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Dans la conclusion de sa monographie sur l’économie sociale, Vienney (1994) trace un bilan passablement contrasté du développement coopératif. Dans un premier temps, en se référant aux coopératives ou complexes coopératifs évoluant depuis plusieurs années voire des décennies dans un environnement concurrentiel de plus en plus âpre, il observe que certaines organisations disparaissent et que d’autres, d’adaptation en adaptation, voient un glissement du pouvoir vers les cadres dont la légitimité repose davantage sur leurs performances comme gestionnaires que sur l’élection par les sociétaires ou leurs représentants. Cette situation, estime Vienney, peut renverser les rapports entre les associés et l’entreprise : l’entreprise sélectionne alors les associés dont les caractères sont les plus compatibles avec son propre développement. En définitive […], « la dynamique de l’entreprise n’exclut pas la rupture des solidarités sociales qui l’avaient pourtant fait naître » (p. 117).

À cette analyse réaliste, mais qui laisse place à peu d’espoir sur la pérennité de la forme coopérative, Vienney procède dans un second temps à une réflexion sur le potentiel de développement du modèle. En faisant une lecture historique des raisons pour lesquelles ces organisations coopératives sont nées, il soutient que ces conditions n’ont pas disparu. On voit émerger et se développer de nouvelles organisations avec la vocation […] « de prendre en charge des activités nécessaires et délaissées, mais sous de nouvelles formes » (p. 117).

Dans la nomenclature de ces activités ou besoins, Vienney fait état des démarches pour contrer l’exclusion sociale : […] « ce sont notamment les “entreprises d’insertion”, des recherches de mutualisation du financement et de la production de “services de proximité”, des dispositifs ayant pour objet de collecter des fonds pour financer, indépendamment de leur rentabilité, des projets de développement local et de création d’emplois, des réseaux de coopération de petites et moyennes entreprises » (p. 117).

Seize ans plus tard, on ne peut que remarquer à quel point Vienney percevait ce qui s’annonce de plus en plus comme une source de renouveau coopératif, les coopératives multisociétaires (CMS). Principalement engagées dans le domaine des services de proximité, ces organisations prennent un poids grandissant dans la famille coopérative. Ainsi, au Québec, sous l’appellation de coopérative de solidarité, depuis quelques années, plus d’une nouvelle coopérative sur deux qui voit le jour, adopte ce modèle plutôt que celui d’une coopérative unisociétaire. Sur une période de 12 ans, soit du moment de l’adoption des dispositions légales reconnaissant les coopératives de solidarité en juin 1997 jusqu’à 2009, c’est plus de 500 coopératives de solidarité qui ont été constituées. Outre-Atlantique, avec la reconnaissance légale des coopératives multisociétaires que ce soit au Portugal (1996 et 1998[1]), en France (2001) ou encore le remarquable cas de l’Italie (1991[2]), le modèle est partie prenante, voire le fer de lance du renouveau coopératif. Münkner (2004 : 49) fait également état d’autres modalités de reconnaissance des CMS : en Allemagne, cela s’exprime par des dispositions dans la Loi en vigueur sur les coopératives, au Royaume-Uni, par le truchement de Lois particulières aux organisations communautaires (community benefit organisations), du côté de la Belgique, aux associations à finalité non lucrative qui poursuivent des objectifs sociaux et au Danemark, sous une Loi générale s’appliquant aux entreprises.

Par ailleurs, on observe le déploiement des CMS dans une multitude de secteurs d’activités où l’on relève une étroite conjugaison tant du social et de l’économique et la multiplication des interfaces entre les coopératives et les pouvoirs publics, par exemple, en matière de combat contre l’exclusion sociale ou en faveur de la cohésion sociale (Girard, 2008a). À un autre niveau, pour citer Laville (1994), on reconnaît la capacité de ces organisations à hybrider diverses ressources : publiques (subventions, ententes de services), privées (revenus tirés de la vente sur le marché) et bénévoles. En outre, par une structure de sociétariat plurielle – soit la capacité de compter plus d’une catégorie de membres – les CMS peuvent s’ouvrir à d’autres parties intéressées. Ces liens avec de nouveaux acteurs, débordent la relation à la consommation ou au travail comme on le connaît dans les coopératives unisociétaires, car désormais des individus ou des corporations peuvent adhérer à ces coopératives multisociétaires pour l’appui à la mission sans autres liens d’usage. En d’autres termes, pour reprendre l’expression de Vienney (1994), ces coopératives permettent une « nouvelle configuration de solidarités sociales » (p. 117).

Les CMS sont partie prenante d’un mouvement plus vaste de transformation du rôle des acteurs institutionnels sous les forces de la mondialisation des marchés. On pourrait situer ces changements dans ce que Monnier et Thiry (1997) expriment comme suit dans la présentation de leur ouvrage sur l’intérêt général : « Les bouleversements socio-économiques se sont accélérés au cours des dernières années et appellent à une redéfinition du rôle respectif de l’État, des entreprises publiques, des coopératives, mutuelles et associations ».

