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Introduction

De 1998 à 2003, le Mouvement des caisses populaires acadiennes (Nouveau-Brunswick, Canada) a procédé à un important programme de rationalisation. Le nombre de caisses populaires est alors passé de 85 à 33. Leclerc et Fortin (2003a, 2003b, 2009) ont analysé en profondeur l’effet des fusions dans les caisses populaires acadiennes sur les économies d’échelle et de gamme, l’efficacité économique, la productivité, le membership et l’emploi dans ce réseau de coopératives financières. Leclerc (2006a) a analysé l’impact sur la vie coopérative en mettant l’accent sur la participation des membres. À l’aide de données sur le travail des bénévoles et la participation des membres aux assemblées générales, une analyse de l’évolution de l’intensité de la vie coopérative a été effectuée.

À l’hiver 2006, les délégués des caisses populaires réunis en assemblée générale annuelle ont adopté une nouvelle direction dont l’objectif est de développer un réseau formé de caisses capables d’offrir l’ensemble des services financiers aux membres sur la base de leurs propres ressources humaines. Cet objectif implique une réduction additionnelle du nombre de caisses. À la fin de cet exercice, le réseau devrait compter de 10 à 15 caisses populaires.

Conscients de l’impact que la première vague de regroupements a eu sur la participation des membres, les délégués ont décidé d’entreprendre une réflexion sur la démocratie coopérative dans le réseau. Plusieurs aspects devaient être étudiés : information et consultation des membres, animation de la vie coopérative à l’échelle locale, représentation des caisses à l’assemblée générale annuelle, composition du conseil d’administration des caisses et de la Fédération des caisses populaires acadiennes (FCPA), etc. Cette réflexion s’est amorcée par le tenue d’un premier atelier de discussion à l’automne 2006, d’un second à l’hiver 2007 et a conduit à des décisions lors de l’Assemblée générale annuelle 2007 et de 2009 du Mouvement.

Novkovic (2008) a récemment analysé l’importance de la démocratie dans l’affirmation de la différence coopérative. Pour sa part, Côté (2003 et 2007) a montré son importance dans la gestion d’un grand réseau coopératif[2]. Cette note de recherche met plutôt l’accent sur le lien entre la démocratie coopérative et la mise en oeuvre d’une réflexion stratégique dans un réseau coopératif. Elle présente et analyse le processus consultatif engagé dans le réseau des caisses populaires acadiennes en 2006 dans le but de comprendre ce qui préoccupe les membres lorsque vient le temps de réfléchir à la distinction coopérative. Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une approche de recherche-accompagnement. Dans cette démarche, comme le souligne Beauvais (2008), il faut rester très prudent de ne pas glisser dans la posture d’un consultant et bien comprendre que le chercheur-accompagnateur n’intervient pas pour identifier des solutions mais plutôt pour appuyer la réflexion stratégique des délégués des coopératives dans un processus démocratique.

Dans la première section, nous présentons l’impact des transformations récentes du réseau des caisses populaires acadiennes sur la structure du réseau et la participation des membres. Dans la deuxième section, nous décrivons la stratégie d’évolution du réseau retenue par les délégués à l’assemblée générale annuelle (AGA) de 2006 et voyons ce qui les préoccupe du côté de la représentation, de la participation et des autres dimensions de la vie démocratique dans une organisation coopérative. Nous présentons et analysons les résultats des discussions sur la vie coopérative dans le Mouvement des caisses populaires acadiennes.

