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Introduction

La culture organisationnelle actuelle d’une coopérative est-elle conforme à sa culture souhaitée ou encore à sa culture déclarée? La culture réfère entre autres aux valeurs qui sont éventuellement mises en pratique. Par exemple, une coopérative peut afficher des énoncés sur son adhésion aux valeurs coopératives alors que certains aspects de ses activités contredisent ces énoncés et même ne reflètent aucune ambition de réaliser ces idéaux. Comment rendre compte de cet état de choses? L’objectif de cette recherche est d’appliquer une méthode qui puisse justement à la fois permettre de dresser le profil culturel d’une coopérative et reconnaitre si celui-ci correspond à ses aspirations. Un écart entre la culture actuelle et la culture souhaitée est un problème dont nous discuterons l’intérêt dans cette introduction après quelques définitions.

La culture organisationnelle est définie de diverses façons dans l’ensemble de l’analyse symbolique des organisations. Nous adoptons ici la définition selon laquelle la culture organisationnelle est « le pattern des valeurs et des croyances partagées qui aident les individus à comprendre le fonctionnement de l’organisation en leur fournissant ainsi les normes de comportement dans l’organisation » (Deshpandé, Farley et Webster, 1999).

Plusieurs appellations peuvent se greffer à la culture organisationnelle. Nous nous pencherons tout particulièrement dans la présente recherche sur la culture organisationnelle actuelle et la culture organisationnelle souhaitée, telles que définies par Cameron et Quinn (2006). La culture organisationnelle souhaitée est celle que les participants préfèrent et qui selon eux ferait en sorte que l’organisation remporte un succès spectaculaire. La culture organisationnelle actuelle est celle qui est en vigueur, toujours selon les participants. Lorsqu’il n’y a pas de différences entre la culture souhaitée et la culture actuelle, il y a absence d’écart culturel. Il est à noter que la culture déclarée est celle qui est promue dans les communications officielles comme les énoncés de mission et de valeurs (Palladi, 1996). Par exemple, mentionnons l’énoncé sur l’identité coopérative élaboré par l’Alliance coopérative internationale (1995).

Au niveau managérial, la présente recherche est utile en ce qu’elle touche la question de l’amélioration de la performance d’entreprise ainsi que la stratégie de la différenciation. Pour ce qui est du premier point, selon Cameron et Quinn (2006), lorsqu’il y a congruence culturelle, la stratégie, le leadership, les récompenses, la gestion des ressources humaines et les caractéristiques dominantes visent le même ensemble de valeurs culturelles. Ces auteurs concluent que cette congruence serait typique des entreprises performantes. La culture souhaitée indiquerait l’écart qu’il faudrait surmonter afin d’obtenir une culture actuelle congruente. Pour ce qui est du deuxième point, Barney (1997) nous enseigne que les entreprises qui possèdent et exploitent des ressources, y compris leur culture organisationnelle, qui sont rares, d’une grande valeur et d’imitation coûteuse peuvent bénéficier d’un avantage concurrentiel. Pour Fiol (1991), c’est plutôt l’identité organisationnelle, comme interface entre la culture en tant que significations profondes et la culture en tant que manifestations observables, qui est source d’avantage concurrentiel.

D’autres auteurs renchérissent sur l’importance des concepts d’écart, de congruence et de ressource unique pour ce qui est des coopératives. Lafleur (2003) suggère de poursuivre des recherches pour découvrir comment dans une coopérative performante, les valeurs des administrateurs et des directeurs se traduisent en principes de gestion qui prennent en considération à la fois des objectifs économiques et sociaux. Selon Davis (1999), les coopératives qui n’intègrent pas les valeurs coopératives au niveau des opérations – où il y a un écart culturel – perdent l’opportunité de se différencier et d’assurer leur pérennité. Fairbain (2004) prédit que l’avenir concurrentiel des coopératives n’est assuré que si elles affichent une différence. Pour Côté (2005, février), c’est plutôt le développement du leadership local qui est la ressource de grande valeur ; ce leadership contribue à la cohésion des membres qui peuvent alors mieux guider leur coopérative.

Au plan théorique, la présente recherche fournit des outils qui permettent de nommer la non-intégration des valeurs souhaitées dans les coopératives. Si ces outils ne traitent pas précisément des valeurs coopératives déclarées, ils ont tout de même le mérite de rendre compte de certains types d’écarts culturels. De plus, ces outils révèlent une complexité des organisations coopératives qui dépasse la dualité association-entreprise.[1]

Finalement, mentionnons que la revue de littérature n’a pas trouvé d’autres exemples d’application de la méthode utilisée dans la présente recherche et visant les coopératives. Plusieurs recherches portant sur la culture organisationnelle des coopératives utilisent soit une méthode qualitative, soit une méthode quantitative, mais la présente recherche combine les deux approches. Par contre, elle est de nature exploratoire étant donné certaines limites expliquées en conclusion.

Le présent article est organisé de façon à présenter successivement la revue de littérature, la méthode, les résultats de la recherche et la conclusion.

1. Revue de littérature

Bertrand (1991) dénombre autant de définitions de la culture organisationnelle que de courants en théories des organisations : mécaniste, humaniste, systémique, politique, culturelle et cognitive. Selon ces diverses théories, la culture est un ensemble de faits à gérer, un ensemble des comportements privilégiés, un sous-système, un ensemble de valeurs qui font l’objet de lutte de pouvoir, l’ensemble des symboles, mythes, croyances et valeurs qui définissent une organisation, ou encore l’ensemble des connaissances qui orientent la pensée et l’action dans une organisation.

Selon Rouleau (2007), les définitions qui ont dominé l’étude de la culture organisationnelle ont en commun l’idée de significations partagées. La définition que nous avons retenue propose aussi cette idée. Toujours selon Rouleau, trois perspectives de la culture ont été identifiées : l’intégration, la différenciation et la fragmentation. La définition que nous avons retenue rejoint la perspective de l’intégration selon laquelle la culture est en quelque sorte le ciment de l’organisation. Selon la deuxième perspective, la culture est constituée de sous-cultures qui ont des différences, mais aussi des éléments qui les unissent. La deuxième perspective est compatible avec la définition que nous avons retenue. Les autres approches mentionnées par Rouleau (2007) ne le sont pas. Selon la troisième perspective, les significations sont multiples et ambigües. Une définition récente intègre les trois perspectives (Parker, 2000) et relève d’une tendance à considérer la culture organisationnelle non pas comme une propriété de l’organisation, mais comme un processus continu de négociation et de construction de la réalité organisationnelle (Rouleau, 2007).

