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Entre Les 36 stratagèmes et La guerre hors limites, l’ouvrage collectif dont nous parlons ici vient renforcer la littérature existante qui traite des nouvelles formes de guerre, celles que nos armées occidentales doivent apprendre petit à petit et qui nous laissent parfois tellement démunis face à un ennemi pourtant considéré comme si faible et si peu armé.

Ce livre a été édité par les Presses de l’Académie canadienne de la défense, ce qui lui donne un caractère atypique, puisqu’il est destiné au personnel des Forces canadiennes. Il a pour objectif affiché de proposer à ses lecteurs une analyse de diverses situations afin de les éclairer sur l’environnement dans lequel ils évoluent désormais. On aurait pu croire que ce livre s’inscrivait dans la masse des ouvrages plus ou moins bien écrits, qui parsèment nos bibliothèques et encombrent nos étagères sans parvenir à apporter de véritable éclairage sur le sujet abordé. En effet, le thème est éculé, souvent mal traité, parfois trop résumé ; sa complexité le rend difficile à cerner et sa réalité rend son appréhension particulièrement délicate. Le fait de destiner cet ouvrage aux forces armées d’un pays impose d’autant plus de précautions de la part des auteurs et des responsables : il ne conviendrait pas de raconter une histoire qui ne soit pas la bonne !

La nécessaire adaptation des forces armées aux techniques de l’insurrection, voici le thème central de cet ouvrage. La rigueur de la construction du livre a certainement servi à exposer cette thématique : les auteurs sont nombreux, certes, mais pas trop, les thèmes abordés sont classés par ordre évolutif : les bases et références historiques présentées au début de l’ouvrage permettent de mieux comprendre la suite, composée d’exemples concrets, d’analyses de situations.

Le livre aborde ainsi les concepts théoriques de l’insurrection et de la guerre. Les Forces d’opérations spéciales canadiennes (fosc) étant au coeur du schéma de lutte contre ces nouveaux phénomènes, il est normal que cet ouvrage leur accorde une large part. Plus que de l’insurrection, c’est d’ailleurs de la contre-insurrection et des formes de guerre associées qu’il s’agit ici.

L’ouvrage consacre des chapitres au terrorisme, d’autres au renseignement, au phénomène de privatisation des armées et donc des conflits. Le dernier chapitre revient pour sa part sur la mise en place de forces d’opérations spéciales en prévision d’une longue guerre. Il rappelle un élément essentiel : l’importance prise par le terrorisme dans nos sociétés actuelles l’a fait passer d’un statut de simple menace criminelle à celui d’élément constitutif de la sécurité nationale, remettant en cause l’équilibre sécuritaire des nations.

L’ouvrage relève parallèlement le leadership américain en matière de lutte antiterroriste, ce qui a été confirmé par les derniers événements au Pakistan et la neutralisation de Ben Laden. L’importance des relations interalliées et d’une stratégie commune est ainsi mise en exergue dans la lutte antiterroriste. C’est la gestion de cette nécessité qui pose les questions suivantes : comment des nations aux langues, aux techniques, aux technologies et aux habitudes différentes peuvent-elles parvenir à combattre ensemble un ennemi commun ?

Les exemples concrets de mise en oeuvre et de succès de stratégies interalliées en Irak et en Afghanistan illustrent les propos théoriques. La question de l’intégration des fosc intervient comme une suite logique aux réflexions préalables : la nécessité d’évolution face aux nouvelles menaces impose de repenser les règles de fonctionnement.

Les fosc semblent avoir intégré ces concepts depuis longtemps et elles acceptent que leur rôle ne soit pas d’être en tête de gondole, mais plutôt de contribuer à des missions spécifiques, pour aider à défendre une cause plus grande, celle de la « longue guerre ».

L’ouvrage prévoit qu’après celle-ci d’autres luttes antiterroristes apparaîtront, ce qui impose de former des équipes multinationales capables de se comprendre et de se coordonner. Si les fosc ont donné l’illusion de bien vouloir rester dans l’ombre des États-Unis, elles suggèrent d’utiliser leur mode de formation et leur doctrine, qui seraient déployés auprès des alliés et faciliteraient ainsi l’échange, le partage, la compréhension, la complémentarité et donc l’efficacité des coalitions en manoeuvre sur le terrain.

Ce livre étant destiné aux fosc, il n’est pas étonnant qu’il prenne leur parti aussi clairement. Cependant, il convient de noter que, si toutes les forces armées du monde tenaient le même raisonnement, nous ne serions pas loin du blocage le plus complet sur le terrain des opérations. Il s’agit donc de limiter la portée des propos tenus dans ce livre afin de permettre la pérennité – voire l’amélioration – d’un système, qui – certes – est imparfait, mais permet quand même de belles réussites sur le terrain et s’accommode malgré tout des failles induites par une alliance multinationale.

La lecture de ce livre est aisée : il est possible de le lire dans l’ordre ou de glaner des renseignements dans certains chapitres. On y perdrait cependant en choisissant la deuxième option, puisque l’intelligence de la cohésion des chapitres apporte des informations supplémentaires. Il ne s’agit pas ici d’une simple accumulation d’articles, mais d’un ensemble, soigné et réfléchi. Les chapitres sont souvent rédigés de façon collective : le nombre de collaborateurs et leur qualité renforcent l’intérêt de ces passages groupés, favorisant une cohésion d’ensemble. De ce fait, l’ouvrage pourra être lu aussi bien par des spécialistes que par des profanes.