1. Fusions et participation

1.1 Les grands éléments du programme de rationalisation

De 1998 à 2003, un important programme de rationalisation a profondément changé le visage du réseau des caisses populaires acadiennes[3]. Ce programme mettait à contribution deux stratégies. La première stratégie consiste en une réorganisation des processus. Mieux connue sous le nom de « réingénierie », elle cherchait à revoir les méthodes de production des services et l’offre de services de façon à diminuer les coûts et augmenter les efforts de vente dans les services à forte valeur ajoutée. L’impact de cette stratégie peut être illustré de deux façons. D’abord en regardant la place occupée par les transactions automatisées en comparaison aux transactions manuelles dans l’ensemble des transactions produites par la caisse populaire. Les transactions manuelles étant plus coûteuses à produire que les transactions automatisées, les caisses populaires essaient d’amener leurs membres à utiliser de plus en plus les services automatisés. En 1997, 48,4 % des transactions effectuées par les caisses populaires acadiennes étaient gérées manuellement, un pourcentage qui chute à 22,1 % en 2006. À cette automatisation a été associée une importante baisse du nombre de travailleurs en équivalent temps complet. En effet, l’effectif se situait à 936 personnes en 1997 alors qu’il n’était plus que de 771 salariés en 2006, ce qui correspond à une réduction de 17,6 % de l’utilisation du travail.

La seconde stratégie consiste en un regroupement des caisses populaires. Ce programme de fusions des caisses populaires acadiennes vise, par le regroupement des caisses locales, à éliminer les petites caisses en s’appuyant sur le principe qu’une caisse dont l’actif est inférieur à 20 M$ pourra difficilement offrir une gamme complète de produits financiers et à affronter avec succès la concurrence des succursales bancaires[4]. Cette stratégie cherche à profiter de la mobilité du personnel de direction, mobilité résultant de licenciements, de retraite ou de départs volontaires, et de la proximité géographique de certaines caisses pour proposer aux membres un projet de fusion. Elle permet d’augmenter la taille moyenne des institutions et d’offrir au personnel de direction des conditions de travail comparables à celles des concurrents. Même si certaines caisses ont été fusionnées avant cette date, le programme de restructuration mis en oeuvre par la Fédération des caisses populaires acadiennes date de 1998 et a été complété en 2003.

La figure 1 présente les données sur ce programme : nombre de regroupements et évolution du nombre de caisses et de l’actif moyen. Certaines caisses ont été impliquées dans plusieurs fusions. Au total, 39 fusions ont été réalisées entre 1998 et 2003 et la très grande majorité, soit 33 fusions, implique seulement deux caisses. Ce programme de regroupements a fait passer le nombre de caisses populaires de 85 à 33 et a obtenu un fort appui des membres qui se sont prononcés en assemblée générale. En effet, seulement trois projets de fusion ont été refusés. Cet appui s’explique en partie par le fait que seulement un point de services a été fermé.

Figure 1

Évolution du réseau des caisses populaires, 1997-2003

Évolution du réseau des caisses populaires, 1997-2003
Source : Fédération des caisses populaires acadiennes

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Le regroupement de caisses opérant dans la même communauté a évidemment provoqué une réduction du nombre de membres dans l’ensemble du réseau. De 1997 à 2006, le nombre de membres a en effet diminué de 12,3 %. Deux facteurs principaux peuvent expliquer cette tendance. D’abord, certains membres faisaient affaires avec plusieurs caisses d’une même localité. Le regroupement de ces caisses a donc donné lieu à la consolidation d’un certain nombre de comptes. Ensuite, les caisses populaires acadiennes opèrent dans des régions où le déclin démographique est important. Selon les données des recensements de Statistique Canada de 1996 et 2006, au cours de cette période, la population a décliné dans 5 des 6 comtés à forte présence francophone dans lesquels se concentrent les activités des caisses acadiennes. Dans ces 5 comtés[5], la diminution de la population a été de l’ordre de -8,5 %. Westmorland est le seul comté dont la population a augmenté durant cette période (+10,2 %). Ce comté pose cependant deux défis particuliers. Il est majoritairement anglophone et plus urbanisé. La concurrence des succursales bancaires y est donc plus forte que dans les autres régions.

1.2 Effets du programme de rationalisation sur les membres

Il est important de vérifier l’effet de l’ensemble de ces changements sur la satisfaction des membres. Il n’existe pas de sources externes nous permettant de suivre les tendances à ce niveau. La seule étude annuelle disponible est une enquête réalisée pour le compte de la FCPA par le Bureau de sondages de la Fédération des caisses Desjardins de Québec (1997, 2004). Deux dimensions offrent une bonne perspective sur l’appréciation des changements par les membres. La première présente un indice global de satisfaction. Il s’agit d’un score moyen présentant le pourcentage de membres se disant très satisfaits sur des aspects comme la courtoisie du personnel de la caisse, l’efficacité du travail, le professionnalisme, l’accessibilité, etc. Cet indice global était à 56 % en 1997 et l’est demeuré en 2004. La même situation est observée dans la seconde dimension, la distinction coopérative[6].