Des organisations coopératives plus anciennes et fortement exposées à la concurrence telle que c’est le cas dans les secteurs des assurances, des services financiers et de l’agroalimentaire voient leur identité distincte, dont le lien au milieu, mise à rude épreuve. Dans certains cas, pour reprendre le questionnement d’un ouvrage collectif portant sur les holdings coopératifs (Côté, 2001 : 22), comment concilier les impératifs de l’efficacité économique avec les exigences de la démocratie?[3] Comment composer avec une production qui s’inscrit dans des territoires et une consommation qui se mondialise? Comment réconcilier le divorce manifeste entre l’économie capitaliste et la société civile?

Ces remarques ne s’appliquent pas à l’ensemble des coopératives, tout secteur confondu. Ainsi, en ce qui a trait au Québec, les coopératives d’habitation - un secteur que l’on associe au mouvement d’habitat communautaire - entretiennent généralement des liens étroits avec la communauté (voir notamment Bouchard et Hudon, 2008). On pourrait aussi faire la même observation pour des caisses Desjardins ayant au fil des décennies, développées et nourries de forts liens avec leur milieu ou encore des coopératives agricoles ayant un solide ancrage dans la communauté.

Le phénomène des coopératives multisociétaires est relativement nouveau dans le paysage des organisations coopératives. Le sujet n’a pas encore été l’objet de nombreuses études, monographies et autres analyses permettant d’en saisir toute la dynamique et la complexité. En ce sens, les deux objectifs de ce texte sont de présenter, caractériser et analyser l’évolution du phénomène au Québec et identifier quelques défis que cette formule pose sur le plan de la gestion. Les cas italiens et français seront cités occasionnellement pour mieux illustrer ou faire ressortir la spécificité du cas québécois.

La première partie pose la question du pourquoi des CMS et, en filigrane, de l’existence d’un fil conducteur ou un sens commun aux CMS. Pour ce faire, seront explorées quelques pistes, par exemple, la transformation du rôle de l’État providence et l’ouverture à plusieurs catégories de membres en lien avec un enracinement plus marqué dans leur milieu tel que le suggère le septième principe de la Déclaration sur l’identité coopérative. La seconde partie présente l’évolution du nombre de CMS au Québec de 1997 à 2008, la place occupée par les CMS dans la création de coopératives et leur distribution par secteur d’activités. La dernière partie se penche sur les liens entre les CMS et les secteurs coopératifs existants et les enjeux que représente la gestion de ces organisations dont le défi est de parvenir à concilier des intérêts d’acteurs qui, a priori, peuvent s’opposer.

1. Pourquoi des coopératives multisociétaires?

Les coopératives multisociétaires se caractérisent par l’ouverture de la base associative à plus d’une catégorie de membres et une sensibilité marquée aux besoins de la communauté. En y regardant de plus près, on pourrait expliquer schématiquement les occasions qui se présentent pour le développement de ces nouvelles organisations par deux dynamiques : dans le jeu de la mondialisation et de la concurrence féroce, des entreprises à capital actions, qu’elles soient de type multinational ou de petite et moyenne tailles, sont systématiquement à la recherche de stratégies pour réduire les coûts et augmenter la profitabilité économique. Pour Galera (2004), cela conduit ces organisations à être moins sensible à des enjeux sociaux, telle la stabilité de l’emploi, l’emploi chez les aînés et les travailleurs connaissant une baisse de productivité. Cette situation, pourrions-nous dire, s’exprime entre autres pour ces entreprises, par les mécanismes de la sous-traitance ou encore, de la délocalisation. Dans ce contexte, il y a toute une sphère de services de proximité qui n’intéresse pas ces organisations en raison d’une rentabilité jugée non satisfaisante et le besoin d’une grande quantité de main-d’oeuvre, mais sans possibilité de délocalisation[4].

Par ailleurs, souvent sous la raison de la crise des finances publiques illustrée entre autres par des déficits à répétition et une dette croissante et, parallèlement, une demande accrue de prestations, notamment en matière de services sociaux, l’État cherche à limiter son action, ses engagements, ses dépenses. On valorise alors la présence de formules alternatives de prestation, nommément celles qui peuvent susciter diverses contributions, ou hybridation des ressources, dont le bénévolat. Ainsi, dans le cas de la Suède, avec l’implication accrue des coopératives dans ce type d’offre en particulier pour les services de garde, Lorendahl (1997 : 74) fait état « d’une coopérativisation croissante et partielle du secteur public ».

