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En France, en 1830, sous la Restauration, six mois avant les Trois Glorieuses, le roi Charles X approuvait de son sceau une nouvelle congrégation religieuse appelée les « Clercs paroissiaux ou Catéchistes de Saint-Viateur », la congrégation des CSV, fondée par l’abbé Louis Querbes, curé de Vourles, paroisse sise dans le diocèse de Lyon. Huit ans plus tard, le pape Grégoire XVI y ajoutait déjà l’approbation pontificale.

Ses disciples étaient destinés à oeuvrer modestement surtout dans les campagnes, contrairement aux membres de l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes (FÉC), fondé aussi en France un siècle et demi plus tôt, mais dont les frères travaillaient principalement dans les villes et les gros bourgs. La nouvelle congrégation des CSV réunissait des prêtres et des frères, à l’encontre des FÉC, appelés les « Grands Frères », qui se sont toujours opposés à la présence de prêtres dans leur institut. Néanmoins, les deux congrégations, au 17e siècle comme au 19e, entendaient poursuivre le même but, soit la régénération chrétienne de la France par l’éducation profane autant que religieuse des enfants et des paroisses.

En 1847, dix ans après l’arrivée des FÉC au Canada et trois ans avant le décès du père Querbes, trois frères des CSV mettaient pied à Montréal, puis rapidement à L’Industrie (Joliette), à l’invitation pressante de Mgr Ignace Bourget, évêque de Montréal, ainsi que de Barthélemy Joliette, seigneur et fondateur de L’Industrie. Deux pères viatoriens français, provenant de l’État du Missouri, s’ajoutaient l’année suivante au groupe des trois frères. L’histoire de plus de cent cinquante années de l’oeuvre des CSV au Canada a été écrite par deux des leurs. Tout d’abord le frère Antoine Bernard, docteur en histoire, y alla de deux livres qui couvraient les deux premiers demi-siècles : 1847-1897 (en 1947) et 1897-1947 (en 1951). Quant à la période 1947-1997, elle a été aussi couverte courageusement par le père Léo-Paul Hébert, docteur en histoire, auteur de plusieurs études sur sa congrégation, et qui a publié à l’été 2010 un livre intitulé Les Clercs de Saint-Viateur – 1947-1997.

Courageusement, certes, car ainsi que le déclare dans la préface Yvan Lamonde, historien de l’Université McGill, Léo-Paul Hébert « n’a pas craint cette mise à jour de la réalité, ce face à face avec une réalité menaçante ». Muni d’une fascinante mais imposante documentation, l’auteur a puisé abondamment dans les documents de première main et a offert à ses confrères, aux historiens ainsi qu’à un certain public une synthèse impressionnante de l’histoire des CSV au Canada, surtout au Québec. Celui-ci ne s’en cache nullement. À l’exemple de l’historien Nive Voisine, auteur en trois tomes d’une histoire des FÉC au Canada, Hébert a fait sien pour sa congrégation le même but : « Qu’ont-ils [les CSV] apporté d’original dans l’évolution de l’Église catholique et particulièrement dans l’histoire de l’éducation au Canada ? » Son exposé, au cours de tout près d’un millier de pages, se divise en trois parties : 1) « Vue d’ensemble » – (contexte, les CSV, le recrutement, la vie religieuse) ; 2) « Évolution de la congrégation » – un traitement en quatre périodes du demi-siècle) ; 3) « Les réalisations » – (l’éducation, la pastorale, les arts et les lettres, les manuels, les missions ou fondations, la cause du père Querbes).

La lecture de ce livre nous apprend, toujours document à l’appui, que les religieux viatoriens, tant frères que prêtres, à l’école comme au service d’une paroisse, tout comme ceux d’autres communautés religieuses enseignantes, ont au cours de ce demi-siècle transmis un important legs dans le monde de l’éducation et de la pastorale. Leurs initiatives dans divers domaines et à l’intention de plusieurs clientèles ont été nombreuses. Notamment en pastorale dans les paroisses ou en catéchèse ; dans l’éducation, du niveau primaire à celui de l’université ; dans le domaine de l’agriculture (ferme modèle et orphelinats agricoles), comme aussi dans l’enseignement spécialisé auprès de handicapés (sourds-muets et aveugles). Il faut mentionner leur influence pédagogique par des méthodes progressistes véhiculées souvent par d’éminents professeurs ; par la diffusion de leurs manuels scolaires dont certains ont connu maintes éditions ; par la renommée de leurs grands collèges (Joliette, Rigaud, Montréal-Outremont, Matane). Aussi par leur présence dans la création des cégeps et des polyvalentes, de même que dans les camps de sciences naturelles, dans le camp musical de Lanaudière, voire dans les sports. La congrégation des CSV a apporté de même une impressionnante contribution dans le domaine des arts, que ce soit en architecture, en peinture ou en sculpture. Le Musée d’art de Joliette en est un témoignage éloquent. Au surplus, les religieux viatoriens se sont illustrés, et comment, dans les domaines du chant et de la musique. Pour ne citer qu’un exemple, mentionnons l’oeuvre du père Fernand Lindsay, philosophe, organiste, fondateur du Festival-concours des Jeunesses musicales du Canada (JMC) et du prestigieux Festival international de Lanaudière, tout particulièrement. D’autres confrères se sont illustrés dans le secteur du cinéma ainsi que dans celui des sciences. Finalement, les CSV du Québec, très généreusement, ont apporté une contribution louable en se rendant hors de l’Amérique du Nord et en entretenant des «missions », appelées maintenant des « fondations ». Elles commencèrent en 1931 avec leur arrivée en Chine. Aujourd’hui, les CSV rendent d’insignes services aux pays qui les ont accueillis, que ce soit au Japon (1948), à Taïwan (1953), au Pérou (1959), en Haïti (1965), en Côte d’Ivoire (1955) et au Burkina Faso (1999).