Un aspect important de l’intensité de la vie coopérative est la participation des membres aux activités de la caisse populaire. On peut se demander ce qui incite les membres d’une coopérative à participer activement aux activités qu’elle organise. Il existe peu de recherche empirique sur ce sujet dans le contexte canadien. Soulignons à titre d’exemples les travaux de Migué (1971), Beauchamp (1982) et Humérez-Comtois (1982). Les thèses à ce sujet peuvent se résumer à trois approches. Il y a d’abord l’approche utilitariste. Elle est mise de l’avant par Migué (1971). Selon cette thèse (p. 2235), « ce qui amène principalement les membres à accorder leur clientèle à la coopérative, c’est d’abord l’avantage individuel que chacun en retire. » Cette notion d’avantage individuel s’applique aussi lorsque vient le temps de décider de prendre part ou non aux activités de la coopérative. Mais « la participation aux décisions et aux risques coûte cher en ressources rares » sous la forme de coût d’information (temps consacré à l’étude de la documentation) et coût de participation (temps consacré aux réunions) (p. 2230). Pour que le membre participe, ce coût doit être compensé par des bénéfices. Ces avantages peuvent prendre plusieurs formes : bénéfices financiers, capacité à influencer les décisions, etc. Selon cette logique, la coopérative peut influencer le degré de participation en essayant de réduire ces coûts et d’augmenter les bénéfices. Elles ont effectivement développé des pratiques à cet égard.

La deuxième approche est l’hypothèse communautaire. Elle s’appuie sur les théories de la coopération sociale et suppose que la participation peut être motivée par trois éléments : des buts communs, des valeurs communes et un sens de la communauté. Plus ces trois éléments sont vécus intensément dans la communauté, plus la participation des membres d’une coopérative sera grande (Voir par exemple Argyle, 1991).

La dernière approche est celle proposée par Birchall et Simmons (2004). Dans leur « chaîne de participation », ils proposent une approche intégrée fondée sur la trilogie : ressources - mobilisation - motivations. Certains de ces éléments sont de type demande et d’autres se retrouvent du côté de l’offre. Les ressources dont disposent les membres d’une coopérative représentent une contrainte. Il s’agit du temps qu’ils sont prêts à y consacrer, de leur situation financière, de leurs aptitudes et de la confiance qu’ils ont en leur capacité à jouer un rôle significatif dans une organisation démocratique. La mobilisation fait référence à la nature de la relation que le membre entretient avec la coopérative, à l’effort de promotion des occasions de participation que fait la coopérative et aux efforts de recrutement des membres offrant un potentiel intéressant pour l’organisation[7]. Quant aux motivations, elles font simplement appel à l’intérêt que portent les membres dans leur coopérative. Ainsi, les trois éléments de cette chaîne sont interdépendants, mais certains facteurs de chacun d’eux agissent indépendamment pour affecter le degré de participation des membres.

On peut mesurer l’intensité de la participation des membres aux activités de la caisse populaire de deux façons. D’abord par le nombre de membres actifs dans les conseils d’administration des caisses populaires. Ce nombre mesure en partie le travail bénévole effectué par les membres de ces coopératives de services financiers. La Loi sur les caisses populaires du Nouveau-Brunswick stipule que le conseil doit être formé d’un minimum de 7 membres. Il s’agit d’un mandat de trois ans renouvelable deux fois. En 1997, 760 bénévoles siégeaient aux conseils d’administration, ce qui représente une moyenne de 8,9 membres par conseil. En 2004, le nombre de membres de conseils a diminué à 325. Cela correspond à une baisse de 57 %. L’élection se fait par acclamation dans la grande majorité des cas et le manque de candidats est une situation exceptionnelle. Suite aux regroupements, un changement s’est opéré dans les règles de représentation au conseil. En 2006, puisque de nombreuses caisses desservent maintenant plusieurs paroisses rurales, la majorité des caisses (22 / 33) a opté pour une approche territoriale dans la composition du conseil. Dans ce cas, les postes du conseil sont associés à des territoires spécifiques. C’est la formule privilégiée par les membres pour s’assurer une représentation de l’ensemble des communautés au conseil. Neuf de ces 22 caisses ont une représentation égale par centre de services et treize n’ont pas une représentation égale.