En somme, on parle de l’émergence de coopératives multisociétaires comme réponse à des besoins non comblés ou mal satisfaits par l’entreprise à finalité marchande et les pouvoirs publics et la capacité de ce modèle organisationnel à encourager la mobilisation du milieu sur des enjeux à la jonction du social et de l’économique. Ainsi, selon Münkner (2004 : 50) :

By using MSC, problems of exclusion, unemployment and provision of social, medical and others services can be solved better than by conventional organisations:

  • mobilisation of local resources for local development;

  • activation of self-help potentials;

  • enhancement of the inclination to cooperate and to practice mutual aid among all interested persons

La présence des CMS dans le vaste champ du social ne peut se faire sans lien avec l’État compte tenu des responsabilités prises au fil des décennies même si l’influence des changements apportés à l’État providence n’est probablement pas équivalente d’un pays à l’autre, par exemple entre l’Italie et le Québec (Canada). Cette interface avec les pouvoirs publics est balisée par quelques grands enjeux incontournables. Particulièrement du côté syndical, on veut s’assurer qu’il n’y a pas délestage à moindre coût de services ou prestations. On touche ici à une possible baisse de la qualité des services, mais surtout, à la crainte de substitutions d’emplois soit, dans l’appareil public, des emplois relativement bien rémunérés avec une gamme d’avantages sociaux sans parler de la sécurité d’emplois qui seraient remplacés par des emplois moins bien rémunérés et à statut précaire. Cette dimension a été en particulier illustrée pour le développement des coopératives dans le secteur des services à domicile au Québec (Vaillancourt et Jetté, 2001 : 79). Les auteurs se réfèrent au « consensus de 1996 selon lequel les emplois et les services créés par les entreprises d’économie sociale ne doivent pas se substituer à ceux du secteur public (les CLSC) ».

Sur un autre plan, il y a aussi la crainte que l’État veuille transférer des responsabilités, mais sans les financements nécessaires misant ainsi, comme mécanisme de compensation, sur la capacité des CMS à hybrider des ressources – des ressources monétaires marchandes, des ressources monétaires de transfert et, par le jeu de la mobilisation du milieu et du sociétariat, des contributions sous forme de dons et bénévolat. Par ailleurs, les CMS peuvent craindre une approche trop paternaliste ou rigide des pouvoirs publics au détriment d’un cadre plus partenarial. Cette question n’est pas simple puisque pour l’État, il y a nécessairement une notion de reddition de comptes lorsque l’on transfère des fonds publics. Quant à elle, la coopérative devrait respecter le quatrième principe de l’ACI, celui de l’autonomie et de l’indépendance (Münkner, 2004) pour éviter d’être instrumentalisée à des fins autres que celles pour lesquelles les membres l’ont constituée. En somme, c’est une question d’équilibre entre un contrôle trop strict et une absence totale d’imputabilité.

À ces dynamiques qui peuvent stimuler le développement des CMS, il y a également les limites de la forme associative à répondre à certains besoins et le passage éventuel de cette forme au statut coopératif. On parle ici de la Loi 1901 pour les associations en France, et la 3e partie de la Loi sur les compagnies au Québec qui concerne les organismes à but non lucratif (OBNL). Cette forme associative n’aurait ainsi pas toutes les dispositions pour générer des activités économiques dans le secteur marchand ou encore, comme c’est le cas pour les OBNL, elles n’ont pas de mécanismes de capitalisation par les membres, tels que le permettent les coopératives par le truchement d’émission de parts sociales et privilégiées. On relève d’ailleurs dans les statistiques relatives à la création de CMS, la conversion d’association en coopératives. Ainsi, en septembre 2007 du côté de l’Hexagone, sur les 99 sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) en activité, 25 provenaient d’une transformation d’une personne morale (association Loi 1901) qui exerçait déjà une activité.

Les CMS dans la famille coopérative

Galera (2004) propose une intéressante typologie pour situer les organisations coopératives au niveau national :

  • Le modèle mutualiste : Les coopératives qui se centrent exclusivement sur la promotion de l’intérêt de leurs membres. Dans ce cadre, les coopératives sont perçues comme des entreprises privées qui se distinguent de l’entreprise traditionnelle par les droits de propriété plutôt que par sa dimension économique ou son rôle de démocratisation dans le système économique;

  • Le modèle sociologique : identifie des coopératives plus ouvertes aux intérêts de la communauté;

  • Le modèle entre-deux (in between-model) : il fait référence aux systèmes ou le modèle mutualiste, sous l’influence des diverses législations régissant les coopératives, est ouvert aux interprétations différentes, voire opposées, qui défendent la nature mutuelle de la coopérative ou qui plaident pour ses fonctions sociales;

  • Le modèle quasi public : les organisations coopératives sont perçues comme des entreprises publiques et leurs règles de fonctionnement sont dictées par les autorités publiques.

Cette grille est utile pour caractériser les coopératives multisociétaires, soit des organisations plus ouvertes à leur milieu, à diverses parties prenantes et non aux intérêts exclusifs des seuls membres. On pourrait ainsi les classer dans le modèle deux ou trois.

