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Introduction

Historiquement la versatilité et la fécondité de la méthode coopérative a permis de la voir appliquée avec succès aux plus diverses activités économiques et sociales.

Au cours des dernières décennies une nouvelle forme coopérative a vu le jour en Italie dans la deuxième moitié des années ‘70 : les coopératives sociales. Elles sont une tentative de donner des réponses innovatrices aux anciens et nouveaux besoins sociaux (handicap, toxicomanie, soins des personnes âgées, maladie mentale, jeunes en difficulté, …) à l’aide de structures stables et bien organisées, mais en même temps flexibles et efficientes, de sorte à pouvoir réaliser de nouvelles formes d’intervention sociale.

Une telle formule s’est révélée particulièrement apte pour ceux qui désiraient s’engager au service de personnes défavorisées ou en difficulté, dans des organisations qui garantissent une gestion démocratique et une responsabilisation des tous les sujets impliqués.

Cet ensemble d’exigences a trouvé synthèse dans la formule coopérative, interprétée en clé solidaire, que l’on peut également voir comme une conséquence d’un processus de renforcement de la dimension productive du monde associatif et des organisations de bénévolat et de l’engagement des organisations coopératives dans le domaine des services sociaux.

La coopération sociale italienne a obtenu une reconnaissance législative spécifique en novembre 1991 avec la loi 381 qui a conféré un statut légal, avec quelques ajustements, à une expérience née de manière spontanée (Borzaga, 1998). Après cette expérience italienne ayant inspiré les coopérateurs dans plusieurs autres pays, on a assisté à un renouveau législatif pour consolider ou stimuler des nouveaux champs d’activité pour les coopératives dans une vaste gamme d’initiatives normalement en lien avec l’insertion professionnelle et les services aux personnes, en appliquant des modalités de fonctionnement qui prévoient des formes de multisociétariat.

C’est le cas du Portugal qui, en 1996, a modifié le code coopératif en ajoutant le secteur des coopératives de solidarité sociale avec la Loi 51/1996 du 7 septembre 1996. L’Espagne a introduit les coopératives d’initiative sociale avec la loi nationale 27/1999. En France, le 28 juin 2001, avec l’adoption de la loi 624/2001 par l’Assemblé nationale, on a introduit, grâce à son article 36, la Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Mais aussi la Grèce, le Royaume Uni, la Finlande et la Lituanie; au moins 11 des 27 États membres de l’Union européenne ont, au cours de ces dernières années, approuvé des législations qui configurent de nouvelles formes d’entreprise coopérative ou d’entreprise à finalité sociale (Noya, 2009; Roelants, 2009).

Ce phénomène et cette évolution législative ne sont pas seulement européens. Au Québec, depuis juin 1997, la Loi sur les coopératives (L.R.Q., c.C-67-2) autorise la création de coopératives de solidarité. Elles sont en forte croissance et elles apportent une contribution dynamique au renforcement de la cohésion sociale et un nouvel élan au développement coopératif[1].

Comme pour les coopératives sociales italiennes, elles possèdent la caractéristique d’un sociétariat pluriel, non plus limité à une seule catégorie d’associés, consommateurs ou travailleurs, mais également usagers et bénévoles (Girard, 2004, 2009).

Selon une tradition de « contamination positive » entre expériences coopératives, le cas des coopératives sociales italiennes peut apporter quelques enseignements pour le Canada en termes de stratégie de développement, de composition du sociétariat, de relations avec les autorités publiques et les organisations syndicales (Girard, Pezzini, et Mailloux, 2000).

Le débat actuel relatif au développement de la coopération sociale [2] en Italie se concentre surtout autour de la croissance du phénomène et de sa diffusion sur le territoire national. Les données statistiques sur la coopération sociale tendent à être utilisées de manière agrégée principalement pour souligner le succès d’une formule d’entrepreneuriat qui dans un laps de temps tout compte fait limité - une vingtaine d’années environ - a atteint une dimension importante en termes de nombre d’entreprises, d’emplois générés, de services offerts, de valeur économique des productions, etc.

Cependant, il est possible d’en faire une lecture différente, non pas alternative mais complémentaire, et d’en saisir certaines nuances. Ces éléments de différenciation, ajoutés aux tendances générales, contribuent à mettre en évidence de nouvelles caractéristiques et particularités.