L’autre facette de la contribution des membres à l’intensité de la vie coopérative est la participation des membres à l’assemblée générale annuelle (AGA) de leur caisse. Pour vérifier l’impact du programme de rationalisation sur l’implication des membres, nous avons compilé les données sur 4 années : 1997, 1998, 2003 et 2004. Les deux premières montrent la situation avant la mise en oeuvre de la restructuration et les deux dernières, à la fin de ce programme. Les données sont présentées au tableau 1[8].

Tableau 1

Participation des membres

Participation des membres
a

Le total de membres pour l’année 2003 est inférieur à celui de 2004 parce que deux caisses populaires n’ont pas eu d’assemblée générale annuelle en 2003, année d’une fusion.

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On observe donc une diminution de la participation des membres aux assemblées générales annuelles. De 1997 à 2004, le taux de participation est passé de 4 à 2,6 %. En nombre absolu, il s’agit d’une diminution de 44,1 %. Les caisses sont désormais plus importantes, elles desservent un territoire plus grand et cette nouvelle réalité crée une contrainte additionnelle à la participation des membres.

On pourrait argumenter que la baisse de la participation des membres dans les organisations démocratiques n’est pas un phénomène unique aux caisses populaires. En effet, on mentionne souvent que la montée de l’individualisme et le développement du monde associatif ont pour effet d’entraîner un désengagement des citoyens ou leur éparpillement entre de multiples organisations. Pour vérifier si tel est le cas, nous avons séparé les caisses en deux groupes selon qu’elles aient ou non été impliquées dans une fusion durant la période 1997-2004. En fait, seulement 8 caisses acadiennes n’ont pas pris part à un processus de fusion. Le tableau 2 présente les données pour nos deux groupes de caisses.

Tableau 2

Participation des membres selon l’implication des caisses dans un processus de fusion

Participation des membres selon l’implication des caisses dans un processus de fusion
a

Le total de membres pour l’année 2003 est inférieur à celui de 2004 parce que deux caisses populaires n’ont pas eu d’assemblée générale annuelle en 2003, année d’une fusion.

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Il semble bien que l’interprétation fondée sur l’impact négatif des fusions sur la participation des membres soit la bonne. En effet, du côté des caisses ayant été impliquées dans un processus de fusion, le nombre de membres aux assemblées générales annuelles (AGA) a diminué de 3220 à 1743, ce qui correspond à une diminution de 45,9 %. Pour l’autre groupe de caisses, la participation des membres a plutôt augmenté de 21,7 %. Globalement, le taux de participation des membres a diminué dans le premier groupe (de 3,4 à 2,1 %) et augmenté dans le second (2 à 2,7 %). Alors que le taux de participation dans le deuxième groupe était plus faible en 1997, probablement à cause de la taille plus grande de ces caisses, il est devenu supérieur en 2004. Ce résultat nous ramène à la notion de capacité à jouer un rôle significatif dans une organisation démocratique de Birchall et Simmons (2004).

2. Nouvelle orientation du réseau et attentes des membres

2.1 La définition d’une nouvelle orientation stratégique

À l’assemblée générale 2006 de la Fédération des caisses populaires acadiennes (FCPA), les délégués présents ont adopté une nouvelle orientation pour le réseau. L’objectif central de cette stratégie est de développer un réseau formé de caisses capables d’offrir l’ensemble des services financiers aux membres sur la base de leurs propres ressources humaines. Sa mise en oeuvre implique une réduction additionnelle du nombre de caisses. À la fin de cet exercice, le réseau devrait compter de 10 à 15 caisses populaires locales. En moyenne, ces caisses devraient regrouper entre 12 000 et 15 000 membres et avoir un actif de 165 M$ à 250 M$.