La reconnaissance des CMS est aussi en lien étroit avec la volonté plus manifeste du mouvement coopératif à renouer des liens avec la communauté, ce qui renvoie à l’origine des premières coopératives au XIXe siècle. Ainsi, MacPherson (2004) qui a présidé de 1992 à 1995 le groupe de travail de l’Alliance coopérative internationale (ACI) ayant conduit à l’adoption au congrès de Manchester en 1995 de la Déclaration sur l’identité coopérative (DIC), souligne que cette ouverture des coopératives à la communauté est en droite ligne avec un courant de pensée plongeant ses racines dans l’origine de la coopération. Évoquant les Pionniers de Rochdale avec leur idée de créer des colonies dans le prolongement de la pensée de Robert Owen (Leclerc, 1982), il soutient que, à leur origine au XIXe siècle, plusieurs organisations coopératives ont aussi été nourries de cet idéal d’un lien fort avec la communauté. On peut citer en exemple les coopératives agricoles par leur sensibilité à la situation des jeunes et des femmes, l’éducation et la promotion de la culture rurale, ou encore, des promoteurs du développement des coopératives de services financiers, tels Raiffeisen et Desjardins, qui souhaitaient l’amélioration du sort des communautés. Münkner (2004 : 49) abonde dans le même sens :

The MSC is not a totally new concept. It corresponds to the original mission of co-operatives to render services in all aspects of life, in order to cope with the consequences of rapid social, economic and technological change

Selon MacPherson (2004), il ne fait pas de doute qu’avant le congrès de Manchester, on relevait déjà une nette tendance à l’échelle du mouvement coopératif international à reconsidérer la relation entre les coopératives et leur milieu. Même si les coopératives doivent faire la démonstration constante de leur capacité à rencontrer des objectifs d’affaires, elles doivent aussi tenir compte de leur contexte d’émergence, caractérisé par un cadre idéologique, culturel et de classes sociales propres aux membres et à leur milieu d’enracinement. Il faut aussi évoquer, quelques quinze ans avant Manchester, l’appel d’un autre canadien, Laidlaw (1980), qui au congrès de l’ACI tenu à Moscou en 1980, identifiait quatre pistes prioritaires d’action pour le développement des coopératives à l’aube de l’an 2000, dont la pertinence d’un plus grand engagement dans la production de services à la communauté.

Le congrès de Manchester a en quelque sorte ressuscité formellement cette idée du lien des organisations coopératives avec la communauté qui au fil du temps, s’est atténuée notamment, sous la pression constante de la concurrence (Côté, 2001). Les coopératives étant ainsi davantage en positionnement d’une logique de secteur d’activité plutôt qu’en liaison avec les besoins et les acteurs de leur milieu d’origine. Pour Monnier et Thiry (1997 : 21), cet engagement envers la communauté exprimé par le septième principe, marque l’affirmation d’une certaine extraversion de la coopérative.

D’un point de vue juridique, la reconnaissance des coopératives multisociétaires procède non pas d’une perspective unique, mais d’approches différentes. La législation italienne a pris acte des coopératives sociales après plus de 20 ans d’expérimentation terrain. Le cadre adopté par la Loi 381 en 1991, formalise désormais ce que l’on entend par coopérative sociale. Il y a des avantages, mais on relève aussi certaines limites à cette reconnaissance. Selon Pezzini (2008 : 103-104), elles sont au moins de trois ordres :

  1. La limitation à la présence de bénévoles : le fait que les bénévoles ne peuvent pas dépasser le seuil de 50 % de l’ensemble des associés représente un élément inutile de rigidité, surtout dans les nouvelles coopératives, et entrave l’articulation de la base associative qui représente une des garanties les plus fortes à la réalisation de la finalité sociale;

  2. Le fait de ne pas avoir prévu de formes explicites de tutelle des usagers : cela aurait aidé les coopératives dans les rapports avec les administrations locales et aurait constitué un frein au danger que des initiatives de caractère inapproprié (incorrect - spéculatif) puissent choisir la formule de la coopération sociale;

  3. Une vision trop sélective : le soutien à l’insertion professionnelle est prévu seulement en relation avec des personnes très clairement défavorisées pour lesquelles le désavantage ait été en quelque manière “certifié”. Par contre, n’est pas stimulée l’initiative en faveur d’un secteur plus vaste de personnes qui, même n’étant pas reconnues en tant que personnes défavorisées, connaissent des situations de marginalisation ou sont réduites au bien-être et à la sécurité sociale

Le cadre légal italien définit aussi de façon explicite ce que sont les coopératives sociales, par exemple, sur le plan des secteurs d’activités soit celles oeuvrant dans les services sociaux et celles activent dans le champ de l’insertion professionnelle. Les expériences françaises et québécoises se démarquent à au moins deux égards de celle de l’Italie. D’abord, il n’y a pas eu d’expérimentation avant l’adoption de la Loi touchant les coopératives multisociétaires. Ensuite, les secteurs propres au développement de ces organisations ne sont pas balisés de façon explicite par exemple, pour l’insertion professionnelle du côté italien. Ainsi, au Québec, on retrouve les coopératives de solidarité dans une multitude de secteurs d’activités avec cependant une prédominance dans le secteur des services (exemple : services à domicile, services de santé, etc.). Elles ne sont pas explicitement rattachées à une mission sauf exception comme dans le cas du service à domicile.