Pour leur part, Cameron et Quinn (2006 : 146) expliquent que leurs travaux relèvent de l’approche sociologique qui considère la culture comme un attribut de l’organisation qui peut être mesuré séparément des autres phénomènes. Selon ces auteurs, leur approche diverge de l’approche anthropologique de la culture qui, elle, considère la culture comme une variable dépendante plutôt qu’indépendante.

Au niveau des différentes appellations de la culture organisationnelle, on peut retrouver dans la revue de littérature des travaux qui traitent de l’écart culturel entre la culture souhaitée d’une organisation et sa culture appropriée, donc de la différence entre celles-ci. La culture appropriée est fonction du contexte organisationnel (environnement, but/stratégie, technologie, taille). Pour ce qui est de la culture souhaitée, certains auteurs la définissent comme étant la culture souhaitée par les dirigeants plutôt que par un ensemble de participants comme dans les travaux de Cameron et Quinn (2006). Chez Denison et Mishra (1995), l’écart culturel est la différence entre la culture existante et la culture appropriée, tandis que chez Hooijberg et Petrock (1993), l’écart culturel est la différence entre la culture existante et la culture souhaitée par les dirigeants.

Cameron et Quinn (2006) proposent trois stratégies pour l’analyse de la culture organisationnelle : l’observation participante; la sémiologie ; et les approches quantitatives où le chercheur utilise des questionnaires pour évaluer des dimensions particulières de la culture. Les travaux de Glasser et Brecher (2002) ainsi que Parker (2000) sont des exemples de la première stratégie. Elle est utilisée dans l’étude de cas de la Cooperative Home Care Associates et dans celle de Moortown Permanent Building Society, respectivement. Il est à noter que Glasser et Brecher ont aussi utilisé une variété d’autres moyens y compris des entretiens. Le travail de Hind (1997) fournit un exemple d’une approche sémiologique. Hind a utilisé cette approche pour identifier la perte de l’orientation centrée sur les membres dans des coopératives agricoles. Enfin, pour un exemple d’analyse quantitative visant des coopératives, mentionnons Kyriakos, Meulenberg et Nilsson (2004) qui utilisent un questionnaire pour mesurer leur culture entrepreneuriale et son influence sur leur orientation de marché et leur performance.

Cameron et Quinn (2006) ont pour leur part développé un outil, soit le questionnaire intitulé « Organizational Culture Assessment Instrument ». Cet outil a été adopté pour la présente recherche et sera présenté plus loin. La revue de littérature révèle par ailleurs une certaine évolution de ce modèle. Dans le modèle original (Quinn et Rohrbaugh, 1983), on ne parle pas de manque de congruence ou d’écart culturel, mais plutôt d’une typologie de cultures qui résulte de l’intégration des facteurs d’efficacité organisationnelle.

Cooke et Lafferty (1987) ont aussi développé un questionnaire qui détermine le type et le profil culturel d’une entreprise ainsi que l’écart culturel : « The Organizational Culture Inventory » (OCI). Ces auteurs ont identifié trois types de culture organisationnelle : constructive, passive/défensive et agressive/défensive. Pour utiliser cet outil, il faut payer des droits à Human Synergistics, une firme de consultants internationale.

Ashkanasy, Broadfoot et Falkus (2000) ont analysé 18 questionnaires, y inclus l’OCI. Selon ces auteurs de tels instruments de mesure ne peuvent rendre compte que des niveaux les plus visibles de la culture du modèle de Schein (1985), soit celui des artefacts et des patterns de comportements et celui sous-jacent des valeurs et des croyances. Le niveau le plus profond est celui des postulats et les deux autres niveaux plus superficiels n’en seraient que l’expression.

Neuijen (1992) a utilisé une approche qualitative suivie d’une approche quantitative pour étudier la culture organisationnelle. Il a procédé par induction pour identifier trois formes de culture organisationnelle, soit des formes d’intériorisation, de conformité et d’innovation. Dans des formes de culture d’intériorisation, les règles non écrites sont plus importantes que les règles écrites; ces premières sont perçues comme un mode de vie et de travail. Dans une organisation manifestant des formes de conformité, on s’attend à ce que les gens se comportent conformément aux règles écrites, mais ils n’adoptent pas nécessairement les valeurs sous-jacentes.

Cet auteur se réfère aussi au concept de gestion organique de Burns et Stalker (1961). Un système organique se caractérise par l’interdépendance et les objectifs en commun des départements d’une entreprise. Le marché est perçu comme une source d’inspiration quant aux besoins des clients et aux moyens pour les satisfaire. Les organisations qui manifestent des formes d’innovation, selon Neuijen, rappellent le système organique de Burns et Stalker. Il indique que les règles non écrites sont plus importantes que les règles écrites, les résultats sont plus importants que les procédures, et on valorise le fait qu’un employé peut accomplir ses tâches comme bon lui semble.

Pour ce qui est de l’approche quantitative utilisée par Neuijen, on peut se référer à son travail de 1992 ou encore à Hofstede, Neuijen, Ohayv et Sanders (1990, juin). Six dimensions de la culture y sont identifiées : orientation centrée sur les résultats vs les processus; orientation centrée sur les employés vs les tâches; esprit de clocher vs profession; système ouvert vs fermé; contrôle serré vs souple; pragmatique vs normative.

Chez Yarbrough (1996), les valeurs du clan telles que la participation, la cohésion, l’ouverture, la loyauté, le travail d’équipe, et l’esprit de famille sont des valeurs qui sont le plus en lien avec l’orientation clients. Selon lui, ce résultat était inattendu étant donné qu’une culture avec un focus externe (culture de marché ou de l’adhocracie, présentée plus loin) aurait de prime abord dû être liée à l’orientation clients. Il en conclut que lorsque le client devient un membre du clan, il fait partie de la famille, et le service à valeur ajoutée lui est alors fourni de manière désintéressée.

