deçà du champ de l’art proprement dit, une forme de création/recréation généralisée des représentations de soi et des autres.

Dans sa note de recherche, s’inscrivant elle aussi dans une interrogation du champ artistique, Aurélie Maire nous invite à nous pencher sur « Le domaine artistique contemporain de l’Arctique canadien dans l’environnement numérique : réflexion sur les notions de droit d’auteur et de propriété intellectuelle ». Son propos souligne la tension entre une recherche de protection juridique et de diffusion des créations artistiques et la valorisation socioculturelle au travers d’un référentiel éthique mettant l’accent sur la reconnaissance de l’autre. Les valeurs et conceptions inuit, au sein desquelles ces créations prennent sens, s’organisent en effet à partir de la notion de partage des expériences remettant en question les définitions classiques de l’oeuvre d’art fondées sur les notions d’originalité, de permanence et d’une certaine forme d’« auteurité ». L’espace de visibilité et de partage que propose la disponibilité de l’Internet amène ainsi les créateurs à reconsidérer le statut de leurs productions artistiques et, par là, le processus qui en est à l’origine. À titre d’exemple, Aurélie Maire pointe avec insistance la définition complexe de la place de l’oeuvre sur Internet. Objet potentiellement appropriable par l’ensemble des internautes, elle perd de son aura, tout en laissant en suspens les logiques d’appartenance ainsi que les revendications de propriété qui la traversent.

Cet ensemble d’articles met en évidence l’intérêt anthropologique des recherches sur Internet quant aux univers socioculturels qui se déploient dans cet espace, et favorisent l’établissement de nouveaux types de liens sociaux ainsi que de stratégies d’acquisition des savoirs et savoir-faire. Ils invitent, en somme, à une réflexion épistémologique plus large sur les enjeux de définition, d’exposition et de reconnaissance de la discipline dans le contexte communicationnel contemporain, de même que sur ses modalités de transmission et d’éducation dans un univers mouvant et foisonnant.