Cette modalité d’analyse représente non seulement un intérêt sur le plan de la connaissance, confirmant, par exemple, l’existence de différentes traditions historiques et culturelles qui sont à l’origine de ce phénomène (Borzaga et Ianes, 2006), mais elle est également utile pour soutenir les actions de développement stratégique des organisations de représentation et de coordination et notamment des consortiums[3]. En outre, elle suggère la définition de politiques de soutien répondant davantage aux caractéristiques spécifiques de ces organisations.

Il appert, par l’analyse des différentiations de développement, que celles-ci sont étroitement liées au rôle des dirigeants de la coopération sociale, mais aussi au rôle — différent — des décideurs politiques, notamment au niveau local. Ces personnes sont effectivement souvent appelées à gouverner le développement de la coopération sociale à l’intérieur de contextes de plus en plus complexes et variables.

Ce texte est subdivisé en quatre parties. La première est une analyse « traditionnelle » présentant les données générales de la coopération sociale italienne sur la base de la dernière étude présentée par l’Institut national de la statistique (Istat). Elle rappelle aussi les raisons qui ont soutenu la naissance et l’évolution de ces organisations. La deuxième partie décrit succinctement les facteurs de diversité qui sont à l’origine des parcours évolutifs des coopératives sociales. La troisième partie se concentre sur une variable particulière, le « multisociétariat », c’est-à-dire la diffusion dans les coopératives sociales des expériences de gouvernance ouvertes à différents types d’associés. Cette partie constitue l’objet principal de cette contribution. La quatrième et dernière partie contient diverses réflexions synthétiques, visant à déterminer quelques « trajectoires de développement » de la coopération sociale à court et moyen termes.

1. Les dimensions du phénomène et son évolution récente

La dernière enquête statistique réalisée par l’Istat (2007) sur le plan national démontre qu’au 31 décembre 2005, 7 363 coopératives sociales étaient actives en Italie, tandis que 652 n’avaient pas encore amorcé ou avaient temporairement suspendu leurs activités. Le nombre de coopératives actives représente ainsi une augmentation de 19,5 % par rapport au dernier recensement de l’Istat de 2003 et 33,5 % par rapport au premier recensement de l’Istat de 2001.

Il s’agit bien d’un phénomène récent puisque plus de 70 % des coopératives sociales sont nées après 1991. Dans 59 % des cas (4 345 organisations), il s’agit de coopératives qui fournissent des services sociaux, sanitaires et éducatifs (les coopératives de type A) tandis que dans 32,8 % des cas (2 419 organisations) ce sont des coopératives engagées dans l’insertion professionnelle des personnes défavorisées (coopératives de type B). Les coopératives à objet mixte, c’est-à-dire celles qui combinent les activités de type A et de type B, et les consortiums représentent respectivement 4,3 % (soit 315 coopératives) et 3,9 % (soit 284 consortiums).

Les coopératives sociales emploient environ 244 000 travailleurs rémunérés — dont 211 000 ont le statut d’employés, 32 000 ont un contrat de collaboration et un peu plus de 1 000 individus ont un contrat d’intérim — et 34 000 personnes non rémunérées, à savoir 30 000 volontaires, 3 000 volontaires du service civil et quelque 700 religieux. On relève que les femmes représentent 71,2 % des ressources humaines.

Du point de vue économique, les coopératives sociales réalisent un volume d’affaires annuel cumulatif d’environ 9,0 milliards de $CAN[4]. On note des distinctions considérables du chiffre d’affaires selon les types de coopératives. Ainsi, alors que la moyenne générale se situe à 1,2 million de $CAN par coopérative, les coopératives de type A dégagent un chiffre d’affaires annuel moyen de 1,3 million de $CAN alors que celles de type B et à objet mixte réalisent un chiffre d’affaires moyen de 981 mille $CAN. Quant aux consortiums, ils génèrent en moyenne un chiffre d’affaires supérieur à 2,8 millions de $CAN.

Dans les coopératives de type A, l’assistance sociale est le secteur d’activité le plus répandu alors que c’est la prestation de services à domicile qui est l’activité la plus fréquente. Par ailleurs, dans ces coopératives, la catégorie d’usagers la plus courante est constituée par des personnes d’âge mineur. Dans les coopératives de type B, l’insertion professionnelle concerne surtout les personnes handicapés (physiques, psychiques et sensorielles).