On pourrait se dire que dans une coopérative de consommation, puisque les clients sont membres, ils devraient « naturellement » faire partie de la famille. Justement, la recherche de Foreman et Whetten (2002) démontre que les membres désirent que leur coopérative manifeste deux identités concurrentes, soit l’entreprise et la «famille». Cette dernière prend le sens d’un système normatif, où les traditions et l’altruisme sont prédominants et l’idéologie est intériorisée.

On pourrait aussi se dire que puisque ses clients sont membres, une coopérative de consommation devrait exhiber une forte orientation clients (aussi nommée orientation de marché). Une telle orientation vise la satisfaction des clients. L’objectif est d’identifier et de répondre aux besoins des clients. Deshpandé et Farley (1999), Gebhardt, Carpenter et Sherry Jr. (2006, octobre), Raju et Lonial (2001), Bhote (1996) et Côté (2005, février) proposent des outils pour mesurer l’orientation clients et d’autres sujets apparentés comme la loyauté et la qualité. Ces travaux fournissent des éléments utiles afin d’enrichir la description d’une culture organisationnelle.

2. Méthode

Le conseil d’administration de six magasins coopératifs a été contacté. Pour des considérations pratiques, ces magasins étaient à une distance raisonnable du lieu de résidence de l’auteur de cette étude. Deux conseils ont approuvé la participation de leur magasin. La recherche a été réalisée à l’automne 2007.

Les magasins coopératifs participants sont tous deux situés dans de petits villages au Canada atlantique situés à 90 minutes à peu près de villes importantes. Ces villages jouissent tous les deux de services publics de base, y compris des services hospitaliers. Les deux magasins coopératifs sont de même taille, mais Coop B vend de la quincaillerie et de la moulée en plus de l’épicerie. Les deux coopératives ont une entente de gestion avec Coop Atlantique, qui est le grossiste des magasins Coop au Canada atlantique. Les deux coopératives ont chacune trois comptoirs-caisses et leur immeuble a été rénové récemment. Les deux coopératives ont été constituées dans les années 1940.

Une approche qualitative comportant des entretiens, des observations et une revue de documents a été utilisée. Elle a été suivie d’une approche quantitative, soit l’administration d’un questionnaire. Le chercheur a téléphoné aux administrateurs actuels, aux anciens administrateurs en poste pendant les derniers trois ans, et aux employés d’âge majeur ainsi qu’aux directeurs afin de prendre rendez-vous pour un entretien. Certaines personnes n’ont pas pu être jointes. Une visite des lieux a été organisée ainsi que la collecte de documents facilement disponibles (publicité, politiques, etc.). Les mêmes personnes ayant été considérées pour l’entretien ont également été invitées à répondre à un questionnaire.

Le modèle d’entretien utilisé comportait en première partie des questions permettant aux participants de construire des récits à propos des sujets importants concernant leur coopérative. Ces récits, y compris les héros qu’ils comportent, les symboles, et les rituels sont les véhicules par lesquels la culture ou les valeurs communes sont transmises. Une autre série comportait des questions directes visant à recueillir l’opinion des participants sur les buts, les valeurs, les objectifs et la philosophie officielle de la coopérative. Enfin d’autres questions portaient sur diverses orientations relatives à la primauté des clients, des résultats, des personnes, et des contrôles. La liste des questions utilisée pour l’entretien se trouve dans l’encadré.

Le questionnaire comportait en première partie une série de questions tirées des travaux de Cameron et Quinn (2006), soit le Organizational Culture Assessment Instrument (OCAI). Les six dimensions de l’OCAI sont les suivantes : les caractéristiques dominantes de l’organisation, le style de leadership, l’ambiance au travail, le ciment de l’organisation, la direction stratégique, et les critères de succès. Pour chaque dimension il y a quatre énoncés qui correspondent aux quatre types de culture. Pour chaque dimension, les participants doivent répartir 100 points entre ces quatre alternatives ; il en résulte un tiraillement entre les alternatives ou valeurs concurrentes. Les types de culture sont représentés comme les quadrants d’une figure où s’entrecoupent deux axes. L’axe horizontal est un continuum qui oppose le focus interne au focus externe. L’axe vertical est un continuum qui oppose le focus organique au focus contrôle. Par organique, on entend flexibilité et adaptation d’une entreprise qui, par exemple, change souvent son offre de produits ou son mode de fonctionnement. Une entreprise qui favorise le contrôle se caractérise par la stabilité et la longévité. L’entreprise avec un focus interne favorise l’harmonie interne tandis que l’entreprise avec un focus externe met l’accent sur l’interaction ou la compétition avec des entités de son environnement.

Les types de culture sont les suivants : clan (focus interne, organique), marché (focus externe, contrôle), adhocracie (focus externe, organique), hiérarchie (focus interne, contrôle). Dans un clan, par exemple, on se sent comme dans une famille élargie. Dans une adhocracie, ce qui est important, c’est l’expérimentation et l’innovation. Dans la culture de marché, il faut être compétitif et viser la réalisation de buts mesurables (ne pas confondre avec l’orientation de marché). Dans une hiérarchie, les règles et les politiques formelles sont au coeur de l’organisation.

L’OCAI demande aux participants de donner une note à leur organisation selon la situation actuelle et selon la situation souhaitée pour que l’organisation soit une réussite exceptionnelle. Aucun type de culture n’est meilleur que l’autre, mais les attributs d’un type particulier de culture peuvent prédominer.

Mentionnons, pour clore le sujet de l’OCAI, le rapprochement à faire entre la typologie de Cameron et Quinn (2006) et celle de Neuijen (1992). Ce rapprochement se décrit de façon sommaire comme suit : une hiérarchie et les formes de conformité ont en commun l’importance donnée aux règles; un clan et les formes d’intériorisation ont en commun l’aspect de la « famille »; la culture de marché ou de l’adhocracie et les formes d’innovation ont en commun l’importance donnée aux résultats ou ressources obtenus par rapport à la concurrence.

