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Gilles Dostaler aura été l’un des historiens de la pensée économique les plus importants, non seulement au Québec et au Canada, mais aussi dans le monde. Éminent spécialiste de l’oeuvre de John Maynard Keynes, il aura aussi produit, tout au long de sa carrière, un nombre impressionnant de travaux sur les principaux théoriciens de l’économie.

Gilles Dostaler n’a jamais cherché à dissocier ses recherches de son implication sociale et politique. Depuis ses années de collège, il aura été un intellectuel engagé et actif dans les débats de la société.

Des décennies d’engagement au service du développement du milieu

Dans les années soixante, Gilles Dostaler fut membre du comité de rédaction de la revue Parti pris qui eut un impact considérable à cette époque. Il fut l’un des premiers à lier la montée du mouvement nationaliste à la formation de la nouvelle classe moyenne canadienne-française, suite au développement des institutions du fordisme et de l’État providence.

Il participa à la fondation de Socialisme québécois, une revue créée à la suite de la disparition de Parti pris. Après avoir milité au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), il fut l’un des fondateurs du Comité pour l’indépendance et le socialisme, un groupe voué à la promotion de l’indépendance du Québec et de l’idée du socialisme démocratique. Il fut aussi l’un des organisateurs de McGill français, cette célèbre manifestation du mouvement populaire qui réclamait la création de nouvelles institutions universitaires francophones et qui devait conduire à la création de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et du réseau de l’Université du Québec. Jeune économiste, il s’impliqua très activement dans les associations coopératives d’économie familiale qui demeurent les premières organisations de défense des consommateurs au Québec.

Après des études doctorales à Paris, il devint professeur au département de sociologie de l’UQAM en 1975 avant de migrer vers le département des sciences économiques en 1979. Durant la deuxième moitié des années soixante-dix, il fut vice-président et président du Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM et président du comité de la grève des professeurs de 1976. Il fut aussi membre du bureau fédéral de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec entre 1976 et 1978, ainsi que membre du Comité de coordination des Cents en 1980, un comité qui donna naissance à l’éphémère « Mouvement socialiste » dirigé par Marcel Pepin.

À la fin des années soixante-dix, Gilles Dostaler fut l’un des fondateurs de « l’Association d’économie politique » (AEP) et en fut le premier président. L’AEP proposait un discours économique « alternatif » et critique de la pensée économique « néolibérale » qui devenait alors de plus en plus dominante. Plus récemment, Gilles Dostaler fut très actif dans la mise en place du « Collectif économie autrement », poursuivant ainsi sa volonté d’assurer la diffusion de discours économiques « alternatifs » et critiques dans les débats qui animent la société.

Une production scientifique reconnue internationalement

La production scientifique de Gilles Dostaler est imposante : pas moins de 10 livres, (traduits en plusieurs langues dont l’arabe et le japonais), une trentaine d’articles, dans les meilleures revues d’histoire de la pensée économique, une trentaine de chapitres de livres, la direction d’une dizaine d’ouvrages collectifs et des collaborations régulières avec plusieurs revues.

Ces dernières années, les travaux de Gilles Dostaler ont porté sur la pensée de John Maynard Keynes. Économiste, philosophe, philanthrope, Keynes a inspiré les politiques interventionnistes des années trente pour sortir de la grande dépression. Keynes et ses combats, publié chez Albin Michel en 2005 et réédité en 2009 a été traduit en anglais et en japonais. Capitalisme et pulsion de mort (avec Bernard Maris) également publié chez Albin Michel en 2009 fait déjà l’objet d’une traduction en italien. Enfin, aussi en 2009, Gilles Dostaler publie Keynes par-delà l’économie aux Éditions Thierry Magnier. Ces trois livres sur la pensée de Keynes ont reçu une couverture médiatique impressionnante et sont d’une vibrante actualité.

Renouvellement de la méthodologie

Pour Gilles Dostaler, on ne peut comprendre la formation de la pensée d’un auteur qu’en étudiant tous les aspects de sa vie. Dans le cas de Keynes, il n’a rien laissé de côté. Il a eu un accès privilégié à ses archives au King’s College de Cambridge, a lu chacune de ses lettres, épluché ses agendas, ses écrits de jeunesse, étudié ses contradictions, ses amours, sa sexualité.

Gilles Dostaler a véritablement révolutionné la méthodologie de l’histoire de la pensée économique. La nouvelle approche qu’il a mise au point progressivement dans de très nombreuses études consiste à articuler en une synthèse globale deux approches analytiques différentes, dont voici une brève présentation.

La première de ces approches consiste à replacer les théories économiques dans leur contexte. Selon lui, on ne peut vraiment comprendre un auteur que si le contexte social, politique et culturel dans lequel il a oeuvré est minutieusement reconstruit. Afin de le comprendre globalement, c’est-à-dire non seulement comme un penseur mais aussi comme un être humain, on doit tenir compte de son environnement intellectuel (ses fréquentations intellectuelles, ses goûts culturels, ses liaisons politiques) et de son parcours (les questions qu’il s’est posé, les lectures qu’il a faites, les personnes marquantes qu’il a rencontrées).

La seconde approche s’inspire de l’analyse épistémologique contemporaine. Pour Gilles Dostaler, les grandes étapes marquant l’évolution de la pensée économique représentent des ruptures parfois fondamentales avec les modes de pensée antérieurs. L’enjeu devient alors de tenter de comprendre ce qui motive ces ruptures. Pourquoi Marx est en rupture radicale avec Ricardo et les classiques; pourquoi Keynes rompt aussi bien avec les classiques qu’avec les néoclassiques; et pourquoi un économiste comme Hayek, préoccupé plus que tout autre par les limites cognitives de l’acteur économique, en vient à mettre en relief de manière quasi obsessionnelle l’impraticabilité d’une économie centralement planifiée.

L’homme

Tous ceux qui le connaissaient peuvent témoigner que, derrière le chercheur rigoureux, on trouvait un homme attentif et attachant, un homme engagé, militant depuis toujours pour une société meilleure, un homme qui aimait la vie dans toutes ses dimensions.

Le cancer contre lequel il s’est battu ne lui avait rien enlevé de son plaisir de vivre chaque instant avec intensité. S’il adorait plonger dans les archives d’illustres auteurs, Gilles Dostaler aimait tout autant faire bonne chère, assister à une corrida ou se mesurer à un saumon d’une rivière de Gaspésie. La chasse, la pêche et le spectacle très particulier de la tauromachie qu’il adorait, lui permettaient de comprendre l’équilibre entre l’homme et la nature et lui rappelaient à quel point nous sommes petits dans l’univers.