Par rapport à l’évolution du phénomène, les données confirment que le nombre de coopératives sociales actives a continuellement augmenté, partant de quelques dizaines d’unités au cours des années 1970, atteignant près d’un millier de coopératives en 1985 et composant aujourd’hui le secteur d’entreprise illustrées dans le tableau 1. Ce développement a interpellé tant les services sociaux et les services aux personnes que l’insertion professionnelle des personnes défavorisées.

Tableau 1

Les données clés de la coopération sociale en Italie, 2005

Les données clés de la coopération sociale en Italie, 2005
Source : Istat, 2007

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Les explications de cette croissance soudaine peuvent être identifiées dans quelques processus générateurs dont les effets croisés ont contribué à donner vie à ce nouveau phénomène entrepreneurial.

Tout d’abord, on assiste à l’émergence de nouveaux besoins non satisfaits par les « agences » traditionnelles de welfare — les administrations publiques et, dans le cas spécifique italien, les familles et les noyaux parentaux élargis — qui, en général veillent à l’amélioration de la qualité de la vie des personnes ainsi que des communautés (Centro studi Cgm, 2005).

Cette situation de fort dynamisme par rapport aux besoins de soutien social a coïncidé avec une croissance soutenue des organisations à finalité non lucrative. Selon l’Institut italien de la statistique, plus de 55 % de ces organisations sont nées au cours des années 1990. Cela suggère qu’une bonne partie de l’innovation du welfare italien est attribuable à l’affirmation progressive des acteurs de la « sphère du sans but lucratif » (Istat, 2001).

La croissance du secteur est aussi tributaire des politiques d’externalisation des services sociaux promues par les administrations publiques, surtout locales. Elles ont indubitablement permis l’émergence de nouveaux acteurs comme les coopératives sociales, des organisations qui peuvent mieux répondre à la production de services de proximité, et ce, de manière continue, professionnelle et entrepreneuriale.

2. Les variables du développement

Après cette brève synthèse de l’état actuel de la coopération sociale italienne, on peut se concentrer sur les éléments qui contribuent à différencier les trajectoires de développement de ces entreprises.

Les paragraphes qui suivent décrivent diverses variables qui concourent à catégoriser les coopératives sociales, à savoir : 1) la distribution territoriale, 2) l’année de constitution, 3) la taille de l’entreprise (nombre de personnes impliquées et d’employés) 4) la nature des biens produits et l’organisation interne, 5) les ressources économiques et leur provenance, et 6) les réseaux inter-organisation.

Ces descriptions se basent principalement sur les données 2007 de l’Istat. Toutefois, ces compilations à caractère quantitatif seront enrichies par des données qualitatives se dégageant des enquêtes réalisées (essentiellement par le consortium national CGM) au cours de ces dernières années.

2.1 La distribution territoriale

La distribution des coopératives sociales sur le territoire national représente un des éléments qui singularisent le plus ces organisations. Depuis longtemps, à des fins comparatives, le pays est découpé en macrozones. Il appert ainsi que la coopération sociale a trouvé des conditions de développement favorables dans les zones les mieux nanties du point de vue social et économique. En Italie, cela correspond aux régions septentrionales et centrales.

Par contre, au cours des dernières années, on a assisté à une croissance constante de la coopération sociale dans les zones moins développées ou défavorisées du sud de l’Italie avec, toutefois, des différences significatives sur le plan des performances économiques et sociales. Ainsi, on remarque que 47 % des coopératives sociales italiennes sont localisées dans les régions du centre-nord de l’Italie, mais celles-ci réalisent 62 % du chiffre d’affaires total.

Sur le plan territorial, on peut relever des différences non seulement grâce à la comparaison entre macro zones, mais aussi du point de vue « micro ». On fait référence ici aux territoires « limitrophes » (provinciaux et subprovinciaux) qui présentent des spécificités économiques et institutionnelles semblables, mais des différences considérables dans les caractéristiques structurelles et opérationnelles des coopératives sociales.