L’observation attentive de ces diverses lois qui régissent les coopératives multisociétaires démontre qu’au-delà de points communs sur la notion de multiplicité de l’effectif et d’ouverture à la communauté, on relève des différences dans les règles d’application, la plus importante étant possiblement celle ayant trait aux catégories de membres. Dans ce registre, on observe tant des cadres restrictifs que de l’ouverture. Ainsi en Italie, on fixe un pourcentage plancher aux membres de la catégorie des exclues, soit 30 %, mais la coopérative sociale peut compter une grande variété de catégories de membres, notamment des membres bénévoles et des membres corporatifs incluant des autorités publiques. En plus de préciser que les coopératives de solidarité doivent disposer d’au moins deux catégories de membres parmi les trois suivantes, membres utilisateurs, membres travailleurs et membres de soutien, la Loi sur les coopératives du Québec ne fixe pas d’autres paramètres particuliers sur les catégories. Par contre, sauf pour les coopératives évoluant dans le secteur de l’énergie éolienne, il n’est pas possible à une municipalité de devenir membre d’une coopérative de solidarité. Cette contrainte légale, force les autorités locales à faire preuve d’originalité voire d’astuces pour manifester leur soutien à ce type de coopératives ce qu’un nombre croissant cherche à faire en connaissant mieux les potentialités de ce mode d’organisation pour répondre à des besoins du milieu qui concilient des enjeux tant sur le plan social qu’économique.

Une autre différence intéressante concerne le principe de la ristourne. Au Québec, à moins de clauses contraires dans les statuts constitutifs des coopératives de solidarité[5], elles ont la latitude de verser une ristourne à leurs membres, excluant cependant les membres de soutien. Cette ristourne respecte le principe du prorata de l’usage, pour les membres utilisateurs, selon la consommation de produits ou de services et pour les membres travailleurs, selon le volume de travail. Ce n’est pas le cas en France. Tel que mentionné par Margado et Girard (2008 : 64), « ce fondement coopératif a été supprimé pour les Scic devant la complexité du calcul d’une ristourne égale, quel que soit le type d’associé ».

On peut également noter que la notion de projet social, en l’occurrence que la SCIC doit présenter un caractère d’utilité sociale n’est pas présente dans les dispositions régissant les coopératives québécoises de solidarité. Ces quelques exemples font ressortir la pertinence de pousser plus loin l’analyse comparative détaillée des dispositions légales régissant les CMS. Dans le contexte où ce modèle prend une place grandissante dans l’échiquier coopératif, ce travail est incontournable pour saisir les diverses dynamiques de développement en place.

2. Importance des CMS

L’expérience phare des coopératives multisociétaires est venue d’Italie. Selon Defourny (2001 : 14), outre que l’Italie présente un contexte favorable au développement des coopératives sociales (et des coopératives en général)[6], le pays est devenu un leader dans ce modèle d’entreprise sociale. En quelques mots, (Pezzini, 2008 : 95), on pourrait résumer le contexte d’émergence des coopératives sociales dans les années 1960 par une crise de l’État providence :

Les années de développement du phénomène de la coopération sociale correspondent aux difficultés du système d’État-providence italien à apporter des réponses aux besoins exprimés et à s’adapter, d’une part, à leur évolution, et d’autre part, à la demande active de participation des citoyens

C’est en quelque sorte la convergence de trois phénomènes qui va fournir le terreau favorable au développement de la coopération sociale : la crise fiscale de l’État, la concurrence internationale qui incite les entreprises privées à réduire leurs coûts incluant les charges sociales et la fragmentation et l’augmentation de la demande de services sociaux qui se bute à une structure rigide de l’offre publique.

Des animateurs et intervenants sociaux vont retenir la forme coopérative pour prendre le relai de ces insuffisances, de ces besoins, non ou mal comblés dans le vaste créneau des services sociaux, mais, à l’origine, dans l’assistance aux personnes vivant ou subissant la dé-institutionnalisation des hôpitaux psychiatriques. Les expériences qui se mettent en place sont à petite échelle et cherchent donc à concilier économie, démocratie et solidarité. Dans ces nouvelles organisations qui naissent de l’initiative de la société civile, on adopte une approche inclusive en cherchant à laisser une place aux diverses parties prenantes : patients, bénévoles et salariés. Ainsi, on passe d’un concept de coopérative unisociétaire à un modèle multisociétaire. On est en pleine phase d’expérimentation, en marge du cadre légal propre aux coopératives existantes. Ce n’est qu’un peu plus de vingt ans après les premières expériences soit en 1991 que l’État italien adoptera une loi colligeant les principales dispositions juridiques propres aux coopératives sociales. Le rythme de développement de ces organisations est impressionnant au point d’avoir dépassé, en 2007, le cap des 7000 organisations, incluant un ensemble d’organisations intermédiaires, les consortiums.

L’expérience italienne, en étant à la fois la première en Europe et nourrie par des décennies de développement coopératif ayant précédé l’adoption de la Loi en 1991, sert en quelque sorte de matrice à la reconnaissance légale (Münkner, 2004) du concept de coopérative multisociétaire. L’importance des coopératives sociales en Italie est reconnue par de nombreux écrits depuis le milieu des années 1990 qui non seulement quantifient mais caractérisent et analysent le phénomène. Seulement du côté de la littérature francophone, on peut notamment citer Borzaga (1997), Zondonai (2002) et Pezzini (2008). Ce dernier (Pezzini, 2001) a aussi apporté une contribution pour mieux cerner le rôle des consortiums dans l’appui au développement de ces organisations.