Les délégués étaient conscients de l’effet de la première vague de rationalisation sur la vie coopérative dans les caisses locales. Pour bien saisir ces inquiétudes, une consultation a été menée auprès des membres des conseils d’administration (CA) par la firme SECOR[9] au printemps et à l’été 2006. Au sujet de la représentation des membres à l’échelle locale et dans le mouvement, et de la participation, les éléments suivants sont ressortis de cette consultation :

  • importance d’avoir un CA de Caisse représentatif (exemple : centres de services, communautés, profil des membres);

  • représentation de toutes les communautés dans la Caisse (exemple : sur le CA, groupes focus, réunions d’information, …);

  • risque de diminution de la participation des bénévoles et du sentiment d’appartenance des membres;

  • représentation des plus petites Caisses versus les plus grandes Caisses au CA de la FCPA;

  • maintien du levier des dons et commandites dans chacune des communautés; et

  • préservation des valeurs coopératives et de l’identité (SECOR, 2006 : 9).

À la suite de cette consultation, le conseil d’administration de la FCPA a décidé de pousser plus loin la réflexion. On décide alors de faire préparer un document de travail dans le but d’alimenter les discussions (Leclerc, 2006b). À titre de chercheur-accompagnateur, nous prenions alors la responsabilité d’écrire un document traitant de quatre sujets : la vie coopérative et démocratique à la caisse, la stratégie coopérative et la représentation au CA de la Caisse, les régions administratives et la composition du CA de la FCPA, et la représentation des caisses locales à l’AGA de la FCPA. Le tableau 3 présente les éléments abordés dans chacune de ces 4 thématiques.

Tableau 3

Les éléments de discussion du document de travail

Les éléments de discussion du document de travail
Source : Leclerc (2006b)

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2.2 Processus consultatif et démocratie coopérative

Suite à la présentation du document de travail au CA de la FCPA, deux séries d’ateliers ont été organisées en novembre 2006 et janvier 2007[10]. Chacune des 33 caisses y étaient représentées par 4 délégués. Durant ces ateliers, les membres étaient divisés en petits groupes de 6 à 8 personnes pour discuter des différentes options présentées dans le document de travail. L’objectif était de dégager les consensus qui pourraient faire l’objet d’une décision à l’Assemblée générale annuelle (AGA) de la FCPA. Les ateliers se sont terminés par une séance plénière pour permettre aux participants d’identifier ces consensus. Le tableau 4 présente le résultat des discussions.

Tableau 4

Les éléments de discussion du document de travail

Les éléments de discussion du document de travail
Source : Aubé (2006 et 2007)

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Étant donné les préoccupations des membres à l’égard de la vie démocratique dans les caisses locales, toutes les stratégies visant à renforcer la participation, l’information et la consultation des membres ont été retenues (options a, b et c du premier bloc). Il en va de même pour celles visant à maintenir une relation soutenue entre les caisses et leur communauté[11] (options b et c du second bloc). Les délégués ayant pris part aux discussions étaient également en faveur d’une révision du mode de représentation des caisses locales à l’AGA de la FCPA. Ils ont d’ailleurs opté pour un système mixte qui assure une forte représentation aux plus petites caisses. Du côté de la structure du CA de la FCPA, les délégués ne sentaient pas le besoin d’en revoir la composition en profondeur. Ils ont plutôt opté pour une modification des règlements de la fédération qui assure la présidence du conseil à un membre, excluant ainsi la possibilité qu’un directeur général d’une caisse en devienne le président. Ces deux derniers éléments ont d’ailleurs fait l’objet d’une décision à l’AGA 2007 de la FCPA.

La question de la composition du conseil d’administration de la FCPA est revenue à l’ordre du jour de l’AGA 2008. Pour briser l’égalité entre le nombre de sociétaires et d’employés qui le compose, le CA a proposé à l’assemblée générale de lui ajouter un poste réservé aux sociétaires.[12] Ce représentant additionnel serait élu par l’ensemble des délégués à l’AGA. Cette proposition a été rejetée par les délégués. L’argument principal soulevé par les intervenants soulignait que cette pratique créerait un déséquilibre dans la représentation par région.