L’explication de cette situation est liée à une variété de facteurs. On peut faire état de quelques-uns de ces facteurs importants : le caractère relationnel des biens produits par les coopératives sociales implique que le contexte de distribution correspond de façon générale à des contextes territoriaux réduits (au niveau des municipalités); la déclinaison du système de protection sociale italienne se fait au plan local; le niveau de dotation du capital social des territoires diffère; les structures de représentation et de coordination des coopératives sociales ainsi que l’organisation du troisième secteur et de l’économie sociale influencent de façon différenciée les organisations coopératives.

2.2 L’année de constitution des coopératives

Le second élément de différenciation est l’année de constitution des coopératives sociales. Même s’il s’agit d’un phénomène qui s’est développé au cours d’une période limitée, cela correspond à une époque historique marquée par une série d’événements importants qui ont contribué à changer, parfois de manière fondamentale, le système institutionnel italien. Il en est ainsi des politiques sociales et du travail.

Les données disponibles indiquent que le début des années 1990 fut une période clé pour le développement de la coopération sociale, essentiellement parce que c’est en 1991 que fut adoptée la loi qui, encore aujourd’hui, régit le secteur. Il est intéressant de remarquer que dans l’année de la promulgation de la Loi 391/91 on relevait la présence de plus de deux mille organisations, soit 28,3 % du total actuel des coopératives sociales. Ces coopératives s’inspiraient déjà amplement des principes directeurs de la nouvelle Loi.

S’il est vrai qu’il existe dans la coopération sociale un nombre marquant d’entreprises « pionnières », constituées en faisant abstraction de la présence d’une reconnaissance légale formelle, il est aussi vrai que la loi a permis au phénomène de se répandre de manière plus consistante dans les années suivantes. En partant des données Istat on note en effet qu’un peu moins de 25 % des coopératives sociales ont été constituées après l’an 2000.

2.3 La taille des coopératives sociales

Il est généralement énoncé que la « petite taille » garantit un meilleur système relationnel aussi bien chez les opérateurs qu’entre ces derniers et les utilisateurs. De plus, elle favoriserait une plus grande qualité des biens produits.

Selon les données de l’Istat, il s’avère que les coopératives sociales sont essentiellement des entreprises de petites dimensions. Ainsi, 45 % du total de ces organisations se situent dans le groupe mitoyen, c’est-à-dire comptant entre 10 et 49 employés. Les deux autres groupes relatifs à la taille des organisations corroborent cette affirmation : les coopératives avec un nombre équivalent ou supérieur à 50 travailleurs représentent 15,6 %, et les « microcoopératives », c’est-à-dire les coopératives comptant un nombre égal ou inférieur à 9 travailleurs représentent 39,1 %.

Ici on peut rapprocher de la catégorie « petite dimension » les coopératives de grandes dimensions puisqu’il est possible de constituer un système de relations dynamiques dans des organisations comptant parfois plus d’une centaine de personnes. Il peut en être de même des coopératives regroupant un petit nombre de personnes. Elles sont aptes à développer non seulement une dimension « collective » considérable entre les travailleurs, mais aussi entre ceux-ci et le reste des personnes directement et indirectement impliquées dans les activités de l’entreprise.

2.4 L’organisation et la gestion

Au cours des dernières années, les coopératives sociales ont réalisé des investissements importants pour renforcer leurs systèmes d’organisation. Elles ont, entre autres, ajouté de nouvelles unités et de nouveaux rôles professionnels.

Les motivations à l’origine de cette évolution sont multiples : 1) la complexité croissante des biens et des services qu’on demande, 2) le développement d’affaires des coopératives ou encore 3) le passage, pour beaucoup d’entre elles, au-delà de la phase de démarrage vers la maturité organisationnelle. Il y a également des motivations externes qui ont une influence sur la complexité de l’organisation de la coopérative, notamment 4) les règles qui concernent les certifications de qualité et 5) les mécanismes d’accréditation.

Le fait que le développement des modèles d’organisation soit dû aux choix internes, mais aussi aux variables exogènes illustre la capacité des coopératives sociales de développer des solutions aptes à valoriser les spécificités de leur propre forme d’entreprise, en évitant le risque de mimétisme de solutions d’organisation expérimentées très souvent dans des domaines d’activité et d’organisation fort différents.