Le questionnaire comportait en plus de l’OCAI, une série de seize énoncés relatifs à l’orientation clients (ou de marché), la qualité et la loyauté, tirés de divers auteurs faisant partie de la revue de littérature : Deshpandé et Farley (1999), Gebhardt, Carpenter et Sherry Jr. (2006), Raju et Lonial (2001), Bhote (1996) et Côté (2005, février). L’ensemble des énoncés représente dans la présente étude les éléments qui contribueraient au développement de l’orientation misant sur la primauté des membres. Cette orientation vise la satisfaction des membres. Les répondants devaient évaluer leur Coop en la notant d’un chiffre de 1 à 5 (fortement en désaccord à fortement en accord). La somme des résultats pour chaque énoncé peut être représentée comme un pourcentage du chiffre total possible pour chaque question. La somme de l’ensemble des résultats pour toutes les questions comme le pourcentage du chiffre total possible représente l’intensité de l’orientation misant sur la primauté des membres. Les énoncés se déclinent comme suit :

  • Je crois que l’organisation existe principalement pour servir les membres.

  • La satisfaction des membres est mesurée systématiquement et fréquemment.

  • Les données sur la satisfaction des membres sont communiquées à tous les niveaux dans l’organisation.

  • Les informations sur nos expériences de service réussies ou non réussies circulent librement entre toutes les fonctions de l’organisation.

  • L’organisation se concentre sur la compréhension des besoins des membres.

  • Les employés reçoivent un soutien adéquat de l’organisation pour bien faire leur travail.

  • Les employés de différents départements sont en contact régulier avec les membres.

  • Les employés de l’organisation travaillent en collaboration.

  • Lorsqu’ils réagissent les uns aux autres, les employés, le directeur ou les administrateurs considèrent les points de vue des autres, leurs besoins, leur formation et leurs expériences.

  • Les gens ont confiance que les collègues de travail, le directeur ou les administrateurs disent la vérité et donneront suite à leurs engagements.

3. Analyse des résultats

Dans la présente section, il est question des résultats de l’approche qualitative suivis de ceux de l’approche quantitative pour la Coop A et pour la Coop B. Les résultats de l’approche qualitative sont organisés de façon à suivre la typologie de Neuijen (1992) tout en faisant le rapprochement avec la typologie de Cameron et Quinn (2006). Ce rapprochement aide à la confirmation des résultats de l’approche qualitative par ceux de l’approche quantitative. Les commentaires qui font suite aux résultats pour chaque coopérative traiteront entre autre de cet aspect (pour plus de détails, se référer à Gagnon, 2008).

3.1 Entretiens – Coop A

Dix entretiens ont été réalisés avec des participants de la Coop A, d’une durée variant de 30 minutes à trois heures. Le directeur ainsi que trois administrateurs, deux anciens administrateurs et trois employés ont participé parmi les 26 personnes sur la liste d’appel. Les informations recueillies se résument comme suit (les extraits d’entretien sont des traductions libres) :

Formes d’intériorisation / attributs du clan :

  • Les administrateurs se sentent obligés d’accomplir des tâches d’entretien, similaires à des tâches qu’ils ont à accomplir pour leur famille. « […] je fais toutes sortes de petits travaux dans une demie heure qui coûteraient bien cher autrement […] ça donne un coup de main […] Je les (les autres administrateurs) encourage à garder l’extérieur propre, à couper l’herbe, des petites choses comme ça. Ils devraient vouloir faire ça ».

  • Les participants sont d’avis qu’une personne sociable a la qualité la plus importante pour s’intégrer à l’organisation.

  • Un aîné est qualifié de sage et de héros, ce qui se rapporte au clan où les leaders peuvent parfois faire figure de parents. « Il résumait une réunion en entier dans une seule phrase […] Il était respecté […] parce que ce qu’il disait était important […] ».

  • Les employés ont une certaine latitude pour donner des attentions spéciales aux membres/clients. « Nous avons beaucoup de clients âgés. Je lui ai dit : «  Pearl, chère, je vais apporter ton épicerie à ta voiture. «  Cela ne fait plus partie de nos tâches, mais mon Dieu, j’espère que quelqu’un fera de même pour moi un jour […] ». C’est très grave de ne pas bien traiter un client. « Si on peut encore commander certains articles que certains clients veulent, eh bien j’en garde à l’arrière du magasin […] En général, il faut suivre le plannogram (liste des articles qu’il faut mettre sur les tablettes et préparée par Coop Atlantique) mais pour certains autres articles, nous ne suivons pas les règles, moi en tout cas, parce que je sais qu’ils se vendront ».

  • L’organisation est présente quelque peu dans la vie des gens au-delà des heures d’ouverture du magasin. « Un employé a eu un feu à sa maison. Nous avons donné des produits de nettoyage pour enlever la senteur de fumée ».

Formes de conformité/ attributs de la hiérarchie :

  • Divers témoignages font part de divisions entre le conseil d’administration ou la direction et les employés. Par exemple, le directeur a dû à maintes reprises rentrer au travail seul très tôt à la suite de pannes d’électricité et s’occuper de vider les congélateurs. Les employés ne démontrent pas qu’ils sont concernés. Selon le directeur, un employé lui a dit : « Je savais que tu serais ici pour le faire. » Tandis que le directeur se dit : « Je ne devrais pas avoir besoin de les appeler pour leur dire d’arriver plus tôt […] qu’il y a beaucoup de pertes à nettoyer. » D’autre part, les administrateurs confirment qu’ils ne doivent pas s’occuper des ressources humaines, que c’est l’affaire du directeur.

  • Les décisions sont compartimentées selon les niveaux hiérarchiques. Les employés peuvent prendre de « petites » décisions. Le conseil et le directeur, l’assemblée des membres « quand il s’agit de beaucoup d’argent » et même Coop Atlantique prennent les décisions importantes.

  • La restriction des coûts est un objectif important. Pour le directeur, son travail serait évalué d’après « les résultats, les marges, les salaires, et les dépenses parce que pour avoir du succès, il faut avoir ces choses sous contrôle. »

  • Les questions de stabilité et de contrôle sont importantes, ce qui démontre la nécessité de mener efficacement une organisation. « À la caisse, il y a des documents à remplir pour tout, pourquoi tu ouvres la caisse, pourquoi tu t’es connecté, combien de fois t’as ouvert sans raison, combien de fois tu t’es connecté, si un article n’est pas dans le système […] ».

  • Il y a une tendance aux formalités. «J’aurais fait l’erreur selon un membre d’appeler une autre employée par son nom de famille ». « Nous, les administrateurs, quand nous allons dans le magasin, nous sommes plaisants avec les employés et nous ne discutons pas de leur travail avec eux ».

