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L’adaptation des coopératives au nouveau contexte socio-économique mondial est un thème de recherche qui intéresse les spécialistes de ces questions comme en témoignent les travaux récents de Bakaikoa, Errasti, et Begiristain (2004), Fernández Guadaño (2006), Ory, Gutner et Jaeger (2006), Côté (2007), Davis (2007), Stiglitz (2009), Wanyama, Develtere et Pollet (2009) et Spear (2011). Présenter rapidement, la problématique se pose ainsi. En Acadie, comme ailleurs au pays et dans le monde, les coopératives se sont historiquement organisées en réseaux dans lesquels cohabitent différentes formes d’entités juridiques, par exemple des coopératives locales et des corporations à vocation commerciale spécifique sous contrôle partiel ou total du bloc coopératif de l’organisation, et de contrôle effectif. La structure traditionnelle en pyramide inversée de ces réseaux s’est complexifiée dans le temps pour créer des organisations dont la gestion pose des défis particuliers. Le processus actuel de globalisation des activités économiques ajoute à cette complexité.

Comme le souligne Côté (2007 : 72) cet environnement en mutation provoque une crise identitaire profonde chez les coopératives traditionnelles. À la limite, certains analystes se demandent même si la formule coopérative demeure pertinente dans cet environnement global. Ce débat a relancé la recherche sur la différence coopérative et son usage comme stratégie d’entreprise et de gestion.

Du point de vue de la population en général, ce qui distingue la coopérative des entreprises capitalistes n’est pas toujours clairement compris. Lorsqu’on tente d’asseoir cette distinction dans les services et les produits offerts, elle peut sembler mince. Un prêt hypothécaire offert par une caisse populaire ressemble à celui offert par une banque à charte. Les denrées alimentaires offertes par une coopérative de consommation ne se distinguent pas de celles offertes par les supermarchés traditionnels. C’est probablement notre côté matérialiste qui ramène la question à ce niveau.

Il est vrai qu’un élément de distinction peut exister dans le type de biens et services offerts. Par exemple, les caisses populaires peuvent offrir des services financiers différenciés dans les options de remboursement. Les coopératives de consommation peuvent davantage miser sur des fournisseurs locaux. Mais l’essentiel de la distinction coopérative se situe ailleurs : dans les droits de propriété, dans la structure de gouvernance, dans les relations avec les communautés, dans la façon de régler la distribution des surplus, dans la répartition de la richesse créée par l’organisation, dans le mode de transfert de l’avoir net aux générations futures, etc. Cette distinction se trouve donc dans sa doctrine, dans son mode d’action et dans les résultats de la pratique coopérative.

L’ensemble de ces particularités a des implications sur le plan des pratiques de gestion. Ce numéro explore ces pratiques sous plusieurs angles et est structuré en deux blocs de deux et quatre textes. Les deux premiers textes analysent l’évolution d’une innovation institutionnelle dans le monde coopérative, la coopérative à partenaires multiples. Traditionnellement, la relation d’usage définissait le lien qui unissait les coopératives et ses sociétaires. Dans une caisse populaire, les membres de la coopérative sont des épargnants et des emprunteurs. Dans une coopérative de travailleurs, il faut être employé de la coopérative pour en devenir un membre-propriétaire. Dans la coopérative à partenaires multiples, on élargit le sociétariat aux bénéficiaires, aux employés et à des organisations de soutien. On reconnaît que les bienfaits de l’organisation ne se limitent pas aux utilisateurs du service produit par la coopérative, mais aussi à d’autres intervenants dans l’organisation et la communauté. Ce renouveau coopératif trouve son origine en Italie. C’est d’ailleurs à la « coopération sociale » dans ce pays que s’intéresse le texte de Zandonai et Pezzini. Ces auteurs exploitent les plus récentes données disponibles à ce sujet pour analyser les tendances récentes de ce secteur du mouvement coopératif italien. La principale contribution de ce texte est l’étude de la diffusion dans les coopératives sociales des expériences de gouvernance ouvertes à différents types d'associés. De son côté, Girard analyse les coopératives multisociétaires du Québec. Après avoir identifié les raisons ayant conduit au développement de ce type de coopératives et en avoir dressé le profil, Girard s’intéresse au lien entre cette nouvelle forme de coopératives et les coopératives traditionnelles, et aux enjeux que représente la gestion des coopératives à partenaires multiples.

Le second bloc de textes porte sur différentes expériences coopératives en Acadie et au Nouveau-Brunswick. L’étude de Chouinard et al. s’intéresse à la contribution du mouvement coopératif au développement territorial des îles Lamèque et Miscou situées dans le nord-est du Nouveau-Brunswick. Après avoir présenté un bref profil des principaux acteurs, les auteurs analysent les effets de l’intercoopération sur le développement des communautés. Le second texte de ce groupe est celui de Monique Levesque et Sébastien Deschênes de la Faculté d’administration de l’Université de Moncton. Ils analysent de quelle façon le Mouvement des caisses populaires acadiennes contribue à la vitalité de la communauté francophone et acadienne du Nouveau-Brunswick par « ses résultats, ses acquis, ses valeurs coopératives et son implication socio-économique ». En s’appuyant sur deux études de cas dans le secteur des coopératives de consommation, Gagnon cherche à vérifier si la culture organisationnelle actuelle de ces coopératives est conforme à la culture souhaitée ou déclarée. L’auteure en arrive à une conclusion différente pour les deux coopératives. Enfin, dans une note de recherche, Leclerc analyse le processus démocratique dans le cadre d’un exercice de réflexion stratégique conduit par la Fédération des caisses populaires acadiennes sur le thème de la distinction coopérative. Il montre comment les délégués des sociétaires de ces coopératives ont progressivement cheminé dans l’adoption de certains changements à la répartition du pouvoir dans l’organisation, à sa structure de représentation et de gouvernance, et à sa stratégie d’animation de la vie coopérative. Il identifie les contraintes qu’impose le contexte sur l’ouverture aux changements.

Soulignons en terminant la rareté des numéros spéciaux sur l’expérience coopérative dans les revues généralistes à caractère humaniste comme la Revue de l’Université de Moncton. Espérons que ce numéro saura amener une contribution intéressante dans les réflexions actuelles qu’a provoquées la récente crise financière et économique sur les modèles de développement.