En septembre 2008, le CA est revenu à la charge en convoquant une assemblée générale extraordinaire durant laquelle la proposition d’ajouter un poste additionnel au CA serait ramenée au vote mais cette fois-ci sur une base temporaire. Suite à l’adoption de cette proposition, les délégués des caisses ont participé à un atelier dans lequel la suggestion de redessiner les régions administratives de la FCPA a de nouveau été étudiée en même temps qu’une proposition qui briserait l’égalité dans le nombre de postes du CA occupée par des sociétaires et des employés. À l’AGA 2009, les délégués ont adopté deux propositions. La première a pour effet de diminuer le nombre de régions administratives de cinq à trois. La seconde modifie la composition du CA. Il sera désormais composé de douze personnes, trois sociétaires et un directeur général pour chacune des régions.

Parallèlement à ces discussions, le réseau des caisses populaires acadiennes a continué à évoluer en fonction de l’objectif de réduction du nombre de caisses établi en 2006. Il faut dire que cette restructuration se fait dans un environnement de confort financier. En 2007, le trop-perçu avant impôts se situait à 27,7 M$ dans le réseau des caisses locales (FCPA, 2008 : 29). La profonde récession qui a frappé l’économie canadienne à partir du quatrième trimestre de 2008 a passablement modifié cette situation. En 2008, le trop-perçu avant impôts a diminué à 21,1 M$ (FCPA, 2009b : 29). En 2009, au sortir de la récession, la rentabilité s’établissait à 36 M$ (FCPA, 2010 : 28). Le contexte financier n’est pas la seule variable qui influe sur un processus de restructuration. En effet, il faut se rappeler le rôle central joué par les directions générales dans ces négociations comme l’ont souligné Auteurs (2003a et 2003b). En fait, de l’adoption du nouveau programme de rationalisation en 2006 à la fin 2009, seulement cinq projets de regroupement ont été approuvés par les membres comme le montre la figure 2[13]. En 2009, le réseau comptait 25 caisses populaires gérant un actif moyen de 115 M$.

Figure 2

Évolution du réseau des caisses populaires, 2003-2009

Évolution du réseau des caisses populaires, 2003-2009
Source : Fédération des caisses populaires acadiennes

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Il est important de bien saisir cet aspect de la caisse populaire moderne. Du côté du sociétariat, les grands bénéficiaires de l’action coopérative sont ceux qui auraient difficilement accès aux services financiers sans la présence des coopératives sur l’ensemble du territoire. On parle surtout des membres à faible revenu et des membres qui vivent à l’extérieur des centres urbains desservis par les banques à charte. Mais les membres ne sont pas les seuls parties prenantes dans cette aventure. Les employés des caisses constituent aussi un autre groupe de grands bénéficiaires de l’organisation coopérative. Dans des régions où la disponibilité d’emplois de qualité est limitée, il n’est donc pas surprenant de voir les employés essayer d’influencer les décisions en leur faveur. Leur carrière en dépend. Cette influence s’exerce par l’entremise de structures formelles comme les syndicats ou les comités d’employés, ou de rapports informels comme les discussions avec l’équipe de gestion. Dans l’exercice de cette influence, la direction générale demeure au coeur de ce processus étant donné les relations privilégiées qu’elle entretient avec le conseil d’administration, les autres directions générales[14] et la fédération. Il s’agit d’un aspect de la vie démocratique dans les coopératives modernes.

Conclusion

Que peut-on retenir de cet exercice de réflexion stratégique? D’abord, comme le montrent les résultats de la consultation des membres des conseils d’administration de caisses, la distinction coopérative demeure une préoccupation que les membres ne veulent pas négliger même au profit d’une plus grande efficacité financière. Pour les membres, la transformation des organisations coopératives dans le but d’en améliorer la performance financière doit se faire dans une approche qui assure le maintien de cette différence.