Du point de vue de l’approche utilisée par les coopératives sociales, on souligne que seulement une partie, bien que consistante, est dotée de politiques de développement visant à renforcer l’agencement productif. La plus grande partie de ces entreprises (plus de 60 %) a surtout agi au niveau de la planification stratégique et de la mise en place de nouvelles initiatives, exprimant ainsi la volonté de dépasser une logique gestionnaire à courte terme, caractérisée par la tendance à répondre aux besoins contingents.

Une autre stratégie, adoptée par environ la moitié des coopératives, consiste par contre au renforcement de l’offre de services (46 %) alors qu’un nombre réduit de coopératives s’est concentré exclusivement sur l’identification de nouveaux types de bénéficiaires des activités (36 %).

Cependant, en regardant la diffusion des instruments pour assurer la qualité des services, la proportion des coopératives sociales qui déclarent les utiliser est plus petite. Celles qui font la récolte de suggestions et réclamations, comptent pour moins du tiers des coopératives, tandis que celles qui disposent d’une certification de qualité, (normes ISO) bien qu’en croissance, représentent 25 % du total.

2.5 Les ressources économiques

Le positionnement des coopératives sociales dans leurs marchés de référence peut être mieux apprécié en observant la source des revenus de ces entreprises, provenant soit de clients de nature publique d’un côté ou de clients de nature privée de l’autre. Le débat sur ce point questionne l’autonomie des coopératives sociales par rapport à leurs clients payants. Souvent, on affirme que beaucoup de coopératives sociales - surtout de type A - souffrent d’une dépendance excessive au financement d’origine publique, par exemple, sous forme d’adjudications, de conventions, etc.

Par ailleurs, d’autres observateurs soulignent qu’il y aurait une phase de profondes transformations dans les marchés sociaux, avec une présence renouvelée des citoyens, des familles et des communautés, non seulement comme utilisateurs des services (dans le système actuel, la plus grande partie des services de welfare est fournie directement par l’administration publique), mais aussi dans leur qualité de clients payants et de coproducteurs. En effet, l’administration publique sélectionne de plus en plus des fournisseurs privés (en grande partie des coopératives sociales) dans des procédures d’appel d’offres. Des clients autres que les administrations publiques peuvent aussi s’adresser à ces fournisseurs privés.

Cette transformation concerne tous les fournisseurs de services et par voie de conséquence également les coopératives sociales. Ainsi, elles pourraient donc voir se modifier significativement leur propre « portefeuille client » dans un avenir rapproché.

Les données publiées jusqu’ici par l’Istat ne présentent pas d’analyse très sophistiquée du calcul des revenus des coopératives sociales, mais elles fournissent quelques repères utiles pour déterminer des éléments distinctifs. D’une part, en effet, on confirme que les administrations publiques représentent la principale source de revenus pour les coopératives sociales et notamment pour celles engagées dans la production de services sociaux. Ce cas de figure concerne plus de 70 % des coopératives sociales de type A. D’autre part, il s’avère que les revenus générés par des activités avec des particuliers ne sont pas résiduels, surtout en ce qui concerne les coopératives d’insertion professionnelle.

2.6 Les réseaux

Les données de l’Istat fournissent des renseignements concernant le rayonnement des consortiums et les activités qu’ils développent pour les coopératives associées. Tel qu’expliqué précédemment, les consortiums sont la typologie coopérative qui présente le plus haut taux de croissance au cours des dernières années. Ils sont maintenant 284 au niveau national en Italie. Leur présence sur le territoire national met en évidence un important élément de distinction : les structures consortiales sont nettement plus présentes dans les zones « mûres » du centre, mais surtout dans le nord de l’Italie où deux coopératives sociales sur trois sont « en réseau ». Dans les régions du sud, la situation est différente. Les coopératives locales sont moins enclines à s’associer en consortiums, même si le phénomène est également en croissance dans ces zones.

En résumant les données sur les activités des consortiums, trois grandes dimensions constitutives émergent clairement. Avec le temps, elles ont trouvé selon les contextes territoriaux différentes formes d’expression et d’intégration.

La première dimension identifie les consortiums comme « structures de support ». Leur objectif est de soutenir le développement et le renforcement des coopératives membres. Cette orientation se traduit par des services à caractère professionnel comme l’assistance au recrutement du personnel et l’acquisition de fournitures. Les consortiums qui s’engagent prioritairement dans cette voie sont donc promoteurs d’actions de réseautage interne et cherchent à répondre, avant tout, à la demande des organisations membres.

