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Outre la controverse soulevée par la pertinence ou l’impertinence d’une « célébration » de l’événement, le 250e anniversaire de la prise de Québec a été souligné par une série de publications touchant à 1759. Parmi les essais, catalogues d’expositions, éditions ou rééditions, signalons, pour les reprises, celle du classique La guerre de la Conquête, de Guy Frégault (Fides), puis L’Année des Anglais de Gaston Deschênes (Septentrion) et, chez le même éditeur, de Par la bouche de mes canons (devenu Québec, ville-cible), de Gérard Filteau. Deux traductions également : La vérité sur la bataille des plaines d’Abraham, de Peter MacLeod (Éditions de l’Homme) et Québec, 1759, de C. P. Stacey (Presses de l’Université Laval). Pour ce qui est des documents d’époque éditées ou réédités aux mêmes Presses, le St. John de Crèvecoeur, par Pierre Monette, ou le Journal du siège de Québec en 1759 annoté par A. Fauteux, repris et augmenté par Bernard Andrès et Patricia Willemin Andrès. Cette étonnante chronique d’un anonyme est souvent convoquée avec d’autres témoignages dans l’essai de Peter MacLeod et dans la chronologie dont il sera bientôt question. Enfin, plus polémique dans sa préface à tout le moins (Pierre Falardeau oblige), s’avère La bataille de la mémoire, de René Boulanger (Éditions du Québécois).

S’efforçant d’éviter la controverse sur les « festivités » entourant une défaite, la plupart des éditeurs ont plutôt tablé sur l’idée de « commémoration ». Il s’agissait d’abord de documenter l’événement en insistant sur l’intérêt avant tout historique des ouvrages publiés. « Encore fallait-il le faire le plus objectivement possible », prévient Gilles Herman dans la préface de Québec ville assiégée. 1759-1760. D’où le choix éditorial : céder la parole aux acteurs et témoins de l’époque. Présenté comme une simple chronologie des événements, ce livre compile les relations d’une cinquantaine de contemporains de la bataille. Ou plutôt des batailles. L’astuce consiste à « couvrir » les deux engagements : celui où les Anglais vainquirent et celui où ils perdirent (illusion du match nul). On se rappelle que, dans un souci d’équilibre visant à ménager les susceptibilités (au lendemain des polémiques sur la reconstitution des combats sur les Plaines d’Abraham), la Commission des champs de bataille nationaux intégrait à ses activités la bataille de Sainte-Foy où, en avril 1760, Vaudreuil et Lévis avaient repoussé Murray dans Québec. Éditeur délégué, Denis Vaugeois ne fait pas autrement dans Québec ville assiégée, livre conçu à partir des compilations d’Hélène Quimper (historienne de ladite Commission) et des 2500 fiches engrangées par Jacques Lacoursière. Deux écoles et deux méthodes de travail : celle de l’historienne-archiviste spécialiste d’histoire militaire et celle l’érudit vulgarisateur dévoué corps et âme à l’histoire populaire.

Un format généreux permet à cet ouvrage grand public de la plus belle facture de décliner le calendrier de janvier 1759 à septembre 1760 (mais en matière d’équilibre, on n’est pas dupe : aux 210 pages consacrées à la première année, ne répondent que les 22 pages de la seconde). Une présentation aérée offre en marge latérale les sources convoquées, alors qu’un diagramme en titre courant signale la progression chronologique du volume. Le tout agrémenté d’illustrations (souvent recyclées du défunt Boréal Express) et de motifs décoratifs (fleurs de lys pour les témoignages en français ; lion dressé pour l’anglais). Les points de vue formulés ne s’opposent pas seulement selon l’origine des participants ; ils trahissent aussi leur statut social (militaires, notables, religieux, commis ou simples « particuliers ») et l’intérêt naît justement de cette alternance. On s’avise du clivage entre Français et Canadiens de naissance (Montcalm et Bougainville vs Vaudreuil ou Ramezay), comme de la connivence entre officiers des deux camps (trois jours avant le 10 septembre, Abercrombie se confond en amabilités avec son « ennemi » Bougainville dans une lettre citant Voltaire et les « arpens de neige »).

Pour finir sur une note un peu plus critique, il semble que la hâte de sortir à temps cette chronologie n’ait pas permis d’en vérifier toutes les transcriptions. Ces coquilles s’expliquent probablement par le souci louable de saisir la langue de l’époque sans en moderniser les tournures. Pour avoir nous-même réédité le Journal du siège de Québec en 1759, nous connaissons bien la complexité d’une telle entreprise (précisons enfin que ce journal ne peut être attribué à Danseville, comme le laisse entendre la préface de Québec ville assiégée).