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Les chercheurs en études ethniques ont longtemps postulé qu’il existe un groupe majoritaire dominant et des groupes minoritaires potentiellement marginalisés, le cadre de référence et les normes sociales étant définis par la majorité. Cette conception dualiste a été délaissée progressivement au profit d’une vision qui tient compte davantage de la complexité et la multiplicité des identités. Marie Mc Andrew aborde pour sa part la question des rapports entre une majorité et ses minorités dans un contexte marqué par une « dominance ethnique ambiguë ». L’auteure compare les modèles de gestion de la diversité adoptés par les systèmes éducatifs respectifs de quatre sociétés caractérisées par une « ambiguïté de dominance » : la Belgique, la Catalogne, l’Irlande du Nord et le Québec.

Ces systèmes sont examinés sous cinq angles, qui représentent autant d’enjeux pour l’école publique en contexte pluriethnique : le contrôle des institutions, la traversée des frontières scolaires, l’enseignement de l’histoire, l’intégration linguistique et l’égalité des chances et l’adaptation à la diversité. La notion de diversité est traitée selon deux perspectives : la « diversité profonde », qui suppose la présence de deux majorités historiques, et la « diversité issue de l’immigration », qui découle de phénomènes migratoires plus récents.

La première partie de l’ouvrage est consacrée au traitement des majorités historiques dans les quatre systèmes d’éducation et aborde les questions suivantes. Premièrement le choix de se doter de structures distinctes, mixtes ou communes a-t-il un effet sur les relations intercommunautaires ? (Encourage-t-il le repli ou favorise-t-il la cohésion sociale ?) Sans conclure à l’existence d’un modèle idéal, l’auteure fait ressortir les limites de la perspective libérale en matière de politiques éducatives dans des contextes de survie linguistique et identitaire.

Deuxièmement, le choix que font certains parents de scolariser leur enfant dans le réseau de l’« autre » groupe favorise-t-il le rapprochement intercommunautaire ? À cet égard, la recherche ne permet pas de dégager des indicateurs de rapprochement mais des conditions favorables à la diminution de la « rigidité identitaire », notamment l’existence préalable de relations moins polarisées entre les groupes concernés, la fréquence, les buts, la qualité et la nature des contacts.

Enfin, l’enseignement de l’histoire contribue-t-il au rapprochement intercommunautaire par un travail de pacification des mémoires ou au contraire à l’érosion de la majorité fragile sous prétexte de viser le développement du vivre-ensemble ? L’auteure identifie quelques conditions préalables pour que l’histoire ait une fonction de rapprochement entre les majorités historiques (mais aussi entre les majorités fragiles et leurs minorités) : une approche qui privilégie la confrontation des mémoires plutôt que l’évitement des aspects litigieux, une conception inclusive, une formation solide qui permette aux enseignants d’assumer avec compétence cet enseignement exigeant et complexe.

Dans la seconde partie, l’auteure compare les pratiques de gestion de la diversité ethnoculturelle dans trois des systèmes scolaires étudiés, en Flandre, en Catalogne et au Québec, la question linguistique ne se posant pas en Irlande.

Elle examine d’abord les politiques d’intégration linguistique dans une optique d’égalité des chances : les résultats des politiques linguistiques axées sur la préservation de la langue de la « majorité fragile » s’avèrent globalement concluants dans les trois systèmes, même si la connaissance de la langue par les populations immigrées ne se traduit pas toujours par une maitrise suffisante de celle-ci pour accéder à des emplois supérieurs ou valorisants. Au chapitre de la réussite scolaire et de l’intégration socioéconomique, le bilan est toutefois plus mitigé.

Elle s’attaque ensuite à une question plus controversée : comment passer de la simple adaptation à la transformation pluraliste du système d’éducation, en passant par la prise en compte de la diversité linguistique, culturelle et religieuse dans les différentes facettes de la vie de l’école (matériel pédagogique, participation parentale, stratégies d’enseignement, normes et règlements, etc.). En premier lieu, elle constate un écart entre les politiques officielles, les pratiques sur le terrain et les débats publics (discours et perceptions). Exception faite de la Catalogne, où les transformations en cours font l’objet d’un large consensus, un état d’esprit qui peut s’expliquer par une diversité bien enracinée et constitutive de l’identité catalane, les autres « majorités fragiles » expriment une profonde inquiétude identitaire.

L’attachement aux frontières ethniques et la crainte de les voir brouillées ou diluées dans un tout pluraliste s’expliquent par une dynamique où se mêlent une mémoire historique et un sentiment présent de fragilité.

Elle conclut son analyse par une prise de position en faveur d’un engagement ferme des pouvoirs publics et de l’adoption par ces derniers d’un discours qui annoncerait explicitement la volonté de confier à l’école un rôle d’agent d’adaptation et de transformation. Cette stratégie serait préférable, selon l’auteure, à un discours feutré ou à une politique des petits pas dont le principal objectif serait d’éviter les aspects épineux du sujet. Voilà qui a le mérite de poser clairement les termes du débat : l’école, lieu de transmission, de construction... ou les deux ?

L’auteure nous livre ici le fruit de dix années d’études comparatives sur le rapport à l’altérité dans les sociétés divisées. Il s’agit d’une contribution importante au développement du champ des relations ethniques et d’un outil de référence incontournable pour les chercheurs en éducation comparée. Le cadre conceptuel introduit de nouveaux concepts (majorité fragile, en voie de majorisation, diversité profonde, nouveaux paradigmes de citoyenneté) et constitue un apport pour divers champs de recherche, notamment la sociologie de l’éducation, l’histoire, l’éthique, les droits de la personne ou la psychologie sociale.

Par ailleurs, la question du rôle de l’école publique dans la gestion de la diversité est abordée sous ses angles les plus sensibles et les plus chargés idéologiquement. À cet égard, l’ouvrage de Marie Mc Andrew fournit un éclairage aux juristes, sociologues, psychologues, politicologues, éducateurs, enfin à tout praticien ou chercheur engagé dans la réflexion et le débat sur le vivre-ensemble. Enfin, il laisse entrevoir des pistes de recherche interdisciplinaire sur les questions d’éducation et d’intégration en contexte de diversité.