La seconde dimension qui peut caractériser le profil identitaire des consortiums est celle de l’« agence stratégique », c’est-à-dire d’une structure qui opère surtout pour « accréditer » et réseauter les composantes qui en font partie à l’intérieur des contextes sociaux et économiques où elles agissent. Dans ce cas, le consortium tend à représenter les instances et exigences propres du réseau par le biais d’une activité de caractère « politique idéologique » comme la promotion de l’image des coopératives sociales et l’élaboration de stratégies politiques. Il n’est pas exclu que cela puisse se faire également avec des initiatives entrepreneuriales telles que, par exemple, la gestion de projets complexes qui demande un travail constant de réseautage par rapport au milieu extérieur.

La troisième dimension typique des consortiums est celle de l’« entreprise réseau », c’est-à-dire une structure apte à donner vie à des initiatives entrepreneuriales en partant de l’intégration plus forte et stable entre différentes entreprises autonomes. Entrepreneur général, projet de réseau, partage du processus de production, sont autant d’initiatives par lesquelles les consortiums agissent sur deux problèmes cruciaux pour une entreprise réseau : la spécialisation fonctionnelle des noeuds et leur intégration, afin d’augmenter les niveaux d’interdépendance des processus productifs sans pour cela sacrifier les compétences spécifiques.

3. Le système de gouvernance : le multisociétariat

Le système de gouvernance (structure et composition) des coopératives sociales représente aussi un sujet d’intérêt dans les débats qui interpellent la communauté scientifique et les acteurs, puisqu’il est une des variables fort intéressantes. Les sujets de discussion sur la gouvernance concernent le nombre et la nature des associés représentés dans les organes de gouvernement et de contrôle de la coopérative, à savoir dans l’assemblée des membres, le conseil d’administration et le collège des réviseurs.

L’hypothèse est qu’il y a une relation entre la présence de porteurs d’intérêts différents (les soi-disant stakeholders) dans ces instances de l’organisation et la capacité de la coopérative de représenter les diversités de besoins présents sur son propre territoire. En somme, la coopérative a le défi de créer les conditions favorables à cette présence dans le but de « la poursuite de l’intérêt général de la communauté » reconnu par la loi n 381 (Borzaga, 2003).

La loi n’indique pas de manière contraignante combien et quelles catégories de membres doivent être associées à la coopérative. Elle se limite à rappeler qu’ils peuvent l’être en fixant éventuellement des limites maximum à leur nombre[5]. C’est simplement une orientation multisociétariat des coopératives sociales qui peut se traduire sous forme d’implication « forte » des principaux porteurs d’intérêt, et ce, en les incluant à l’intérieur du système de gestion et de gouvernement de l’organisation.

L’enquête propose un tableau plutôt schématique, mais utile, où les coopératives sont classées sur la base du nombre de stakeholders représenté dans l’ensemble de leur sociétariat, excluant, toutefois, les consortiums[6], parce que ceux-ci sont composés seulement de catégorie personne juridique. Pour le reste, le tableau est plutôt révélateur en ce qui concerne les acteurs qui exercent les droits de propriété à l’intérieur des coopératives sociales. Il apparaît de manière générale que les coopératives sociales comptent plus d’une catégorie de membres.

Tableau 2

Coopératives sociales par nombre de catégories de membres, 2005 (valeur en %)

Coopératives sociales par nombre de catégories de membres, 2005 (valeur en %)
Source : Istat, 2007

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La soi-disant « dérive travailliste », c’est-à-dire des coopératives composées exclusivement de membres travailleurs, semble donc être limitée, du moins jusqu’à aujourd’hui, même si en regardant plus attentivement les diverses typologies, il s’avère que dans les coopératives engagées dans la fourniture de services sociaux et éducatifs (type A), la prévalence d’un modèle de gouvernance monostakeholder n’est pas marginale (égal aux 21,5 % du total).

Parallèlement à cette situation plutôt spécifique aux coopératives sociales de type A, même si elle n’est pas exceptionnelle, d’un seul stakeholder dans la base sociale, on observe qu’il y a un nombre considérable de coopératives qui doivent composer avec la complexité de gestion découlant de la présence de différentes catégories d’associés, porteurs d’intérêts diversifiés.

