Corps de l’article

D’entrée de jeu, Lucie Joubert se présente comme le sujet d’une réflexion inédite : « Il paraît qu’en cherchant bien, je découvrirais en mon for intérieur un vide : cette vacuité, c’est ma matrice inutilisée. Je suis une prune desséchée, une branche sans fruit, une terre stérile, une source tarie, un cul-de-sac génétique. Bref, j’ai l’impression de bien aller mais je suis dans un état épouvantable » (p. 9). Avec ces propos quelque peu ironiques en introduction, Lucie Joubert nous présente un essai sur le fait que des femmes choisissent volontairement de ne pas avoir d’enfants. Et elle se pose une question redoutable : elle dit « craindre que la liberté de choix pour les femmes des générations qui [la] suivent – c’est-à-dire la liberté de CE choix bien spécifique – que l’on tenait pour acquis, ne soit minée par des pressions sociales d’autant plus efficaces qu’elles ont gagné en subtilité et qu’elles prennent pour appui […] la conciliation travail/famille » (p. 10). Elle cite les personnes qui l’ont précédée dans cette réflexion : Elinor Burkett, Théophile de Giraud, Corinne Maier, Michel et Daisy Tarrier.

C’est un truisme d’affirmer que le mouvement et l’analyse féministes ont souvent achoppé sur la question de la maternité. Ce n’est pas étonnant : la civilisation patriarcale a été construite autour du prétendu destin des femmes quant à la procréation et, par cette phrase, je cède à la facilité du discours unique. Le petit essai de Joubert permet de déjouer les subtilités du nouveau discours sociétal sur la maternité.

Le premier chapitre, intitulé « La marginale », expose de quelle manière s’organise la pression sur les originales qui n’ont pas d’enfants, de quelle manière aussi s’exercent les menaces qui les ramèneront dans le droit chemin. Les décideurs (gouvernements, organismes, médias, etc.) accordent des privilèges, mais ils les assortissent de pressions sociales et morales pour assurer l’équilibre biologique. Des magazines présentent comme « générales » des attitudes qui ne concernent que quelques personnes. On donne peu la parole à celles qui choisissent de ne pas avoir d’enfants; on appelle « nullipare » toute femme qui n’a pas d’enfants : l’effet discursif de ce mot est éloquent. Joubert souligne aussi les stratégies de précaution qu’utilisent celles qui abordent la question du refus de l’enfant, mais elle tient à mentionner que quelques auteurs et auteures ne tombent pas dans ce travers. Elle termine ce chapitre par une entreprise de déconstruction des concepts les plus fréquents qui sont utilisés pour parler de la non-maternité : le regret, l’isolement appréhendé à la vieillesse et l’impossibilité de se perpétuer par sa descendance. Elle lève ainsi le voile sur « la façon dont s’organise la pression exercée sur la femme » et tente de brûler les « épouvantails qu’on dresse sur sa route de déviante » (p. 11).

Le deuxième chapitre, intitulé « L’inféminine », conteste que la féminité soit essentiellement liée à la maternité. « Dire non à quelque chose, c’est fermer une porte » (p. 32), veut-on nous faire croire. Ce chapitre donne à Joubert l’occasion de réfléchir sur les théories freudiennes, sur les délires compensatoires, sur les recherches expérimentales, le tout assorti d’exemples qui permettent d’appréhender la manière dont se formule la critique subtile qui frappe les femmes qui ne veulent pas d’enfants. Les femmes sans enfants doivent absolument apprendre à se réapproprier une identité particulière qu’on leur refuse parce qu’elle est menaçante pour l’ordre établi (p. 11).

Le troisième chapitre, intitulé « La féminisse », aborde la question litigieuse de la conciliation travail-famille, haut lieu des divergences entre les femmes. Joubert prend en considération le caractère hautement émotif de ce débat, mais elle affiche clairement ses couleurs : « j’en ai assez qu’on tienne les féministes pour responsables du bas taux de natalité au Québec; j’en ai assez qu’on leur reproche d’avoir créé la « super woman », maintenant super épuisée; j’en ai assez qu’on leur impute l’habitude de dénigrer les femmes qui choisissent de rester à la maison; j’en ai assez qu’on leur reproche leur silence devant la maternité en général » (p. 50); « Comment peut-on se dire féministe et oser émettre des réserves devant certaines revendications des femmes quant à leur milieu de travail » (p. 11)? Ses observations sont une invitation à la lucidité.

Le quatrième chapitre, intitulé « La perplexe », est sans doute le plus décapant de tous. En effet, Joubert se fait plaisir. Elle passe au crible les proses orales ou écrites que l’on rencontre régulièrement à travers l’actualité. Elle décode autrement les propos des journalistes, des animateurs et des animatrices de même que des commentateurs et des commentatrices, sans oublier les blogueurs et les blogueuses, qui laissent croire constamment que la norme reste toujours le fait d’avoir des enfants, de réagir en parents. Ce faisant, ces personnes contribuent toutes à maintenir dominant le discours sur la maternité incontournable.

Comme Joubert l’explique en conclusion, elle veut, par ce petit essai, « offrir un contrepoids à la pensée unique […] et montrer qu’il existe vraiment un autre choix de vie pour les filles » (p. 12).

Écrit dans une langue alerte et stimulante, cet ouvrage de Lucie Joubert sert surtout à stimuler la réflexion. En effet, l’auteure montre du doigt la grande difficulté que nous éprouvons encore toutes à discerner les ruses toujours recommencées du discours patriarcal.