Deuxièmement, les membres acceptent les changements avec prudence. Sur la question de la composition du conseil d’administration de la fédération, il aura fallu plusieurs occasions de d’échanges pour qu’on en arrive à une décision finale. Le débat portait entre autres sur la place des directeurs généraux dans cette importante unité décisionnelle. Dans un réseau coopératif, l’équilibre entre le pouvoir accorder aux membres et aux directeurs généraux est une question délicate. Elle influence aussi le pouvoir que peuvent exercer les dirigeants de la fédération.

Troisièmement, cette note de recherche montre que la diminution du nombre de caisses populaires ne se fait pas aussi rapidement que prévu initialement. La bonne situation financière du réseau limite le désir de changement dans ces petites organisations démocratiques. Dans un tel contexte, lorsqu’on veut revoir certaines pratiques, il faut y aller de façon progressive et vendre ces ajustements à la marge. Ce résultat montre aussi qu’au fur et à mesure que le nombre de caisses populaires diminuera, les caisses issues de regroupements auront accès à davantage de ressources financière et humaines. Ce faisant, le degré d’autonomie des caisses augmentera. Cela modifiera la nature de la relation entre les caisses locales et la fédération. Il deviendra alors plus difficile de négocier des changements dans la composition du réseau[15].

En quatrième lieu, il est clair que la diversité des réalités offre un potentiel de changements différent d’une caisse populaire à l’autre. Il existe en effet des limites au travail des bénévoles. Si on veut mettre en oeuvre des programmes visant une intensification de la consultation et de la participation des membres, il faudra y consacrer des ressources humaines et financières. L’accès à des ressources limitées dans les petites coopératives limite leur capacité d’action. D’où l’intervention nécessaire des coopératives de deuxième niveau, i.e. de fédérations, pour appuyer la démarche. À l’automne 2007, la FCPA procédait à la nomination d’une responsable du dossier « vie coopérative » dans la vice-présidence Planification et Communications. De plus, il était convenu d’ajouter une ressource humaine responsable de ce dossier dans la structure de gestion de la « caisse modèle » qui résultera de la nouvelle orientation du réseau. Un premier comité de vie associative et coopérative de caisse a été créé à la Caisse populaire Acadie en 2008. Ce comité traitera des dossiers suivants : l’engagement de la caisse dans son milieu, la vie associative et démocratique, l’éducation et la communication. Cette caisse a aussi été la première à se doter d’un agent de vie associative et communication (FCPA, 2009a : 7-8).

Enfin, en relation avec les trois approches théoriques présentées brièvement dans la première section de cette note, nous pouvons conclure que le caractère collectif de la coopérative encadre l’expression des intérêts individuels en définissant certaines contraintes. Le dialogue entre les diverses parties prenantes du réseau coopératif permet d’établir progressivement des consensus qui articulent de nouveaux objectifs communs et de nouvelles façons de faire.

Il faut reconnaître que la recherche en micro-politique, i.e. la recherche en démocratie des petites organisations, est peu développée. Une connaissance approfondie du comportement des petites organisations coopératives devra s’appuyer sur des efforts additionnels de recherche en ce domaine. Au moins deux aspects de cette vie démocratique méritent d’être étudiés plus en profondeur. D’abord, dans les coopératives de grande taille, puisque la démocratie directe est impensable, il faut recourir à une démocratie représentative. Ce modèle pose alors le défi de définir l’intérêt général. Ensuite, dans ce modèle démocratique, le membre peut contribuer à la vie politique de l’organisation en participant au processus décisionnel. Les occasions de participation sont limitées. Il sera important de mieux comprendre ce qui explique la participation actuelle et ce qui pourrait permettre aux coopératives d’inventer de nouveaux lieux de rencontre avec leurs sociétaires. Cette recherche a montré que la taille de l’organisation a un impact sur l’intérêt du membre à participer. Nous savons que cette taille continuera de croître dans le réseau acadien des caisses populaires. Pour demeurer cohérente avec son milieu, ces coopératives de services financiers devront renouveler leur stratégie d’intégration à la communauté.