Un peu moins d’un tiers des coopératives sociales, a au moins deux catégories d’associés. Mais surtout près de la moitié de l’univers des coopératives analysé dans l’enquête Istat (2007) (48,3 %) a une base sociale composée de 3 catégories d’associés ou plus. Cette réalité est particulièrement visible dans les coopératives d’insertion professionnelle (type B) où le pourcentage des multistakeholders ayant 3 catégories ou plus atteint le cap de 68 %.

Il faut mentionner que l’analyse effectuée jusqu’à présent s’est limitée exclusivement au critère de présence ou non des différents associés. Un premier élément qui demanderait plus d’approfondissement concerne le ‘poids’ des associés dans la base sociale, représentée, dans le cas des personnes physiques, par le nombre de personnes impliquées. Ceci permet de soulever un sujet de débat important dans la coopération sociale, à savoir la présence et le rôle du bénévolat.

Sur la base des données de l’Istat (2007), il appert que les bénévoles représentent 10,9 % du total, un pourcentage qui n’est donc pas élevé et qui connaît une tendance à la baisse. En 2001, en effet, les bénévoles constituaient 12,1 % du total.

4. Les différentes formes de « structure » multistakeholder

La « croissance dans l’hétérogénéité du sociétariat » (observée dans la section précédente) qui caractérise l’évolution actuelle de la coopération sociale italienne est liée aussi à l’affirmation de modèles de gouvernance déterminés par la présence de différents acteurs. Ces derniers sont en mesure d’exprimer leurs propres intérêts et leurs propres attentes par rapport aux buts, aux stratégies et aux choix opérationnels de l’entreprise dans laquelle, à différents titres, ils sont impliqués.

La présence d’organisations multistakeholder représente donc un indicateur efficace d’une tendance forte des coopératives sociales à poursuivre une finalité de type « public » qui correspond à « l’intérêt général de la communauté », comme libellé dans la loi de référence et dans les statuts des coopératives.

On a pu observer cependant que ce ne sont pas toutes les coopératives sociales qui sont orientées dans cette voie, notamment parce que la norme n’impose aucune obligation par rapport à la présence de porteurs d’intérêts différents [7]. Il est donc nécessaire de promouvoir des politiques et des pratiques de gestion en vue de bâtir des systèmes de gouvernance participative et plurielle. Ceci vaut non seulement pour les coopératives sociales composées d’une seule catégorie de membres, en général les travailleurs, mais aussi pour celles où différents types d’associés existent, mais sans que ces derniers participent de manière active à la gestion de l’entreprise. L’adoption d’une nouvelle grille de lecture s’impose non seulement pour déterminer et classifier les stakeholders dans des « catégories » par ordre d’importance, mais aussi pour observer comment les différents acteurs jouent, dans les faits, leur rôle de « porteurs d’intérêts », en intervenant concrètement dans les processus décisionnels desquels dépendent la survie et le développement de la coopérative.

Le changement le plus important observé à ce niveau est le passage de « formes naturelles » basées sur la présence de différents porteurs d’intérêts fortement impliqués dans les phases de démarrage et de début de gestion de la coopérative sociale, essentiellement les fondateurs, à des formes dans lesquelles on tend par contre à formaliser souvent les rapports avec d’autres stakeholders représentants d’autres organisations, d’autres acteurs du troisième secteur, des institutions financières, des entreprises, etc. Dans cette dynamique générale, deux parcours distincts se dégagent.

D’une part, l’élargissement du nombre des porteurs d’intérêts et, de l’autre, la plus grande formalisation des relations par le biais de soit l’instrument classique de l’inclusion dans le socle propriétaire de la coopérative soit la gouvernance (membre associé ou siégeant au conseil d’administration). Cela peut exiger l’élaboration d’accords lorsque la participation sociétaire n’est pas prévue (par exemple des protocoles, des alliances, des associations temporaires, des accords, etc.). À côté de la classique multistakeholder ownership basée sur la reconnaissance des droits de propriété à des porteurs d’intérêts différents, on observe la diffusion de modèles de régulation des relations entre plusieurs stakeholders grâce à des formes contractuelles qui insistent sur des problèmes spécifiques. De tels modèles représentent une modalité émergente et de plus en plus connue pour associer des acteurs différents dans la coopération sociale. Il s’agit, en effet, de formes de relations qui ne sont pas excessivement contraignantes pour les parties en cause. De plus, elles sont plus flexibles et plus directement orientées vers l’accomplissement d’objectifs ponctuels par rapport à la modalité traditionnelle de l’adhésion du sociétaire.