Pourquoi des coopératives de solidarité au Québec? La réponse à cette question au-delà de quelques observations d’ordre général n’est pas aisée, car le sujet n’est guère documenté. La reconnaissance légale étant assez récente (1997) et aussi liée à un événement déclencheur (le Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996), on peut en retracer quelques indices. Dans les mesures retenues par les participants à ce Sommet, il y avait la volonté de créer des entreprises d’économie sociale vouées aux services à domicile. Ces entreprises pouvaient adopter le statut d’organisme à but non lucratif ou de coopérative. Or, ce service interpelle au moins deux parties prenantes, soit la personne qui fait le travail et celle qui le reçoit. C’est dans ce contexte que se situe la décision d’aller de l’avant avec un nouveau statut coopératif qui associerait au moins ces deux catégories de membres[7]. Entre l’automne 1996 et le printemps 1997, il y a eu un échange intense entre les représentants du Conseil de la coopération du Québec (CCQ) et ceux de la Direction des coopératives du Ministère de l’Industrie et du Commerce pour adopter un corpus légal qui sera sanctionné par l’Assemblée nationale en juin 1997.

Le tableau 1 présente le nombre de coopératives et de coopératives de solidarité créées au Québec durant la période allant de 1997 à 2008.

Tableau 1

Coopératives de solidarité constituées et actives, selon l’année de constitution, au 31 décembre 2008

Coopératives de solidarité constituées et actives, selon l’année de constitution, au 31 décembre 2008
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Comprend surtout des coopératives constituées avant 1997 qui ont modifié leurs statuts pour devenir des coopératives de solidarité.

Source : Direction des coopératives, MDEIE

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Pourquoi note-t-on un nombre important de coopératives de solidarité constituées entre 1999 et 2001 qui sont désormais inactives? Les raisons ne sont pas clairement établies, mais selon Chagnon (2008 : 72) :

Plusieurs ont été radiées d’office par le Registraire des entreprises du Québec (REQ), qui procède ainsi lorsque l’entreprise ne produit pas sa déclaration annuelle. Pour d’autres, les activités qu’elles prévoyaient ne se sont pas concrétisées, ce qui a amené les promoteurs à abandonner le projet

Tableau 2

Coopératives de solidarité constituées et actives, selon le secteur d’activités, au 31 décembre 2008

Coopératives de solidarité constituées et actives, selon le secteur d’activités, au 31 décembre 2008
Source : Direction des coopératives, MDEIE

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En 1997, les amendements à la Loi sur les coopératives prévoyaient que la coopérative de solidarité devait compter au moins des membres utilisateurs et des membres travailleurs, avec la possibilité d’ajouter la catégorie de membres de soutien. En 2005, une modification à ces dispositions a allégé le processus de constitution en précisant que désormais une coopérative de solidarité doit compter deux ou trois catégories de membres, mais sans l’obligation d’avoir simultanément des membres utilisateurs et des membres travailleurs. Devant le pourcentage plus élevé des coopératives de solidarité dans le nombre total de coopératives constituées depuis 2005, on peut émettre l’hypothèse que le retrait de cette obligation a favorisé ces résultats, mais cela reste à prouver par l’analyse plus fine de la constitution et l’évolution du sociétariat de ces nouvelles coopératives.

Par ailleurs, les coopératives de solidarité sont présentes dans une très grande variété de secteurs avec quelques dominantes, soit le loisir, les services sociaux, les services aux personnes, les arts et spectacles, et l’hébergement restauration.

Ces données expriment l’existence de besoins, mais également la mise en oeuvre de mesures structurantes. Par exemple, dans le cas des services aux personnes, il s’agit des coopératives évoluant dans les services à domicile, des prestations d’entretien ménager offertes principalement à des aînés, comme démontré par Vaillancourt et Jetté (2001 : 79). Avec la reconnaissance des entreprises d’économie sociale en service à domicile[9], ces coopératives ont bénéficié de mesures aidantes pour entreprendre leurs activités. En effet, les utilisateurs ont accès à un programme fiscal d’allègement des coûts – le programme d’exonération financière pour les services d’aide domestiques (PEFSAD). Mais ce n’est pas tout, depuis le milieu des années 1980, il existe au Québec un réseau d’entreprises dédiées à l’appui au développement de nouvelles coopératives, les coopératives de développement régional (CDR). Ces organisations dont une part importante du financement est liée à la création ou au maintien d’emplois par le truchement de la création de nouvelles coopératives se sont rapidement familiarisées avec le concept de coopératives de solidarité pour l’inclure dans leur portefeuille d’intervention terrain, que ce soit par l’identification de nouveaux besoins et de nouvelles clientèles susceptibles d’avoir un intérêt à adopter la formule de coopérative de solidarité. Outre les CDR, il faut aussi reconnaître au Québec la présence d’autres organisations facilitant le démarrage d’entreprises collectives, par exemple, les centres locaux de développement et les corporations de développement économique communautaire. Ce dispositif d’appui est important dans le développement accéléré des coopératives de solidarité (Girard et Langlois, 2009 : 250).