Autres / innovation et culture de marché :

  • Les administrateurs et les employés encouragent les membres à faire des commandes spéciales afin de compenser pour le manque d’espace et de variété dans les produits. Les membres reçoivent une formation en quelque sorte sur l’usage de leur Coop, ce qui représente une forme d’innovation.

3.1.1 Questionnaires – Coop A

Onze questionnaires ont été remplis sur un total de 34 qui avaient été distribués (taux de réponse de 32 %), et dont 19 avaient été remis au directeur pour distribution aux employés. Les autres avaient été envoyés par la poste. Le directeur devait décider si les employés mineurs recevraient le questionnaire. Deux questionnaires ont été remplis par le directeur ou les employés. La première partie d’un des questionnaires retournés n’était pas remplie.

La figure 1 illustre le profil culturel de la Coop A selon la moyenne des réponses aux énoncés des alternatives A (clan), B (adhocracie), C (marché) et D (hiérarchie), respectivement (23, 17, 24, 36), de l’Organizational Culture Assessment Instrument. Les attributs prédominants dans le cas de la Coop A selon les réponses données se rapportent au type hiérarchie, et à un degré moindre, au type marché, clan, et adhocracie. La figure indique qu’il y a un écart entre la culture actuelle et la culture souhaitée. La culture souhaitée nécessite une augmentation importante d’attributs du clan ainsi qu’une faible augmentation des attributs de l’adhocracie et une diminution dans les quadrants marché et hiérarchie. Il est à noter que la courbe moyenne pour les détaillants et les grossistes rapportée par Cameron et Quinn (2006) est plus ou moins l’image miroir de la culture souhaitée dans le cas de la Coop A ; les attributs du clan sont préférés à ceux de la culture de type marché.

Figure 1

Culture de la Coop A selon les moyennes des résultats

Culture de la Coop A selon les moyennes des résultats

N=10

Ligne pleine = culture actuelle

Ligne cassée = culture souhaitée

Ligne pointillée = moyenne pour les détaillants et les grossistes

Cameron et Quinn, 2006

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Le tableau 1 donne les résultats moyens pour chacune des six dimensions selon les quatre types de culture alternatifs. Le tiraillement entre le clan et la hiérarchie est particulièrement saillant pour ce qui est du ciment organisationnel, de la direction stratégique et des critères de succès. La figure 2 illustre la courbe moyenne des énoncés sur les critères de succès et démontre l’influence de la hiérarchie.

Tableau 1

Co-op A - Moyennes de l’OCAI

Co-op A - Moyennes de l’OCAI

Note : le total de chaque ligne est 100

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Figure 2

Co-op A – Moyennes des énoncés sur les “critères de succès”

Co-op A – Moyennes des énoncés sur les “critères de succès”

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En calculant le total des points donnés aux questions sur l’orientation misant sur la primauté des membres, il a été possible de donner une note globale, 529 sur 865 ou 61 % pour la Coop A. Le tableau 3 liste les points pour chaque énoncé sous forme de pourcentage. Les énoncés qui ont obtenu le moins de points sont le manque de mesures et de communication sur la satisfaction des membres/clients.

3.1.2 Commentaires

Les entretiens de la Coop A ont révélé que les formes de conformité contribuent grandement à sa constitution. L’OCAI a pour sa part révélé la dominance des attributs de la hiérarchie, qui s’apparente aux formes de conformité. Ce profil culturel peut provenir de plusieurs facteurs dont l’exploitation d’un magasin moderne avec une multitude de produits et de transactions à contrôler, les changements fréquents de personnel qui empêchent l’intériorisation des valeurs souhaitées, ainsi que la sous-traitance de la gestion d’entreprise à Coop Atlantique.

Dans la Coop A, la hiérarchie, où en général prédomine la restriction des coûts, est en compétition avec le clan qui se reconnait à la résolution de problèmes « à la table de cuisine ». La division entre les employés et le conseil d’administration ou la direction dans la Coop A, c’est-à-dire la fragmentation, est aussi contraire aux attributs du clan qui favorise plutôt la cohésion. Fairbain (2004 : 13) exprime l’importance de la cohésion dans les coopératives :

Pour plusieurs, la qualité des relations entre les employés est la différence coopérative. Et avec cela, il s’en suit la formation et les opportunités de développement professionnel, de la croissance à partir de l’intérieur qui est si importante pour favoriser une culture coopérative distincte et cohésive.

Traduction libre

La fragmentation pourrait par ailleurs empêcher les bienfaits de l’échange transversal d’information sur les plaintes et les besoins des membres. Cet échange est un des éléments qui contribue à l’orientation misant sur la primauté des membres.

Dans la Coop A, la culture de type adhocracie ou marché est manifeste dans certains aspects du service à la clientèle. La Coop A qui est surnommée « petit train va loin » a subi des rénovations récemment justement pour pouvoir s’affirmer sur un marché concurrentiel. Certains répondants indiquaient qu’un lien fort entre la Coop et les membres était chose du passé tandis que d’autres croyaient que ce lien était désirable et prenaient pour ainsi dire ce désir pour la réalité. Il n’en demeure pas moins que cette idée selon laquelle les membres travailleraient pour la Coop ou encore selon laquelle les membres pourraient être « éduqués » à mieux utiliser leur Coop est une idée assez futuriste. Prahalad et Ramaswamy (2004) discutent du concept d’expériences de co-création et rapportent que ce ne sont pas de nouveaux concurrents qui mettent au défi les firmes, mais plutôt des « communautés » de consommateurs avertis, actifs, réseautés et qui ont du pouvoir. On pourrait même aller jusqu’à dire que les coopératives sont les précurseurs en quelque sorte de l’économie « intentionnelle » selon laquelle les acheteurs signalent au marché leur intention d’achats et les vendeurs se concurrencent pour satisfaire ces acheteurs (Searls, 2006).

Plusieurs témoignages révèlent l’insatisfaction des membres. Au fur et à mesure que la Coop A améliorera son orientation misant sur la primauté des membres, ceux-ci devraient être de moins en moins antagonistes. Côté (2005, février) met en évidence ces résultats en discutant des démarches qui favorisent la loyauté et la valorisation de l’adhésion du membre à la Coop. Cette orientation contribuerait aussi à l’indifférence par rapport aux prix (Shah, Rust, Parasuraman, Staelin et Day, 2006).

