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L’introduction et la quatrième de couverture affichent clairement la contribution potentielle de ce livre aux études savantes, en histoire, en science politique ou en communication. Dès la première page de l’introduction, l’auteur prévient que « ce livre n’a pas de prétentions historiques » (p. 9). Effectivement, la lecture des notes de bas de page, nombreuses, qui jouent aussi le rôle de bibliographie, affiche l’intertextualité : ce livre est pour l’essentiel une relecture de données connues. Quoique, peut-être, la correspondance que l’auteur a développée avec Bernard, jésuite missionnaire au Brésil, l’un des fils d’Henri Bourassa, de même que les entretiens qu’il a eus avec l’une de ses filles, Jeanne, pourraient ajouter à ce qui est déjà documenté par les historiens professionnels. Pour les politologues, l’intérêt se trouve sans doute dans le récit de la vie « d’un homme qui, jusqu’à la fin, s’est accroché à l’utopie d’un Canada bilingue et biculturel » (p. 12). J’ajouterais, après lecture des 350 pages au-delà de l’introduction, que ce récit peut être éclairant aussi parce qu’il met en scène un membre de la bourgeoisie canadienne-française de la fin du 19e siècle et de la première moitié du 20e dont la vie professionnelle aura été, avant toutes choses, celle d’un politicien : maire, député à Ottawa, député à Québec et éditorialiste politique. La fondation du quotidien Le Devoir, en continuité directe avec la tradition de la presse d’opinion du 19e siècle, sera une intervention politique, non partisane il est vrai, mais quand même porte-voix d’un politicien. En ce sens, la deuxième partie du titre : Henri Bourassa et son temps annonce fidèlement ce que l’on va trouver dans ce livre de Mario Cardinal, un journaliste de renommée. Celui-ci précise, dès le deuxième paragraphe de l’introduction : « [Cet ouvrage] est surtout une sorte de pèlerinage dans mes nostalgies, à la recherche de l’homme qui a donné vie au journal où j’ai passé dix des plus belles années de ma carrière de journaliste » (p. 9). Mais de fait, au-delà du témoignage (limité) et de l’hommage, pudique quoique constant, son livre offre une reconstitution de l’époque et des personnages de la vie sociale de la bonne société canadienne-française dans la première moitié du 20e siècle. À la façon du docu-drama, l’ancien journaliste de Radio-Canada introduit « des dialogues […] imaginés avec la volonté de respecter aussi fidèlement que possible la pensée de Bourassa » (p. 11). Une autre technique, celle du retour en arrière (flash-back), s’impose à partir de la page 184 (troisième partie intitulée : « Les combats »). Mais cette opération narrative est moins réussie parce qu’elle déroute en imposant trop d’allers et retours. Le livre se clôt par de courts chapitres thématiques (quatrième partie intitulée : « L’ultramontain nationaliste et canadien ») où l’auteur tente de situer Henri Bourassa sur quelques questions toujours (quoique différemment) sensibles au regard d’aujourd’hui : l’obéissance au pape, les femmes, le syndicalisme et le séparatisme. Mario Cardinal, qui fut ombudsman à la société d’État, s’en tire avec sensibilité et nuances. Son traitement convient aussi à l’air du temps, celui de 2010, centenaire de l’initiative qui a, contre troutes attentes, survécu à son fondateur : Le Devoir.