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L’un des principaux défis à la fois pour les théoriciens et pour les praticiens contemporains du droit international et des relations internationales consiste à pallier le déficit de légitimité dont les institutions de gouvernance internationales sont constamment accusées. Comme ces dernières interviennent dans la régulation internationale d’une multitude de domaines (sécurité, commerce, travail, alimentation, etc.), les sociétés civiles du monde entier réclament d’être davantage impliquées dans l’élaboration et la mise en oeuvre des normes et programmes que ces institutions définissent.

Dans son ouvrage The United Nations and Civil Society. Legitimating Global Governance, Nora McKeon analyse en détail les relations entre les organisations de la société civile (osc) – qui regroupent selon elle à la fois les ong et les différents types de mouvements sociaux – et le système des Nations Unies. À cet effet, cette ancienne agente de liaison de la société civile à l’onu propose d’étudier plus en profondeur l’évolution de cette relation au sein du Programme alimentaire mondial (pam) et ses sommets mondiaux de l’alimentation du milieu des années 1990 jusqu’au début de la crise alimentaire de 2008. Par la suite, elle analyse les efforts internationaux pour mettre en oeuvre les objectifs du Millénaire pour le développement (omd), et plus précisément les approches adoptées pour impliquer la société civile dans leur réalisation. Enfin, McKeon passe en revue l’ensemble des pas franchis par les Nations Unies depuis le milieu des années 1990 en vue de réformer les règles, procédures et pratiques régissant ses relations avec la société civile, étapes qui ont culminé avec le rapport du panel de haut niveau indépendant afin de revoir les relations entre les Nations Unies et la société civile dans le cadre du projet de réforme de l’onu lancé par l’ancien secrétaire général Kofi Annan.

Ce qui se dégage des recherches menées par l’auteure est un constat pour le moins mitigé. Si les Nations Unies ont effectivement ouvert la porte au dialogue avec la société civile au sein de ses diverses instances à partir des années 1990, elles ont échoué à faire passer cette relation d’un simple dialogue consultatif à une réelle intégration aux mécanismes de décision et de mise en oeuvre politiques de l’Organisation. L’une des principales constatations de McKeon a trait à la discrimination dans l’accès des osc aux mécanismes de dialogue des Nations Unies. En effet, on remarque une préférence accordée à la participation des groupes d’affaires et des ong professionnelles – dont les représentants ont souvent un profil similaire à celui des représentants des gouvernements – au détriment des mouvements sociaux, jugés trop marginaux et contestataires. Il en résulte évidemment une sous-représentation des voix de ceux qui sont véritablement affligés par les inégalités induites par la gouvernance globale actuelle et une certaine cooptation des élites du monde de la société civile travaillant pour diverses ong influentes du Nord.

McKeon conclut néanmoins que le système des Nations Unies représente la meilleure institution pour approfondir l’inclusion de la société civile dans les institutions de gouvernance mondiale, et ainsi rehausser leur légitimité et autorité morale face aux populations. Elle y va donc de ses suggestions afin de « construire une gouvernance globale plus équitable et inclusive » : améliorer les processus de consultation, inclure davantage les mouvements sociaux (en particulier ceux du Sud), consulter davantage les osc au niveau des délégations nationales, améliorer la communication entre les représentants de la société civile et les agents de liaison des institutions de gouvernance globale et assurer une meilleure consultation des populations de la part des membres des diverses ong qui les représentent au sein des institutions internationales.

The United Nations and Civil Society constitue donc un ouvrage sérieux, bien documenté, et rédigé par un acteur de l’intérieur, ce qui lui confère une grande valeur à la fois pour les chercheurs et pour les praticiens des Relations internationales. La lecture peut s’avérer plus ardue pour la personne non avertie en raison de l’utilisation de nombreux sigles liés au système des Nations Unies, notamment dans la partie sur le pam. On regrette également le peu d’espace accordé aux différents débats théoriques en Relations internationales, dont cette recherche aurait pu expliciter davantage les implications. Il s’agit néanmoins d’une contribution qui saura intéresser particulièrement les chercheurs dont les travaux portent sur les institutions internationales, en particulier le système onusien, et ceux qui se spécialisent dans les nouveaux champs de recherche sur la société civile et les mouvements sociaux transnationaux.