Les témoignages ont un lien avec la culture du clan mais selon les réponses au questionnaire le clan est plutôt un idéal, ceci étant peut-être dû à une certaine nostalgie du passé de la Coop A. Le changement vers une culture de clan devrait être favorisé par les efforts pour développer l’esprit d’équipe. Cameron et Quinn (2006) suggèrent aussi de faire des efforts pour répondre aux besoins des employés, démontrer un plus grand engagement envers les gens, et tenir des réunions régulières avec des employés exerçant différentes fonctions afin d’améliorer la coordination.

3.2 Entretiens – Coop B

Neuf entretiens ont été réalisés. Le directeur, quatre administrateurs, un ancien administrateur et trois employés ont participé parmi les 23 personnes sur la liste d’appel. Les informations recueillies se résument comme suit (les extraits d’entretiens sont des traductions libres) :

Formes d’intériorisation / attributs du clan :

  • L’appel à la conscience des employés, où le contrôle est implicite, se manifeste par le commentaire « nous le faisons nous-mêmes » dans plusieurs témoignages. « Aujourd’hui nous avons eu une sorte de crise, le congélateur était en panne, et nous avons perdu de la viande. Nous avons dû prendre soin de cela ensemble. Si l’électricité manque, nous savons que nous sommes sur appel pour mettre du carton autour du congélateur pour ne pas perdre de nourriture. Il peut garder la nourriture congelée ainsi pendant huit heures. Après cela, nous devons faire appel à un camion réfrigéré et déplacer tout là-dedans. Nous savons que nous avons à entrer et à aider si cela se produit. Aussi, une fois, nous avons tenu le magasin pendant six mois sans gérant. Nous sommes une coop qui travaille! »

  • Il y a plusieurs héros qui ont été identifiés, ce qui est relié à des formes d’intériorisation selon lesquelles les réussites sont rarement attribuées à une seule personne.

  • Une longue période de socialisation est permise et accordée. Les entretiens ont révélé que la plupart des administrateurs n’ont pas encore compris comment les choses fonctionnent dans le modèle coopératif. Dans un clan, il faut un certain temps pour comprendre comment s’intégrer. Plusieurs employés sont à la Coop depuis une longue période et sont des personnes clés qui par leurs actions peuvent transmettre cette connaissance. « Nous pouvons dépendre sur eux, ils comprennent que pour que le magasin fonctionne il faut fournir un bon service et rester vigilants ».

  • Les relations interpersonnelles visent le long terme et le maintien de ces relations est aussi important que l’accomplissement des tâches. « […] si t’en veux à quelqu’un, faut en parler ou bien laisser tomber, parce que nous devons tous travailler ensemble […]».

  • Le travail et la vie privée se chevauchent. « Lorsque mon mari est décédé, la Coop a tout fait pour moi ». « Quelqu’un a un problème, et tout le monde partage le même problème […] une naissance, un décès, un mariage […] un de mes enfants vient de se marier il y a deux semaines […] tout le personnel était là ».

  • Lorsque des formes d’intériorisation se manifestent, les employés peuvent difficilement quitter leur organisation et imaginer d’autres valeurs. « […] ils sont super gentils avec moi, c’est pourquoi quand je pense à laisser, je me dis que je ne peux pas oser faire une chose pareille […] ».

  • Le développement des ressources humaines est important. La Coop a gagné plusieurs prix pour la participation des employés à des programmes de formation. Les trophées sont exhibés dans le bureau du directeur.

  • Les liens avec le passé sont visibles (affiches, dépliants avec des photos des anciens magasins, des anciens employés).

  • L’attention particulière reçue par les jeunes employés de la part des employés de longue date fait penser à une famille ou un clan; tout comme une famille, la Coop a des « enfants ». « Pour nos jeunes, ce n’est pas seulement un travail à temps partiel, ils sont vraiment beaucoup actifs dans la Coop. Certains sont gênés, mais ça les développe ».

  • L’accent est sur les attentions spéciales données aux membres/clients. «On ne peut pas laisser les vieillards manquer de quelque chose comme du lait ou de l’eau. Nous leur en apportons pendant notre heure de diner ou en allant à la banque. »

  • La cohésion est importante au point d’exclure les personnes qui ne s’adaptent pas. « Il y a un employé qui n’a pas duré longtemps. Pour lui, les femmes doivent faire ce que les hommes leur disent de faire. »

  • L’organisation pousse le consensus à toutes les parties prenantes, y inclus les employés qui attestent qu’ils ont l’occasion de discuter « des choses qui se passent »; il y a aussi des comités conjoints d’administrateurs et d’employés.

Formes de conformité / attributs de la hiérarchie :

  • Il y a un tiraillement entre les attributs du clan – les gens donnent beaucoup d’eux-mêmes – et ceux de la hiérarchie – où les procédures et une approche structurée sont préférées afin d’assurer des résultats satisfaisants. « Un jour, une dame s’est évanouie […] nous avons revu la vidéo de surveillance […] elle s’était tout simplement évanouie, les premiers soins ont été donnés, nous l’avons installée confortablement, nous avons inscrit l’événement dans notre registre […] je ne pense pas que nous aurions dû faire quoi que ce soit autrement. »

  • Les questions portant sur les critères d’évaluation et la documentation du travail ont suscité des témoignages qui se rapportent d’une orientation favorisant les tâches et de la culture de la hiérarchie. Ces éléments résulteraient de la centralisation opérée par Coop Atlantique ainsi que des exigences gouvernementales et autres facteurs provenant de l’environnement comme le risque de vol.

Autres / innovation et culture de marché :

  • La flexibilité et la capacité d’action accordées aux ressources humaines engendrent des expériences où les membres/clients sont agréablement surpris et même ravis du service. Par exemple, il y a l’histoire des employés qui ont fait une visite surprise au 90e anniversaire d’un membre ou encore l’histoire de l’administrateur qui s’est porté à la rescousse d’une dame pour soulever une énorme citrouille et qui s’est permis à la fin de lui en faire cadeau. « Depuis, elle est toute contente à chaque fois qu’elle me voit. »

  • La Coop B offre quelques produits différenciés (produits biologiques, par exemple).