En outre, ces relations mobilisent de plus en plus des organisations et des institutions (associations, entreprises, organismes publics) plutôt que des personnes individuelles. Cette situation signifie ainsi la construction d’un réseau avec des accents institutionnels beaucoup plus marqués.

Conclusion

En observant l’évolution de la coopération sociale sur le plan qualitatif, on semble donc assister à une sorte de « dégel » de leurs modèles organisationnels et de gouvernance parce que, d’un côté, la diffusion de stratégies d’inclusion de sujets différents des promoteurs est un phénomène relativement récent vu le « jeune âge » relatif du secteur. D’un autre côté, ces processus d’élargissement et de diversification du nombre et de la typologie des catégories de porteurs d’intérêts sont en train de venir à bout de quelques résistances et critiques. L’idée d’impliquer des acteurs différents soulève des exigences sur le plan du vocabulaire et de la culture et interpelle donc une approche de dialogue entre travailleurs et usagers des services.

À côté d’un alourdissement inévitable des processus décisionnels et gestionnaires, émergent les avantages d’un système qui permet d’opérer dans des contextes sociaux caractérisés par des niveaux élevés d’instabilité et de diversification.

Pouvoir compter sur des modèles d’entreprises aptes à valoriser des perspectives nouvelles et sur des processus décisionnels différents peut représenter, en effet, un facteur significatif de réduction des zones d’incertitude. La voie du gouvernement pluriel émerge donc comme un des principaux leviers organisationnels pouvant impliquer, coordonner et coresponsabiliser opportunément tous les acteurs.

La construction de procédures et de pratiques – même informelles – qui favorisent la circulation d’informations concernant des aspects décisionnels et gestionnaires constitue une des caractéristiques les plus importantes pour mesurer la fonctionnalité des modèles multistakeholders. Il s’agit d’un des leviers les plus importants à la disposition du management pour renforcer et stabiliser le processus de changement organisationnel jusqu’à sa possible phase d’institutionnalisation. Cela doit être vu comme la composante d’une routine normale qui ne doit pas se situer seulement sur le plan d’une belle idée sur papier ou encore, être perçue comme une tentative improvisée.

En définitive, l’analyse critique du système d’organisation des coopératives sociales en Italie met en évidence les changements dans les formes de gouvernance et ouvre des perspectives nouvelles aux relations possibles entre acteurs individuels et collectifs, publics et particuliers.

De cette analyse, on déduit, en effet, une tendance actuelle à créer des formes de réseautage caractérisées par des interdépendances horizontales permettant d’inclure les intérêts et les attentes de plusieurs acteurs, grâce à des mécanismes originaux de coordination. Ceux-ci constituent des occasions de rapprochement entre des acteurs étant, parfois, effectivement éloignés sur le plan des valeurs et de la culture de référence.

De ce point de vue il est nécessaire de compléter les renseignements statistiques présentés dans cette étude avec des données en provenance d’autres enquêtes afin d’approfondir en particulier deux aspects.

D’abord, la nature des intérêts et des ressources qui caractérisent les acteurs individuels et collectifs impliqués dans les coopératives sociales. Le fait que soit relevée la présence d’une ou plusieurs typologies de stakeholders ne signifie pas en effet qu’ils soient effectivement actifs à l’intérieur de l’organisation.

En deuxième lieu, il est nécessaire d’étudier et analyser dans le détail les différentes solutions adoptées par les coopératives sociales pour favoriser des procédures gestionnaires et décisionnelles élargies. Il n’est pas dit en effet que la participation se réalise uniquement dans le cadre des organes formels de gouvernement (assemblée, conseil d’administration, etc.), mais aussi dans des contextes caractérisés par une plus grand informalité et avec une approche plus liée à la gestion des processus productifs et, de manière plus générale, à toutes les initiatives servant à légitimer, dans la communauté locale, la mission sociale de ces entreprises.