3. Relations avec les secteurs traditionnels et défis de gestion

Avant d’aborder la question des relations des CMS avec les secteurs coopératifs établis, il faut savoir que la reconnaissance légale de cette forme organisationnelle a été supportée par des regroupements coopératifs existants. Au Québec et en Italie, il s’agit de deux regroupements multisectoriels soit respectivement le CCQ et la Confcoop. En France, la direction de la reconnaissance légale puis du développement des SCIC a été assumée par la Confédération générale des sociétés coopératives ouvrières de production (CGSCOP).

En y regardant de plus près, l’exemple québécois montre que la présence de ce nouveau type de coopératives est venue chambouler une règle séculaire, celle de l’unicité du sociétariat, et a pu déranger des réseaux de coopératives existants. En effet, on peut penser que ce ne sont pas toutes les fédérations de coopératives, en particulier celle regroupant des coopératives d’utilisateurs, qui ont vu d’un bon oeil ce nouvel arrivant surtout lorsqu’un nouveau projet en forme de coopérative de solidarité souhaite adhérer à la fédération. On peut émettre l’hypothèse que la venue de ces nouvelles entités dans lesquelles les travailleurs avaient, de facto, leur espace reconnu dans le système de gouvernance pour les coopératives de solidarité formée au cours de la période 1997-2005, a pu constituer un choc culturel trop menaçant pour des coopératives regroupant strictement des consommateurs. Des directeurs généraux de ces coopératives craignaient sans doute de devoir composer avec de nouvelles approches en matière de gestion des ressources humaines par la présence d’employés au conseil d’administration. Cette disposition s’est considérablement atténuée avec l’introduction d’une modification à la Loi sur les coopératives en 2005, amendement qui stipule que dans les coopératives de solidarité il n’y a plus l’obligation de compter à la fois la catégorie de membres utilisateurs et la catégorie de membres travailleurs. Tel que mentionné, le nouveau libellé indique simplement que la coopérative de solidarité doit regrouper au moins deux des trois catégories de membres.

Cette nouvelle disposition, rend désormais la formule de coopératives de solidarité plus attrayante pour les coopératives pratiquant l’unicité du sociétariat – qu’elle soit de type consommateur, travailleur ou producteur - et qui souhaiteraient s’ouvrir davantage à leur communauté par l’ajout de la catégorie membre de soutien. Ainsi, les coopératives forestières, coopératives de travail qui oeuvrent dans la coupe, le transport du bois et l’aménagement forestier, pourraient trouver intéressant d’élargir leur effectif pour associer à titre de membres de soutien, des parties prenantes des milieux où elles évoluent, souvent de petites communautés de quelques milliers de citoyens, pour qui, la présence d’un tel employeur est essentielle à la vitalité de l’économie locale. Cette association plus étroite avec la communauté viendrait vraisemblablement renforcer l’ancrage territorial de la coopérative. La même remarque pourrait s’appliquer à des coopératives de consommation alimentaire, des coopératives de services funéraires ou encore, des coopératives d’habitation. En ce sens, certains projets de conversion de coopératives unisosiétaires en CMS ont été réalisés (par exemple, des coopératives de services de santé qui ont passé d’un statut de coopératives de consommateurs à un statut de CMS) et d’autres sont en chantier. Sans doute, il s’agit d’un mouvement à suivre notamment en regardant d’où va provenir la direction de ce changement. Pour reprendre le quadrilatère coopératif décrit par Desroches (1969), on peut se poser la question à savoir quels intervenants de la coopérative seront à l’origine du projet : les sociétaires, les membres du conseil d’administration, les gestionnaires ou les employés? Est-ce que ce changement ira jusqu’à interpeller de grandes organisations coopératives, pensons ici, au Mouvement des caisses Desjardins ou encore les coopératives agricoles?

Les CMS posent aussi les termes d’un nouveau paradigme de gestion sur le plan de la planification, de la gouvernance et du management. Regardons-y de plus près en s’intéressant au cas des coopératives de solidarité au Québec.

Compte tenu des liens étroits avec leur milieu, les CMS doivent intégrer dans leur planification des enjeux non seulement sectoriels, mais aussi territoriaux et régionaux. Ces préoccupations seront souvent portées par les membres de soutien, des membres institutionnels, par exemple un représentant d’une caisse Desjardins ou d’un Centre de Santé et de services sociaux ou encore, d’un centre local de développement.