3.2.1 Questionnaires – Coop B

Dix questionnaires ont été retournés sur un total de 34 qui ont été distribués (un taux de réponse de 29 %), dont 21 avaient été remis au directeur pour distribution aux employés. Le directeur devait décider si les employés mineurs recevraient le questionnaire. Quatre questionnaires ont été remplis par le directeur ou les employés. Un des questionnaires retournés était inutilisable.

La culture organisationnelle de la Coop B est illustrée à la figure 3 comme la moyenne des résultats aux énoncés des alternatives du questionnaire A (clan), B (adhocracie), C (marché) et D (hiérarchie), respectivement (45, 15, 16, 24). Les attributs prédominants dans la Coop B selon la moyenne des résultats des participants sont définitivement liés au type de culture du clan, puis à celui de la culture de la hiérarchie et à un degré moindre aux types adhocracie et marché. La figure n’indique pas un écart important entre la culture actuelle et souhaitée, mais il y a une légère préférence pour un changement favorisant l’adhocracie. Il est à noter que la courbe moyenne pour les détaillants et les grossistes rapportée par Cameron et Quinn (2006) est l’image miroir de la culture actuelle et souhaitée dans le cas de la Coop B. Dans la Coop B, les attributs du clan sont préférés à ceux de la culture de type marché ; par contre ces détaillants et grossistes favorisent en moyenne un peu moins la hiérarchie en faveur de l’innovation ou de l’adhocracie.

Figure 3

Culture de la Coop B selon les moyennes des résultats

Culture de la Coop B selon les moyennes des résultats

N=9

Ligne pleine = culture actuelle

Ligne cassée = culture souhaitée

Ligne pointillée = moyenne pour les détaillants et les grossistes

Cameron et Quinn, 2006

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Le tableau 2 donne les résultats moyens pour chacune des six dimensions selon les quatre types de culture alternatifs. Le tiraillement entre le clan et la hiérarchie est particulièrement important pour ce qui est du leadership tandis que dans les domaines de la gestion des ressources humaines, de l’accent stratégique et des critères de succès, l’influence de la hiérarchie est moins marquée. La figure 4 illustre la courbe moyenne des énoncés sur le leadership et démontre l’influence de la hiérarchie.

Tableau 2

Co-op B - Moyennes de l’OCAI

Co-op B - Moyennes de l’OCAI

Note : le total de chaque ligne est 100

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Figure 4

Co-op B - Moyennes des énoncés sur le “leadership”

Co-op B - Moyennes des énoncés sur le “leadership”

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Le tableau 3 liste les points en pourcentage pour chaque énoncé de la partie additionnelle du questionnaire qui porte sur l’orientation. Sur un total possible de 720 points, 547 points ont été accumulés, ce qui donne un résultat global de 76 %. Le partage d’information sur les expériences de services aux membres est l’énoncé qui a rapporté le moins de points.

Tableau 3

Résultats des questions sur l’orientation en pourcentage du total des points possibles

Résultats des questions sur l’orientation en pourcentage du total des points possibles

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3.2.2 Commentaires

Certains participants ont indiqué sans hésitation qu’à la Coop B, « nous sommes comme une famille » et que « nous ne citons pas le manuel (de politiques) à tout moment ». Pour d’autres répondants sceptiques, la Coop « ce n’est qu’un magasin », « il n’y a de culture que dans ses yogourts ». Les formes d’intériorisation manifestes dans les entretiens indiquent pourtant que le magasin est un « espace très social » qui représente bien plus qu’un endroit où faire son épicerie. L’OCAI indique que le quadrant dominant est celui du clan, ce qui aide à confirmer l’importance des formes d’intériorisation dans les entretiens.

En comparant la Coop B à la Coop A, on voit que chez la Coop B le quadrant dominant a un chiffre beaucoup plus élevé, et non seulement il n’y a pas d’écart culturel, mais le total des points pour son orientation misant sur la primauté des membres est plus élevé. On peut supposer qu’il y a là quelques pistes de réflexions sur l’avantage d’un tel profil culturel.

Les entretiens suggèrent certains facteurs affectant le succès de la Coop B. Concurrencer sur les prix seulement est non seulement difficile, voire impossible selon un des répondants qui faisait allusion aux faillites de coopératives spécialisées dans les ventes à rabais. Selon plusieurs, l’engagement de la Coop B dans la localité a été garant de son succès. Cette caractéristique n’est cependant pas unique à la Coop puisque d’autres entreprises peuvent aussi l’imiter et devenir de bonnes citoyennes.

Ce qui pourrait être difficile à imiter et donc représenter un avantage concurrentiel, c’est la culture organisationnelle de la Coop B. Elle serait difficile à imiter par les concurrents parce qu’elle est le résultat de l’histoire et de l’héritage (Barney, 1997) transmis aux employés et maintenant aux administrateurs nouveaux. Les caractéristiques du clan sont très présentes dans le profil culturel de la Coop B, cependant des attributs de l’hiérarchie se manifestent aussi ainsi que certains attributs de l’adhocracie et de la culture de marché. La multitude d’attributs relatifs à ces divers types de culture illustre la complexité sociale. Selon Barney (1997) la complexité sociale rend l’imitation difficile et peut donner un avantage concurrentiel.

Il est vrai que la Coop B a survécu à bien d’autres commerces dans le village et que ses concurrents sont maintenant situés dans des localités éloignées. Malgré tout, si la Coop B a un avantage par sa culture, c’est difficile à prouver. Et s’il y a un avantage culturel, il faut aussi qu’il soit durable.

Des répondants se sont empressés de dire qu’ils « adorent travailler à la Coop », et que la Coop « c’est ma vie ». La Coop B s’appuie sur ses caractéristiques de clan pour la rétention de ses employés, faisant appel à leur conscience, mais on peut se demander si c’est durable, étant donné par exemple, la perception de salaires meilleurs ailleurs. La Coop est en concurrence pour des clients ou des membres, mais elle est aussi en concurrence pour ses employés.

Il est à remarquer que les responsabilités des administrateurs ne sont pas proportionnelles à leurs intérêts dans la Coop. Les administrateurs sont des membres comme les autres, mais ils doivent par ailleurs contribuer beaucoup de leur temps bénévolement pour le bien de l’ensemble de la Coop. Le clan et ses formes d’intériorisation, tout comme cela en est le cas pour les employés, peuvent favoriser leur engagement continu.