L’histoire de cette communauté religieuse, au cours de ce demi-siècle, a été tributaire du climat social et politique qui a profondément transformé le Québec, d’abord après la Seconde Guerre mondiale, puis surtout depuis la Révolution tranquille. La transformation d’un Québec catholique et plutôt traditionnel en un Québec pluraliste, davantage urbain, moderne et en voie de sécularisation a obligé la congrégation à s’ouvrir à « des voies nouvelles », non sans de multiples tiraillements perçus au quotidien, davantage lors de leurs chapitres généraux. Certains religieux parlaient même de « refondation » de leur groupement, d’une nouvelle « vie religieuse pluraliste qui [tendaient] à s’affirmer ». Mais comment vivre leur aggiornamento prescrit par Vatican II tout en conservant leur identité viatorienne ? Le temps était venu des « interrogations », des « malaises » et des « tentatives de réponses aux interrogations ». S’y ajoutaient l’« alarmante » crise des vocations et la triste diminution des effectifs de la communauté au Québec. Oui, « la révolution viatorienne fut tout le contraire d’une révolution tranquille » chez les CSV québécois, constate sans complaisance l’historien Hébert, et qui répète que « plusieurs questions travaillaient la congrégation » au sujet de l’accès des frères au sacerdoce et aux fonctions majeures de leur gouvernement, de la dévalorisation de la vocation de religieux non prêtres ainsi que de la prépondérance cléricale, des relations « tendues » entre des pères et des frères, de la décentralisation et de la restructuration face aux diverses générations, du ressourcement spirituel, enfin de la formation d’une province religieuse unique, celle du Canada, promulguée que le 27 décembre 1994. Toutefois les chiffres ne mentaient pas. De 1165 religieux qu’ils étaient en 1961, les statistiques piquaient du nez à 686 en 1978. En dépit de diverses mesures louables, ces mêmes statistiques dénombraient 526 religieux en 1988 pour 412 en 1997. La moyenne d’âge actuelle de ces religieux aborde maintenant les 80 ans. La vie religieuse aurait-elle perdu de « sa pertinence » ? Le « charisme viatorien » serait-il agonisant, de se demander certains témoins, voire des ami-e-s de cette congrégation ? Comme il n’y avait « plus d’avenir dans l’enseignement », les CSV québécois bien portants, quoique vieillissants, préfèrent plutôt maintenant jouer un rôle actif auprès des plus démunis, des laissés-pour-compte, des plus faibles de la société, se vouant ainsi à une vocation spécifiquement caritative.

Néanmoins, pourrions-nous dire, l’avenir en ce début de millénaire s’annonce pour le moins « sombre », tout comme pour les autres communautés religieuses québécoises dites encore enseignantes ou hospitalières, autant masculines que féminines. Une réalité combien crue, plutôt dramatique. Aussi, nous pourrions ajouter : ne restera-t-il que la « nostalgie » d’un âge d’or révolu ? L’histoire de l’Église nous le révèle, et l’historien Hébert ose même avancer cette citation : [Il] « n’est pas question de parler de pérennité pour les communautés religieuses ». Nous osons faire nôtre cette phrase du père P. Bellavance, sj, qui affirmait : « Les communautés naissent, croissent ; elles peuvent mourir. » En revanche, une réflexion que rapporte l’historien pourrait être porteuse d’un certain espoir. Celle de Mgr Jacques Berthelet, cvs, lequel discourait en 1994 de la situation de la vie religieuse au Canada : « Ce qui est en train de mourir ; ce qui est en train de naître ». L’avenir, peut-être, nous fera-t-il connaître la renaissance d’une vie religieuse active exprimée au sein d’« une communauté de foi » encore mieux adaptée à notre environnement contemporain ? Rêve ? Future réalité ? Illusion ? Que de questions, de si, de comment, de pourquoi, surgissent !