Le système de gouvernance est nettement plus complexe dans une CMS par la cohabitation de divers intérêts. Les membres utilisateurs et les membres travailleurs ont, de prime abord, des intérêts opposés. Dans ce cadre, il y a le défi de dégager et promouvoir un intérêt supérieur (Lévesque, De Bortoli et Girard, 2004). Les compétences en gestion de la diversité ne sont pas acquises. Cela confronte tant la présidence du conseil d’administration pour l’animation des réunions que la direction générale de la coopérative dans la gestion des opérations. À l’instar d’une coopérative de travail (Girard, St-Pierre et Garon, 2001), le membre travailleur qui siège au conseil d’administration doit bien distinguer son statut d’administrateur de celui de travailleur. Dans une coopérative de services de santé, il faut trouver aussi un commun dénominateur entre les divers membres, le membre utilisateur qui peut-être un patient et le membre de soutien qui peut être un médecin. Dans ce cas, sur le plan de la gouvernance - par exemple au conseil d’administration - il y a enjeu d’établir un cadre de relations égalitaires entre le membre patient et le membre médecin. Ce cadre n’est pas naturel dans la relation du premier avec le second lors des processus de consultation, le médecin étant généralement reconnu comme le légataire de la connaissance en santé et le patient étant plutôt dans un registre d’ignorance ou, au mieux, d’une connaissance limitée (Girard, 2006 : 179).

La cohabitation de ces intérêts diversifiés et la capacité de dégager un sens ou une raison d’être qui transcende les différences peuvent davantage se développer dans un contexte de pratique de la démocratie délibérative (Lévesque, De Bortoli et Girard, 2004). Mais de nouveau, l’habilitation au débat n’est pas acquise. Il faut rendre disponibles des formations sur mesure, puisqu’il s’agit d’un modèle aux antipodes de l’argument d’autorité ou du pouvoir de type autocratique. Une recherche portant sur diverses dimensions du fonctionnement de coopératives de solidarité et consistant en des études de cas de 4 organisations, a démontré que la dimension de la gouvernance représentait le plus grand défi pour les membres de la coopérative (Girard, 2008b).

Sur ce sujet de la gouvernance dans les coopératives de solidarité, Lafleur (2008 : 119-120) pose la question : « Comment arrive-t-on, dans les coopératives de solidarité, à prendre des décisions qui sont à la fois démocratiques et efficaces malgré les intérêts qui peuvent être différents selon les catégories de membres? » Soulignant que l’exercice de la gouvernance requiert un système, donc des relations entre plusieurs éléments qui interagissent entre eux, il identifie 5 dimensions : définition des pouvoirs, rôles, responsabilités et respect des champs de compétence; transparence et communication; gestion démocratique et participative; leadership des dirigeants et des membres; éducation-formation.

Enfin, il faut aussi mentionner dans certains cas, les exigences sur le plan du management, de la gestion concurrente de salariés et de bénévoles. Si les bénévoles étaient omniprésents à l’origine des grandes coopératives au Québec, il y a belle lurette que ce n’est plus le cas, y inclus, dans certains cas, pour les administrateurs[10]. Les coopératives de solidarité sollicitent les bénévoles pour deux raisons : elles sont relativement jeunes (au fil des années, la professionnalisation de l’organisation conduit à l’embauche de personnel rémunérée) et dans des créneaux favorables à l’implication bénévole (services de proximité). Il n’est pas donné à tous les gestionnaires de composer avec ce type de contribution.

Conclusion

L’engagement du CCQ en 1997 à définir un concept de coopérative multisociétaire a été reconnu en juin de cette année par l’adoption à l’Assemblée nationale des dispositions propres aux coopératives de solidarité. Avec la popularité croissante du modèle sur une période d’un peu plus de 10 ans, non seulement en terme de constitution de nouvelles organisations ou de transformation de coopératives existantes en coopérative de solidarité mais aussi sur le plan des nouveaux créneaux d’activités et de nouvelles populations jointes, il faut reconnaître la justesse de l’intuition du modèle. Est-ce que les coopératives de solidarité seront viables dans le temps? Il est encore trop tôt pour se prononcer, si l’on compare aux décennies d’existence des coopératives ayant plutôt adoptées la forme unisociétaire. Il sera intéressant d’observer l’évolution du membership, le changement de générations de dirigeants et de sociétaires. Assisterons-nous à un glissement graduel du pouvoir vers une catégorie de membres, par exemple comme en Italie, du côté des membres travailleurs (Pezzini, 2008)? À un autre niveau, il faut davantage d’études pour mieux cerner l’impact de ces organisations sur les enjeux socio-économiques dont elles souhaitent relever le défi.

La cohabitation de coopératives unisociétaires avec des coopératives de solidarité dans certains secteurs d’activités sera aussi intéressante à observer dans le temps. Est-ce que les premières, de plus en plus sensibles à l’enjeu de s’ouvrir sur d’autres parties prenantes vont être plus nombreuses à chercher à se transformer pour intégrer d’autres catégories de membres?

Les enjeux sur le plan de la gestion au sein des coopératives de solidarité sont aussi à se préciser en particulier, par la présence de diverses catégories de membres, la cohabitation d’intérêts variés qui peuvent éventuellement s’opposer. En ce sens, l’habilitation à la gestion de la diversité semble incontournable ce qui nous semble aussi inclure l’expression d’une démocratie délibérative.

En somme, avec la place grandissante occupée par les CMS dans la famille coopérative et l’intérêt suscité auprès de nouveaux acteurs, il y a matière à mieux comprendre ces organisations et ce tant sur le plan de la micro-gestion que d’enjeux plus macro. L’analyse comparative entre des cas de différents pays est une option qui nous semble fructueuse.