Cameron et Quinn (2006) insistent sur le fait qu’une organisation doit être capable de changer lorsque les demandes de l’environnement concurrentiel l’exigent. Pour la Coop B, un virage vers le quadrant de l’adhocracie semble facilité par les caractéristiques déjà manifestes telles que la flexibilité et la capacité d’action des employés ainsi qu’une aptitude à surprendre et ravir les membres. L’adhocracie est aussi importante par rapport à un service rapide à s’adapter et sensible aux besoins qui est le propre d’une orientation misant sur la primauté des membres. Par exemple, l’offre de produits différenciés (produits biologiques) démontre un trait de l’adhocracie et une attention aux besoins d’un sociétariat ouvert sur le monde.

Conclusion

La présente recherche est exploratoire étant donné les limites avec lesquelles elle a dû composer. Des recherches similaires appliquées aux coopératives n’ont pas pu être repérées et la présente recherche teste donc une approche qui lui est particulière. En plus, par manque de temps et de ressources, l’échantillon n’est pas représentatif de l’ensemble des coopératives de consommation du Canada atlantique et ne comporte pas un nombre de cas suffisant pour faire des généralisations pour cette population (Royer et Zarlowski, 2001).

Lorsque des entretiens ne produisent aucune information additionnelle, on dit qu’il y a saturation. Il est toutefois difficile de confirmer si le point de saturation a été atteint dans la présente étude. La courbe d’apprentissage du chercheur est une autre limite ainsi que le biais possible selon lequel le chercheur peut donner une plus grande importance aux données fournies par des personnes qui s’expriment facilement (Mbengue et Vandangeon-Demurez, 2001).

Pour ce qui est du questionnaire, il y a un problème d’échantillonnage. Il est aussi à noter que les auteurs de l’OCAI utilisent cet outil pour réaliser un consensus dans un exercice d’intervention et une première étape pour développer un plan d’action. Dans la présente étude, le résultat de l’OCAI est une moyenne des résultats. Le questionnaire comporte aussi des limites au niveau de la validité et de la fiabilité surtout pour les questions traitant de l’orientation.

Malgré les limites de ce travail de recherche, on peut tout de même y accorder une certaine validité et pertinence. Par sa démarche de synthèse aux approches et sources multiples, ce travail procure une base pour pousser la gestion et la théorie des coopératives.

La présente recherche exploratoire a identifié le type de culture organisationnelle dans deux coopératives et a permis d’en faire une description tirée de témoignages de ses administrateurs et de ses employés. Pour la Coop A, l’approche qualitative a relevé un grand nombre d’éléments qui sont associés à des formes de conformité. L’approche quantitative a, pour sa part, indiqué la dominance de la culture de l’hiérarchie. Pour la Coop B, de nombreux éléments de l’approche qualitative sont plutôt associés à des formes d’intériorisation et l’approche quantitative a indiqué la dominance de la culture du clan. Dans la Coop A, il y avait un écart entre la culture actuelle et la culture souhaitée. Dans la Coop B, il n’y avait pas d’écart. Les deux coopératives souhaitaient une culture de clan prédominante.

Neuijen (1992) stipule que dans les organismes de services, le contrôle doit être exercé au moyen de valeurs et de normes plutôt que d’instructions spécifiques et de directives. Le clan par sa flexibilité et ses formes d’internalisation devrait, il nous semble, correspondre le mieux à ce mode de contrôle. C’est justement les attributs du clan que les participants des deux coopératives ont préféré. Le profil culturel moyen des entreprises de vente au détail et de gros rapporté par Cameron et Quinn (2006) est une image miroir de la culture préférée des participants. Cette différence pourrait illustrer la différence coopérative.

Les coopératives participantes n’ont pas le même type de culture actuelle, mais sont confrontées toutes deux à des défis importants. Elles doivent rester financièrement solides, surmonter leurs limites en ressources et en offre de produits et services, retenir les membres et les employés, et être au centre de la communauté : ce sont les préoccupations soulevées par les répondants. Bien que les attributs du clan puissent fournir une bonne base pour faire face à ces défis, il semble que les valeurs de l’adhocracie ne devraient pas être négligées. La mise en oeuvre d’une orientation misant sur la primauté des membres est une option intéressante à cet égard et les éléments favorisant cette orientation sont explorés dans le questionnaire. Cette orientation exige un certain niveau de capacité d’innovation qui se rapporte à la culture de l’adhocracie.

Les résultats de cette recherche suggèrent en plus que deux facteurs culturels favorisent l’orientation misant sur la primauté des membres : lorsqu’il n’y a pas d’écart culturel, c’est-à-dire lorsque la culture organisationnelle actuelle et souhaitée sont identiques, et lorsque les attributs de la culture organisationnelle du clan sont prédominants. On peut présumer que s’il y avait congruence culturelle dans un autre quadrant que celui du clan, l’orientation misant sur la primauté des membres ne serait pas aussi forte. D’autres études de cas seraient nécessaires afin de vérifier cette hypothèse. L’étude de coopératives qui n’ont pas de contrat de gestion avec Coop Atlantique ou encore qui subissent une crise comme l’insolvabilité serait aussi intéressante. On pourrait s’attendre à ce que le résultat dans le quadrant de l’hiérarchie et celui du marché soit différent que dans les cas de la présente recherche.

Les entretiens ont démontré que les employés sont très importants pour la mise en oeuvre des attributs du clan, surtout dans la Coop B. Lorsque le clan est la culture souhaitée, il faudrait donc porter une attention particulière à la formation et aux besoins des employés.

Au niveau théorique, enfin, un lien peut se dessiner entre la complexité sociale nécessaire pour un avantage concurrentiel durable et la complexité illustrée par le cadre des valeurs concurrentes. Dans le présent article, il a été démontré que des niveaux additionnels peuvent se greffer à la bien-connue dualité identitaire des coopératives, association-entreprise. Ces nouveaux attributs relèvent de la culture organisationnelle, qu’elle soit de type clan, hiérarchie, marché ou adhocracie.

Étant donné que les outils utilisés pour cette recherche ne portent pas particulièrement sur les valeurs coopératives, il y aurait lieu de revoir les concepts et la méthodologie à cet égard. L’exercice devrait aussi viser une prise de conscience des dirigeants afin de permettre aux coopératives de se différencier.